« Le choc de l’épidémie de Covid-19 a posé aux autorités monétaires des défis substantiels et sans précédent. Ce billet résume la littérature clé sur la réponse immédiate de la politique monétaire au choc, notamment les questions relatives aux outils et aux stratégies à court et moyen termes (mais en laissant de côté la question des interactions entre politique monétaire et politique budgétaire à long terme).

Chocs de demande versus chocs d’offre

Au début, la littérature a cherché à modéliser comment le choc sectoriel de l’épidémie affectait l’équilibre entre offre et demande. Ensuite, la littérature empirique a cherché à déterminer quel canal dominait et a conclu que la réponse différait selon le secteur et l’horizon temporel. En général, les analyses empiriques suggèrent que, du moins à court terme, les chocs de demande déflationnistes s’avèrent relativement plus importants, même si une minorité d’analyses donne plutôt la proéminence aux chocs d’offre (Brinca, Duarte et Castro, 2020 ; del Rio-Chanona et alii, 2020). En utilisant les révisions des prévisions dans les données d’enquête américaines, Bekaert, Engstrom et Ermolov (2020) ont décelé un ralentissement de l’inflation tiré par un choc de demande négatif. Alvarez et Lein (2020) et Balleer et alii (2020) utilisent respectivement les données relatives aux transactions via carte bleue en Suisse et les données tirées d’enquêtes menées auprès d’entreprises en Allemagne et constatent aussi un ralentissement de l’inflation durant les premiers mois de la pandémie.

Mécanismes économiques alternatifs

La nature sans précédent du choc de l’épidémie de Covid-19 a aussi accru l’intérêt pour d’autres mécanismes potentiellement en jeu. Caballero et Simsek (2020) ont souligné le rôle des marchés financiers dans al transmission du choc du coronavirus et ils évoquent une "déconnexion entre Wall Street et Main Street". Les prix d’actifs américains ont réagi rapidement aux nouvelles relatives à la pandémie et ils ont ensuite connu un rebond brutal dans le sillage de l’assouplissement monétaire de la Fed. Le chômage a graduellement augmenté et est resté élevé. Ils rationalisent la politique monétaire de la Fed dans un modèle où la demande globale est molle, réagissant avec retard aux prix d’actifs. La politique optimale requiert un brutal dépassement initial des prix d’actifs pour compenser les forces récessives futures sur la demande agrégée, étant donné la viscosité des décisions relatives aux dépenses.

L’épidémie de Covid-19 a également alimenté l’incertitude. Pellegrino, Castelnuovo et Caggiano (2020) montrent que les chocs d’incertitude financière ont des effets sur l’économie réelle. Ils constatent que la politique monétaire américaine a réagi plus agressivement aux variations de la production après la crise financière mondiale et, en agissant ainsi, a su compenser environ la moitié des pertes provoquées par le choc d’incertitude. Le choc d’incertitude provoqué par l’épidémie de Covid-19 peut générer les pertes en termes de production deux fois plus amples que celles provoquées par la crise financière mondiale, mais à nouveau une réponse agressive de la politique monétaire peut réduire ces pertes de moitié. De nombreuses analyses (voir Mendes, Murchison et Wilkins, 2017) ont étudié la conduite de la politique monétaire en présence d’une incertitude généralisée. De Grauwe et Ji (2020) montrent que durant les crises il vaut mieux que la politique monétaire réagisse aux données courantes plutôt qu’à ses prévisions, en raison de l’incertitude entourant les perspectives économiques futures. Bordo, Levin et Levy (2020) proposent l’usage explicite de différents scénarii épidémiologiques (par exemple si ou quand un vaccin efficace sera mise à la disposition de la population) dans la stratégie et les communications de la banque centrale pour illustrer la profonde incertitude non économique et ses potentielles implications pour la trajectoire de la politique monétaire.

