« L’économie allemande ralentit davantage que ne l’implique le ralentissement manifeste de ses exportations (cf. Gavyn Davies, qui, pour être exact, croit que certains des freins à la croissance allemande durant la seconde moitié de l’année 2018 ont été des événements temporaires).

GRAPHIQUE 1 Variation des exportations allemandes (en rythme annuel, moyenne mobile sur trois mois, en %)

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L’Allemagne a fini l’année 2018 avec un excédent budgétaire équivalent à environ 1,75 % de son PIB.

GRAPHIQUE 2 Le solde budgétaire de l’Allemagne (en % du PIB)

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L’Allemagne a sous-investi dans ses infrastructures publiques pendant plusieurs années. Alexander Roth et Guntram Wolff de Bruegel notent que "depuis les années deux mille, l’Allemagne a présenté des ratios de formation nette de capital fixe public très faibles, voire négatifs, inférieurs à ceux de la plupart des autres pays européens". Et le Président Trump n’a pas entièrement tort lorsqu’il critique l’échec de l’Allemagne à honorer ses engagements en matière de dépenses de défense dans le cadre de l’OTAN.

L’accord de la coalition allemande implique une modeste relance cette année. Mais l’Allemagne a régulièrement, par le passé, fourni moins de relance qu’attendu. Le FMI prévoit depuis plusieurs années une baisse de l’excédent budgétaire, or ce dernier a continué d’augmenter. Cette fois les choses pourraient être différentes, mais j’attends de voir que l’Allemagne le montre… et franchement elle devrait adopter dès à présent un peu de relance supplémentaire juste pour nous en assurer.

Le ministre des Finances allemand s’inquiète à l’idée que la marge de manœuvre pour relancer l’économie soit limitée, parce qu’elle pourrait générer un déficit inférieur à 1 % du PIB en 2013, mais ces inquiétudes sont peu justifiées. Shahin Vallee a noté que le ministre des Finances allemand a systématiquement sous-estimé les recettes au cours de la période récente, par environ un demi-point chaque année.

En 2017 et en 2018, l’argument selon lequel l’Allemagne avait besoin de relancer son activité reposait sur le besoin de tendre vers une économie mondiale plus équilibrée et les gains qu’un supplément de relance allemande aurait procuré à ses partenaires. La croissance de la demande en Allemagne était solide et l’économie allemande bénéficiait d’une bonne croissance de la demande domestique et d’une solide demande étrangère. On espérait qu’un peu de relance (ou du moins une politique budgétaire moins restrictive si vous préférez, comme l’Allemagne pouvait stimuler la demande globale tout en continuant de générer un excédent budgétaire) bénéficie aux partenaires de l’Allemagne via la stimulation de ses importations. Et que cela contribue également à soutenir la croissance des salaires en Allemagne.

Aujourd’hui, l’Allemagne voit sa propre activité ralentir et elle peut stimuler son économie.

GRAPHIQUE 3 Croissance du PIB réel de la zone euro et de ses pays-membres (d’un trimestre à l’autre, en rythme annualisé)

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La forte décélération de la croissance provoquée en partie par l’affaiblissement de la demande externe offre à l’Allemagne l’opportunité de mieux équilibrer (sans rencontrer de réels problèmes) son économie en renforçant son moteur interne et donc en commençant naturellement à réduire le rôle excessif que la demande étrangère a joué pour maintenir à flots de l’économie allemande.

Et il n’y a fondamentalement pas de risques à le faire. La relance peut être financée sans emprunt ; l’Allemagne aurait juste à épargner moins. Et si l’Allemagne avait à emprunter un peu, elle le ferait à des taux d’intérêt réels négatifs. Les obligations à dix ans ont un rendement de 10 points de base aujourd’hui ; même si la BCE rate régulièrement sa cible d’inflation, cela impliquerait toujours un taux d’intérêt réel négatif. L’inflation est actuellement faible.

Une relance permettrait à ce que l’excès d’épargne massif de l’Allemagne soit utilisé au sein de son économie, ce qui réduirait les risques que les épargnants allemands prennent actuellement en plaçant leur épargne à l’étranger.

Maintenir le marché du travail sous tensions contribuerait à ce que les salaires allemands continuent de croître (la croissance des salaires réels n’a pas été aussi robuste que cela en 2017 et 2018, comme le suggère le graphique du Financial Times) et contribuerait ainsi à soutenir la demande dans l’ensemble de la zone euro ; et désormais les partenaires européens de l’Allemagne pourraient en profiter un peu. Un marché du travail allemand relativement tendu faciliterait l’intégration des réfugiés de la vague de 2015.

Et une plus forte croissance de la demande domestique donnerait un coup de pouce pour absorber les répercussions d’un Brexit désordonné.

Qu’y a-t-il de regrettable dans tout cela ?

(En passant, le même raisonnement s’applique à d’autres pays "doublement excédentaires" en Europe, notamment les Pays-Bas. La croissance hollandaise a aussi ralenti au troisième trimestre et les Hollandais n’ont vraiment pas besoin de continuer à générer d’amples excédents budgétaires au vu de la faiblesse de leur endettement public.)

Brad Setser, « The case for a significant German stimulus is now overwhelming », in Follow the Money (blog), 11 février 2019. Traduit par Martin Anota



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