« Je doute que le FMI désire réellement que le monde adopte les mêmes politiques budgétaires que la zone euro. Après tout, les taux d’intérêt sont mondialement faibles à présent et négatifs dans plusieurs grandes économies avancées. Ils rendent les déficits soutenus moins coûteux (si on vous paye pour emprunter, votre dynamique de dette "intrinsèque" est bien plus favorable), l’emprunt pour financer les investissements publics plus attrayant (les taux d’intérêt réels sont négatifs) et la politique budgétaire presque partout essentielle pour faire face aux récessions (cf. Olivier Blanchard).

Mais le FMI croit officiellement que la zone euro a la politique budgétaire plus ou moins dans la bonne direction à moyen terme. La zone euro a généré un déficit budgétaire de 0,7 % de PIB en 2018. Le FMI pense que la bonne orientation budgétaire pour la zone euro est un déficit de 0,2 % du PIB (…). La zone euro est plus proche de sa politique budgétaire optimale que n’importe quelle autre grande économie.

La Chine doit générer un déficit budgétaire de 1,5 % du PIB, non un déficit de 4,8 % (…). Le Japon doit rechercher l’équilibre budgétaire, non un déficit d’environ 3 % du PIB. Les Etats-Unis doivent atteindre un déficit budgétaire de 1,5 % du PIB, non de 5,4 % (…). Dans chacun de ces pays, le FMI appelle à une consolidation budgétaire de plus de 3 points de pourcentage du PIB au cours du temps. Pour être exact, le FMI indique que ces chiffres ne sont pas l’orientation budgétaire qu’il recommande à moyen terme ; il s’agit plutôt de cibles pour le long terme. Mais ces chiffres montrent aussi quelque chose d’important. Alors que le FMI a appelé certains pays "excédentaires" d’Europe à réduire leurs excédents budgétaires, les rapports que le FMI a réalisés pour les pays pris individuellement (et représentant l’essentiel de l’économie mondiale) appellent en définitive à une politique budgétaire substantiellement plus restrictive. Même à l’intérieur de la zone euro, le FMI appelle officiellement à resserrer davantage la politique budgétaire dans un monde de taux nuls.

Le rapport de surveillance externe vise à mettre en lumière des problèmes d’agrégation au niveau mondial : tous les pays ne peuvent pas fonder leur croissance sur leurs exportations par exemple. Mais je pense que le rapport révèle maintenant un autre problème d’agrégation. Si le monde adoptait les conseils budgétaire du FMI (en l’occurrence une consolidation budgétaire équivalente à 2 points de pourcentage du PIB mondial), le monde manquerait de demande. Par exemple, il conseille au monde de consolider davantage ses finances publiques à une époque où les taux d’intérêt sont extrêmement faibles. (…)

La façon la plus facile de le voir est de se pencher sur les estimations du FMI pour un pays comme l’Allemagne. Le FMI veut que l’Allemagne assouplisse sa politique budgétaire pour l’équivalent de 1,5 point de pourcentage de son PIB. Cela réduirait l’excédent allemand. Et la dernière analyse de l’article IV de l’Allemagne que réalise le FMI propose d’autres bonnes pistes pour réduire l’excédent allemand (notamment des politiques qui soutiendraient les salaires et accroîtraient le revenu des ménages en proportion du PIB). Personnellement, je pense que l’Allemagne, en tant que fournisseur de l’un des véritables actifs de réserve mondiaux, devrait générer un déficit budgétaire plus ample que ne le conseille le FMI, mais il ne faut pas faire le difficile lorsque le FMI pousse l’Allemagne dans la bonne directement. Toutefois, on s’attend à ce que l’impact de l’expansion budgétaire recommandée sur l’excédent externe de l’Allemagne soit modeste, d’environ un demi-point de PIB.

L’essentiel du changement attendu du côté de l’excédent allemand avec l’adoption de l’orientation budgétaire recommandée par le FMI viendrait de la consolidation budgétaire dans les principales destinations à l’exportation de l’Allemagne comme le FMI désire mondialement une consolidation budgétaire d’environ 2 points de pourcentage. La consolidation budgétaire mondiale fournit 0,7 points de pourcentage du PIB des 1,2 points de pourcentage du PIB de la contribution budgétaire attendue de la politique budgétaire à la réduction de l’excédent allemand.

Et le FMI n’est pas en train de recommander l’expansion budgétaire pour certaines pays excédentaires et la consolidation budgétaire pour certains pays déficitaires (comme les Etats-Unis). Il conseille aussi la consolidation budgétaire pour des pays excédentaires avec de fortes positions en "stock" (beaucoup d’avoirs externes) comme la Chine et le Japon. Dans ces pays, le conseil budgétaire du FMI irait à l’encontre de l’objectif de réduction de leurs déséquilibres commerciaux.

Considérez la Chine. Le FMI désire une consolidation budgétaire de trois points de pourcentage, quelque chose qui devrait accroître l’excédent de compte courant de la Chine d’environ un point de pourcentage. Cela déséquilibrerait la position externe de la Chine. La seule raison pour laquelle cela n’apparaît pas clairement dans l’analyse budgétaire du FMI est que le FMI désire aussi une forte consolidation budgétaire dans les partenaires commerciaux de la Chine. Si tous les pays suivaient le conseil du FMI, le resserrement budgétaire aux Etats-Unis, au Japon et dans l’essentiel de la zone euro réduirait les exportations chinoises alors même que la consolidation budgétaire chinoise réduirait les importations chinoises, rapprochant la Chine de l’équilibre externe.

Cela peut ressembler à une critique du rapport du secteur externe du FMI. Mais ce n’est pas le cas. Sans le rapport de surveillance externe du FMI, il serait difficile de savoir précisément quel genre de politiques le FMI préconise pour le monde dans son ensemble. C’est une critique du conseil budgétaire qui émerge du travail du FMI sur les pays pris individuellement, conseil qui génèrerait un puissant biais déflationniste dans l’économie mondiale s’il était universellement adopté. L’expansion budgétaire que le FMI conseille pour l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et la Corée du Sud reste bien trop modeste pour compenser la consolidation budgétaire qu’il recommande pour les plus grandes économies au monde. (..) »

Brad Setser, « The IMF (still) cannot quit fiscal consolidation… », in Follow the Money (blog), 24 juillet 2019. Traduit par Martin Anota