« Le débat sur la possible disparition de la courbe de Phillips se poursuit, notamment parce que divers pays sont dans une situation où le chômage s’est stabilisé à des niveaux qui avaient précédemment été synchrone à une accélération de l’inflation, mais que cette fois-ci l’inflation salariale semble assez statique. Cela s’explique certainement par deux choses : l’existence d’un chômage dissimulé et le fait que le NAIRU ait chuté. C’est ce qu’ont suggéré Bell et Blanchflower dans le cas du Royaume-Uni.

L’idée que le NAIRU puisse bouger graduellement au cours du temps amène certains à affirmer que la courbe de Phillips est elle-même suspecte. Dans ce billet, j’avais essayé de démontrer que c’est une erreur. C’est aussi une erreur de penser qu’estimer la position du NAIRU soit un jeu de dupes. C’est ce que les banques centrales doivent faire si elles adoptent une approche structurelle pour modéliser l’inflation (et quelles autres approches raisonnables y a-t-il ici ?). Ce qui nous amène à nous demander pourquoi l’analyse des raisons amenant le NAIRU à varier ne constitue pas un point central de la macroéconomie.

(…) J’aimerais commencer en rappelant pourquoi la macroéconomie moderne a laissé le secteur financier hors de ses modèles avant la crise. Pour résumer une longue histoire, disons qu’en se focalisant sur les dynamiques de cycles d’affaires, les macroéconomistes ont eu tendance à ignorer les modifications de moyen terme de la relation entre la consommation et le revenu. Ceux qui ont étudié ces modifications les ont reliés de façon convaincante au comportement de secteur financier. Si davantage d’attention leur avait été accordée, nous aurions eu sous la main bien plus d’études sur le sujet et nous aurions mieux compris les liens entre la finance et l’économie réelle.

Peut-on dire la même chose à propos du NAIRU ? Comme avec les tendances de moyen terme de la consommation, il y a toute une littérature sur les variations à court terme du NAIRU (ou du chômage structurel), mais elle n’est pas très présente dans les journaux les plus prestigieux. L’une des raisons, comme avec la consommation, est qu’une telle analyse tend à être ce que les macroéconomistes modernes qualifient d’ad hoc : elle utilise beaucoup d’idées théoriques, mais aucune qui soit soigneusement microfondée dans le même article. Ce n’est pas un choix que feraient ceux qui font ce genre de travail empirique, mais une nécessité.

La même chose peut s’appliquer à d’autres agrégats macroéconomiques comme l’investissement. Quand les économistes se demandent si l’investissement est aujourd’hui inhabituellement élevé ou faible, ils tirent typiquement des graphiques et calculent des tendances et des moyennes. Nous devons être capables de faire bien plus que cela. Nous devrions plutôt rechercher l’équation qui capture le mieux les données relatives à l’investissement lors de ces 30 dernières années et nous demander si elle conduit à surestimer ou sous-évaluer le niveau actuel d’investissement. On peut dire la même pour les taux de change d’équilibre.

Ce n’est pas seulement la contre-révolution des nouveaux classiques en macroéconomie qui a mené à cette dévalorisation de ce que l’on peut qualifier d’analyse structurelle des données temporelles des relations macroéconomiques clés. Le fameux article que Sims a publié en 1980, "Macroeconomics and reality", où il s’est attaqué au type de restrictions d’identification qui était utilisé dans l’analyse des séries temporelles et où il a proposé la méthode des modèles auto-vectoriels régressifs (VAR), tient aussi une certaine responsabilité. Cette parfaite tempête a relégué l’analyse des séries temporelles qui avait été le pain quotidien de la macroéconomie dans les journaux mineurs.

Je ne pense pas qu’il soit excessif d’affirmer que la macroéconomie a subséquemment abandonné l’idée d’essayer d’expliquer la récente histoire macroéconomique : ce qui peut être qualifié de comportement à moyen terme des agrégats macroéconomiques ou pourquoi l’économie s’est comportée comme elle l’a fait ces 30 ou 40 dernières années. La macroéconomie s’est focalisée sur les détails du fonctionnement des cycles d’affaires et non sur la façon par laquelle les cycles d’affaires sont liés les uns aux autres.

Des macroéconomistes influents qui sont impliqués dans l’élaboration de la politique économique ont pris conscience de ces insuffisances, mais ils expriment leur insatisfaction d’une façon différente (Olivier Blanchard constituant toutefois une importante exception). Par exemple, John Williams, qui vient juste d’arriver à la tête de la Réserve fédérale de New York, appelle ici à une nouvelle génération de modèles DSGE qui se focaliserait sur trois domaines. Premièrement, ces modèles devront davantage se focaliser sur la modélisation du marché du travail et de sa mollesse, ce qui selon moi revient à chercher à expliquer pourquoi le NAIRU varie au cours du temps. Deuxièmement, ces modèles doivent davantage se focaliser sur les développements à moyen ou long terme touchant aussi bien l’économie du côté de l’offre que de la demande. Troisièmement, de tels modèles doivent bien sûr davantage incorporer le secteur financier.

Peut-être qu’un jour les modèles DSGE parviendront à faire tout cela, mais je pense que la macroéconomie est si complexe que tout ne puisse pas être microfondé. En tout cas, un tel jour ne viendra pas de si tôt. Il est temps que les macroéconomistes reviennent sur les décisions qu’ils ont prises autour de 1980 et qu’ils prennent conscience que les déficiences avec l’analyse traditionnelle des séries temporelles qu’ils ont mis en lumière ne sont pas aussi importantes que ne l’ont ensuite imaginé les générations suivantes. La macroéconomie doit commencer à essayer de nouveau de chercher à expliquer la récente histoire macroéconomique. »

Simon Wren-Lewis, « Did macroeconomics give up on explaining recent economic history? », in Mainly Macro (blog), 19 avril 2018. Traduit par Martin Anota