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mercredi 9 octobre 2013

Pourquoi la croissance des BRICS ralentit-elle ?

BRICS_emergents_ralentissement_croissance.jpg

« Pendant un certain temps, la croissance mondiale a été stimulée par les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud. Or, depuis quelques années, ils s’essoufflent, ce qui soulève certaines questions fondamentales. Pourquoi le ralentissement est-il simultané? Est-il seulement cyclique ou bien structurel, ce qui aurait de plus grandes conséquences pour l’économie mondiale? (…)

Les Perspectives de l’économie mondiale (PEM) prévoient que la croissance en Afrique du sud, en Chine, en Russie et en Inde sera inférieure de 1½ à 4¼ points en 2013 par rapport à 20111. L’économie brésilienne n’a connu pendant cette période qu’un ralentissement marginal, mais c’est seulement parce que le taux de croissance a diminué de près de 5 points en 2011.

GRAPHIQUE 1 Croissance réelle du PIB (en pourcentage)

BRICS_croissance_PIB_FMI.png

note : , les zones en gris indiquent les années de ralentissement de la croissance

Cela dit, ces ralentissements sont loin d’être sans précédent, comme le montre le graphique 1. Dans certains BRICS, ils ne sont même pas inhabituels. Au Brésil, le dernier en date est en fait très modéré en comparaison aux ralentissements antérieurs d’une durée de deux ans (intervenus depuis 1980, périodes en gris). En Afrique du sud, il est moindre que les deux tiers des précédents. En Chine aussi, le ralentissement actuel est (jusqu’à présent) moins marqué que les décélérations observées à la fin des années 80 et 90.

C’est peut-être surtout parce que l’ampleur du ralentissement actuel était imprévu qu’il attire tant l’attention. Bien sûr, les BRICS étaient voués à décélérer et à retrouver des taux de croissance plus modérés après le rebond qui a suivi la crise financière mondiale, mais les taux de croissance ont baissé bien plus qu’on ne s’y attendait. Si l’on compare les prévisions de croissance des PEM pour 2013 faites à l’automne 2011 et à l’automne 2013, la réduction est de 1½ à 2½ points pour le Brésil, la Chine, la Russie et l’Afrique du sud et de l’ordre de 4½ pour l’Inde. Cela signifie-il que la croissance potentielle a diminué ?

Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut clarifier le concept de croissance potentielle. Si l’on se réfère à Okun (1962), la production potentielle correspond à la production réelle compatible avec une inflation stable; son taux de croissance est donc la croissance potentielle. (…) La définition d’Okun a une dimension économique parce qu’elle rapproche «l’écart de production» (la différence entre production potentielle et effective) du comportement de l’inflation. Quand l’économie a une marge d’expansion (écart de production négatif), l’inflation tend à fléchir, alors que s’il y a peu de capacités inemployées (écart de production positif) elle tend à s’accélérer. Cette corrélation, comparable à la courbe de Phillips, est une composante essentielle de la technique de modélisation employée ici pour estimer la production potentielle. Pour simplifier, si la croissance ralentit, mais pas l’inflation, cela laisse penser que la croissance potentielle a diminué.

GRAPHIQUE 2 Composition des variations de la croissance 2011–2013 (en points de pourcentage)

BRICS_croissance_moyenne_previsions_FMI_2013.png

Le tableau indique les estimations faites (…) et le graphique 2 les représente. (…) Contrairement à une opinion répandue, l’affaiblissement des facteurs cycliques joue un rôle important; il explique l’essentiel de la décélération en Russie et en Afrique du sud ainsi qu’à peu près la moitié en Inde et en Chine. Le rôle de la dissipation des facteurs cycliques apparaît aussi dans les estimations de l’écart de production.

