« Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel a été attribué cette année à William Nordhaus et à Paul Romer pour avoir intégré le changement climatique et l’innovation technologique à l’analyse macroéconomie de long terme. Nous passons en revue les réactions de plusieurs économistes à cette annonce.

Sur VoxEU, Kevin Bryan a évoqué comment les lauréats du prix Nobel d’économie de cette année ont élaboré leurs contributions et comment ces dernières sont liées entre elles. Cela faisait plusieurs années que l’on s’attendait à ce que Nordhaus et Romer reçoivent cette récompense, mais c’est le fait qu’ils l’aient reçue en même temps qui a surpris : Nordhaus est surtout connu pour ses travaux en économie environnementale et Romer pour sa théorie de la croissance endogène. Mais après réflexion, les liens entre leurs travaux apparaissent évidents.

Avec Romer, nous avons un modèle d’équilibre général pour réfléchir aux raisons pour lesquelles les gens produisent de nouvelles technologies. La connexion avec Nordhaus se fait avec un problème qui est à la fois provoqué et résolu par la croissance. La croissance en tant qu’objectif de politique économique n’était pas remise en cause dans les années soixante, mais au début des années soixante-dix les inquiétudes environnementales font leur apparition. Les « modèles d’évaluation intégrés » ont de l’épargne endogène à la Solow et précisent l’arbitrage entre croissance économique et changement climatique, mais met aussi en évidence l’importance critique du taux d’escompte social et des micro-estimations du coût d’ajustement au changement climatique. (…)

Martin Sandbu affirme qu’au cours de notre existence, les changements technologique et environnemental ont transformé la façon par laquelle nos économies fonctionnent. La prochaine fois que nous nous émerveillerons à propos de notre application de smartphone favorite ou que nous nous inquiéterons de la plus grande fréquence des intempéries, affirme Sandbu, nous devrons avoir une pensée pour Romer et Nordhaus. Grâce à eux, nous sommes mieux armés pour trouver les bonnes politiques pour traiter avec la question de l’innovation ou du changement climatique. Ils méritent leur prix.

Peter Dorman a voulu parler d’une personne qui n’a pas reçu le prix Nobel et dont l’absence de consécration est lourde de signification. Nordhaus a passé plusieurs années à débattre avec Martin Weitzman, qui rejetait l’approche en termes de coût social du carbone au motif qu’une bonne politique doit se baser sur le principe d’assurance visant à éviter le pire scénario. Son "théorème lugubre" démontre que, sous certaines hypothèses, la probabilité d’événements extrêmes ne baisse pas aussi rapidement que s’élève de catastrophe augmente, si bien que leur coût attend s’accroît sans limite ; et cela s’applique aux scénarii du changement climatique.

Les travaux de Weitzman sont souvent invoqués par ceux qui croient qu’une action plus agressive est nécessaire pour limiter le réchauffement climatique. Par conséquent, quand les économistes spéculaient sur l’identité du prochain lauréat du prix Nobel et considéraient l’hypothèse d’une attribution de la récompense à Nordhaus, ils pensaient que Weitzman serait son colistier. Selon Dormans, le combo Nordhaus-Romer est si artificiel et si peu convaincant qu’il est difficile de penser que le prix qui n’a pas été attribué à Weitzman est aussi important que celui qui a été attribué à Nordhaus et qu’il s’agit clairement d’un message politique sur la bonne façon de gérer le changement climatique et la mauvaise façon de gérer le changement climatique.

Timothy Terrell n’est pas du même avis. Il pense que le comité Nobel a promu la réglementation environnementale avec son dernier choix. Les deux lauréats appellent à un plus grand rôle pour l’Etat : Romer lorsqu’il suggère que le gouvernement doit investir dans la recherche-développement et utiliser la réglementation des brevets pour stimuler la croissance économique ; Nordhaus lorsqu’il indique que le gouvernement doit agir pour empêcher un changement climatique pernicieux. (…)

David Warsh affirme que Nordhaus et Romer ont beau avoir travaillé sur des problèmes apparemment différents et n’ont que rarement été cités ensemble, leurs travaux se combinent pour donner lieu à un argument convaincant. En s’efforçant de modéliser le plus finement possible l’interaction entre la présence de carbone dans l’atmosphère, le changement climatique et la croissance économique, Nordhaus a rendu possible l’estimation des dommages provoqués par la hausse des températures. Une taxe carbone (que Nordhaus et bien d’autres économistes considèrent comme préférable au système de marchés de droits à polluer comme celui de l’Accord de Paris) peut empêcher les dommages les plus sérieux : elle doit tout d’abord être fixée à un faible niveau pour ensuite augmenter et ce tant qu’il le faut pour contenir les dommages. Romer, de son côté, a créé un cadre analytique dans lequel l’anticipation d’une telle taxe conduit à une vague d’innovations qui permettraient de réduire les émissions de carbone. (…)

Noah Smith écrit que, en plus d’honorer deux chercheurs dont les contributions ont profondément influencé leur champ respectif, la récompense fait écho à quelque chose dont le monde commence à manquer, en l’occurrence la croissance économique. Dans la mesure où la croissance ralentit et où la productivité stagne dans le monde riche, les intuitions de Romer sont plus importantes que jamais. »

Silvia Merler, « The 2018 Nobel prize: Growth and the environment », in Bruegel (blog), 15 octobre 2018. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire le résumé des travaux de Nordhaus et Romer par l'Académie des sciences de Suède et la synthèse d'Alexandre Delaigue