« Les économies des nations qui sont les plus riches aujourd’hui ont décollé avant les autres il y a environ deux siècles. Cet événement a initié une nouvelle ère dans l’histoire économique, une ère définie par la croissance. Plus récemment, des pays comme le Japon semblent avoir réussi à suivre cette stratégie et il semble que d’autres comme la Chine lui aient emboité le pas. Mais malheureusement ces pays constituent l’exception plutôt que la règle, selon un article publié dans le Journal of Economic Literature.

Ses auteurs, Paul Johnson et Chris Papageorgiou, ont constaté qu’il y a peu de preuves empiriques suggérant que les pays pauvres rattrapent les pays riches. La plupart des pays à faible revenu n’ont pas été capables d’entretenir les accélérations de croissance qu’ils ont connues comme l’aurait prédit la théorie économique traditionnelle. "Le consensus que nous trouvons dans la littérature nous amène à croire que les pays pauvres, sauf si quelque chose change, sont destinés à rester pauvres", a indiqué Johnson (…). En fait, les ralentissements dans les pays les plus pauvres ont laissé des millions de personnes dans la pauvreté extrême. Comprendre quels pays convergent et comment ils y parviennent peut contribuer à expliquer les origines élusives de la croissance économique.

Le débat autour de la croissance de rattrapage (ce que les économistes ont qualifié d’hypothèse de convergence) a une longue histoire. Les deux chercheurs ont choisi de se focaliser sur les études qui ont été publiées au cours des 30 dernières années. Dans cette récente littérature, le capital, la technologie et la productivité ont été au cœur des analyses de la croissance et de la convergence. Mais cela a traditionnellement amené les économistes à conclure que, indépendamment du niveau de pauvreté à partir duquel il débute, un pays va adopter les meilleures pratiques des pays riches et finir par les rattraper.

C’est la théorie. Mais quand les deux chercheurs ont regardé les données des 60 dernières années, ce n’est pas ce qu’ils ont vu. Les données tirées des Penn World Tables (qui couvrent 182 pays) ont révélé un niveau sans précédent de croissance mondiale au cours de la période, mais elle a été partagée très inégalement à travers le monde et entre les différents niveaux de revenu.

Les deux chercheurs ont séparé les pays en trois niveaux : les pays à faible revenu, les pays à revenu intermédiaire et les pays à haut revenu. Au cours de chaque décennie, les pays à haut revenu ont eu tendance à croître plus vite que les pays à revenu intermédiaire, qui eux ont connu une croissance plus rapide que les pays à faible revenu. Chaque groupe de pays a connu des périodes de croissance relativement faible. Mais les pays à faible revenu ont connu des taux de croissance en moyenne négatifs durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Les contractions résultaient principalement de périodes d’extrême violence, de corruption et d’autres dysfonctionnements étatiques. Cette croissance inégale a mené à une dispersion régulièrement accrue des revenus nationaux autour du monde, c’est-à-dire à l’opposé de ce qu’une version forte de l’hypothèse de convergence prédit.

Mais alors qu’il n’y a eu aucune convergence absolue, les deux chercheurs ont constaté que la littérature soutient l’idée de "clubs de convergence". En d’autres termes, les pays qui ont commencé avec le même niveau de revenu en 1960 se sont retrouvés avec le même niveau de revenu en 2010, la dernière année de la base de données.

GRAPHIQUE La convergence par groupe de revenu

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Les clubs de convergence peuvent être un indice pour les meneurs nationaux. Selon Johnson, cela suggère que les interventions de politique économique doivent être suffisamment audacieuses pour atteindre le niveau supérieur de l’échelle des revenus ou la croissance risque de ralentir, de décoller puis de s’arrêter. Cela peut aussi contribuer à éclairer pourquoi certains pays s’échappent des clubs à faible revenu et finissent par rejoindre celui des pays les plus riches, tandis que d’autres restent piégés dans des trappes à pauvreté ou à revenu intermédiaire.

D’autres types de convergence restent toujours possibles. Les précédents travaux ont constaté que dans certains secteurs, tels que l’industrie, la convergence s’opère. Les pays peuvent avoir besoin d’organiser leur main-d’œuvre dans ces secteurs pour amorcer leur croissance. Comme les deux chercheurs le soulignent, même un demi-siècle est court en comparaison avec le long terme. Le fait que les données soient limitées dans le temps peut suggérer que ce pessimisme est peut-être excessif, mais le travail des deux chercheurs montre qu’il ne faut pas être trop optimiste. "Il y a eu des signes d’un petit rattrapage au cours des toutes dernières années… mais nous ne savons pas si c'est durable", a précisé Johnson. »

Tyler Smith, « The convergence hypothesis. Are poor countries catching up with rich countries? », American Economic Association, 6 avril 2020. Traduit par Martin Anota



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