Bien que la croissance des BRICS se soit déjà modérée en 2011 par rapport au rebond de 2010, la production était encore estimée supérieure de près de 1 % au potentiel au Brésil, en Chine et en Inde. Elle n’y était estimée inférieure qu’en Russie et en Afrique du sud, comme depuis le début de la récession mondiale en 2009. En 2013, au contraire, on juge l’écart de production négatif dans tous les BRICS. Il est le plus marqué au Brésil et en Inde (de 1 % à 2 % du potentiel) et le moins accusé en Chine, en Russie et en Afrique du sud (à peu près ½ % du potentiel).

GRAPHIQUE 3 Croissance des exportations mondiales et taux d’intérêt réel américain ex ante (en pourcentage)

BRICS_taux_d__interet_exportations.png

Comment expliquer que le ralentissement cyclique ait été simultané et brutal dans ces pays ? Des facteurs communs ont très probablement joué (cf. graphiques 3 et 4). À la suite de la crise financière mondiale, les autorités de ces pays ont mis en œuvre une relance monétaire et budgétaire d’amplitude exceptionnelle, notamment en Chine, mais aussi dans les autres BRICS. Au même moment — en partie du fait de cette relance — l’économie mondiale a commencé à se redresser, donnant une impulsion supplémentaire; les exportations sont reparties vigoureusement, les taux d’intérêt ont baissé et les prix des produits de base ont augmenté au bénéfice de la Russie (énergie), du Brésil et de l’Afrique du sud (produits de base hors combustibles). Mais, à partir de 2011, ces facteurs ont commencé à se dissiper : les effets de la relance se sont amenuisés, la demande mondiale d’exportations s’est ralentie et les prix des produits de base se sont détendus. Parallèlement à la disparition graduelle des facteurs cycliques, la croissance potentielle a commencé à fléchir. La réduction est de l’ordre d’¼ à ½ point pour l’Afrique du sud, la Russie et le Brésil ainsi que d’à peu près de 1 à 1½ point en Chine et en Inde. Pour ces deux derniers pays, il s’agit d’une inflexion significative. (…)

GRAPHIQUE 4 Prix des produits de base (indice, 2010 = 100)

BRICS_prix_matieres_premieres_FMI.png

La baisse de la croissance potentielle indique l’existence de sérieux obstacles structurels. Ainsi, le potentiel de l’Inde est limité par divers éléments : goulets d’étranglement sur l’offre imputables au cadre réglementaire régissant les activités minières, l’énergie, les télécommunications et d’autres secteurs; ralentissement consécutif de l’obtention de permis et de l’autorisation de projets; excès d’endettement dans les bilans des entreprises.

Néanmoins, il faut remettre en perspective le recul de la croissance potentielle. Il n’implique pas une diminution permanente du taux de croissance à long terme, à l’état stationnaire. En effet, la croissance potentielle varie sans cesse du fait de l’évolution à court terme de l’offre. Pour savoir si le récent ralentissement de la croissance est susceptible de durer, il faut donc intégrer des informations extérieures au modèle. Les prévisions à cinq ans des PEM donnent ce type d’éclairage. Pour l’Afrique du sud, le Brésil et l’Inde, elles font état d’une croissance à peu près égale (ou supérieure) à la moyenne des 15 dernières années (cf. tableau). Il y a néanmoins deux exceptions, la Chine et la Russie, où la croissance prévue est sensiblement inférieure.

TABLEAU Prévision de croissance à cinq ans et croissance moyenne de 1998 à 2013 dans les BRICS (en points de pourcentage)

BRICS_croissance_potentielle_conjoncturelle_FMI_2013.png

Pourquoi anticipe-t-on une baisse des taux de croissance à long terme de la Chine et de la Russie? Dans les deux cas, c’est surtout parce que leur modèle actuel de développement touche à sa fin. La Chine a misé jusqu’à présent sur une croissance extensive, l’État favorisant l’accumulation de capital et le transfert de main-d’œuvre des campagnes vers les industries situées en milieu urbain5. Mais le taux d’investissement extrêmement élevé (près de 50 % du PIB) a eu pour conséquence des capacités excédentaires et des rendements décroissants. Parallèlement, du fait de l’évolution démographique, la population active va commencer à diminuer après 2014 et l’excédent de main-d’œuvre disparaîtra vers 2020. En outre, la hausse de la productivité totale des facteurs se ralentira probablement au fur et à mesure que la Chine se rapprochera des pays à revenu élevé. Dans ces conditions, en l’absence de réformes fondamentales pour rééquilibrer l’économie vers la consommation et stimuler les gains de productivité par la déréglementation, la croissance devrait beaucoup ralentir.

