« Est-ce que Trump reviendra sur son souhait de déclencher une guerre commerciale ? Personne ne le sait. Ce que l’on sait, c’est qu’il est obsédé par le commerce extérieur sans en savoir grand-chose, qu’il se sent attaqué sur plusieurs fronts et que son docteur lui aurait dit de manger moins de hamburgers. Il y a donc sûrement beaucoup de rage latente en lui, une rage qu’il est trop prompt à recracher sur le système commercial mondial (…).

GRAPHIQUE Solde des échanges de biens et services des Etats-Unis (en % du PIB)

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Il est intéressant de se demander ce qui se passerait si Trump essayait réellement de refermer l’écart commercial (il est actuellement de 500 milliards de dollars, non de 800 dollars, mais qui compte) en instaurant des droits de douane. L’écart commercial s’élève actuellement à 3 % du PIB, tandis que les importations représentent 15 % du PIB. Si l’élasticité-prix de la demande d’importations est environ égale à l’unité, ce qui est une estimation typique pour le court et moyen termes, un droit de douane généralisée de 20 % sur les produits importés suffirait, toute chose égale par ailleurs, pour refermer l’écart commercial. Mais rien ne resterait égal par ailleurs.

Laissons de côté la possible riposte des pays étrangers, bien que cela soit quelque chose de très important en pratique. Supposons que les Etats-Unis s’en tirent bien, sans représailles étrangères. Même si c’était le cas, les choses ne se passeraient pas comme se plait à l’imaginer Trump.

Voyez-vous, détourner une demande équivalente à 3 % du PIB des produits étrangers vers les produits domestiques n’accroîtrait pas la production américaine de 3 % relativement à ce qu’elle aurait été sinon, encore moins de 4,5 % si vous vous attendez à un effet multiplicateur. Pourquoi ? Parce que l’économie américaine est proche du plein emploi. Peut-être (oui, peut-être) que nous avons une marge d’un demi-point de pourcentage pour réduire le taux de chômage avant de l’atteindre. Mais une hausse de 3 % de la production relativement à la tendance réduirait le chômage trois fois plus amplement, c’est-à-dire de 1,5 point de pourcentage. Mais cela ne se passerait tout simplement pas ainsi.

Ce qui va plutôt se passer, c’est que la Fed va relever fortement ses taux pour contenir les pressions inflationnistes qui en résulteraient (notamment parce qu’un droit de douane de 20 % accroît directement les prix d’environ 3 %). La hausse des taux d’intérêt devrait avoir deux gros effets. Premièrement, elle va affecter les secteurs sensibles au taux d’intérêt : les amis de Trump dans le secteur immobilier ne vont vraiment pas être contents, tout comme ceux qui sont fortement endettés (…). Deuxièmement, cela va pousser le dollar à la hausse, ce qui va sévèrement affecter les secteurs exportateurs américains. Mes salutations aux fermiers de l’Iowa !

Donc, le protectionnisme ne conduirait pas vraiment à une baisse du déficit commercial, et ce même si les autres pays ne ripostaient pas, tout en infligeant beaucoup de dommages à l’économie. Et ne parlons pas des bouleversements provoqués par la perturbation des chaînes de valeur internationales.

Ajoutons aussi le fait que les autres pays vont répliquer (ils sont déjà en train de préparer leurs listes cibles) et le fait que nous allons nous mettre à dos des alliés clés. Nous avons alors une bonne idée du degré de dangerosité et de stupidité d’une telle mesure. »

Paul Krugman, « The macroeconomics of trade war », 3 mars 2018. Traduit par Martin Anota