Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - Antonio Fatas

Fil des billets

lundi 24 juin 2019

Le libra : ni une caisse d’émission, ni (peut-être) une monnaie stable

« Le libra, la cryptodevise lancée par Facebook (et d’autres membres de l’association Libra) était annoncée hier. Le site web et le livre blanc évoquent la nouvelle devise en la qualifiant de devise stable : "Le libra est conçu de façon à être une devise pour laquelle tout utilisateur saura que la valeur aujourd’hui sera proche de sa valeur demain et après-demain".

La stabilité est garantie par la valeur intrinsèque de la monnaie, grâce aux actifs qui soutiennent la valeur de la devise. Ces actifs sont appelés "réserve Libra". Le livre blanc évoque des similarités de ce mécanisme avec la caisse de devise (currency board) qu’utilisent certaines devises avec taux de change fixes : "(… ) le mécanisme de mise en interface avec notre réserve rend notre approche très similaire à la façon par laquelle les currency boards (par exemple celui de Hong Kong) ont fonctionné. Alors que les banques centrales peuvent imprimer leur monnaie à leur propre discrétion, les currency boards impriment typiquement la monnaie locale quand il y a assez d’actifs en réserves étrangères pour soutenir entièrement une nouvelle frappe de pièces et billets."

Cette référence aux currency boards est confuse et trompeuse. En fait, il est surprenant qu’avec tout le savoir dont nous disposons sur le fonctionnement des taux de change fixes, le livre blanc ne présente pas de description plus précise de la façon par laquelle le libra sera géré. Il confond aussi le fait qu’il y ait des actifs soutenant la devise avec la notion de taux de change fixes et de currency boards. Et il le fait en jouant avec le mythe que les monnaies fiduciaires traditionnelles ne seraient pas adossées à des actifs.

Je vais clarifier chacun de ces points.

Actifs = passifs


La monnaie fiduciaire est soutenue (…) par la valeur des actifs dans le bilan de la banque centrale. Toute banque centrale qui émet une monnaie fiduciaire traditionnelle a des actifs qui ont une valeur identique à celle des passifs qu’elle a émis (de même avec le libra). Cela ne garantit pas la stabilité de la devise. La stabilité vient de l’engagement de la banque centrale à une certaine politique monétaire qui assure que la valeur de la devise reste stable relativement à la valeur des biens et services (c’est-à-dire une inflation faible et stable).

Les taux de change fixes


Certaines banques centrales vont au-delà du seul ciblage de l’inflation et adoptent une politique monétaire en ancrant la valeur de leur devise à une autre devise (qui est vue comme stable), ce que nous appelons les taux de change fixes. Des taux de change fixes nécessitent :

a) que la banque centrale annonce une parité relativement à une autre devise (ou à un panier de devises)

b) et qu'elle s'engage à intervenir sur les marchés des changes pour assurer que la valeur de la devise soit celle qui a été annoncée.

L’exemple le plus simple est celui où la banque centrale annonce un prix fixe relativement à une autre devise (disons 1 à 1 avec le dollar américain) et s’engage ensuite à vendre ou acheter des montants illimités de la devise locale contre les dollars américains au prix préannoncé. Cela assure que le taux de change reste fixe.

Dans le cas du libra, il n’y a pas un tel engagement (du moins, pas pour l’instant).Il y a une certaine affirmation lâche que la valeur de la devise restera stable relativement à un panier de devises, mais il n’y a aucun détail sur la possibilité qu’un engagement soit plus tard annoncé. Si un tel engagement n’existe pas alors nous sommes dans un monde de taux de change flexibles où la crédibilité provient d’une certaine sorte d’annonce de cible d’inflation qui est atteinte au cours du temps.

