« Il y a depuis longtemps une tension fondamentale dans l’analyse que fait le FMI de l’économie chinoise. D’une part, le Fonds pense que les comptes externes de la Chine sont maintenant assez bien équilibrés. D’autre part, le Fonds ne pense pas que les politiques qui ont conduit à la baisse de l’excédent du compte courant de la Chine soient soutenables ; il désire un ralentissement de la croissance du crédit (…) et beaucoup de consolidation budgétaire (…).

Le Fonds s’est opposé à la relance de la Chine en 2015-2016 ; elle voulait alors que la Chine accepte à la place un ralentissement de sa croissance économique. Pourtant, sans cette relance, la reprise du commerce international en 2017 aurait été bien plus faible et le compte courant de la Chine ne se serait pas rapproché de l’équilibre.

Et la dernière évaluation du FMI de l’économie chinoise s’interprète essentiellement comme un avertissement contre un assouplissement excessif en riposte aux droits de douane de Trump (…). Mais il faut tenir compte que plusieurs vagues de nouveaux droits de douane se sont succédées depuis qu’elle a été réalisée.

La Chine semble avoir suivi le conseil du Fonds ; elle n’a pas desserrée la pression sur le système bancaire parallèle et l’assouplissement budgétaire a été modéré. Le Fonds pense que le déficit budgétaire de la Chine en 2019 (en prenant en compte les véhicules d’investissement des gouvernements locaux), rapporté au PIB, va augmenter de 1,5 point de pourcentage. Mais puisque la relance budgétaire de la Chine a été mal ciblée, on s’attend à ce qu’elle ne rapporte qu’un point supplémentaire à la croissance chinoise. (Je suis d’accord à l’idée que la relance a été mal conçue, avec trop de place donnée aux baisses d’impôts.)

Le problème ? Avec un recul du crédit des banques parallèles et un assouplissement plus modeste qu’en 2016 et 2017, l’excédent du compte courant de la Chine revient (contrairement aux prédictions de The Economist, du Wall Street Journal et de la plupart des analystes de banques d’investissement).

Les importations manufacturières nominales chutent de 8 % d’une année sur l’autre au cours de la première moitié de 2019 et les importations réelles se contractent aussi (selon l’équipe chinoise d’UBS). Si l’économie chinoise était jugée en fonction des seules données commerciales (même en laissant de côté le commerce avec les Etats-Unis), vous penseriez qu’elle connaît quelque chose ressemblant à une récession et qu’elle a besoin d’un surcroît de relance pour stabiliser l’activité. La Chine a aussi une inflation sous contrôle et de faibles taux d’intérêt réels ; selon les indicateurs standards, elle ne semble à l’évidence pas en surchauffe.

Pourtant, le FMI conseille une consolidation budgétaire de 7,5 points de pourcentage du PIB étalée au cours du temps, conjuguée à un ralentissement de la croissance de l’endettement privé. C’est une prescription de politique économique qui, selon moi, nous ramène à d’amples excédents externes chinois. Le modèle de base du compte courant qu’utilise le Fonds indique qu’une consolidation budgétaire d’un point de pourcentage augmente normalement le solde du compte courant d’environ un tiers de point de PIB. Par conséquent, une consolidation budgétaire de 7,5 points de pourcentage devrait générer une hausse du solde externe de 2,5 points de pourcentage de PIB.

Après l’expansion de l’excédent de compte courant lors de la première moitié de 2019, l’excédent de la Chine est maintenant compris entre 1,5 et 2 points de pourcentage du PIB (…). La recommandation budgétaire du Fonds (si elle était pleinement mise en œuvre) génèrerait un excédent de compte courant de plus de 4 % du PIB. C’est assez large en termes de dollars, 800 milliards de dollars, voire plus, selon la taille prévue de l’économie chinoise à l’avenir (le Fonds veut que l’ajustement budgétaire soit graduel et il prévoit un PIB chinois d’environ 20.000 milliards de dollars en 2024).

La Chine est bien sûr un cas spécial. Seule Singapour présente des niveaux aussi élevés d’épargne nationale. Et une cité-Etat avec une économie de 300 milliards de dollars peut s’en tirer avec un excédent courant équivalent à 15-20 % de son PIB, mais pas une économie de 13.000-14.000 milliards de dollars. Le taux d’épargne nationale de la Chine, supérieur à 40 % de son PIB, est trop important, aussi bien pour la Chine que pour le monde.

C’est pourquoi un déficit budgétaire que le Fonds considère insoutenable (…) n’est pas parvenu à générer un déficit de compte courant. Et c’est aussi pourquoi le Fonds est dans une position difficile.

L’ensemble des politiques qui ont permis de réduire l’excédent externe de la Chine ne passe pas les tests de soutenabilité budgétaire du Fonds. Et les politiques qui stabiliseraient la situation budgétaire de la Chine pourraient, selon la modélisation même du Fonds, déséquilibrer les comptes externes de la Chine.

(…) Le Fonds s’attend à ce que la Chine connaisse de plus larges déficits budgétaires que ce qu’il considère comme optimal. Et il semble désormais que ces déficits budgétaires ne suffiront pas pour maintenir le coupe courant de la Chine à l’équilibre ; je ne pense pas que la récente hausse du solde externe de la Chine ait reçut l’attention qu’elle méritait. L’excédent externe de la Chine en 2019 est susceptible de tourner autour des 200 milliards de dollars (il était de 185 milliards de dollars au cours des quatre derniers trimestres de données).

Mais il y a un point plus important : aussi longtemps que le taux d’épargne nationale de la Chine représente autour des 43-44 % de son PIB, il est possible que la Chine génère un excédent courant plus important (et plus problématique pour le monde). Une manière de le montrer est de considérer l’épargne annuelle de la Chine en dollars : elle approche désormais les 6.000 milliards de dollars, alors qu’elle n’était que d’environ 2.000 milliards de dollars avant la crise financière mondiale. La matière brute pour un très ample excédent est toujours là.

Pour réduire prudemment le déficit budgétaire de la Chine, il faudrait, selon moi, des réformes très agressives (davantage d’assurance sociale, davantage de progressivité dans le système fiscal) pour réduire le taux d’épargne. Et j’ai l’impression que ce point s’est un peu perdu dans l’analyse du Fonds cette année.

Ou, pour le dire autrement, le Fonds a comme négligé les conséquences mondiales de sa trajectoire budgétaire favorite pour la Chine… et au demeurant les conséquences mondiales de la somme de ses recommandations budgétaires nationales. Une consolidation budgétaire équivalente à 3 % du PIB mondial est une bonne recette pour maintenir les principaux taux d’intérêt mondiaux en territoire négatif pour longtemps. »

Brad Setser, « The IMF's (new) China problem », in Follow the Money (blog), août 2019. Traduit par Martin Anota