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Tag - Allemagne

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lundi 29 mai 2017

Trump n'a pas tort à propos de l’Allemagne (mais pour de mauvaises raisons)

« Les lecteurs de ce blog savent que je partage avec Trump la croyance que l’Allemagne nuit à l’économie mondiale. (D’accord, ce n’est pas l’Allemagne en soi qui est nuisible, mais son commerce extérieur.) Pourtant, je pense qu’il est utile de souligner quelque chose de trivial qu’on ne rappelle pas suffisamment. Trump a raison à propos de l’Allemagne, mais pour de mauvaises raisons. Le problème n’est pas le nombre de voitures allemandes qui circulent aux Etats-Unis, mais le nombre de voitures américaines qui ne circulent pas en Allemagne.

Le solde commercial est une soustraction, exportations moins importations. Donc, il peut être faible lorsqu’un pays ne commerce pas beaucoup (de faibles exportations sont de même taille que de faibles importations), mais aussi lorsque le pays échange beaucoup (de larges exportations sont similaires en termes de taille avec de larges importations, la différence étant faible). La taille du solde extérieur a tout à voir avec la taille relative des importations et des exportations et très peu à voir avec l’ouverture de l’économie.

Trivial, n’est-ce pas ? Et pourtant, Trump et beaucoup (trop) de commentateurs oublient cela lorsqu’ils affirment que nous devons cesser de voir autant de voitures allemandes circuler aux Etats-Unis. Le protectionnisme est juste l’une des solutions possibles qui sont susceptibles d’élargir les déséquilibres mondiaux. Comme il ne répond pas directement à l’excès d’épargne (ou à l’excès de demande) dans les pays en déséquilibre, son efficacité peut être mise en question (et le jury reste divisé sur la question). Notamment parce que le protectionnisme est une déclaration de guerre et qu’il est susceptible d’entraîner une course vers l’abîme.

Une manière plus directe et certainement plus efficace de réduire les déséquilibres est de réduire l’excès de demande domestique (par rapport au PIB) dans les pays déficitaires et réciproquement, de réduire le manque de demande domestique par rapport au PIB dans les pays excédentaires. C’est là où les voitures américaines en Allemagne aideraient. Je ne pense pas que je dise quelque chose de nouveau ici…

Je connais la réponse à cela. "Comment pouvez-vous forcer l’Allemagne à rééquilibrer son économie et à dépenser plus ?" "Cela n’arrivera jamais." "L’Allemagne ne se préoccupe que de ses seuls intérêts." J’ai déjà entendu tout cela. Je suis conscient que le problème n’est pas économique, mais politique. Mais les difficultés politiques de cet instant (trop long), et l’obstination des élites allemandes ne rendent pas le protectionnisme moins problématique.

Des normes existent en Europe et elles exigent d’un pays qu’il procède à un rééquilibrage externe s’il les dépasse. Et l’Allemagne ne les respecte plus depuis que la crise a commencé. Il existe un sentier étroit pour construire une "coalition de volontés" entre les pays européens, pour forcer l’Allemagne à s’attaquer à ses déséquilibres. C’est difficile ? Certainement. Peu probable ? Certes. Coûteux ? Probablement. Mais toujours moins que d’embarquer l’économie mondiale dans une guerre commerciale ou de dissoudre l’euro. »

Francesco Saraceno, « Trump is right about Germany, for the wrong reasons », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 26 mai 2017. Traduit par Martin Anota



Le vrai péché des Allemands


« Comme beaucoup de gens l’ont souligné, Trump a pris le pire exemple possible quand il a qualifié l’Allemagne de "mauvaise, très mauvaise". Oui, elle vend beaucoup de voitures aux Etats-Unis ; mais (a) plusieurs de ces voitures sont produites sur le sol américain et (b) l’Allemagne a la réputation de produire de bonnes voitures. Pourquoi un pays n’exporterait-il pas les biens dans lesquels il dispose d’un avantage comparatif ?

Donc, ce fut la critique la plus stupide que l’on puisse faire et elle va dans le sens de l’autosatisfaction allemande. Pourtant les larges excédents commerciaux de l’Allemagne sont un problème, ce qui n’a rien à voir avec la politique commerciale. C’est de la macroéconomie.

Le récit est illustré par le graphique suivant, représentant les coûts du travail unitaires depuis la création de l’euro.