Les currency boards


Quand une banque centrale fixe le taux de change et s’engage à intervenir pour défendre la devise, il peut y avoir des inquiétudes quant à sa capacité à le faire si la devise est attaquée. Alors que toutes les banques centrales ont assez d’actifs pour racheter leurs passifs, plusieurs de ces actifs sont des actifs domestiques. Alors qu’en théorie on peut contrôler la valeur de la devise via des actifs domestiques (et les taux d’intérêt), la détention d’un large panier d’actifs étrangers qu’une banque centrale peut vendre pour intervenir sur le marché des changes est perçu comme une garantie additionnelle que l’engagement aux taux de change fixes sera honoré. C’est ce qui est connu sous le nom de currency board. Dans sa forme extrême, les banques centrales détiennent assez d’actifs étrangers pour racheter l’offre de devise locale.

Mais ne n’est pas vraiment ce que promet la conception du libra, à moins que la composition en devises de son bilan colle au panier de devises qui est utilisé pour fixer le taux de change. Mais ce serait un système inhabituel et confus, dans la mesure où si la composition en devises change, le panier utilisé comme référence pour le taux de change fixe changerait aussi. En l’absence d’un taux de change fixe propre et d’un mécanisme crédible pour le maintenir, le libra semble davantage comme une devise à taux de change fixe standard. Sa stabilité va dépendre de sa crédibilité. Dire qu’il y a assez d’actifs soutenant son offre n’est pas un bon argument (cet argument s’applique à toute banque centrale émettant une monnaie fiduciaire). »

Antonio Fatás, « Libra: Not a currency board et (maybe) not a stable currency », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), juin 2019. Traduit par Martin Anota

vendredi 7 juin 2019

Comment saurons-nous qu'une récession est sur le point d'éclater aux Etats-Unis ?

« Cela peut sembler étonner de parler en cet instant précis de récessions. La croissance du PIB est forte et (selon les données du mois d’avril) le taux de chômage s’élève à 3,6 %, soit son plus faible niveau depuis 1969. Nous connaissons aussi une expansion économique inhabituellement longue. La Grande Récession a officiellement fini en juin 2009, avec une croissance de l’emploi privé continue reprenant à partir de mars 2010. Cela a permis à l’économie américaine de connaître la plus longue période ininterrompue de croissance de l’emploi de son histoire.

Alors que d’autres indicateurs de la santé du marché du travail ne sont pas aussi positifs et que les moyennes ne reflètent pas toujours la diversité des expériences sur le marché du travail que connaissent les individus ou les régions, le portrait général est celui d’un marché du travail solide. Pourtant, l’Histoire nous dit que la bonne conjoncture ne dure pas et les tensions internationales et divers indicateurs du marché financier ont récemment suscité certaines inquiétudes. Inévitablement, une nouvelle récession va arriver, ses conséquences seront douloureuses pour les travailleurs, les entreprises et les gouvernements. La durée de cette expansion soulève des questions urgentes : quand va-t-elle s’achever ? allons-nous voir en avance l’arrivée de la prochaine récession ?

Les approches les plus directes pour identifier les récessions (en attendant que le National Bureau of Economic Research n’annonce une récession ou en attendant avant de voir le PIB chuter pendant deux trimestres consécutifs) sont appropriées pour l’analyse historique, mais elles sont trop tardives pour être utiles pour la politique économique. Par exemple, le NBER a annoncé la Grande Récession en décembre 2008, soit un an après le début de la récession, soit bien trop tard pour amorcer une réponse monétaire ou budgétaire appropriée.

Alors qu’(…) une réponse en temps opportun peut atténuer les dommages, elle nécessite des indicateurs en temps réel qui puissant précisément identifier les récessions. Nous croyons que le taux de chômage est le plus important de ces indicateurs : des hausses rapides du taux de chômage, qu’importe son niveau, nous aident à rapidement observer les récessions. Bien sûr, les variations du taux de chômage national ne nous disent pas tout ce que nous aimerions savoir sur la santé des marchés du travail. En particulier, ils n’indiquent pas dans quelle mesure les travailleurs ont quitté la population active ou subissent du sous-emploi, deux situations importantes pour saisir le degré de mou sur le marché du travail. Mais les hausses du taux de chômage peuvent nous dire à propos de la détérioration du marché du travail en quasi-temps réel.

