« On a entendu beaucoup de choses à propos de la correction brutale du marché boursier depuis que ce dernier a atteint un pic le 26 janvier et a chuté abruptement de 10 % (comme le 8 février, avant de connaître un rebond partiel). Certaines de ces choses ont été utiles, d’autres non. (…)

Est-ce le moment de vendre ?


Premièrement, comment doit réagir un investisseur intelligent ? "Ne soyez pas effrayé de vendre des actions en réaction à un plongeon de court terme", disent-ils. "Pensez à plus long terme". Ils ont raison. Que les actions chutent n’était pas une raison pour vendre début février.

En fait, la raison qui justifie la vente des actions est qu’elles sont bien trop hautes selon une perspective de plus long terme. Les prix sont très élevés relativement aux fondamentaux comme les dividendes. Les price-earnings ratios ajustés en fonction de la conjoncture, par exemple, sont toujours à un niveau qui n’avait été dépassé que deux fois au cours du siècle précédent : lors des pics qui précédèrent immédiatement les krachs boursiers de 1929 et de 2000-2002.

Quand je suggère que les investisseurs doivent vendre des actions, j’ai en tête ceux qui sont pleinement investis dans le marché boursier ou, pire encore, ceux qui se sont endettés pour avoir une position en actions supérieure à 100 %. Mais bien sûr, un portefeuille adéquatement diversifié donnera toujours une large place aux actions.

Le soulèvement des machines


Une deuxième déclaration que l’on a soudainement entendu partout est la suivante : "le marché est plus volatile parce que des machines ont remplacé les traders".

Ils disent qu’avec le trading algorithmique, quand les actions commencent à chuter, les ordinateurs se mettent en branle, vendent également, ce qui déprime davantage le prix. C’est possible. Et je ne suis pas de ceux qui croient que le trading automatisé ou à haute vitesse accomplit un objectif socialement utile. Mais je ne pense pas non plus qu’il soit nécessairement déstabilisateur. Dans la panique, les êtres humains sont aussi susceptibles de prendre des décisions imprudentes que les machines.

Tout cela dépend de la façon par laquelle l’algorithme est conçu (chose qui est bien évidemment faite des êtres humains). Un ordinateur qui a été programmé (directement ou non) pour instantanément "acheter lorsque ça chute" va générer une demande pour les actions dont le cours baisse, ce qui tendra à stabiliser les prix et non à les déstabiliser.

Nous avons toujours connu des ordres "stop-loss" : un investisseur peut laisser comme instruction à son courtier de vendre si le prix chute en-deçà d’un niveau prédéfini. Ce genre d’instructions est déstabilisateur, dans la mesure où il génère des ordres de vente en réponse à une chute naissante des prix, ce qui contribue par conséquent à exacerber la chute des prix. Ou l’investisseur peut laisser comme instruction d’acheter une action quand son prix chute sous un certain niveau pré-spécifié, ce qui est stabilisateur. Peu importe que l’ordre soit exécuté par un courtier humain ou par une machine. Ce qui importe, c’est si l’instruction est stabilisatrice ou déstabilisatrice.

Peut-être que lorsqu’un être humain programme un ordinateur il est plus susceptible d’y réfléchir calmement que s’il observe un plongeon en temps réel sur son ordinateur, puisqu’il est alors davantage susceptible de se laisser gagner par la panique et de sauter du train en marche.

Je ferai toutefois une exception pour la volatilité intra-journalière. Un flash-krach comme celui qui est survenu le 6 mai 2010 (quand le Dow Jones a chuté puis grimpé de 1.000 points en l’espace de 15 minutes) n’aurait peut-être pas été possible sans le trading algorithmique à haute vitesse. Cette sorte de volatilité importe pour ceux qui se font de l’argent avec le trading intra-journalier ; mais il n’est pas clair en quoi elle devrait inquiéter le reste d’entre nous.

Wall Street versus Main Street


On rencontre aussi une troisième croyance, celle selon laquelle "le marché boursier, ce n’est pas l’économie". Oui, celle-ci est exacte. Le marché peut s’effondrer, mais l’économie peut continuer de bien se comporter, et vice versa. Il y a trois raisons à cela.