GRAPHIQUE Coûts unitaires du travail (en indices, base 100 en 1999)

Paul_Krugman__Couts_unitaires_du_travail_Allemagne_zone_euro.png

Voici ce qui s’est passé : durant l’ère d’euphorie, lorsque les capitaux allèrent dans les pays d’Europe du sud (que l’on supposait alors comme sûrs), ces économies connurent une inflation modérée, mais pas l’Allemagne, ce qui permit à cette dernière de gagner un gros avantage compétitif, sans avoir pour cela à connaître de déflation. Ensuite, la confiance et les flux de capitaux s’effondrèrent. Ce qu’il fallait alors, c’était une forte reflation allemande : celle-ci aurait permis aux pays d’Europe du sud de regagner en compétitivité sans connaître de déflation et les problèmes de dette que cette dernière générerait.

Mais l’Allemagne n’a pas connu de reflation. Elle a embrassé l’austérité, sans y avoir été contrainte (dans un contexte de taux d’intérêt négatifs !), et elle a freiné la BCE dans ses tentatives de stimuler l’inflation globale de la zone euro. La conséquence est que l’écart de compétitivité qui s’est creusé après 1999 s’est à peine réduit, ce qui s’est traduit par l’apparition de larges excédents en Allemagne et s’est révélé être un frein mortel pour le reste de la zone euro.

Cela n’a que des effets négatifs limités sur les Etats-Unis ; peut-être que les politiques non coopératives de l’Allemagne ont un peu contribué au déficit commercial américain, mais elles ne sont avant tout un problème qu’au sein de la zone euro. Et il n’y a rien de moins opportun pour les Etats-Unis que d’intervenir comme ils l’ont fait. »

Paul Krugman, « Germany’s real sin », in The Conscience of a Liberal (blog), 27 mai 2017. Traduit par Martin Anota



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« L’Allemagne contre la zone euro »

jeudi 2 février 2017

L’Allemagne, l'euro et la manipulation de devise

« Peter Navarro, celui qui apparaît comme ce qui se rapproche le plus d’un gourou économique pour Donald Trump, a fait des vagues ces jours-ci en accusant l’Allemagne de manipuler sa devise et en suggérant que le Deutschemark fantôme et l’euro étaient tous deux sous-évalués. Laissons de côté l’aspect diplomatique d’une telle déclaration ; Navarro a-t-il raison ?

GRAPHIQUE Taux de change réel entre l’Allemagne et l’Espagne

Paul_Krugman__Taux_de_change_reel_entre_l_Allemagne_et_l_Espagne.png

Eh bien, pour partie oui. Malheureusement, il a tort en ce qui concerne la relation entre l’euro et les Etats-Unis.

Oui, l’Allemagne a en effet une devise sous-évaluée relativement à ce que nous aurions eu sans l’euro. Le graphique ci-dessus montre les prix allemands (le déflateur du PIB) relativement aux prix espagnols depuis la création de l’euro. (Je prends le cas de l’Espagne pour représenter les pays périphériques du sud de la zone euro.) Il y a eu une large appréciation réelle durant les bonnes années de l’euro, lorsque l’Espagne connaissait de larges entrées de capitaux et un boom inflationniste. Cela n’a été qu’en partie inversé, malgré une incroyable dépression en Espagne. Pourquoi ? Parce que les salaires sont rigides à la baisse, mais aussi parce que l’Allemagne a refusé de soutenir le type de relance monétaire et budgétaire qui aurait stimulé l’inflation au niveau de l’ensemble de la zone euro, qui reste encore à un niveau trop faible.

Donc, le système européen a maintenu l’Allemagne sous-évaluée, de façon soutenue, vis-à-vis de ses voisins.

Mais est-ce que cela signifie pour autant que l’euro dans son ensemble est sous-évalué vis-à-vis du dollar ? Probablement pas. L’euro est faible parce que les investisseurs ne voient que de faibles opportunités d’investissement en Europe, en grande partie en raison d’une mauvaise démographie, et de meilleures opportunités aux Etats-Unis. Les travers même de l’euro peuvent contribuer à assombrir les perspectives relatives à la zone euro. Mais il n’y a pas de relation claire entre les problèmes qu’entraîne le comportement de l’Allemagne au sein de la zone euro et les questions autour de la relation entre l’euro et d’autres devises.