En fait, l’économiste Claudia Sahm a constaté (…) que si le taux de chômage (plus exactement, sa moyenne mobile sur trois mois) est au moins supérieur de 0,5 point de pourcentage au-dessus de son minimum des 12 mois précédents, alors l’économie américaine est déjà en récession. (…) L’indicateur a correctement signalé une récession 4-5 mois suite au début de la récession et n’a jamais annoncé par erreur une récession depuis 1970 (...) »

Ryan Nunn, Jana Parsons et Jay Shambaugh, « How will we know when a recession is coming? », in Brookings (blog), 6 juin 2019. Traduit par Martin Anota



Les choses pourraient ne pas être différentes cette fois-ci


« Estimer la probabilité qu’une récession éclate à court terme se révèle être un véritable défi pour les économistes. Chaque cycle semble légèrement différent du précédent et essayer de trouver des indicateurs avancés précis de crises nous mène soit à en annoncer erronément, soit à les manquer comme certains risques sont sous-estimés. Comme les Etats-Unis entrent dans la plus longue expansion qu’ils aient connue de leur histoire, nous nous demandons à nouveau s’il existe des indicateurs fiables qui pourraient nous aider à prévoir la date du prochain point de retournement.

Sans fournir une liste exhaustive de tous les candidats, mettons en avant l’interaction entre trois régularités statistiques et ce qu’ils nous informent (ou non) sur les risques à venir :

Trois régularités statistiques (liées):

1. La courbe des taux (yield curve) tend à s’inverser avant une récession.

GRAPHIQUE Courbe des taux aux Etats-Unis : taux des bons du Trésor à 10 ans moins taux des bons du Trésor à 3 mois

Antonio_Fatas__Etats-Unis_yield_curve_courbe_des_taux.png

2. Les Etats-Unis ne semblent pas être capables de soutenir un faible taux de chômage. A chaque fois que l’économie américaine atteint le "plein emploi" (ou même avant qu’elle l’atteigne), le chômage remonte comme nous atteignons un point de retournement. J’ai déjà écrit sur cette régularité dans mon précédent billet.

GRAPHIQUE Ecart du taux de chômage par rapport à son niveau au début des récessions américaines (en points de %)

Antonio_Fatas__taux_de_chomage_Etats-Unis_autour_des_recessions.png

3. Aucune expansion américaine n’a duré plus de 120 mois. En utilisant les datations des cycles d’affaires du NBER, nous sommes sur le point d’entrer dans la plus longue expansion depuis que leurs données ont commencé en 1857.

Ces trois régularités statistiques sont liées. A mesure qu’une expansion se poursuit, nous voyons une baisse graduelle du taux de chômage et un aplatissement de la courbe des taux. Cela ne devrait pas être surprenant, dans la mesure où les banques centrales relèvent les taux de court terme à mesure que le chômage diminue. Mais ce qui est intéressant, c’est que les Etats-Unis (jusqu’à présent) n’ont pas été capables d’atteindre un état où la courbe des taux reste plate pendant une longue période de temps ou, de façon équivalente, un état où le taux de chômage reste faible pendant de nombreuses années. La pente de la courbe des taux et le taux de chômage suivent des trajectoires en forme de V. Et c’est probablement lié à la durée de l’expansion : quand la reprise commence, le taux de chômage et la pente de la courbe des taux baissent à partir de niveau élevés et, lorsqu’ils atteignent leur plus faible niveau possible, ils rebondissent en fixant une limite pour la durée des expansions. Dans l’actuelle expansion, et après 10 ans, même si nous commencions avec un chômage élevé (comme en 2009), nous devons être très proches du plein emploi (et la courbe des taux est plate ou inversée).