La situation est similaire en Russie. Depuis un certain temps, l’expansion est freinée par l’insuffisance des infrastructures physiques — notamment dans les réseaux de transport et d’électricité — par une trop grande dépendance aux produits de base et par un cadre des activités d’affaires peu porteur. L’économie est néanmoins parvenue à se développer grâce à la hausse des prix du pétrole et à l’utilisation de capacités inemployées. Mais ce modèle semble maintenant à bout de souffle et la croissance va aussi être pénalisée par les facteurs démographiques.

Nous pouvons répondre maintenant à la question posée au départ : le ralentissement de la croissance est-il structurel ou cyclique? Il semble pouvoir être largement imputé à la disparition progressive de facteurs cycliques positifs. La croissance potentielle a aussi diminué. Mais on ne prévoit la persistance d’une croissance ralentie qu’en Chine et en Russie. »

FMI, « Comment expliquer le ralentissement des BRICS ? », in Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2013.


aller plus loin... lire « L'épuisement du modèle de croissance chinois »

mercredi 2 janvier 2013

Eviter la trappe à revenu intermédiaire

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« Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays ont réussi à atteindre rapidement un statut de revenu intermédiaire, mais peu ont réussi à devenir une économie à revenu élevé. Après une période initiale d’ascension rapide, de nombreux pays ont connu un ralentissement marqué de la croissance et de la productivité, tombant dans ce qu'on a appelé une "trappe à revenu intermédiaire" (middle-income trap). La Banque mondiale (2012) estime que, des 101 économies à revenu intermédiaire que l’on pouvait dénombrer en 1960, seulement 13 étaient des économies à revenu élevé en 2008. Ces pays sont l’Espagne, la Guinée équatoriale, la Grèce, Hong Kong, l’Irlande, Israël, le Japon, l’île Maurice, le Portugal, le Porto Rico, la République de Corée, Singapour, Taiwan.

L’analyse empirique du ralentissement de la croissance et des trappes à revenu intermédiaire a suggéré que, pour des revenus par habitant d'environ US $ 16.700 (prix internationaux 2005 constants), le taux de croissance du PIB par habitant ralentit généralement de 5,6 à 2,1 %. (…) Une analyse récente réalisée par Eichengreen, Park et Shin (2011) suggère que les ralentissements de la croissance sont essentiellement des ralentissements de la croissance de la productivité, puisque 85 % du ralentissement du taux de croissance de la production peut s'expliquer par un ralentissement du taux de croissance de la productivité totale des facteurs, soit bien plus que par un ralentissement de l'accumulation de capital physique.

Une explication courante des ralentissements de croissance se fonde sur un processus de développement à la Lewis (Canuto, 2011 ; Eichengreen, Park et Shin, 2011 ; Banque mondiale, 2012). Le déplacement de la main-d'œuvre des secteurs à faible productivité (par exemple l'agriculture) vers les secteurs à forte productivité (par exemple l'industrie et les services modernes) offre une hausse massive, mais temporaire, du revenu par habitant. Dans cette phase initiale de développement, le déplacement est amorcé par l'application de technologies importées dans les secteurs produisant des produits à faible coût intensifs en travail. Une fois que ces pays atteignent des niveaux de revenus intermédiaires, le bassin de travailleurs ruraux sous-employés se tarit et les salaires commencent à augmenter, ce qui érode la compétitivité.

