« Dans notre récent article de recherche, mon coauteur Yuanchen Yang et moi-même concluons que le poids du secteur immobilier chinois est devenu si important qu’un ralentissement significatif de l’immobilier affecterait significativement la croissance globale, même si l’on met de côté les effets d’amplification habituels associés aux fragilités du secteur financier (Reinhart et Rogoff, 2009). Avec une production immobilière et des services de propriété représentant 29 % du PIB (un niveau qui rivalise avec ceux de l’Irlande et de l’Espagne à leur pic d’avant-crise financière), il est difficile de voir comment un significatif ralentissement de l’économie chinoise pourrait être évité, même si les problèmes bancaires étaient contenus.

Bien sûr, les autorités chinoises exercent une énorme pression sur le marché de l’immobilier et elles ont par le passé utilisé tout un éventail d’outils pour alternativement resserrer et stimuler ce marché. Mais le problème n’est pas simplement de maintenir la stabilité, mais aussi de maintenir l’échelle de la production et de l’emploi. Le fait que la surface par tête en Chine rivalise déjà avec celle de beaucoup de pays plus riches comme l’Allemagne et la Chine donne à réfléchir (cf. graphique 1). Même si l’on prend en compte le fait que la qualité de construction moyenne en Chine est moindre et donc qu’il y a de la marge pour l’améliorer, cela suggère que la taille actuelle du secteur immobilier, relativement au PIB, ne peut être facilement maintenu.

GRAPHIQUE 1 Espace résidentiel moyen par personne par pays en 2017 (en pieds carrés)

Rogoff__surface_immobiliere_par_tete_Chine_France_pays_developpes.png
source: Rogoff et Yang (2021)

Jusqu’à présent, la Chine semble avoir évité les problèmes en termes de croissance et d’immobilier. Avec son approche zéro Covid, l’économie chinoise a été capable de rebondir rapidement suite à la pandémie, croissant de plus de 8 % en 2020 et de plus de 12 % le premier semestre 2021. Comme ailleurs, la croissance des prix de l’immobilier a été forte. Néanmoins, comme la Chine s’ajuste pour faire faire face au virulent variant Delta, la croissance ralentit brutalement. A moyen terme, la Chine fait face à une multitude de défis, allant d’une démographie extrêmement adverse au ralentissement de la productivité, en passant notamment par la dégradation environnementale, les pénuries d’eau et les inégalités. Jusqu’à présent, le boom immobilier avait été soutenu par un boom général de l’économie, mais ce dernier fait désormais face à de puissants vents contraires.

Pour arriver à notre estimation de 29 % pour la part du secteur immobilier réel de la Chine, incluant à la fois la construction physiques et les services relatifs à l’immobilier, nous avons utilisé la matrice input-output la plus récente (2017) de la Chine (publiée au milieu de l’année 2019), n’incluant pas seulement des effets de premier ordre, mais aussi des interactions d’ordre supérieur, comme le choc immobilier se réverbère à l’ensemble de l’économie. (La prise en compte du secteur externe réduit légèrement la part, mais ne change pas fondamentalement le message.)

Le graphique 2 utilise une mesure similaire pour construire la part de l’immobilier dans les pays développés et la comparer avec celle de la Chine. Comme le graphique l’illustre, la Chine est même encore plus dépendante de la construction immobilière que l’Irlande et l’Espagne l’étaient avant la crise financière mondiale et bien plus dépendante que ne l’étaient les Etats-Unis au pic de 2005.