Mais ne s’agit-il pas de simples régularités statistiques sans argument causal évident ? C’est vrai, mais le fait que cette régularité statistique soit robuste et régulière signifie que si les Etats-Unis poursuivent leur expansion pendant quelques années, c’est que "cette fois les choses auront été différentes".

Les choses pourraient-elles être différentes cette fois-ci ?

Est-il possible que les risques ou déséquilibres qui avaient entraîné les précédentes récessions ne soient pas présents ou soient mieux gérés aujourd’hui ? Peut-être. Il est vrai que les cours boursiers ne semblent pas aussi élevés qu’à la veille de la récession de 2001. Il est vrai que les prix de l’immobilier ne semblent pas aussi élevés aujourd’hui que l’année précédant la Grande Récession de 2008. Mais nous ne devons pas oublier qu’au cours de ces années nous avions sous-estimé la pertinence de tels risques. En 2007, les responsables de la Réserve fédérale vantaient la résilience du système financier américain face à une possible chute des prix de l’immobilier. Est-il possible que nous ayons échoué à voir des risques pertinents aujourd’hui ?

Et n’oublions pas que, même ex post, certaines récessions ne sont pas clairement précédées par des déséquilibres excessifs. Ce fut par exemple le cas de la récession de 1990. Cette récession semble être davantage l’accumulation de petits risques combinés à des événements géopolitiques (tels que l’invasion du Koweït par l’Irak). Et alors que certains de ces risques politiques sont difficiles à prédire, il n’est pas difficile de produire une liste des menaces potentielles auxquels le monde fait face (du Brexit aux conflits commerciaux initiés par l’administration Trump en passant à l’instabilité potentielle de la zone euro, etc.)

En résumé, les régularités statistiques suggèrent qu’une récession est imminente. Est-ce que les choses pourraient être différentes cette fois-ci parce qu’il n’y a pas d’amples déséquilibres ? Peut-être. Mais n’oublions pas qu’au cours des dernières fois nous n’avions pas vu la taille et les implications des déséquilibres d’alors. Et n’ignorons pas la longue liste de risques potentiels qui pourraient se matérialiser et produire un ralentissement mondial qui pourrait facilement faire basculer les Etats-Unis et peut-être d’autres pays dans une récession. Les choses pourraient ne pas être différentes cette fois-ci. »

Antonio Fatás, « This time might not be different », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 6 juin 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« L’inversion de la courbe des taux signale-t-elle l’imminence d’une récession aux Etats-Unis ? »

« L’insoutenabilité du plein emploi, ou pourquoi les Etats-Unis seront en récession l’année prochaine »

« L'expansion américaine va-t-elle mourir de vieillesse ? »

samedi 16 mars 2019

L’insoutenabilité du plein emploi, ou pourquoi les Etats-Unis seront en récession l’année prochaine

A quelques mois de la plus longue expansion américaine


D’ici quelques mois, l’économie américaine pourrait battre le record de la plus longue expansion qu’elle ait connue, celle qui avait eu lieu entre mars 1991 et mars 2001. Comme nous nous rapprochons de cet instant, les craintes se multiplient à l’idée qu’une récession puisse prochainement arriver. Les expansions meurent-elles de vieillesse ? Les analyses empiriques suggèrent que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de claire relation entre la durée d’une expansion et la probabilité d’une récession (Rudebusch, 2016).

Une autre définition de l’âge des expansions


On peut considérer autrement l’âge d’une expansion, en prenant le degré d’inutilisation des capacités. Les expansions sont des périodes au cours desquelles l’économie retourne au plein emploi. Comme le chômage devient faible et atteint des niveaux proches ou inférieurs au taux de chômage naturel, est-il possible de maintenir cet état pendant plusieurs années ? Ou bien le "plein emploi" mène-t-il automatiquement à des déséquilibres qui représentent les germes de la crise suivante ?