En premier lieu, les effondrements (et booms) du marché boursier peuvent (respectivement) être provoqués par des hausses (et des baisses) des taux d’intérêt, qui sont souvent la conséquence des expansions économiques (et des récessions), plutôt que dans le sens inverse. Les bribes de nouvelles qui semblent avoir précipité la correction du marché en février sont celles issues des rapports évoquant un marché du travail robuste aux Etats-Unis (il a été annoncé le 2 février que les rémunérations horaires ont augmenté de 2,9 % en rythme annuel en janvier) ; les chiffres de l’inflation aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans certains autres pays ; et le relèvement subséquent des anticipations relatives aux taux d’intérêt de la Réserve fédérale et de la Banque d’Angleterre. Le 7 février, la Banque d’Angleterre a annoncé que les taux "peuvent être relevés plus tôt et plus amplement" que ce qui avait été précédemment prévu. Avec les nouvelles relatives à l’inflation aux États-Unis, il est désormais quasi-certain que la Fed va relever ses taux d’intérêt en mars.

En deuxième lieu, il y a beaucoup d’aléatoire sur les marchés, si bien que les prix de marché peuvent s’écarter des fondamentaux économiques, comme dans le cas des vraies bulles spéculatives. Les gens peuvent acheter des actions parce qu’ils pensent que les autres en achètent, mais ensuite tout le monde les vend une fois que la bulle éclate. Le climat favorable au risque sur les marchés financiers l’année dernière nourrissait des perceptions artificiellement faibles de la future volatilité. Quand l’indice VIX a atteint des niveaux historiquement faibles en 2017, ce n’était pas fondé sur les fondamentaux. Il n’était pas difficile de penser à des risques substantiels qui restaient à l’affût, tels que le choc de l’inflation et des taux d’intérêt. Mais il était prévisible que l’indice VIX ne s’ajusterait pas tant que le choc ne se serait pas matérialisé et que les prix des titres n’auraient pas chuté. Comme de la troisième semaine de février, l’indice VIX s’est en effet ajusté à des niveaux plus normaux, la correction du marché boursier ayant servi comme un utile "signal d’avertissement" pour les investisseurs un peu trop complaisants. Mais les cours des titres eux-mêmes ont probablement toujours une certaine marge pour baisser. Après tout, l’indice S&P 500 est toujours plus élevé qu’il ne l’était en 2017.

En troisième lieu, même dans le seul cadre théorique des manuels, les cours boursiers représentent les profits allant aux sociétés (les profits courants et les profits futurs attendus), pas notre revenu à nous tous. Par le passé, il y a eu une forte corrélation entre les profits et l’économie parce que des parts relativement stables du revenu national allaient respectivement aux travailleurs et aux propriétaires du capital. Mais cette stabilité n’est plus observée depuis quelques décennies. La part du PIB allant au capital s’est fortement accrue, probablement en conséquence de ce que les économistes appellent les rentes : le pouvoir de marché des entreprises s’est accru et la concurrence a décliné dans plusieurs secteurs. Il est notoire que les marchés soient à la baisse depuis la promulgation de la loi des Républicains visant à réduire les impôts des sociétés. Une certaine partie du boom boursier de l’année dernière peut s’expliquer par l’anticipation d’une possible réduction d’impôts. Si c’est le cas, cela a reflété une politique qui va presque certainement redistribuer le gâteau du travail vers le capital et non accroître la taille du gâteau.

Pourtant, même si nous venons de rappeler que Wall Street n’est pas Main Street, il faut aussi ne pas oublier qu’il y a bien sûr d’importantes connexions entre le marché boursier et l’économie réelle. Si les cours chutent, la consommation et l’investissement vont baisser : un ménage qui détient des actions se sentira moins riche et réduira par conséquent ses dépenses ; une société qui avait projeté de construire une usine peut être moins incitée à le faire s’il devient pour elle plus dur de soulever de nouveaux fonds.

On ne peut prédire quand le prochain plongeon du marché aura lieu et s’il coïncidera avec la prochaine récession. Mais on peut prédire que la faiblesse inhabituelle de la volatilité financière et économique que l’on a pu voir l’année dernière est désormais révolue. »

Jeffrey Frankel, « The february stock market correction », in Econbrowser (blog), février 2018. Traduit par Martin Anota