« Plusieurs détracteurs de la mondialisation affirment régulièrement que l’énorme croissance des échanges et investissements entre pays a forcé les pays à se concurrencer en allégeant leurs salaires et règlements du travail, ce que l’on a pu qualifier de "course vers le bas" pour les pays riches comme pour les pays pauvres.

Une description plus fidèle serait celle d’une course vers le sommet. Quasiment chaque pays est plus riche aujourd’hui, et certains substantiellement plus, qu’il y a trois ou quatre décennies plus tôt, quand l’ère de la mondialisation débutait.

Et la mondialisation ne peut pas non plus être décrite comme un jeu à somme nulle, dans lequel les gains de certains pays se feraient au détriment d’autres. Les vastes gains économiques réalisés par les pays pauvres au cours des dernières décennies ne se sont pas faits au détriment des pays développés.

Visualiser l’économie mondiale depuis 1980


Les graphiques (…) ci-dessous illustrent comment l’économie mondiale a évolué au cours des 40 dernières années (de 1980 à 2019). Les pays sont rangés en termes de PIB réel par tête sur l’axe vertical et leur part dans la population mondiale sur l’axe horizontal. (Les données se basent sur les Penn World Tables 10.0.)

En 1980, avant que la mondialisation ne débute vraiment, il y avait un cluster d’économies riches, menées par les Etats-Unis, suivis par l’Europe de l’Ouest et par le Japon. Ensuite, venaient les pays à revenu intermédiaire, dont beaucoup étaient situés en Asie et en Amérique latine, suivis par une longue séquence de pays très pauvres, dont certaines étaient très peuplés, notamment l’Inde et la Chine.

GRAPHIQUE 1 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 1980

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Les années 1990 marquent l’ère du Consensus du Washington, une période de libéralisation des règles du commerce et de l’investissement et une réorientation de la politique économique en faveur du marché. L’effondrement du communisme et le début des réformes dans le monde en développement, notamment en Chine et en Inde, qui ouvrirent leur économie jusqu’alors fermée, aidèrent à intégrer ces pays dans une économie véritablement mondiale. Le flux commerciaux, d’investissements et technologiques entre les pays s’accrurent considérablement et l’usage du terme "mondialisation" s’est répandu.

Avec l’accroissement des échanges économiques entre pays, que s’est-il passé du côté de la distribution du revenu mondial ? Certains s’attendaient à une course vers le bas qui aplatirait le revenu mondial, les pays pauvres s’enrichissant au détriment des pays riches. Certains, dans les pays pauvres, ont perçu l’essor du commerce mondial comme une nouvelle forme de colonialisme via lequel les pays à haut revenu s’enrichiraient à leur détriment, exacerbant les inégalités mondiales.

GRAPHIQUE 2 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 2000

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Aucun de ces deux scénarios ne s’est concrétisé. En fait, c’est l’ensemble de la répartition mondiale du revenu qui s’est déplacée vers le haut. Les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest étaient plus riches en 2000 qu’ils ne l’étaient en 1980, les pays à revenu intermédiaire ont connu pour la plupart de la croissance mais à un rythme plus faible (l’Amérique latine a connu une décennie perdue à cause de la crise de la dette), tandis que la Chine a réussi à décoller après que Deng Xiaoping, le dirigeant chinois de 1978 à 1992, ait commencé à ouvrir l’économie chinoise.

GRAPHIQUE 3 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 2019

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Deux décennies plus tard, en 2019, les effets de la mondialisation sont devenus plus manifestes. La distribution entière du revenu mondial s’est déplacée vers le haut. Maintenant, les pays à revenu intermédiaire jouissent de revenus plus élevés que durant les années 1980 et 1990. Le bas de la répartition a fait bien mieux, comme la Chine, l’Inde et d’autres pays en Afrique et en Asie ont connu d’énormes progrès en termes de croissance des revenus et de réduction de la pauvreté.

Pourquoi la mondialisation a-t-elle déplacé vers le haut le revenu mondial ?


En accroissant l’investissement et en facilitant la diffusion de la technologie, l’ouverture des économies augmente la productivité, ce qui permet d’accélérer la croissance du PIB par tête. La croissance de la productivité des travailleurs domestiques augmente la production par tête, ce qui améliore les niveaux de vie. En ce sens, les pays ne se concurrencent pas les uns les autres, mais simplement essaient d’améliorer leur sort par eux-mêmes.

La mondialisation mérite un certain crédit pour avoir permis à des pays pauvres de croître plus rapidement et de réduire leur pauvreté. La pauvreté mondiale a décliné significativement au cours des quarante dernières années. Selon la Banque mondiale, la part de la population mondiale vivant dans la pauvreté extrême est passée de 42 % en 1981 à 8,6 % en 2018. Cette énorme avancée ne s’est pas faite au détriment des pays plus riches en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. (Reste malheureusement à savoir dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a inversé ce progrès.)

Les quarante dernières années ont aussi été marquées par une baisse des inégalités mondiales. A la différence des précédentes périodes de divergence économique, les pays en développement ont commencé à converger avec les pays riches à partir du milieu des années 1990. Dev Patel, Justin Sandefur et Arvind Subramanian montrent qu’une "nouvelle ère de convergence inconditionnelle" s’est plus clairement manifestée au cours des deux premières décennies du vingt-et-unième siècle. Dans un autre récent article (…), Olle Hammar et Daniel Waldenström ont noté que le coefficient de Gini mondial (une mesure des inégalités a baissé de 15 points et que la part du revenu détenue par les 50 % les plus pauvres a doublé depuis les années 1990.

Bien sûr, les graphiques ci-dessus donnent le revenu moyen (le PIB par tête) et ne prennent pas en compte la répartition du revenu au sein de chaque pays. Les inégalités se sont accrues dans plusieurs pays et constituent un défi majeur pour les responsables de la politique économique. La mondialisation a pu avoir contribué dans une certaine mesure à ces inégalités, mais avoir une plus grande économie facilite le financement de politiques redistributives et d’investissements publics susceptibles de réduire une partie de ces inégalités. En outre, plusieurs forces autres que celles de la mondialisation sont à l’œuvre derrière les inégalités de revenu. Comme Caroline Freund l’a souligné, "il y a une large variabilité dans la croissance du revenu et les inégalités malgré des expériences similaires avec la mondialisation et la technologie, ce qui suggère que d’autres facteurs ont une grande responsabilité derrière ces changements".

Malgré les énormes difficultés qu’ont connues tant de pays ces dernières années, ces dernières décennies, celles de l’ère de la mondialisation, ont été marquées par d’énormes progrès économiques autour du monde. Le récent mouvement de fermeture des marchés risque de compromettre ces progrès. »

Douglas Irwin, « Globalization enabled nearly all countries to grow richer in recent decades », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 16 juin 2022. Traduit par Martin Anota



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