« L’épidémie de Covid-19 rappelle brutalement l’importance de la science médicale. Les vaccins efficaces contre le coronavirus sont développés, approuvés et distribués en un temps record. Les cocktails d’anticorps monoclonaux ont été administrés avec succès à des patients infectés et, notamment parmi eux, le président Donald Trump. Nous pouvons espérer, avec le soutien de la science, que nous parviendrons à laisser la pandémie de Covid-19 derrière nous.

Pourtant, ces avancées se sont produites dans un contexte où beaucoup ont exprimé des doutes quant aux experts et à leurs conseils. Aux Etats-Unis par exemple, The Pew Charitable Trusts fait état d’une baisse séculaire de la part des adultes déclarant avoir une grande confiance envers les individus dirigeant les institutions médicales du pays. Ce part, qui approchait les 60 % du public au début des années soixante-dix, s’élève désormais à environ 40 %. C’est peut-être en partie pour cela que les conseils des experts sur la distanciation physique et le port du masque, basés sur les études scientifiques portant sur la diffusion du virus via gouttelettes et aérosols, ne sont pas pleinement acceptés. Cela nous amène à nous demander s’il y aura une acceptation générale des vaccins contre la Covid-19, vaccins que recommandent les experts.

Mais l’inverse, en l’occurrence la question quant à savoir dans quelle mesure l’expérience même de l’épidémie affectera les attitudes envers la science et les scientifiques, est également importante. Pour éclairer cette question, nous avons examiné l’impact des précédentes épidémies sur la confiance envers la science et les scientifiques. En l’occurrence, nous avons examiné les réponses d’environ 70.000 répondants à l’enquête Wellcome Trust menée dans 160 pays, en liant ces réponses aux données relatives à 47 épidémies et pandémies qui ont affecté 137 pays depuis 1970.

Nous mettons en évidence un impact négatif et significatif de l’exposition à l’épidémie sur la confiance envers les scientifiques. Non seulement cet effet est large, mais il dure aussi pendant plusieurs décennies (…). Il est limité aux personnes qui ont connu l’épidémie dans leurs "années impressionnables" (c’est-à-dire lorsqu’elles avaient entre 18 et 25 ans). Les études réalisées par les psychologues et les scientifiques cognitifs suggèrent que cette étape du cycle de vie (quand les individus "quittent le nid", mais que leur vision du monde n’a pas encire été durablement et irrémédiablement formée) correspond à l’instant où les attitudes sont les plus facilement influencées par l’expérience immédiate. Notre étude suggère que c’est en l’occurrence les membres de ce que l’on appelle la génération Z qui verront leurs attitudes envers les scientifiques et leurs conseils être le plus négativement affectées par l’épidémie de Covid-19.

Curieusement, cette dégradation de la confiance perçue ne touche pas d’autres professionnels de la médecine, comme les docteurs, les infirmiers et les guérisseurs traditionnels. Elle ne se manifeste pas non plus dans les réponses touchant à la confiance envers la science en tant qu’activité. C’est un problème touchant à la confiance perçue envers les scientifiques en tant qu’individus.

La défiance envers les experts scientifiques est un problème. Nos travaux suggèrent que le problème sera encore plus aigu après l’épidémie de Covid-19. Il ne sera pas simple d’y répondre. Au minimum, nos travaux suggèrent que les scientifiques travaillant sur les questions de santé publique et tous ceux travaillant sur la communication scientifique devraient davantage réfléchir à la façon de communiquer avec honnêteté et, en particulier, à la façon par laquelle la génération qui connaît actuellement ses années impressionnables (la génération Z) perçoit cette communication. »

Cevat Giray Aksoy, Barry Eichengreen et Orkun Saka, « Exposure to epidemics and trust in scientists », IZA, 18 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



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