« La propagation du virus Covid-19 et les réponses de la politique publique qu’elle a suscitées ont entraîné une hausse sans précédent des demandes d’allocations-chômage depuis début mars 2020 aux Etats-Unis. Mais les difficultés potentielles dans la capacité des gouvernements des Etats à traiter tant de demandes sur une aussi courte période, combinées au fait que de nombreux travailleurs ne sont pas éligibles aux allocations-chômage, ont amené beaucoup à craindre que les pertes totales d’emplois soient sous-évaluées par ces chiffres.

En utilisant de nouvelles enquêtes menées à grande échelle auprès des ménages américains comme la Current Population Survey menée mensuellement au niveau national, nous identifions trois faits clés à propos des récents développements sur le marché du travail américain.

Premièrement, le taux d’emploi, c’est-à-dire la part des personnes en âge de travailler ayant un emploi, a chuté très brutalement, en passant de 60 % de la population à 52 %. Ce déclin du taux d’emploi est énorme selon les normes historiques et il est plus ample que le déclin total du taux d’emploi durant la Grande Récession. Etant donné que la population en âge de travailler représente environ 260 millions de personnes, cette chute est équivalente à 20 millions de personnes perdant leur emploi.

Deuxièmement, nous observons une hausse bien plus faible du taux de chômage, de l’ordre de 2 points de pourcentage. Certes, cette hausse est la plus forte hausse sur un mois du taux de chômage observée depuis la publication de la première enquête en 1948 (jusqu’à présent, c’était lors de la grève nationale du secteur de la métallurgie en 1949 que le taux de chômage avait connu sa plus forte hausse mensuelle, en l’occurrence de 1,5 point de pourcentage). Mais si toutes les personnes qui venaient de se retrouver sans emploi (comme le suggère la chute du taux d’emploi) étaient comptabilisés comme chômeurs, nous aurions observé une hausse du taux de chômage de 3,5 % en mars 2020 à 16,4 % aujourd’hui, ce qui aurait été le niveau le plus élevé depuis 1939.

La raison expliquant le décalage entre les deux mesures est que beaucoup des personnes qui se retrouvent sans emploi déclarent qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, si bien qu’elles ne sont pas comptabilisées comme chômeuses, mais plutôt comme inactives. C’est cohérent avec le troisième fait que nous observons, à savoir qu’il y a une baisse massive de la part de la population qui travaille ou qui recherche un emploi (le taux d’activité) : cette part est passée de 64,2 % à 56,8 %. La Grande Récession de 2008-2009 a été suivie par une baisse historiquement forte du taux d’activité de 3 points jusqu’en 2016. Mais même cette baisse cumulée sur huit ans n’équivaut pas la baisse historique du taux d’activité dont nous venons d’être les témoins.

Pourquoi tant de personnes sans emploi ne recherchent pas activement d’emploi ? Avant la crise, l’essentiel des répondants en-dehors de la population active déclaraient que c’était parce qu’ils étaient à la retraite, malades, personnes au foyer, étudiants ou qu’ils n’avaient pas besoin de travail. Au plus fort de la crise du Covid-19, avec un nombre de personnes bien plus élevé en-dehors de la population active, nous voyons une baisse de la part de ceux qui élèvent des enfants et des malades, mais une forte hausse de la part de ceux qui affirment être à la retraite, passée de 53 % à 60 %. Cela fait que la retraite anticipée constitue un facteur primordial pour expliquer la chute du taux d’activité et suggère que la crise du coronavirus a amené de nombreuses personnes à prendre leur retraite plus tôt qu’elles ne l’avaient anticipé. Cette vague peut constituer le premier des nombreux changements économiques permanents que le Covid-19 provoquera. Il reste à savoir si cette tendance continuera d’être observée dans les prochaines enquêtes et si elle peut également s’observer dans les autres pays développés. »

Olivier Coibion, Yuriy Gorodnichenko et Michael Weber, « Labor markets during the Covid-19 crisis: A preliminary view », IZA, 21 avril 2020. Traduit par Martin Anota