Les effets sectoriels hétérogènes de l’épidémie de Covid-19 ont suscité un courant de recherche sur ce que peut être la politique monétaire optimale pour la réallocation sectorielle des ressources. Woodford (2020) montre qu’avec le "choc du coronavirus" poussant dans certains secteurs l’activité en-deçà des niveaux cohérents avec la maximisation du bien-être, la politique monétaire ne peut compenser les distorsions transsectorielles et qu’elle ne peut donc stabiliser les effets de ces chocs. C’est similaire au résultat obtenu dans une analyse portant sur les réseaux de production, dans lequel aucune politique monétaire ne peut obtenir l’allocation optimale (La’O et Tahbaz-Salehi, 2020). Woodford affirme que des transferts budgétaires ciblés sont mieux adaptés pour répondre aux insuffisances de la demande et qu’ils peuvent être à même d’atteindre la meilleure allocation des ressources sans nécessiter une réponse de la politique monétaire.

Choix d’outils et efficacité

L’épidémie de Covid-19 a éclaté dans une période de taux directeurs historiquement faibles à travers le monde et d’amples bilans pour les banques centrales, alors même que ces dernières reconsidéraient déjà leur boîte à outils. Outre les répercussions sur la demande globale à court terme, Jordà, Singh et Taylor (2020) constatent que le taux d’intérêt d’équilibre a durablement chuté après les pandémies passées, ce qui réduirait davantage la marge de manœuvre pour les banques centrales. Cela suggère que les responsables de la politique économique aient à utiliser de façon plus routinière les outils non conventionnels développés depuis la crise financière mondiale et peut-être même en concevoir de nouveaux.

Parallèlement, les théoriciens ont beaucoup de difficultés à décortiquer les mécanismes à l’œuvre pour les outils non conventionnels. Sims et Wu (2020) distinguent entre prêt au secteur financier ("assouplissement quantitatif pour Wall Street" et prêt aux entreprises non financières ("assouplissement quantitatif pour Main Street"). Si un choc détériore les soldes des sociétés financières (par exemple comme dans le cas de la crise financière mondiale), les deux types d’assouplissement quantitatif sont de parfaits substituts l’un à l’autre. Mais pour un choc détériorant les flux de trésorerie des entreprises non financières (comme le choc associé à l’épidémie de Covid-19), l’"assouplissement quantitatif de Main Street" est significativement plus efficace, étant donné qu’il soutient les entreprises dépendent de l’endettement. Caballero et Simsek (2020) affirment qu’un large choc non financier, tel que le choc du coronavirus, génère une chute endogène de la tolérance au risque. Dans ce cas, l’assouplissement quantitatif peut réduire les effets du choc en transférant le risque au bilan de la banque centrale.

Levin et Sinha (2020) ont analysé l’efficacité du forward guidance à la borne inférieure (lower bound) dans un modèle incorporant des frictions dans la formation des anticipations, une crédibilité imparfaite des engagements de la politique monétaire et une incertitude de la banque centrale sur la structure de l’économie. Ce cadre suggère que le forward guidance requiert des promesses à long terme de dépassements d’inflation et qu’il peut être contreproductif si le modèle de base de l’économie est mal spécifié. Les auteurs concluent qu’il peut être risqué d’aller au-delà de l’actuel forward guidance du comité de politique monétaire de la Fed (qu’ils perçoivent comme clarifiant la fonction de réaction du comité et proche des anticipations de marché courante).

L’épidémie de Covid-19 a aussi rallumé le débat sur les mérites des taux d’intérêt négatifs au sein de la blogosphère, alors que la littérature universitaire sur le sujet reste encore éparse. Il n’y a pas de consensus sur l’efficacité des expériences passées. Par exemple, Andersson et Jonung (2020) suggèrent que les taux négatifs en Suède sur la période allant de 2015 à 2019 ont eu un effet modeste sur l’inflation, mais qu’ils ont par contre contribué à alimenter les vulnérabilités financières, tandis que Krogstrup, Kuchler et Spange (2020) affirment que la période commençant avec l’adoption des taux neutres par la banque centrale danoise en 2012 a été bien plus bénigne. D’autres ont affirmé que les taux négatifs vont constituer un précieux outil, étant donné les anticipations de marché d’un besoin d’un surcroît d’assouplissement monétaire (par exemple Lilley et Rogoff, 2020 ; de Groot and Haas, 2020). Il est clair que la recherche sur ce thème doit se poursuivre. (…) »

Richard Harrison, Kate Reinold et Rana Sajedi, « Covid-19 briefing: monetary policy strategy post-Covid », in Banque d’Angleterre, Bank Underground (blog), 16 novembre 2020. Traduit par Martin Anota



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