GRAPHIQUE 2 Part des activités liées à l’immobilier dans le PIB (en %)

Rogoff__part_immobilier_dans_le_PIB_Chine_pays_developpes_France_Etats-Unis.png
source: Rogoff et Yang (2021)

Même s’il faut garder à l’esprit que les données relatives aux prix de l’immobilier sont difficiles à collecter et standardiser, les comparaisons de la Chine avec d’autres pays sont assez significatives. En l’occurrence, selon les normes internationales, l’ampleur du boom des prix de l’immobilier de la Chine est sans précédent pour une économie majeure. (…) Les ratios prix des logements sur revenu à Pékin, Shanghai, Shenzhen et Guangzhou sont comparables à ceux des villes les plus chères du monde. Le ratio prix de l’immobilier sur revenu à Pékin, Shanghai et Shenzhen dépasse les 40, alors qu’il s’élève à 22 à Londres et à 12 à New-York. Bien sûr, de tels ratios prix des logements sur revenu peuvent être justifiés si l’on s’attend à ce que la croissance spectaculaire que la Chine a connue ces trois dernières décennies se poursuive indéfiniment. Mais comme nous l’avons déjà affirmé, les risques à long terme posés par le vieillissement de la population, le resserrement de l’écart technologique avec l’Occident et un ralentissement mondial général de la productivité, rendront plus probable que la croissance continue à ralentir, même après que l’économie ait rebondi suite à la dernière vague de la pandémie.

GRAPHIQUE 3 Ratios prix de l’immobilier sur revenu dans les grandes villes à travers le monde en 2018

Rogoff__ratio_prix_immobilier_sur_revenu_villes_Chinoises.png
source: Rogoff et Yang (2021)

Nous rappelons que plusieurs auteurs ont déjà exploré les risques potentiels associés au marché immobilier de la Chine, notamment par exemple Fang et alii (2015), Chivakul et alii (2015), Glaeser et alii (2017) et Koss et Shi (2018). Bien qu’il y ait un éventail d’opinions, le consensus général a été que, même si l’appréciation des prix de l’immobilier en Chine a littéralement été d’un ordre de magnitude supérieure que celle connue par les Etats-Unis à la veille de sa crise financière de 2008, il n’y a pas nécessairement de bulle et qu’il faudrait un ralentissement brutal et soutenu de la croissance économique pour générer une récession immobilière durable.

Cependant, ces études sont basées sur des données qui sont maintenant quelque peu datées, surtout au vu des évolutions rapides touchant l’économie chinoise. Dans notre étude, Yang et moi utilisons des sources nouvellement disponibles et prenons particulièrement profit de la numérisation des statistiques chinoises qui permet d’obtenir des données plus larges et précises (…). Et, bien sûr, la pandémie de Covid-19, en particulier avec l’apparition de nouveaux variants, pourrait être le catalyseur pour un ralentissement soutenu de la croissance.

L’étude que Yang et moi avons réalisée se focalise sur l’importance de l’immobilier pour la croissance et l’emploi, mais bien sûr les vulnérabilités financières sont aussi un motif d’inquiétude, même si la Chine se révèle bien plus habile pour restructurer la dette que les gouvernements occidentaux après 2000, comme l’anticipent beaucoup d’observateurs. Néanmoins, une faillite du promoteur immobilier chinois Evergrande, avec plus de 300 milliards de dollars de dette serait de loin la plus large que le gouvernement ait eu à traiter et des entreprises de l’immobilier bien plus faibles font face au défi de rouler leurs dettes. En évoquant le cas des Etats-Unis au début des années 2000, Gao et alii (2020) montrent que la spéculation immobilière en amont d’une crise peut considérablement aggraver les effets réels de l’effondrement final. Même si les autorités chinoises font depuis longtemps régulièrement des efforts pour contenir la spéculation, cela s’est révélé être difficile face à l’énorme boom des prix de l’immobilier, comme l’a souligné Wei (2017).

La question du rééquilibrage de l’économie en-dehors de la construction immobilière et des services associés à l’immobilier est un problème auquel la chine devra faire face ces prochaines années, peut-être plus tôt que tard. »

Kenneth Rogoff, « Can China’s outsized real estate sector amplify a Delta-induced slowdown? », 21 septembre 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le boom immobilier chinois est-il soutenable ? »

« Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ?  »