La croissance de la productivité depuis le redéploiement sectoriel et le rattrapage technologique est finalement épuisée, tandis que la hausse des salaires rend les exportations intensives en main-d'œuvre moins compétitives sur les marchés mondiaux, précisément au moment où d'autres pays à faible revenu s'engagent dans une phase de croissance rapide. Par conséquent, les ralentissements de croissance coïncident avec le point du processus de croissance où il n'est plus possible de stimuler la productivité en transférant des employés de l'agriculture vers l'industrie et où les gains provenant de l'importation de technologies étrangères diminuent de manière significative.

Nous présentons une caractérisation alternative de la trappe des pays à revenu intermédiaire (Agénor et Canuto, 2012). Notre approche est en accord avec l'idée selon laquelle les ralentissements de productivité sont une cause majeure de trappes à revenu intermédiaire, mais s’écarte de la littérature existante lorsqu’elle en fournit une explication et indique ce que les politiques publiques peuvent faire à ce sujet. En particulier, plusieurs facteurs peuvent affecter la croissance de la productivité, y compris les décisions individuelles d'acquérir des compétences, l'accès aux différents types d'infrastructures publiques et les externalités de réseaux de connaissances (définies comme la possibilité qu'une part plus élevée de travailleurs fortement éduqués ait un impact positif sur la performance, c’est-à-dire la capacité à tirer parti des connaissances existantes, de tous les travailleurs engagés dans des activités innovatrices).

Par extension, il y a un certain nombre de politiques publiques que les pays en développement peuvent mettre en œuvre pour éviter ou échapper aux trappes de croissance à revenu intermédiaire. Ces mesures comprennent le développement des infrastructures de pointe sous la forme de réseaux de communication à haut débit, une meilleure application des droits de propriété par la protection des brevets et la réforme des marchés du travail afin d'assurer que les rigidités n'empêchent pas le licenciement et l’embauche d’être efficaces. Fondamentalement, ces politiques attirent davantage de travailleurs qualifiés dans le secteur du design, améliorent la productivité et les salaires dans ce secteur, et augmentent la capacité d'un pays à innover.

Il est possible d’échapper à une trappe du revenu intermédiaire en augmentant suffisamment l'investissement dans l'infrastructure de pointe, en particulier dans les réseaux de communication à haut débit. La disponibilité d’infrastructures d’informations et de communication de bonne qualité joue un rôle important pour stimuler l'innovation, à la fois en facilitant la circulation à moindre coût des flux immatériels de connaissances entre des pays et en leur sein, ainsi qu’en réduisant les coûts de transaction du commerce international et de l’investissement étranger. Ainsi, améliorer l'accès aux infrastructures de pointe stimule la productivité et les salaires dans le secteur du design, qui attire alors plus de main-d’œuvre et déclenche un déplacement de l'offre de travail, amplifiant (du moins temporairement) l'avantage associé à l'exploitation du stock existant d'idées.

Pour inciter les individus et les entreprises à s'engager dans des activités d'innovation et de design, le respect des brevets est essentiel, mais cela fait souvent défaut dans les pays en développement. Un système qui s’avère dysfonctionnel dans l’administration des brevets et dans l’application des droits de propriété peut générer une perte sèche pour l'économie et accroît les risques que celle-ci tombe dans une trappe à revenu intermédiaire. A l'inverse, une meilleure application des droits de propriété stimule l'innovation et se traduit par des salaires plus élevés dans le secteur du design, ce qui attire alors des travailleurs à qualification élevée dans ce secteur. Par conséquent, il est plus probable que les externalités de réseau de connaissances que nous avons précédemment mentionnées s’exerceraient et placeraient l'économie sur le sentier d'une croissance plus élevée de la productivité et de la production.

En exacerbant la mauvaise allocation des talents, les distorsions du marché du travail accroissent la probabilité que l'économie se retrouve dans un équilibre à faible croissance. Certains types de restrictions sur le marché du travail, en particulier celles portant sur les coûts de licenciement, peuvent être particulièrement préjudiciable aux activités de conception ou d'innovation. En effet, dans de telles activités, il est souvent plus difficile d'observer la productivité d'un travailleur avant l'embauche, contrairement aux tâches de routine dans l’activité manufacturière, où votre capacité à observer, à la fois ex ante et ex post, est moins coûteuse. Ainsi, le risque d’engager un travailleur qui se révèle finalement être mauvais est plus élevé dans les activités où un diplôme universitaire ne fournit pas un signal suffisamment fiable sur la future performance. Dans de telles conditions, la distorsion du marché du travail désincite à poursuivre des études supérieures, avec des conséquences néfastes pour l'innovation et la croissance.

