« Le Président Trump a annoncé l’instauration de droits de douane sur l’acier et l’aluminium en mars, en prenant la sécurité nationale comme prétexte. La Chine est la cible visée, comme la plupart des autres grands offreurs en furent exemptés. Le 2 avril, la Chine a répliqué en imposant des droits de douane sur 128 produits américains (représentant environ 3 milliards de dollars d’échanges), allant de 15 % sur les fruits à 25 % sur le porc. Le 3 avril, Trump a annoncé un droit de douane de 25 % sur 1.200 produits chinois (représentant 50 milliards de dollars d’échanges), en représailles aux prétendus transferts forcés de technologies et de propriétés intellectuelles américaines. Le 4 avril, la Chine a répondu en annonçant qu’elle projetait de répliquer en instaurant des droits de douane de 25 % sur 106 produits américains (notamment du soja, des voitures et des avions) lorsque les droits de douane américains s’appliqueraient. Le 5 avril, la Maison blanche a annoncé qu’elle pensait imposant des droits de douane supplémentaires d’un montant de 100 milliards de dollars aux produits chinois.

Si ces tarifs s’appliquent, oui, c’est une guerre commerciale. Comment cela va-t-il finir ?

Les Etats-Unis ne gagneront pas. Bien sûr, les économistes estiment que de façon générale tout le monde y perd dans une guerre commerciale. Mais certains défendent les actions de Trump en y voyant une tactique de négociation. Il y a des raisons qui amènent à penser que la Chine ne reculera pas. J’en vois sept.

Pourquoi la Chine ne capitulera pas


1. Les tarifs douaniers de Trump nuisent aux Etats-Unis aux consommateurs et aux utilisateurs des produits taxés (par exemple, les droits de douane sur l’acier et l’aluminium nuisent à l’industrie automobile et par ce biais aux acheteurs de voitures), tandis que les répliques de la Chine nuisent à d’autres groupes d’intérêt américains importants, notamment l’agriculture et l’industrie manufacturière. (…)

2. Les entreprises et consommateurs en Chine seront aussi affectés par une guerre commerciale, bien sûr. La Chine dépend des exportations américaines de soja, par exemple. Mais la Chine n’est pas une démocratie. Le Président Xi Jinping a un contrôle total. Donc les dirigeants chinois peuvent contenir les groupes d’intérêt, dans une large mesure.

3. Dans la mesure où les dirigeants chinois ont à prendre en compte l’opinion publique domestique, l’opinion publique sera avec eux dans une guerre commerciale. Vous savez à quel point les Américains se souviennent du Tea Party de Boston en 1773, une tentative (réussie) visant à renverser la taxation britannique des importations de thé par les colonies ? Les Chinois ont tout autant en tête le souvenir des Guerres de l’Opium de 1839-1842 et 1856-1860, quand la Chine a résisté (sans succès) à la compagne britannique visant à la forcer à accepter d’ouvrir son économies à l’opium et aux autres importations. (Cela fut le nadir dans l’idéologie du libre-échange de la Grande-Bretagne au dix-neuvième siècle, tandis que l’abrogation des lois sur le blé en 1846 en fut le zénith.) Le conflit a fini avec les Traités Inégaux. (…) Le souvenir que les Chinois ont de cette humiliation fait que la Chine ne reviendra pas sur ses menaces commerciales. Parallèlement, de ce côté du Pacifique, la plupart des électeurs américains disent aux sondeurs qu’ils soutiennent le libre-échange et ne soutiennent pas Trump.

4. Il n’est pas craint que le pays en déficit soit nécessairement dans une meilleure position pour négocier. Trump a tweeté que "lorsqu’un pays", en l’occurrence les Etats-Unis, "perd plusieurs milliards de dollars avec pratiquement chaque pays avec lequel il fait des affaires, les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner". Le pays en excédent est souvent dans une meilleure position, parce qu’il a accumulé des créances vis-à-vis de l’autre pays ; la Chine détient plus de mille milliards de dollars en titres du Trésor américain. Il est vrai que si le gouvernement chinois vendait les titres du Trésor américain, la chute de leur prix nuirait autant à la Chine qu’aux Etats-Unis. La Chine n’a pas nécessairement à décider de les vendre. Comme la dette américaine augmente et les taux d’intérêt américains s’élèvent (ces deux tendances devraient se poursuivre cette année), le conflit commercial peut faire naître des rumeurs selon lesquelles les Chinois pourraient arrêter d’acheter des titres du Trésor américain, ce qui pourrait suffire pour envoyer les prix des obligations chinoises à des niveaux plus faibles et les taux d’intérêt américains vers des niveaux plus élevés.

5. Les marchés financiers montrent déjà qu’ils n’aiment pas la guerre commerciale de Trump. Le marché boursier (…) est à la baisse quand il apparaît plus probable qu’une guerre commerciale est sur le point d’éclater.

6. Les dirigeants chinois, comme les autres autour du monde, concluent qu’il ne fait pas vraiment sens de signer des traités avec Trump parce qu’il est erratique et qu’on ne peut lui faire confiance pour respecter un traité. Pas même du jour au lendemain, encore moins le long terme.

7. Qu’est-ce que cela signifierait pour la Chine de "capituler", de toute façon ? Trump n’a pas été très clair dans ses demandes.

  • Sur les droits de douane sur l’acier ? La Chine pourrait adopter des Restrictions volontaires aux exportations pour l’acier à destination des Etats-Unis, comme la Corée du Sud en a récemment annoncées. Mais les Chinois exportent déjà relativement peu d’acier vers les Etats-Unis.

