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« Je vais axer mon propos sur la situation des Etats-Unis après la crise, même si l’analyse s’applique à l’échelle internationale. Un excellent document publié par Oscar Jorda, Morris Schularick et Alan Taylor, analyse les récessions de 14 pays développés entre 1870 et 2008, en les classant en deux catégories : récessions financières et récessions normales. Les auteurs ont analysé les variations d’intensité de la reprise du PIB, en fonction du ratio de l’encours de crédit sur le PIB durant la période de prospérité précédant la crise. Et leur hypothèse est nettement confirmée : non seulement les récessions financières sont plus profondes et suivies d’une reprise plus lente que les récessions normales, mais la reprise est d’autant plus lente que le ratio encours de crédits / PIB est élevé.

(…) Si l’on juge que les produits financiers dérivés entraînent une escalade de prise de risque, on pourrait s’attendre à ce qu’ils précipitent la crise. Selon l’interprétation traditionnelle de la crise de 2007-2008 aux Etats-Unis, les produits dérivés ont intensifié les prises de risques (…). D’après les dires, ils ont entraîné une spirale à la hausse des évaluations des créances hypothécaires, car ils étaient concoctés dans la « Central Valley » dans les conditions les plus douteuses, mais transformés ensuite en bouquets fort bien notés, A et plus. Dans un tel contexte, la spéculation n’avait aucun effet sur les notations. Les émetteurs de créances hypothécaires n’étaient donc pas incités à exiger des emprunteurs un acompte ou une crédibilité quelconque, et pour la plupart, ne l’ont jamais fait. En créant et en notant les produits dérivés, les sociétés d’investissement et les agences de notation minaient leur réputation de fiduciaires. (…)

A partir de l’automne 2008 (…), c’est à la Grande Dépression que l’on comparait la situation en l’absence de toute intervention de l’Etat. Vue sous cet angle, la politique macroéconomique a non seulement été bonne mais tout à fait appropriée (…).

Les mesures prises ont pratiquement toutes obéi aux prescriptions du praticien, notamment:

  • la loi de relance économique de 2008

  • le sauvetage d’AIG

  • les plans de secours de Washington Mutual, Wachovia et CountryWide

  • le programme de rachat des actifs dévalorisés (TARP)

  • les tests de résistance menés par le Trésor et la Réserve Fédérale

  • les baisses de taux d’intérêt à près de zéro

  • la loi de 2009 pour la reprise et le réinvestissement

  • le sauvetage de l’industrie automobile

  • la coopération internationale dans l’esprit du sommet du G20 de Pittsburgh où le FMI a joué un rôle de premier plan.

(…) Un zeste de bon sens permet de comprendre les raisons pour lesquelles les mesures prises ont si bien réussi. Si Lehman Brothers avait eu un dollar de déficit (et il lui suffisait un dollar de gain pour éviter la faillite), le simple débours de deux dollars au bon moment de la crise, aurait pu nous sauver d’une Grande Dépression. À l’image du doigt qui a permis de boucher le trou dans la digue, deux dollars auraient suffi.

Bien sûr, les dépenses engagées pour le sauvetage ont dépassé les deux dollars, et iront sans doute se chiffrer jusqu’à plusieurs milliards, mais elles ont littéralement stoppé la catastrophe financière qui avançait à grands pas. Par rapport à la perte de dizaines de milliers de milliards de dollars de PIB si la Grande Dépression s’était répétée, les économies réalisées par le programme de rachat des actifs dévalorisés (TARP) sont d’un ordre de grandeur de 1.000 pour un. Au vu de ce ratio, toutes proportions gardées, les montants injectés pourraient être considérés comme le doigt qui a permis de boucher le trou dans la digue.

Les dépenses des gouvernements Bush et Obama pour la relance budgétaire ont eu un moindre rendement mais elles ont sans aucun doute été efficaces. D’après les estimations actuelles, les multiplicateurs de dépenses publiques sont de l’ordre de 2. Là encore, intuitivement, il y a une logique. Les estimations d’un multiplicateur budgétaire en équilibre au regard de la trappe de liquidités se situent environ à 1, tant en théorie qu’en approximation; et le multiplicateur fiscal s’établit systématiquement solidement autour de 1; et les multiplicateurs de dépenses publiques sont la somme des deux. Les mesures de relance économique ont donc aussi, selon toute vraisemblance, été payantes.

Pour résumer, en tant qu’économistes, nous n’avons vraiment pas su prévoir la crise, mais les politiques économiques adoptées depuis ont été proches des meilleures prescriptions de tout bon praticien de l’économie. (…) De bonnes mesures économiques associées au bon sens ont fait leurs preuves, tel est l’enseignement à tirer pour l’avenir : nous avons tâtonné et réussi. Ne l’oublions pas pour nos politiques futures. »

George A. Akerlof, « Le chat perché et autres considérations: repenser la politique macroéconomique ». Traduction française du billet, « The cat in the tree and further observations: Rethinking macroeconomic policy », publié sur IMFdirect (blog), 1er mai 2013.