Comme nous l’avons précédemment mentionné, seuls 13 pays ont su achever leur transition vers un statut d’économie à haut revenu depuis les années soixante. Parmi ces pays, cinq étaient situés en Asie orientale (en l’occurrence la Corée, Hong Kong, le Japon, Singapour et Taïwan) dont quatre constituent les soi-disant "tigres asiatiques". Au vu de leur succès, nous allons réfléchir sur leur expérience afin d'en tirer des enseignements pour les autres pays à revenu intermédiaire qui cherchent à passer au statut d’économie à revenu élevé. La plupart des politiques publiques évoquées ci-dessus, aussi bien qu'un plus large cadre pour l'innovation basée sur l'apprentissage technologique et l'appui du secteur public des investissements en recherche-développement, peuvent être extrapolée à partir du succès des pays asiatiques.

Des économies est-asiatiques qui ont réussi à échapper à la trappe des revenus intermédiaires, toutes ont réussi à développer une infrastructure de pointe, en particulier sous la forme de réseaux de communication à haut débit et technologie à large bande. Pour un certain nombre de pays, l'évolution de ces services a été favorisée par la libéralisation des marchés des télécommunications et les réformes du cadre réglementaire (Gill et Kharas, 2007).

Le succès des économies asiatiques qui ont su faire la transition vers le statut de pays à haut revenu était fondé sur leur capacité à repousser la frontière technologique et de passer de l'imitation et importation de technologies étrangères à la conception de technologies innovantes qui leur sont propres. Une forte protection des droits de propriété intellectuelle a été un facteur majeur dans la facilitation de cette innovation domestique. Selon les bases de données Doing Business de la Banque mondiale, les droits de propriété intellectuelle dans les pays tels que la Corée, Hong Kong, Singapour et Taiwan rivalisent avec ceux en place au Japon, aux États-Unis et dans d'autres pays à revenu élevé. En tant que résultat d'un système performant de protection des droits de propriété intellectuelle, de nombreux pays de la région sont également devenus des leaders mondiaux en matière de brevetage de leurs propres technologies.

Les politiques de flexibilisation des marchés du travail et d’ouverture de l’économie ont permis une réallocation intersectorielle du travail dans les économies les plus prospères de la région. Les pays de la région ont largement compté sur le commerce international afin d'accélérer leur transfert du travail en s'insérant dans les segments à forte intensité de main-d'œuvre des chaînes de valeur mondiales. Un tel transfert a été facilité par les progrès des technologies d'information et de communication, par la diminution des coûts de transport et par la réduction des obstacles au commerce international (Canuto, 2011). Cette flexibilité du marché du travail a facilité une nouvelle transition de la main-d'œuvre qui est de plus en plus orientée vers des professions innovatrices.

La trappe à revenu moyen est évitable si les gouvernements agissent au plus tôt (et non lorsque les bénéfices d’une main-d’œuvre pas chère et les gains provenant de l'imitation des technologies étrangères sont tous épuisés) et de façon décisive pour promouvoir l'innovation. Cela nécessite une mise en œuvre rapide de politiques publiques visant à améliorer l'accès à l'infrastructure avancées, à améliorer la protection des droits de propriété et réformer les marchés du travail. Comme l'expérience asiatique l’illustre, de telles politiques sont cruciales pour favoriser l'apprentissage technologique, attirer des individus talentueux vers les activités de recherche-développement et encourager la constitution de réseaux de connaissances nationaux et internationaux. »