  • Sur la propriété intellectuelle ? Il est vrai que les Etats-Unis et d’autres pays ont des raisons de se plaindre. Mais le grief perd en force lorsque les sociétés américaines acceptent des transferts de technologies au frais d’admission à la Chine, sans oublier que la facilitation des mouvements de sites de production vers la Chine n’est pas ce que Trump a promis à ses partisans.

  • Sur l’élimination du déficit bilatéral ? Si la Chine voulait essayer de satisfaire la demande la plus spécifique et insistante de Trump, qui concerne le déficit commercial bilatéral, cela consisterait à exporter moins de marchandises aux Etats-Unis directement mais davantage indirectement via Taïwan ou un autre pays tiers, peut-être avec l’assemblage final dans le pays tiers. Certes le déficit bilatéral baisserait. Mais dans ce cas Trump et ses partisans diraient que la Chine a utilisé un écran de fumée pour dissimuler le déficit bilatéral, sans avoir conscience que les mesures du déficit bilatéral sont aussi peu significatives que l’écran de fumée : les exportations chinoises contiennent beaucoup d’intrants intermédiaires produits en Corée du Sud, aux Etats-Unis et ailleurs. Ce qui importe, c’est l’excédent commercial global de la Chine et le déficit commercial des Etats-Unis. L’excédent chinois a atteint un pic en 2008 en atteignant 9 % du PIB et maintenant il est plutôt faible, presque inférieur à 1 % du PIB. On s’accorde pour dire que le déficit global des Etats-Unis est à la hausse, mais cela s’explique non pas par la politique commerciale mais par les récentes mesures budgétaires adoptées par les Républicains, qui font exploser le déficit budgétaire et réduisent par conséquent l’épargne nationale.


A quoi une stratégie américaine sérieuse pourrait-elle ressembler ?


Une stratégie sérieuse pour répondre aux griefs vis-à-vis de la Chine en ce qui concerne l’appropriation de droits de protection intellectuelle ou les surcapacités d’acier consisterait à s’allier avec d’autres pays qui ont les mêmes griefs. Les pressions s’appliqueraient à la Chine via les institutions fondées sur des règles telles que l’OMC ou l’Accord de partenariat transpacifique si possible ou via des négociations bilatérales si nécessaire. La stratégie de Trump est à l’opposée de celle-ci, puisqu’elle consiste à faire détailler l’OMC, à se retirer de l’Accord de partenariat transpacifique et à se mettre à dos les proches partenaires commerciaux en les insultant et en les menaçant de droits de douane. Trump a accompli quelque chose d’impensable : faire apparaître le Président Chinois comme un dirigeant éclairé de l’ordre commercial international.

Un argument habituel est que les procédures multilatérales et les négociations bilatérales ne marchent pas avec la Chine, donc nous devons être durs. Mais elles marchent mieux que la route vers la guerre commerciale agressive sur laquelle s’est engagé Trump. Il est facile d’oublier que l’approche conventionnelle avec la Chine (…) a permis de remporter des succès comme une appréciation de 37 % du renminbi entre 2004 et 2014 et l’adoption de mesures sévères vis-à-vis de la contrefaçon de marchandises de marque américaines et le vol de logiciels américains.

Les problèmes demeurent. Mais cela ne justifie pas l’adoption d’une approche unilatérale agressive. Considérons trois précédentes tentatives ratées allant dans ce sens :

  • Les Restrictions volontaires des exportations que Ronald Reagan a imposées au Japon dans les années quatre-vingt. Elles bénéficièrent au Japon, non aux Etats-Unis, et leur retrait fut bénéfique aux consommateurs américains et même pour une industrie automobile américaine dégraissée et nouvellement compétitive. Ces Restrictions ont depuis été déclarées illégales.

  • Les tarifs douaniers sur l’acier de George W. Bush en 2002, qui ont détruit bien plus d’emplois qu’ils n’en ont détruits.

  • Les allégations de Trump durant la campagne électorale selon lesquelles la Chine "manipule sa monnaie" pour la maintenir sous-évaluée. Durant cette période, autour de 2015-2016, elle fit précisément l’opposé. (En effet, le yuan s’était déjà tant apprécié en 2014 que sa sous-évaluation avait été éliminée.) Trump est tout simplement apparu ridicule quand, après avoir gagné les élections, il admit que l’accusation était obsolète.

Un autre argument est que les Etats-Unis ne gagnent pas toutes les affaires portées devant l’OMC. Mais ils gagnent 90 % des affaires qu’ils portent à l’OMC. De plus, les Américains doivent se rappeler que c’est souvent leur propre pays qui a violé les règles internationales. Les droits de douane de Bush sur l’acier en sont une belle illustration. (…) Les récentes mesures américaines sont encore plus clairement en violation des règles internationales que les politiques chinoises auxquelles elles sont supposées répondre. Il faut se rappeler que sous les règles de l’OMC il est habituellement légal pour un partenaire commercial de répliquer avec les tarifs d’une valeur d’échanges égale si les droits douaniers de l’initiateur sont illégaux selon ces règles. Cela place la Chine dans une meilleure position pour négocier.

Dire que la Chine ne capitulera pas sur fond dans la guerre commerciale ne veut pas dire qu’elle ne peut pas donner au Président américain une porte de sortie pour crier victoire et s’en sortir. Cela peut être certains artifices (comme accepter d’acheter du gaz naturel liquéfié américain aux prix mondiaux), juste assez pour donner de quoi se pavaner devant ses partisans sur le réseau Fox News. Mais elle ne fera rien pour améliorer le solde commercial, la production, l’emploi ou les salaires réels des Etats-Unis. »

Jeffrey Frankel, « Why China won’t yield in Trump’s trade war », in Econbrowser (blog), 20 avril. Traduit par Martin Anota