« Le lien théorique entre concurrence et innovation est complexe. Les premiers travaux dans le cadre de la croissance endogène soulignèrent un "effet de rente" (rent effect) schumpétérien, à travers lequel une baisse de la concurrence sur le marché accroît les rentes après innovation pour l’entreprise en place, ce qui accroît les incitations à innover. Les travaux postérieurs ont souligné l’importance d’une force additionnelle, en l’occurrence l’effet de "fuite face à la concurrence" (escape competition effect) : si la pression concurrentielle est trop faible et que les profits sont déjà élevés, l’entreprise sera peu incitée à accentuer ses efforts dans l’innovation. Dans le contexte international, les effets de rente et de fuite face à la concurrence ont une interprétation plus large. Par exemple, une réduction des barrières au commerce international permettent aux innovations d’extraire de plus grandes rentes, comme la taille du marché sur lequel ils opèrent est plus grande. Au même instant, les pressions générées par la masse de concurrents potentiels s’accroît, dans la mesure où les firmes étrangères contribuent à générer de telles pressions (Akcigit et alii, 2017).

La littérature empirique décèle certaines de ces forces conflictuelles. Par exemple, les politiques qui accroissent la concurrence sur le marché des produits semblent stimuler l’innovation, mais jusqu’à un certain niveau, niveau au-delà duquel leur poursuite conduit à une baisse de l’innovation (Aghion et alii, 2005). Divers travaux ont récemment examiné comment les taux d’innovation dans les pays développés ont été affectés par les plus forces pressions concurrentielles générées par la mondialisation et l’intégration de la Chine dans le commerce mondial. L’effet sur l’innovation semble positif en Europe et négatif aux Etats-Unis (Autor et alii, 2016 ; Bloom, Draca et Van Reenen, 2016). La concurrence sur le marché des produits semble fortement interagir avec le degré de protection des droits de propriété intellectuelle, un autre déterminant des rentes des innovateurs. Par exemple, certaines données suggèrent qu’une plus forte concurrence sur le marché des produits n’est associée à un surcroît d’innovations que lorsque les droits de propriété intellectuelle sont fortement protégés (Aghion, Howitt et Prantl, 2015). Cependant, si une forte protection incite les multinationales à transférer des technologies d’un pays à l’autre, elle réduit l’innovation dans d’autres contextes (Williams, 2013 ; Bilir, 2014).

Beaucoup de travaux se focalisent sur le degré de concentration sur le marché des produits au niveau sectoriel, en utilisant souvent l’indice Herfindahl-Hirschman ou le ratio de concentration (la part des ventes du secteur que réalisent les quatre plus grandes entreprises de ce secteur). Théoriquement, une plus forte concentration pourrait être cohérente avec de plus fortes pressions concurrentielles (et peut-être aussi une plus forte innovation), par exemple si les entreprises innovantes "superstars" étaient susceptibles d’apparaître dans les marchés les plus concurrentiels (Autor et alii, 2017). Cependant, certaines données suggèrent que l’accentuation de la concentration aux Etats-Unis est en partie liée à l’effritement de la concurrence (Grullon, Larkin et Michaely, 2017 ; Gutierrez et Philippon, 2017). Une dernière observation cruciale est que les tendances en termes de concentration sont sensibles à la définition du marché pertinent. Par exemple, si la concentration s’accroît dans certains grands pays, la concentration mondiale semble décliner, en raison du rôle accru que jouent les entreprises des pays émergents sur les marchés internationaux (Freund et Sidhu, 2017). »

Roberto Piazza (2018), « Relationship between competition, concentration, and innovation », in FMI, World Economic Outlook, chapitre 4, avril 2018. Traduit par Martin Anota



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