Pierre-Richard Agénor, Otaviano Canuto et Michael Jelenic, « Avoiding middle-income growth traps », in VoxEU.org, 21 décembre 2012

dimanche 23 décembre 2012

La plus grande résilience des pays émergents

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« De nombreux pays émergents et en développement ont réalisé de bonnes performances économiques au cours de la dernière décennie et lors de la crise mondiale. Entre 2003 et 2007, la croissance s'est accélérée dans ces pays, alors qu’elle restait faible dans les économies avancées, ce qui a amené plusieurs économistes à se demander s’il n’y avait pas eu un « découplage » entre, d’une part, les pays émergents et en développement et, d’autre part, les économies avancées. Ce débat a été temporairement écarté lorsque la crise mondiale éclata et que les pays émergents et en développement furent durement touchés par la crise qui avait tout d’abord touché les Etats-Unis et l’Europe. En fait, plus de la moitié des pays émergents et en développement connurent une décroissance en 2009. Mais ils ont rapidement rebondi et beaucoup d'entre eux ont connu en 2010 et en 2011 des taux de croissances similaires ou supérieurs à ceux observés avant la crise. (…) La croissance des économies émergentes et en développement représente aujourd'hui la quasi-totalité de la croissance mondiale.

La question que se posent les responsables politiques est si cette performance va durer. (…) Les optimistes mettent en avant la meilleure conduite des politiques économiques et l’ample marge de manœuvre (…) que celle-ci a permis de dégager. Ces économies sont également devenues plus diversifiées sur de nombreux plans (leur structure économique, le profil de leurs échanges commerciaux et la composition de leurs flux de capitaux). D’un autre côté, la croissance récente dans certaines économies émergentes et en développement a été alimentée par les afflux de capitaux, la forte croissance du crédit et, dans le cas des exportateurs de matières premières, par les prix élevés des matières premières. Ces facteurs sont susceptibles de se retourner, ce qui suggère que les perspectives de ces économies peuvent ne pas être robustes (…). En outre, une partie de la marge de manœuvre qu’elles ont construite au cours de la dernière décennie a été utilisée au cours de la crise mondiale et n'a pas encore été complètement reconstituée. Et il y a maintenant des signes que la croissance ralentit dans certaines économies émergentes et en développement. (…)

Notre étude confirment confirme que les économies émergentes et en développement sont maintenant plus résistantes qu’elles ne l’étaient dans les précédentes décennies. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Leur performance était déjà nettement meilleure dans les années quatre-vingt-dix qu’elle ne l’était durant les deux précédentes décennies, même avec les sévères ralentissements de la croissance entraînées par les crises tequila, asiatique et russe. Mais la dernière décennie a vraiment été exceptionnelle. Pour la première fois, les économies émergentes et en développement ont fait mieux que les économies avancées en termes de durée d’expansion.

(…) Ces gains ne sont pas temporaires. Ces économies se portent mieux aujourd'hui, d’une part, parce que les chocs sont moins fréquents et, d’autre part, parce qu’elles ont amélioré leurs politiques économiques. Les deux dernières années (2010 et 2011) étaient encore meilleures que la période 2000-2007 en termes de durée moyenne prévue des expansions (…), en particulier pour les chocs extérieurs. (…) Les taux d'intérêt mondiaux étaient bas, ce qui soutint la croissance mondiale et les conditions de crédit, mais aussi alimenta les flux de capitaux à destination des économies émergentes et en développement. Et l'incertitude mondiale est demeurée élevée, mais elle fut finalement moindre en 2010-2011 qu’en 2000-2003. Il n’y a également eu aucune crise bancaire dans les économies émergentes et en développement au cours des deux dernières années (…). Bien que les soldes budgétaires se soient réduits à la suite de la crise mondiale, la dette publique médiane est passée d'environ 45 % du PIB au cours de la période 2000-2007 à environ 35 % PIB sur la période 2010-2011 et une plus grande proportion de ces économies a maintenant une faible inflation et une faible dette publique. Dans leur ensemble, ces facteurs ont accru la durée moyenne attendue des expansions.

