« Je pense que quand David Vines m’a demandé de contribuer à un numéro de l’Oxford Review of Economic Policy basé sur la "refondation de la théorie macroéconomique", il pensait que j’écrirais sur la façon par laquelle le modèle macroéconomique de base devait changer pour refléter les développements de la macroéconomie depuis la crise en me focalisant tout particulièrement sur la modélisation de l’impact de la politique budgétaire. Cela aurait été un article bien intéressant à écrire, mais j’ai rapidement décidé de parler de choses que je considérais comme bien plus importantes.

Selon moi, le plus grand obstacle à l’avancée de la macroéconomie est l’hégémonie des microfondations. Je voulais qu’au moins un article questionne cette hégémonie. Il s’est avéré que je n’étais pas le seul à rédiger un tel article, que d’autres firent de même. J’ai été particulièrement motivé à le faire quand j’ai vu qu’Olivier Blanchard, dans ses billets de blog où il faisait part de ses réflexions avant d’écrire sa propre contribution, était sur la même longueur d’onde que moi.

Je parlerai des autres articles quand plus de gens auront eu la chance de les lire. Ici, je vais me focaliser sur ma propre contribution. J’ai déjà développé cette réflexion il y a quelques temps sur mon blog et cela m’a amené à penser que la plupart des macroéconomistes qui travaillent dans l’hégémonie des microfondations souffrent d’un blocage mental quand ils sont confrontés à des approches de modélisation alternatives. (…)

Imaginons un modèle DSGE, "estimé" par des techniques bayésiennes. Pour être spécifiques, supposons qu’il contienne une fonction de consommation intertemporelle standard. Ensuite, supposons que quelqu’un ajoute un terme dans le modèle, disons le chômage dans la fonction de consommation et par là même améliore significativement l’ajustement (fit) du modèle vis-à-vis des données. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’ajustement s’améliore significativement : par exemple, le chômage peut être un indicateur de l’incertitude entourant revenu du travail. La question clé devient alors : quel est le meilleur modèle pour examiner la politique macroéconomique ? Le modèle DSGE originel ou le modèle augmenté ?

Le macroéconomiste des microfondations va sans doute tendre à dire le modèle DSGE originel, parce que seul ce modèle est connu comme étant théoriquement cohérent. (Ils peuvent se contenter de dire que ce modèle satisfait mieux la critique de Lucas, mais la cohérence interne reste un critère plus général.) Mais une réponse également valide consisterait à dire que le modèle DSGE originel va donner des réponses de politique incorrectes, parce qu’il néglige un lien important entre le chômage et la consommation, si bien qu’on doit lui préférer le modèle augmenté.

Il n’y a absolument rien qui dise que la cohérence interne soit plus importante que la mauvaise spécification (relative). D’après mon expérience, lorsqu’ils sont confrontés à ce fait, certains concepteurs de modèles DSGE ont recours à deux tactiques de diversion. La première, qui consiste à dire que tous les modèles sont mal spécifiés, ne vaut pas la peine d’être discutée. La seconde consiste à dire qu’aucun modèle n’est satisfaisant et que de nouvelles recherches sont nécessaires pour incorporer l’effet du chômage de façon cohérente.

Je n’ai pas de problème avec cette réponse en soi et, pour cette raison, je n’ai pas de problème avec le projet des microfondations en tant que manière de faire de la modélisation macroéconomique. Mais dans ce contexte particulier c’est une esquive. Il n’y aura pas, du moins tant que je serais en vie, un modèle DSGE qui ne puisse être amélioré en ajoutant des effets plausibles, mais potentielles incohérents, comme l’influence du chômage sur la consommation. Par conséquent, si vous pensez que les modèles qui sont significativement meilleurs dans l’ajustement aux données doivent être préférés aux modèles DSGE (…), alors ces modèles augmentés vont toujours battre le modèle DSGE pour modéliser la politique économique.

(…) Il existe une méthodologie alternative pour construire des modèles macroéconomiques qui n’est pas inférieure à l’approche des microfondations. Elle commence avec une certaine spécification théorique, qui peut être un modèle DSGE comme dans l’exemple, et elle étend ensuite celle-ci en des voies qui sont théoriquement plausibles et qui améliorent aussi significativement l’ajustement du modèle, mais qui ne sont pas formellement dérivées des microfondations. Je qualifie un tel modèle de modèle économétrique structurel (structural econometric model) et Blanchard de modèle de politique économique (policy model).

Ce que je souligne tout particulièrement dans mon article, c’est que ces méthodologies ne sont pas contradictoires, mais bien complémentaires. Les modèles économétriques structurels comme je les décris ici débutent avec la théorie microfondée. (Bien sûr, les modèles économétriques structurels peuvent aussi commencer avec la théorie non-microfondée, mais le bien-fondé d’une telle stratégie est un autre débat que je ne veux pas aborder ici.) En tant que produit fini, ils fournissent plusieurs agendas de recherche pour la modélisation microfondée. Donc la conception de modèles DSGE peut fournir le point de départ pour les concepteurs de modèles économétriques structurels ou les modèles de politique économique et ces modèles peuvent alors, lorsqu’ils sont complétés, fournir un agenda de recherche pour les concepteurs de modèles DSGE.

Une fois que vous saisissez cette complémentarité, vous pouvez saisir pourquoi je pense que la macroéconomie se développerait bien plus rapidement si les universitaires s’échinaient à développer aussi bien des modèles économétriques structurels que des modèles DSGE. L’erreur que les nouveaux classiques ont commise dans leur contre-révolution a été d’écarter les précédentes façons de modéliser l’économie, au lieu de les compléter avec des approches additionnelles. Chaque méthodologie, prise isolément, va se développer bien plus lentement que si elles étaient combinées. Ou, pour le dire autrement, la recherche basée sur les modèles économétriques structurels est bien plus efficace que l’approche de résolution d’énigmes qui est aujourd’hui utilisée.

Dans cet article, j’essaye d’imaginer ce qui se serait passé si le projet des microfondations s’était contenté d’augmenter la macroéconomie existante (c’est-à-dire les modèles économétriques structurels) plutôt que de l’écarter. Je pense que nous avons de bonnes preuves qu’une complémentarité active entre modèles économétriques structurels et modélisation des microfondations aurait permis de mieux cerner les liens entre secteurs réel et financier avant la crise financière mondiale. L’hégémonie des microfondations a choisi de s’attaquer aux mauvaises énigmes, détournant ainsi la macroéconomie de questions empiriques bien plus importantes. La même chose peut se reproduire si l’hégémonie des microfondations demeure. »

Simon Wren-Lewis, « Why the microfoundations hegemony holds back macroeconomic progress », in Mainly Macro (blog), 6 janvier 2018. Traduit par Martin Anota