« Dans le sillage du confinement adopté pour contenir l’épidémie de Covid-19, les responsables de la politique macroéconomique ont eu à faire face non seulement à la contraction immédiate de l’économie, mais aussi aux conséquences macroéconomiques de moyen et long termes. Au cours des quatre derniers mois, la littérature sur ces sujets s’est rapidement développée. Ce billet passe en revue la littérature qui considère les canaux via lesquels le choc affecte l’économie et les options qui s’offrent à la politique macroéconomique pour faire face aux répercussions, en prenant comme donné le choc provoqué par le virus et le confinement.

Les variables de flux réels (demande et offre de biens)


Guerrieri, Lorenzoni, Straub et Werning (2020) affirment que, malgré le fait que le confinement ait initialement été un choc d’offre négatif (donc inflationniste) en empêchant certains types d’entreprises de produire, les effets ultérieurs s’apparentent à ceux d’un choc de demande négatif (donc déflationniste) sous deux conditions. La première est l’existence de complémentarités de demande entre les secteurs (si les salles de sport ferment, la demande de vêtements de sports diminue) et la seconde est l’assurance imparfaite (les entraîneurs sportifs qui perdent une partie de leur revenu vont moins dépenser). Fornaro et Wolf (2020) présentent un modèle avec des cercles vicieux entre l’offre et la demande associés aux esprits animaux et aboutissent à des conclusions similaires. Baquee et Farhi (2020) affirment qu’il doit aussi y avoir un choc de demande agrégée (touchant par exemple à la confiance) en plus du choc d’offre pour expliquer l’évolution de l’inflation observée aux Etats-Unis. Cependant, ces arguments dépendent de modèles qui font abstraction des canaux de transmission des chocs passant par les bilans. C’est problématique dans la mesure où les cercles vicieux entre actif et passif, les faillites et la contagion financière sont susceptibles d’amplifier les chocs. Cette vue est en phase avec Stiglitz (2015) qui affirme que la dépendance vis-à-vis des modèles basés sur les flux, sans rôle pour le crédit, avait contribué à la crise de 2008 et à la réponse initialement inadéquate adoptée face à celle-ci.

Les bilans (la demande et l’offre d’actifs financiers)


La littérature sur les effets de la crise du coronavirus sur les bilans est encore balbutiante. Danielsson, Macrae, Vayanos et Zigrand (2020) affirment que le principal canal pour une crise systématique n’est pas l’amplification partant du secteur financier, mais les faillites en chaîne dans le secteur commercial, et que sa gestion n’est pas le domaine de la seule politique monétaire. Perotti (2020) affirme que l’illiquidité dans le système bancaire parallèle (shadow banking) est une autre source de vulnérabilité dans la mesure où elle contribue à ce que les pertes d’un pan de l’économie se répercutent sur le secteur bancaire. Danielsson et ses coauteurs (2020) affirment que les secteurs bancaires dans les principales économies devraient être suffisamment résilients pour faire face à ces pertes, mais cela dépendra en définitive de l’ampleur des pertes subies et du montant de pertes que les autorités budgétaires supporteront.

La politique monétaire


De Grauwe et Ji (2020) affirment qu’en périodes d’incertitude extrême, la politique monétaire réalise de meilleures performances lorsqu’elle répond seulement à l’inflation courante et non aux prévisions d’inflation, qui sont peu fiables. Bien qu’ils utilisent un modèle d’esprits animaux, ce point mérite d’être considéré par les modèles DSGE standards des banques centrales.

Pour les banques centrales dont les taux directeurs sont déjà proches de zéro, Lilley et Rogoff (2020) ont récemment plaidé de nouveau en faveur des taux directeurs négatifs lorsque les marchés ne croient plus que l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) suffise pour maintenir l’inflation à sa cible. Cependant, la littérature empirique, notamment l’étude de Heider, Saidi et Schepens (2019), constate que les banques commerciales ne poussent généralement pas en territoire négatif les taux qu’elles offrent aux déposants, si bien que les taux directeurs négatifs compriment les marges d’intérêt nettes des banques et donc leur volonté de prêter. C’est formalisé dans le modèle de Kumhof et Wang (2020), où l’insuffisante volonté de prêter se traduit par une création monétaire insuffisamment forte pour soutenir un niveau adéquat d’activité économique réelle.

La politique budgétaire


Une littérature récente étudie les interactions entre la politique budgétaire et la politique monétaire. S’appuyant sur la théorie fiscale du niveau des prix, Bianchi, Faccini et Melosi (2020) affirment que les politiques budgétaire et monétaire ne peuvent être pleinement distinguées l’une de l’autre. Les auteurs proposent un Budget d’urgence séparé qui ne contiendrait pas de dispositions pour l’équilibre budgétaire à long terme, accompagné par une réponse de la banque centrale qui tolérerait l’inflation résultante, qui réduirait alors le ratio dette publique sur PIB au cours du temps. Hagedorn et Mitman (2020) affirment aussi que les politiques budgétaire et monétaire ne peuvent être pleinement séparées, en se basant cette fois-ci sur un modèle nouveau keynésien à agents hétérogènes (HANK). Ils proposent à ce que le Trésor finance les hausses de dépenses via des hausses permanentes plutôt que temporaires de la dette pour générer de l’inflation. Les implications en termes de politique économique sont très similaires à celles de Bianchi et alii. Un important problème dans le modèle de Hagedorn et Mitman est l’hypothèse selon laquelle les ménages sont indifférents entre les IOU émis par le Trésor et ceux émis par la banque centrale. Le problème est que les ménages ne peuvent détenir le principal IOU de la banque centrale, en l’occurrence les réserves.