Dans le cas des Etats-Unis, l’histoire suggère que le "plein emploi" n’est pas un état soutenable et qu’une fois un tel niveau atteint une hausse soudaine du chômage est très probable. Dans le graphique ci-dessous, j’ai représenté les taux de chômage autour du pic de chacun des cinq derniers cycles (où le zéro représente le mois au cours duquel la récession éclate). J’ai représenté l'évolution du taux de chômage sur les cinq années qui précèdent le début de la récession et les dix mois qui suivent celui-ci.

GRAPHIQUE 1 Le taux de chômage américain autour des récessions (en %, normalisé à 0 % le mois du pic)

Antonio_Fatas__minimum_chomage_Etats-Unis_fin_d__expansion_veille_de_recession.png

Tous les cycles présentent une évolution en forme de V pour le chômage. Le chômage atteint son point le plus faible autour des 12 mois précédant le début de la récession et, dans la plupart des cas, le chômage s’accroît déjà dans les mois qui précèdent la récession. Ce qui est intéressant, c’est l’absence d’un quelconque épisode de chômage faible et stable (ou de plein emploi). C’est comme si le fait d’atteindre un faible niveau de chômage mène toujours à des dynamiques qui finissent rapidement par générer une récession. Les récessions meurent de vieillesse si l’âge est mesuré en termes de capacités inutilisées. Si ce schéma se répétait, les Etats-Unis doivent être proches aujourd’hui d’un point d’inflexion, c’est-à-dire d’une récession.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage de l’Australie (en %)

Antonio_Fatas__taux_de_chomage_Australie.png

Le résultat peut sembler évident et mécanique : une fois que le taux de chômage est faible, il ne peut aller que dans une direction : à la hausse. C’est vrai, mais ce qui importe est de savoir si une période prolongée de chômage faible et stable est possible. Dans le cas des Etats-Unis, la réponse est non. On peut regarder d’autres pays pour visualiser cette possibilité. Un bon exemple est l’Australie, qui a récemment connu un faible taux de chômage pendant plusieurs décennies. Après une récession au début des années quatre-vingt-dix, le chômage s’est accru et a alors commencé à refluer selon une trajectoire similaire à celle observée lors de chaque expansion américaine. Mais dans les années deux mille, le chômage atteignit un faible niveau et il est resté essentiellement à ce niveau pendant plusieurs années. En d’autres mots, le taux de chômage n’a pas suivi une dynamique en forme de V, mais plutôt une dynamique en forme de L.

Croissance à risque et régressions de quantile


Nous pouvons quantifier cette intuition en reliant ce résultat à une littérature universitaire qui analyse les déterminants du risque extrême de variations du chômage (ou du PIB). Cette littérature observe les déterminants des pires survenus potentielles au cours d’une fenêtre temporelle spécifique (par exemple Cecchetti, 2008, Kiley, 2018, Adrian, Boyarchenko et Giannone, 2019).

Empiriquement, c’est fait en utilisant des régressions de quantile. Dans ce cas, nous nous intéressons au risque extrême de hausses brutales du chômage, qui sont associées aux récessions, et je vais capturer cela par un coefficient sur le 90ème centile de la distribution dans une régression de quantile (Fatas, 2019).

TABLEAU Régression de quantile du chômage américain

Antonio_Fatas__regression_de_quantile_chomage_Etats-Unis.png
Les résultats d’une telle régression sont présentés dans le tableau. Les trois coefficients sont négatifs (ce à quoi nous nous attendions comme il y a un retour à la moyenne des taux de chômage). Mais la partie intéressante est que la taille du coefficient augmente quand nous nous déplaçons de petites variations du chômage à de fortes variations (de q10 à q90). Cela signifie que les faibles taux de chômage sont particulièrement bons pour indiquer en avance le risque extrême de larges hausses du chômage (récessions). Chose intéressante, ce phénomène n’apparaît pas dans d’autres pays, tels que l’Australie (cf. Fatas pour ces résultats).