(…) Le calme relatif de ces deux dernières années pourrait bien n'être que temporaire. Il y a un risque important que les économies avancées connaissent un autre ralentissement de la croissance, comme les persistantes tensions souveraines et bancaires en Europe et la soi-disant falaise budgétaire aux États-Unis menacent de freiner la croissance. Il pourrait y avoir une dégradation des termes de l’échange pour les économies émergentes et en développement si les prix des matières premières chutent. De nouvelles poussées d’incertitude mondiale sont possibles et de nouvelles sorties des capitaux (sudden stops) sont possibles si l’aversion face au risque s’élève (…). Si conjoncture extérieure se détériore encore, les économies émergentes et en développement finiront probablement par "se recoupler" avec les économies avancées, comme elles le firent au cours de la Grande Récession (…). Pour se prémunir contre un tel scénario, ces économies auront besoin de reconstituer leurs tampons, afin de s'assurer qu’elles aient une marge de manœuvre suffisante pour faire face aux chocs. Si (…) la plus grande flexibilité des taux de change et les politiques macroéconomiques contra-cycliques sont maintenues dans plusieurs de ces économies, cela leur permettrait aussi de mieux absorber d’éventuels chocs. »

Abdul ABIAD, John BLUEDORN, Jaime GUAJARDO & Petia TOPALOVA, « The rising resilience of emerging market and developing economies », FMI, working paper, n° 300, 20 décembre 2012.

lundi 5 novembre 2012

Le défi de la croissance brésilienne

Avenida Paulista

« (…) La croissance économique du Brésil au cours de la dernière décennie doit beaucoup à l'essor des matières premières (…). En 2010, la croissance a atteint le chiffre impressionnant de 7,5 %. Des politiques budgétaire et monétaire très expansionnistes ont permis à l'économie de très rapidement surmonter la crise financière mondiale. Aujourd'hui, des politiques similaires sont à nouveau déployées. La croissance du PIB s’est accélérée au second trimestre de l'année 2012 et elle devrait atteindre plus de 4 % en 2013. Mais le Brésil peut-il aller au-delà de ces cycles de stop-and-go et assurer une croissance stable ?

Une contrainte évidente est l'insuffisant investissement dans le capital physique, comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont utilisé les aéroports et les routes du Brésil. L’économie brésilienne veut rivaliser avec des géants asiatiques comme la Chine et l'Inde, mais son taux d'investissement, qui atteint péniblement 19 % du PIB, est loin des taux asiatiques. Et, même à un faible niveau d'investissement, le déficit du compte courant du Brésil est supérieur à 2 % du PIB, ce qui l’expose à une dramatique pénurie d’épargne domestique. Etant donné que la nouvelle classe moyenne du Brésil se consacre à l’acquisition de biens de consommation conformes à son statut, l’épargne additionnelle ne peut venir que du secteur public. (…)

Le Brésil a engendré quelques compagnies de classe mondiale (par exemple l’industriel aéronautique Embraer), mais la plupart de ses secteurs industriels restent focalisés sur le seul marché intérieur et ne sont pas compétitifs internationalement. Le niveau élevé des coûts de production, en particulier dans l'énergie, sont un obstacle majeur. (…) A long terme, le Brésil devra investir davantage dans la production énergétique - et ces investissements, comme tous les gouvernements de l'Amérique latine le savent, sont de plus en plus controversés pour des raisons politiques et environnementales.

Une autre question clé est celle du taux de change. Au cours de la dernière décennie, le Brésil a laissé sa monnaie flotter, puis il a discrètement abandonné cette politique pour adopter de facto un régime semi-fixe, ce qui permet à la monnaie de se déplacer dans une bande étroite autour de deux réals brésiliens pour un dollar américain. Dans le passé, les coûts financiers d’intervention sur le marché des changes étaient très élevés, donc les épisodes de régime fixe étaient de courte durée. Cette fois-ci, le coût d'intervention a été limité en raison de l'incertitude en Europe, mais aussi en raison du contrôle des capitaux et des faibles taux d'intérêt au Brésil. Toutefois, cet équilibre délicat pourrait être menacé par un nouvel afflux de liquidité mondiale, peut-être tiré par les politiques d’assouplissement quantitatif menées par la Réserve fédérale américaine.