Le financement du supplément de dépenses publiques peut se fonder sur l’endettement ou sur l’émission de monnaie. Diverses analyses ont récemment considéré des variantes de financement par endettement. Goodhart et Needham (2020) affirment que le gouvernement doit émettre des des obligations perpétuelles attractives aux investisseurs particuliers, de façon à maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau. De même, Vihriälä (2020) affirme que la BCE doit échanger la dette souveraine de court terme existante dans ses bilans contre des obligations perpétuelles à faible taux d’intérêt. Corsetti, Erce et Pascual (2020) affirment que le Fonds de reconstruction européenne (European Recovery Fund) doit prêter à très long terme, tout en se finançant à court terme pour profiter des taux d’intérêt de court terme encore plus faibles. Bien sûr, cela ne maintiendrait pas les taux d’intérêt actuels de court terme à un faible niveau. Bordignon et Tabellini (2020) affirment que le Fonds doit être doté de sources de recettes fiscales propres à l’UE.

Le financement par endettement peut rencontrer des limites. Pour le Royaume-Uni, Pacitti, Hughes, Leslie, McCurdy, Smith et Tomlinson (2020) montrent que, si la politique budgétaire post-coronavirus dépendait exclusivement de l’emprunt, le supplément de dette créerait une vulnérabilité à une hausse des taux d’intérêt. Pour cette raison, Gali (2020) a plaidé en faveur d’une relance budgétaire financée par création monétaire (la "monnaie-hélicoptère") par laquelle la banque centrale prêterait des réserves au gouvernement et effacerait immédiatement le prêt, le gouvernement dépensant alors cette monnaie. Des arguments similaires ont été avancés par Gurkaynak et Lucas (2020), Blanchard et Pisani-Ferry (2020) et Reichlin, Turner et Woodford (2013).

Cependant, une inquiétude à propos de la monnaie-hélicoptère, ignorée par les analyses citées ci-dessus, est que la monnaie nouvellement crée doive être intermédiée par le système bancaire. Il peut alors être nécessaire de créer des mécanismes qui soutiennent la monnaie-hélicoptère. Une option consiste à soutenir le prêt bancaire, soit directement en s’assurant que les banques aient une marge d’intérêt nette suffisante (Kumhof et Wang, 2020), soit via d’autres incitations de la banque centrale pour soutenir le prêt bancaire, par exemple le Term Funding Scheme de la Banque d’Angleterre. L’autre option consiste à réaliser des distributions directes de monnaie centrale aux agents non bancaires qui ne soient pas intermédiées par les banques, comme le suggérait Friedman (1948). L’incarnation moderne de cette idée est la monnaie digitale de la banque centrale, comme dans Barrdear et Kumhof (2016). Avec celle-ci, les ménages et les entreprises détiendraient directement des passifs de banque centrale plutôt que des passifs de banques commerciales, et la quantité de ces passifs serait par conséquent sous le contrôle direct de la banque centrale. (…) L’un des avantages de la monnaie digitale de banque centrale relativement au prêt bancaire est qu’elle n’accroît pas l’endettement du secteur privé.

La politique macroprudentielle


La politique macroprudentielle doit accompagner les politiques monétaire et budgétaire pour limiter l’effondrement économique. Drehmann, Farag, Tarashev et Tsatsaronis (2020) résument la gamme d’outils qui sont actuellement à la disposition des autorités macroprudentielles et ils estiment que les banques doivent avoir la possibilité d’utiliser les coussins de liquidité et de capital pour davantage prêter à l’économie réelle. Aikman (2020) passe en revue le développement de ces outils autour du monde, notamment la généralisation des assouplissements de coussins de capital contracycliques et un relâchement plus ad hoc d’autres règles. Acharya et Steffen (2020) affirment qu’une baisse extrême des engagements de crédit par les sociétés emprunteuses pourrait faire passer le ratio Tier 1 de plusieurs banques sous le minimum réglementaire. Les régulateurs doivent par conséquent limiter les versements de dividendes et les rachats d’actions. Angeloni (2020) souligne le rôle crucial du soutien public au système bancaire, notamment la suspension des normes prudentielles, les garanties d’actifs et la propriété publique, pour faciliter le retour de l’économie réelle à la normale.

Conclusion


Les répercussions du choc du coronavirus vont affecter plusieurs secteurs de l’économie et ce de manières difficilement prévisibles. Cependant, à la différence de la période qui a suivi la crise financière de 2008, la plupart des effets directs sont susceptibles de survenir en dehors du secteur financier. Cela explique pourquoi une très grande partie des nouvelles études s’est jusqu’à présent focalisée sur la conception et le financement d’interventions budgétaires très ciblées visant à aider les entreprises et les ménages. Il y a néanmoins un risque significatif que l’explosion des faillites finisse par affecter le secteur financier. Une réponse intégrée qui lie les interventions budgétaires aux interventions macroprudentielles et monétaires, notamment les interventions de financement monétaire, doit par conséquent être prioritaire pour les recherches futures. »

Michael Kumhof, « Covid-19 briefing: Post-lockdown macro », Banque d’Angleterre, Bank Underground (blog), 29 juillet 2020. Traduit par Martin Anota



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