« Aux Etats-Unis, des entreprises comme Google, Amazon et Facebook dominent leurs marchés respectifs comme AT&T et IBM dominaient les leurs à leur apogée. L’essor de ces nouveaux titans a suscité des craintes tout le long du spectre politique, beaucoup s’inquiétant à l’idée que les oligopoles puissent déprimer les salaires et qu’ils pénalisent les consommateurs. Mais ces peurs peuvent être excessives.

Un article publié dans la revue American Economic Journal: Microeconomics confirme que les oligopoles se développent dans plusieurs secteurs, mais que la concentration des marchés est positivement corrélée à la productivité et à la croissance de la production réelle, ce qui est bénéfique pour l’économie dans son ensemble.

"Je pense qu’une grande partie du débat aux Etats-Unis à propos des monopoles et de la concentration de marché ignore les faits sous-jacents à propos de ce qui s’est passé ces quarante à cinquante dernières années", déclare Sharat Ganapati, l’auteur de l’étude, à l’American Economic Association. "Je pense que la chose la plus importante à propos de cet article est qu’il présente ce qui s’est passé du côté des prix, de la concentration, de la production et de la productivité".

Ganapati a analysé la majorité de l’économie du secteur privé, représentant plus de 75 % de la production brute en 2012, et les données des prix pour la période allant de 1972 à 2012. Le graphique ci-dessous montre la croissance de la part de marché moyenne des quatre plus grosses entreprises dans des intervalles de cinq ans. Par exemple, entre 1997 et 2002, les quatre plus grosses entreprises accrurent leur part de marché d’une moyenne de 2,5 %.

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Les données ont révélé quelques schémas qui ne collent pas avec une vision naïve des monopoles économiques. Dans les modèles les plus basiques, si les entreprises sont assez grosses pour influencer le marché, elles essayent de le faire en restreignant la production et en accroissant les prix pour les consommateurs. Or, Ganapati trouve que, lorsque la concentration s’est accrue dans un secteur, elle a en fait eu tendance à s’accompagner d’une plus forte croissance de la production réelle. Une hausse de 10 % de la part de marché nationale des quatre plus grosses entreprises était corrélée à une hausse de 1 % de la production réelle. De plus, les hausses de prix ne furent pas du tout corrélées avec la hausse de la concentration du marché. En d’autres mots, dans le cadre des réglementations antitrust actuelles, l’essor des oligopoles aux Etats-Unis ne semble pas avoir exercé une influence négative sur le marché et les consommateurs ne semblent pas avoir vu leur situation se détériorer. Du côté de l’emploi, les travailleurs dans les secteurs concentrés semblent en fait avoir une meilleure situation que les travailleurs des secteurs moins concentrés. Une hausse de 10 % de la part de marché des quatre plus grosses entreprises était associée à une hausse de 0,4 % des salaires.

Pourquoi la hausse de la concentration ne semble-t-elle pas être un problème ? Les données suggèrent que les sociétés dominantes innovent d’une façon qui les rend plus productives. Une hausse de 10 % de la part de marché des quatre plus grosses firmes était associée à une hausse de 2 % de la productivité du travail. Au niveau des secteurs, quelques meneurs ont accru la productivité, ce qui leur a permis d’accroître la production réelle et de maintenir les prix à la baisse, tout en maintenant ou en réduisant la taille de leur main-d’œuvre.

L’image qui émerge est celle de quelques firmes dites superstars dépassant leurs concurrents à travers une course aux armements technologique. Mais Ganapati dit que ces entreprises ont souvent davantage ressemblé à Walmart et Sysco (un fournisseur international d’aliments) qu’à Google et Facebook. "Walmart est un bon exemple de ce qui se passe. Ils ont dépensé des milliards de dollars dans les années 1980 et au début des années 1990 pour numériser toutes leurs infrastructures", dit Ganapati. "Cela leur a donné une avance de près de vingt ans dans le secteur des magasins de grande surface, leur permettant de tuer des rivaux comme Sears et JCPenney."

Cela ne signifie pas que ces entreprises ont passé tous leurs gains de productivité aux consommateurs, précise Ganapati. Elles sont toujours incroyablement profitables. C’est juste que certains de ces profits sont potentiellement mérités parce que ces entreprises ont investi dans les bonnes idées avant qu’elles ne deviennent profitables. En d’autres termes, les firmes superstars peuvent faire des profits aujourd’hui pour compenser leurs pertes par le passé. En outre, il y a toujours certains secteurs qui ont présenté des symptômes classiques de monopoles traditionnels. En particulier, la concentration de marché dans le secteur des soins de santé a été corrélée avec les hausses de prix.

Le travail de Ganapati montre que plusieurs questions à propos des monopoles sont d'ordre empirique et que les potentiels effets nocifs qu'ils provoquent s’échelonnent sur un spectre. "Au lieu de dire qu’il est mauvais d’être gros, vous devez plutôt dire pourquoi il est mauvais d’être gros. Parce que dans certains cas, la taille mène à un surcroît de productivité. Mais dans d’autres cas, elle mène à un comportement véritablement anticoncurrentiel", ajoute Ganapati. "La vraie question est de savoir comment réguler efficacement les firmes sans détruire le lien à la productivité." »

Tyler Smith, « Consolidation and productivity. Should the United States be worried about its growing monopolies? », American Economic Association, Research Highlights, 17 septembre 2021. Traduit par Martin Anota



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