Mais ce que je me demande, c’est pourquoi une personne aussi proche du gouvernement américain a-t-elle pu dire cela ? Allons-nous faire pression sur la BCE pour qu’elle resserre sa politique monétaire ? Je n’espère pas. Allons-nous appeler à un éclatement de la zone euro ? Parce que cela y ressemble, or ce n’est pas quelque chose que le gouvernement américain devrait faire. Que dirions-nous si les autorités chinoises déclaraient se réjouir d’une crise financière aux Etats-Unis ? (…)

Donc, oui, Navarro n’a pas tort lorsqu’il parle du rôle que joue l’Allemagne au sein de la zone euro. Et s’il n’était pas lié à l’administration Bannon, il serait libre de le faire. Mais dans le contexte actuel, c’est tout à fait irresponsable. »

Paul Krugman, « Germany, the euro, and currency manipulation », in The Conscience of a Liberal (blog), 1er février 2017. Traduit par Martin Anota



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jeudi 1 septembre 2016

L'obsession allemande pour les excédents budgétaires freine la croissance européenne

« (…) Le gouvernement fédéral allemand a généré un excédent budgétaire représentant 1,2 % du PIB durant la première moitié de 2016. Le FMI prévoyait un excédent budgétaire de 0,3 % du PIB (et un déficit public général de 0,1 % du PIB) ; les Allemands se sont surpassés.

Les excédents budgétaires actuels de l’Allemagne contribuent au massif excédent du compte courant allemand et à l’excédent externe large et croissant de la zone euro (l’excédent de la zone euro atteignait 350 milliards d’euros au cours des quatre derniers trimestres pour lesquels les données sont disponibles, c’est-à-dire jusqu’au deuxième trimestre 2016). L’excédent externe exporte effectivement l’insuffisance de la demande européenne au reste du monde et pousse à la baisse les taux d’intérêt mondiaux. (…)

Martin Sandbu l’a très bien expliqué dans les pages du Financial Times : "L’excédent public s’ajoute à l’excédent du secteur privé, ce qui signifie que le pays dans son ensemble consomme bien moins qu’il ne produit, envoyant l’excès à l’étranger en contrepartie de créances de plus en plus importantes vis-à-vis du reste du monde. Les autorités allemandes ont l’habitude d’affirmer que l’énorme excédent commercial du pays résulte des fondamentaux économiques et non de la politique économique, mais tant que l’excédent budgétaire demeure, cette affirmation ne tient pas. Même si l’essentiel de l’excédent externe ne dépend pas de la politique économique, cela serait un argument en faveur pour utiliser le budget public pour le contrer et non pour le renforcer".

Les Allemands tendent à voir cela différemment. Plutôt que de voir les excédents budgétaires comme un frein opportuniste sur la demande globale, ils croient que leur prudence budgétaire leur permet de donner le bon exemple à ses voisins.

Mais ses voisins ont bien plus besoin de la demande allemande pour leurs biens et services qu’elle n’a besoin de l’Allemagne pour leur donner l’exemple en matière de prudence budgétaire. Au vu du risque que les partenaires de l’Allemagne au sein de la zone euro se retrouvent piégés dans la déflation par la dette, il est clair que l’ajustement de la zone euro ne peut réellement réussir que si les prix et salaires allemands s’accroissent plus rapidement que les prix et salaires dans le reste de la zone euro. Le mécanisme alternatif d’ajustement (une chute des prix et salaires dans le reste de la zone euro) ne fonctionnera pas.

Une expansion budgétaire allemande aiderait les autres pays-membres à atteindre leurs propres objectifs budgétaires, en particulier si elle passe par un investissement public qui stimule l’investissement privé et se répercute positivement au reste de la zone euro. Une plus forte demande globale en Allemagne accroîtrait les exportations, stimulant la production et les recettes fiscales. Jetez un coup d’œil à ce document de travail de 2014.

L’excédent budgétaire allemand permet au FMI de facilement recalibrer ses recommandations budgétaires pour la zone euro en 2017. Il semble que l’expansion budgétaire allemande que le FMI projetait initialement pour 2016 n’a pas eu lieu (le FMI s’attendait à une hausse d’un demi-point de pourcentage des dépenses publiques relativement au PIB et à une chute de 20 points de base des recettes relativement au PIB en 2016). Cela permet au FMI d’appeler plus facilement à une expansion budgétaire qui ramènerait l’excédent à zéro en 2017 tout en compensant l’impulsion budgétaire négative susceptible de provenir d’Espagne ou d’un autre pays-membre. Le FMI est toujours réticent à appeler les pays disposant d’un excédent externe à générer des déficits budgétaires, même modestes. Mais il est plus enclin à appeler les pays présentant des excédents externes et des excédents budgétaires à ramener leurs budgets à l’équilibre. »

Brad Setser, « Germany is running a fiscal surplus in 2016 after all », in Follow The Money (blog), 25 août 2016.



