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« Au cours des dernières décennies, la plupart des pays en développement ont fourni d’importants efforts pour éradiquer l’analphabétisme dans plusieurs millions de personnes. Par conséquent, les inégalités dans l’éducation ont été réduites de plus de moitié : le coefficient de Gini du capital humain est en moyenne passé de 0,55 en 1960 à 0,28 en 2005. Cependant, malgré le processus d’égalisation dans l’éducation, les inégalités dans la réparation du revenu a peu changé. La valeur du coefficient de revenu moyen pour le même groupe de pays en 2005 (0,41) est pratiquement aussi élevée qu’en 1960 (0,42). Cette tendance n’est pas restreinte aux seuls pays en développement : en 1960, le coefficient de Gini du capital humain dans les pays à haut revenu de l’OCDE s’élevait à 0,22 et s’établissait à 0,15 en 2005, tandis que le coefficient de Gini du revenu est resté inchangé à 0,3.

Cette étude analyse les données empiriques ci-dessus en détails et contribue à la littérature de plusieurs manières. Premièrement, l’étude fournit l’ensemble de données le plus complet sur les variables associées aux inégalités en capital humain, couvrant 146 pays sur une période de 60 ans. (…) Deuxièmement, en utilisant cet ensemble de données, l’étude montre quelques nouveaux faits stylisés particulièrement intéressant en ce qui concerne l’évolution des inégalités en capital humain et les inégalités de revenu. (…)

GRAPHIQUE 1 Coefficient de Gini du capital humain de la population de plus de 15 ans

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Le graphique 1 montre l’évolution au cours du temps de la part de ma population âgée de 15 et plus qui est analphabète. Sans exception le graphique montre que toutes les régions du monde ont connu une grande réduction de la part des analphabètes qui a impliqué un déclin de plus de la moitié de la population sans éducation. De façon intéressante, le graphique 2 montre un déclin similaire dans le coefficient de Gini du capital humain au cours du temps. la comparaison des deux graphiques indique l’évolution de la part des analphabètes et du coefficient de Gini est presque identique, suggérant que la réduction du coefficient de Gini au cours du temps a été déterminée dans une large mesure par le déclin de la part des analphabètes. (…)

GRAPHIQUE 2 Part d’analphabètes dans la population de plus de 15 ans (en %)

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Les données indiquent que le coefficient de Gini du revenu est resté assez stable sur une période de 45 ans. Les données empiriques sont rapportées sur le graphique 3, qui montre l’évolution du coefficient de Gini du revenu pour toutes les régions et pour les périodes de temps disponibles. Un aspect intéressant est que, malgré quelques variations sur de courtes périodes de temps, dans la plupart des régions le coefficient de Gini du revenu en 2005 a été très similaire à celui observé en 1960, ce qui reflète la stabilité à long terme du coefficient de Gini malgré la réduction significative des inégalités en capital humain. Tandis que le graphique 1 montre une réduction des inégalités d’éducation au cours du temps, principalement due à une réduction de la population analphabète (graphique 2), le graphique 3 montre que les inégalités dans la répartition du revenu a peu changé. (…)

GRAPHIQUE 3 Evolution du coefficient de Gini du revenu

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La plupart des pays ont connu une très intense réduction des inégalités en capital humain, principalement due à une baisse sans précédents de la part d’analphabètes, qui n’a pas été accompagnée par une réduction similaire dans les inégalités de revenu. Nous trouvons qu’une possible explication pour cette énigme pourrait être que les rendements de la scolarité sont croissants avec le niveau d’éducation. Donc, si les rendements à la scolarité primaire sont faibles, une large réduction de la part des analphabètes peut ne pas se traduire par une hausse significative des salaires de la population en bas de la distribution du revenu, lorsqu’une plus petite part de la population au sommet de la distribution améliore son capital humain. En utilisant les données de PIB réel par travailleur pour de nombreux pays, nous estimons les rendements agrégés pour différents niveaux d’éducation. Nos résultats révèlent que les rendements de l’éducation tertiaire sont plus élevés que ceux de la scolarité primaire et secondaire. Ces résultats sont aussi cohérents avec un système éducatif de mauvaise qualité aux plus faibles niveaux de scolarité, ce qui peut mener à un progrès de l’alphabétisme, mais ne contribue pas nécessairement à une accumulation significative de compétences (par exemple, Hanushek et Woessmann, 2012).

Une explication complémentaire serait que les améliorations dans l’alphabétisme et les salaires de la population en bas de la répartition des revenus a aussi coïncidé avec une hausse des salaires dans les autres cohortes de la population avec une meilleure éducation, de telle manière que celles-ci maintiennent leurs parts dans la répartition du revenu. Cela pourrait refléter des facteurs exogènes tels que la mondialisation ou le progrès technologique biaisé en faveur du travail qualifié, qui ont accru les salaires au sommet de la répartition. Sous ces conditions, les améliorations dans l’éducation et les inégalités en capital humain observées dans plusieurs pays ont évité des hausses significatives des inégalités de revenu. Nos résultats soutiennent cette hypothèse et indiquent que l’effet positif de la réduction du coefficient de Gini sur les inégalités de revenu a été compensé par une hausse dans la demande travailleurs qualifiés et l’effet de la mondialisation.

Les constats empiriques présentés dans cette étude sont particulièrement pertinents pour les politiques de développement. Plusieurs gouvernements ont fait de réels efforts pour éradiquer l’analphabétisme, mais ces politiques n’ont pas été accompagnées par une répartition plus égale du revenu, en raison de la présence d’autres forces compensatrices. Ce constat n’implique par que les politiques éducatives n’ont pas réduit la pauvreté, ni amélioré les salaires et niveaux de vie de millions de personnes avec une meilleure éducation. Au contraire, l’éradication de l’analphabétisme est une condition nécessaire pour assurer l’accès à des niveaux plus élevés d’éducation pour tous les gens et une meilleure éducation est cruciale pour accroître les gains salariaux de chaque travail et éviter les effets du progrès technique biaisé en défaveur du travail non qualité et la mondialisation sur les inégalités de revenu. »

Amparo Castelló-Climent et Rafael Doménech (2014), « Human capital and income inequality: Some facts and some puzzles », BBVA, research working paper, n° 12/ 28, mars. Traduit par Martin Anota.



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