« Les valeurs boursières ont chuté la semaine dernière, ce qui a amené beaucoup à se poser des questions et suscité des débats, notamment à propos des causes sous-jacentes. Nous passons en revue les avis des économistes sur la question...

John Cochrane a publié un long billet visant à expliquer les fluctuations boursières, où il examine en profondeur les prix d’actifs, le ratio cours sur dividende, la prime de risque et la volatilité. La question qui se pose est la suivante : est-ce que les taux d'intérêt réels de long terme augmentent enfin (et reviennent à ce qui rapproche de la norme historique) et, si oui, pourquoi ? La bonne nouvelle, affirme Cochrane, est que nous arrivons dans une période de plus forte croissance. Cela augmenterait la croissance réelle, avec une petite baisse des cours boursiers, mais avec aussi des rendements boursiers plus élevés et des rendements obligataires en hausse. Il y a aussi une mauvaise nouvelle : après avoir voté une réduction d’impôts qui va creuser les déficits (…), les meneurs du Congrès viennent de se mettre d’accord pour accroître les dépenses publiques de 200 milliards de dollars. Cochrane affirme qu’à un certain moment les marchés obligataires disent "non" et que les taux réels augmentent parce que la prime de risque augmente. La bonne nouvelle nous amène à anticiper une certaine inflation si l'on croit en la courbe de Phillips ; avec la mauvaise nouvelle, on peut s'attendre à une stagflation en raison de la situation budgétaire.

Tyler Cowen estime que le déclin des prix d’actifs peut être une bonne chose (...). Il affirme que ce niveau élevé des prix d’actifs reflète une réalité de la création de richesses, c’est-à-dire le fait qu’il y ait un déséquilibre entre la richesse mondiale et les moyens sûrs de transférer cette richesse dans le futur. Les marchés boursiers de Chine et de Russie ne sont pas sûrs et pas très bien développés et plusieurs autres pays émergents, comme la Turquie et le Brésil, ont été affaiblis par l’incertitude et les désordres politiques. Donc, en termes relatifs, les actifs de haute qualité, fortement liquides et habituellement sûrs sont devenus chers et nous nous retrouvons avec des price-earning ratios particulièrement élevés et des rendements négatifs sur les titres publics sûrs. Comme les rapports positifs se multiplient concernant l’économie américaine, les actifs sûrs peuvent devenir moins importants en tant que réserves de valeur relativement sûres et donc leur prix peut chuter. Cette dynamique des prix ne traduit pas forcément la présence de bulles mais, dans un monde où la richesse est créée plus rapidement que ne s’améliorent les institutions, elle peut signaler que la prime de risque est peut-être plus importante qu’on ne le pense.

Paul Krugman dit que, d’un côté, nous ne devrions pas supposer qu’il y a une bonne raison à l’origine de la chute du marché ; quand les cours boursiers se sont effondrés en 1987, il s’agissait d’une panique auto-réalisatrice. D’un autre côté, nous ne devons pas non plus supposer que la chute des cours boursiers nous dise grand-chose à propos des perspectives économiques futures ; le krach de 1987, par exemple, a été suivi par une croissance solide. Pourtant, les turbulences sur le marché doit nous amener à nous pencher plus sérieusement sur les perspectives économiques. S’il y a une nouvelle derrière la chute, c’est bien la publication du dernier rapport sur l’emploi, qui a montré une hausse, certes significative, mais pas énorme, des salaires. Krugman affirme que c’est une bonne nouvelle (elle suggère en effet que l’économie américaine est proche du plein emploi), mais cela signifie aussi que la croissance américaine ne pourra plus venir du retour des chômeurs à l’emploi. Il affirme que l’économie américaine risque certainement de voir sa croissance ralentir et que les analyses disponibles suggèrent que la croissance au cours de la prochaine décennie tournera autour de 1,5 % par an, soit la moitié de ce qu’avait promis Trump.

Matthew Klein, du Financial Times, se penche sur la crainte des marchés qu’une accélération de la croissance des salaires alimente l’inflation des prix à la consommation ou, tout du moins, que la Fed réagisse à une telle perspective en resserrant sa politique monétaire. Il affirme que les derniers chiffres ne valident pas pour l’heure ce que croient les participants du marché. Si l’on prend une moyenne sur six mois, il semble que la croissance des salaires ait ralenti depuis la seconde moitié de 2016. Il y a aussi des raisons qui nous amènent à douter que cette croissance des salaires puisse se traduire par une hausse des prix à la consommation : en général, ce sont surtout les personnes à faibles revenus qui tendent à davantage dépenser et à moins épargner, donc ceux qui s’inquiètent qu’une hausse des salaires puisse stimuler le pouvoir d’achat des consommateurs et éroder les marges doivent se focaliser sur les secteurs à faibles rémunérations, or la croissance salariale y a ralenti. Klein souligne aussi l’importance du secteur financier au regard de la croissance salariale. Il estime que ce serait ironique si les agents financiers se convainquaient de vendre leurs actions en raison de la publication d’une unique donnée, en l’occurrence une donnée qui a été perturbée par la hausse agressive de leurs propres rémunérations, une hausse qu’ils ont justifié par l’évolution du marché, elle-même en partie justifiée par la stabilité de l’inflation.

Stephen Williamson (…) pense qu’il n’y a pas réellement de signe d’excès inflationniste dans les données. Il y a, par contre, des signes que l’inflation et l’inflation anticipée sont très proches de ce qui est cohérent avec une cible d’inflation de 2 %, pour un futur indéfini. Il pense qu’il peut y avoir un risque en termes de décisions de politique monétaire, néanmoins, comme la Fed est aussi proche (…) d’atteindre ses objectifs. L’inflation est arrivée récemment, lorsque les taux d’intérêt nominaux ont augmenté. C’est cohérent avec la logique néo-fisherienne, celle selon laquelle il faut augmenter le taux d’intérêt nominal si l’on veut davantage d’inflation. Bien sûr, l’inflation était faible en 2014-2015 en partie en raison d’une chute du prix du pétrole brut. Néanmoins, certains ont affirmé que l’inflation ralentirait en conséquence des hausses du taux directeur de la Fed et ce n’est pas ce qui s’est passé. Le problème est que la Fed pourrait continuer d’accroître les taux d’intérêt alors même que ce n’est pas nécessaire, ce qui va amener l’inflation à dépasser sa cible, ce qui incitera en retour la Fed à relever davantage ses taux et continuera d’éloigner l’inflation de sa cible. Heureusement, c’est une route politiquement difficile à emprunter, donc il doute que cela arrive.

Dambisa Moyo affirme que, malgré la récente chute des valeurs boursières, l'atmosphère haussière qui soutient les actions reste déconnectée de la réalité et reste sourde aux réserves exprimées par les dirigeants politiques, tandis que le marché évalue mal les défis structurels, en particulier l’endettement mondial croissant et insoutenable et la piètre perspective budgétaire, notamment aux Etats-Unis, où le prix de cette reprise est une dette croissante. En 2018, les chefs d’entreprises et les participants de marché doivent garder en tête (…) que nous nous rapprochons de la date où il faudra payer la facture pour la reprise actuelle. Les fluctuations qu’ont connues les marchés des capitaux ces derniers jours suggèrent qu’ils prennent conscience de cet inévitable règlement. »

Silvia Merler, « The stock market slide », in Bruegel (blog), 12 février 2018. Traduit par Martin Anota