« Je désire poursuivre la réflexion de Brad Setser à propos de l’excédent budgétaire allemand.

Voilà ce que je pense : aujourd’hui, nous assistons dans les cercles de l’élite à une prise de conscience, tardive mais toujours bienvenue, que la politique monétaire a vraiment besoin d’être soutenue par une expansion budgétaire. Si cela passe par la monnaie-hélicoptère et que celle-ci améliore la situation des gens, très bien ; dans tous les cas, ce qui importe, c’est la relance combinée budgétaire-monétaire.

Il y a toutefois des obstacles susceptibles d’empêcher la mise en œuvre d’un tel policy mix. Il y a tout d’abord le parti républicain aux Etats-Unis, qui se tient déjà prêt à mettre des barrières à l’administration Clinton. Mais il y aussi le problème allemand : l’obsession allemande pour la rigueur budgétaire et, sur plan, il faut avouer que, lorsque cela concerne la macroéconomie, l’Allemagne semble vivre dans un univers intellectuel bien différent. Et les circonstances font que l’obsession allemande a un bien plus grand impact que ne l’ont habituellement les mauvaises idées.

Pensez à la nature du problème européen. Il est actuellement double, voire triple. Premièrement, la zone euro au niveau agrégé souffre au moins des premières étapes de la stagnation séculaire. Son taux d’inflation est inférieur d’un point de pourcentage à la cible de la BCE, alors même que cette dernière est déjà excessivement faible. Pour sortir de ce problème de faible inflation (lowflation), il faut recourir à une relance budgétaire. Deuxièmement, les prix relatifs et les coûts du travail ne sont toujours pas corrigés en Europe. L’Europe du sud doit toujours procéder à une dévaluation interne, mais celle-ci serait bien plus facile si l’Allemagne connaissait une véritable expansion et une plus forte inflation. Troisièmement, il y a toujours un problème bancaire qui nécessite sûrement de nouvelles injections de fonds publics pour être résolu.

Mais l’Allemagne veut engranger des excédents et elle désire que les autres pays-membres fassent de même. La politique budgétaire restrictive de l’Allemagne contribue directement à la faiblesse de la demande globale en Europe et son aversion vis-à-vis du déficit budgétaire contribue à expliquer pourquoi d’autres pays européens qui ont de faibles coûts d’emprunt poursuivent pourtant leur austérité budgétaire.

En outre, le resserrement budgétaire allemand empêche l’Allemagne de connaître l’expansion économiques et l’inflation qui pourraient faciliter la dévaluation interne dans le sud (cette dernière est la contrepartie de l’expansion et de l’inflation du sud entre 2000 et 2007 qui contribuèrent à sortir l’Allemagne du marasme qu’elle a connu à la fin des années quatre-vingt-dix). Et cela impose une austérité continue dans l’Europe du sud. Finalement, tel que je le comprends, l’Allemagne demande l’implication des créanciers lors des sauvetages bancaires, pour empêcher davantage d’endettement public, ce qui est parfois une bonne idée, mais ne contribue dans le cas présent qu’à perpétuer la crise bancaire.

Donc l’obsession budgétaire de l’Allemagne a une sorte d’effet multiplicateur sur l’Europe, et indirectement sur le monde, qui est disproportionné même par rapport à la taille économique de l’Allemagne. Et cela m’amène à douter que le changement radical dans l’opinion de l’élite auquel nous assistons actuellement permettra vraiment de changer les choses, dans la mesure où le gouvernement qui a le plus besoin de changer ses politiques reste sourd. »

Paul Krugman, « Germany’s drag », in The Conscience of a Liberal (blog), 26 août 2016. Traduit par Martin Anota



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« Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro »

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« Et si l'Allemagne adoptait un plan massif d'investissement public ? »

« Le cœur de la zone euro aiderait-il la périphérie en adoptant un plan de relance ? »

jeudi 7 avril 2016

La croissance de la zone euro est trop dépendante de la demande extérieure

GRAPHIQUE Contributions à la croissance du PIB de la zone euro (en % du total, entre 2012 et 2015)