Le gouvernement de Rousseff a également mis en œuvre des mesures incitatives (subventions, crédit dirigé et même de nouvelles taxes sur les importations) visant à développer certains secteurs. Les enthousiastes décrivent cela comme une nouvelle marque de politique industrielle moderne qui peut pousser le Brésil au-delà de son rôle traditionnel d'exportateur de matières premières. Les critiques disent qu’il s’agit d’un effort malavisé qui ne générera que davantage de distorsions et retardera la croissance. Selon moi, (…) les marchés de l'innovation et des nouvelles idées fonctionnent mal et les gouvernements peuvent aider à remédier aux défaillances de marché. (…) Les pays doivent créer des institutions pour assurer que le soutien est donné (et retiré) seulement selon des critères reposant sur la productivité attendue, et non comme un moyen de récompenser les amis ou alliés politiques. »

Andrés Velasco, « El desafío del crecimiento en Brasil », in Project Syndicate, 30 octobre 2012.

vendredi 2 novembre 2012

La tertiarisation des émergents asiatiques

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« La crise en zone euro a dominé la discussion entre les responsables politiques au cours des dernières années, mais le ralentissement économique dans les deux géants asiatiques, en l’occurrence en République populaire de Chine et en Inde, est devenue également une source de préoccupation croissante. (…) Après des années de croissance du PIB à deux chiffres, l'économie chinoise est en pleine décélération. (…) La croissance ralentira à 7,7% cette année, contre 9,3% en 2011. La population chinoise vieillit, les salaires réels sont en hausse et la croissance se modère vers des taux plus durables. L'Inde aussi a un énorme potentiel de croissance rapide et de dividende démographique, mais elle a été aux prises avec les réformes structurelles. (…) L'expansion de l'économie indienne va ralentir à 5,6% en 2012, contre 6,5% l'an dernier.

La faiblesse de la demande extérieure est en partie responsable du ralentissement de la croissance, mais les facteurs domestiques (à savoir le ralentissement de l’investissement et la stagnation de la consommation) contraignent également l’expansion économique. Maintenir la croissance malgré le ralentissement mondial est une tâche ardue et celle-ci exige de repenser l'avenir de "l'usine Asie". L’essor de l'Asie s'explique en grande partie par les liens interrégionaux de l’activité manufacturière : les biens et composants intermédiaires provenaient de l'intérieur de l'Asie pour être assemblés en des produits finals exportés vers les économies avancées. Mais avec le resserrement du budget autour du monde, la demande pour les exportations asiatiques devrait continuer à faiblir. Où l’Asie devrait-elle alors chercher une autre source de croissance ?

Le développement du secteur des services (par exemple, le traitement des affaires, le tourisme et les soins de santé) pourrait jouer un rôle crucial dans la croissance future de la région. Le secteur asiatique des services est déjà important, en contribuant dès à présent de manière significative à la croissance économique et à l'emploi. Les services ont représenté près de la moitié du PIB de l'Asie en développement en 2010, les deux tiers de la croissance indienne de 2000 à 2010 et, sur la même période, 43% de la croissance d’une Chine pourtant orientée vers l’industrie manufacturière. En outre, les travailleurs du secteur des services représentent plus du tiers de l'emploi total dans l'Asie en développement. Si ces pays suivent le même chemin que parcoururent autrefois les économies avancées, la domination de l'agriculture va laisser la place à l'industrie, qui à son tour sera supplantée par les services, ce qui élargira encore davantage leur rôle. Il y a certainement une marge de manœuvre pour la croissance : la part de l'industrie dans la production de l’Asie en développement a dépassé la moyenne de l'OCDE en 2010 (41% contre 24%), mais la part des services accuse toujours un profond retard (48% contre 75%). »

Changyong Rhee, « Asia’s stifled services », in Project Syndicate, jeudi 1er novembre 2012.