The_Economist__contributions_a_la_croissance_des_pays-membres_de_la_zone_euro.png

source : The Economist (2016)

lundi 25 janvier 2016

Les exportations allemandes et la zone euro

« J’ai déjà affirmé par le passé que le faible niveau des hausses de salaires allemands avant la crise financière mondiale avait exercé une influence significative et négative sur la zone euro, une influence qui contribua aussi indirectement à ce que l’Allemagne adopte une ligne dure à propos de l’austérité. L’idée fondamentale est que l’Allemagne a gagné un avantage compétitif significatif sur ses voisins de la zone euro, un gain que l’Allemagne se refuse de perdre (en connaissant une inflation supérieure à celle du reste de la zone euro). Ce gain de compétitivité s’est traduit en Allemagne par une forte croissance des exportations et par un large excédent de compte courant. Cette demande additionnelle permit à l’Allemagne de moins souffrir que ses voisins de la seconde récession que la zone euro a connue en raison de ses mauvaises décisions en matière de politiques macroéconomiques. Peter Bofinger a développé un raisonnement tout à fait similaire.

Beaucoup ont rejeté cette idée en affirmant que la croissance vigoureuse des exportations allemandes ne s’explique initialement pas par un quelconque avantage comparatif, mais qu’elle résulte de facteurs autres que ses coûts et prix, notamment d’une forte demande en provenance de la Chine pour le type de biens que l’Allemagne produit. Servaas Storm a notamment synthétisé ces diverses critiques dans un récent billet. L’une des conclusions établies par Storm a elle-même été critiquée par Thorsten Hild et j’estime la réponse de Hild tout à fait correcte (voir aussi la réponse de Storm). Mais la raison pour laquelle les exportations allemandes ont connu initialement une forte croissance demeure imprécise.

Pour déterminer quelle part de la croissance des exportations allemandes s’explique par le gain de compétitivité que l’Allemagne généra, il faut nécessairement réaliser une analyse économétrique (…). Mais ce que je cherche à expliquer ici est que, s’il y a eu un changement permanent dans les exportations allemandes (c’est-à-dire un changement qui n’est pas lié à la compétitivité-coût), alors cela renforce l’argument que j’ai mis en avant. Avant que nous en arrivions là, il est utile de mettre en avant les concepts fondamentaux de macroéconomie que cette question aborde.

Même un pays va tendre vers un certain niveau de compétitivité à long terme. Il y a plusieurs manières de décrire pourquoi c’est le cas : la nécessité d’équilibrer la production et la demande pour les biens produits dans l’économie domestique ou la nécessité d’atteindre un déficit de compte courant qui soit soutenable. Il y a plusieurs raisons expliquant pourquoi ce niveau de compétitivité de long terme peut changer au cours du temps, mais en l’absence d’une histoire plausible expliquant pourquoi ça a été le cas en Allemagne (ou, de façon équivalente, pourquoi un excédent de compte courant s’élevant à 7 % du PIB peut être soutenable), il semble raisonnable de supposer qu’il est resté inchangé.

Donc, si une économie dans une union monétaire, comme l’Allemagne, modère ses salaires de façon à gagner en compétitivité à court terme (et ce court terme peut s’étirer sur toute une décennie), ce gain doit s’inverser à un certain moment dans le futur. De la même manière que la perte de compétitivité dans la périphérie doit s’inverser à un moment ou à un autre en y maintenant une inflation inférieure à celle en vigueur dans le reste de l’union monétaire, l’inflation doit réciproquement être inférieure à la moyenne en Allemagne.

Maintenant, supposez qu’il y ait en fait une hausse permanente de la demande étrangère pour les biens allemands. A long terme, si rien ne change, nous aurions un déséquilibre : la demande pour les biens allemands excèderait l’offre ou, autrement dit, l’excédent de compte courant serait insoutenable. La manière par laquelle l’économie réagit pour se débarrasser de ce déséquilibre passe par une accélération de l’inflation en Allemagne. Non seulement les gains en termes de compétitivité qui ont été obtenus par le passé doivent être inversés, mais la compétitivité doit décliner davantage pour réduire la demande de biens allemands.

Pour ceux qui sont obsédés à l’idée de gagner perpétuellement en compétitivité, cela peut sembler pervers : l’Allemagne est punie de faire des biens que d’autres pays désirent. Mais, bien sûr, ce n’est pas du tout une punition. Un déclin de la compétitivité correspond à la même chose qu’une appréciation du taux de change réel et cela peut améliorer la situation des consommateurs, parce que les biens étrangers deviennent moins chers (dans le jargon, on dit qu’il y a une amélioration des termes de l’échange). C’est le moment pour les Allemagnes d’exporter un peu moins et de commencer à jouir enfin de leurs bénéfices. »

Simon Wren-Lewis, « German exports and the eurozone », in Mainly Macro (blog), 24 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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