Pourquoi le plein emploi est-il insoutenable ?


La dynamique des récessions et du chômage aux Etats-Unis suggère que de faibles niveaux de chômage sont un bon indicateur avancé des hausses soudaines du chômage, associées à des crises. Nous ne voyons pas dans les données de périodes prolongées de faible chômage. Mais pourquoi est-ce qu’un faible chômage est insoutenable ? Qu’est-ce qui mène à une récession ?

La littérature universitaire tend à mettre l’accent sur deux ensembles de variables : celles associées aux déséquilibres macroéconomiques (telles que l’inflation) et celles associées aux déséquilibres financiers. Chose intéressante, l’introduction de ces variables dans les régressions de quantiles ci-dessus fait disparaître l’effet qu’on a évoqué (cf. Fatas, 2019). En particulier, une fois que nous contrôlons la croissance du crédit, il ne semble plus que le faible chômage soit un bon indicateur avancé du risque extrême associé aux récessions (nous observons toujours un retour à la moyenne, mais nous n’obtenons pas de coefficient plus large pour le quantile q90).

Ce résultat suggère que les récessions suivent des périodes de faible chômage parce que des déséquilibres s’accumulent au cours de ces années. Ce qui est intéressant, c’est que les données empiriques montrent que les Etats-Unis n’ont jamais réussi à maintenir un faible taux de chômage sans générer des déséquilibres qui mènent à une récession. Si l’histoire est un indicateur de crises futures, alors le niveau actuellement faible qu’atteint le chômage suggère qu’une récession est peut-être au coin de la rue. »

Antonio Fatás, « The 2020 (US) recession », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 12 mars 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « L'expansion américaine va-t-elle mourir de vieillesse ? »

lundi 17 décembre 2018

A quel point la croissance chinoise est-elle faible ?

« Le ralentissement de l’économie chinoise au cours de la dernière décennie a alimenté les inquiétudes à propos de la soutenabilité du « miracle » économique chinois. Mais ce ralentissement apparaît-il inhabituel lorsqu’on compare la Chine avec d’autres pays ? Que peut-on attendre pour les prochaines années ?

Les économistes aiment regarder les pays émergents à travers le prisme du modèle de convergence (basé sur le travail de Robert Solow). Les pays émergents sont supposés croître plus vite que les pays développés et ainsi rattraper ces derniers. Mais à mesure que le rattrapage s’accomplit, la croissance d’un pays émergent ralentit et se rapproche peu à peu de celle des pays développés. Que nous enseigne la comparaison de la Chine avec d’autres pays émergents qui ont réussi ? Il n’est pas facile de trouver un exemple historique parfait pour la Chine, mais la Corée du Sud s’en rapproche le plus. C’est une économie asiatique qui a réussi à accomplir sa convergence et c’est une économie assez grande (à la différence de Singapour ou de Hong Kong, deux autres économies asiatiques qui ont réussi leur convergence).

Nous commençons en nous focalisant sur la période allant de 1980 à 2018 et en utilisant le PIB par heure comme indicateur de productivité. Pour chaque année, nous comparons le niveau initial du PIB par heure avec la croissance du PIB par heure au cours des cinq années suivantes. Le niveau initial du PIB par tête est mesuré relativement à celui des Etats-Unis (comme exemple de pays proche de la frontière technologique).

GRAPHIQUE 1 PIB par heure de la Chine et de la Corée du Sud

Antonio_Fatas__PIB_par_heure_Chine_Coree_du_Sud_relativement_Etats-Unis_convergence.png

Au cours de cette période, le ralentissement de la Chine amène son taux de croissance à décliner et rejoindre celui que la Corée du Sud a eus à des niveaux similaires de développement. La dernière observation correspond à la période 2013-2018. Aujourd’hui (2018), la Chine est environ à 20 % du niveau américain et si elle suivait la trajectoire sud-coréenne elle devrait croître à des rythmes autour de 6 %, c’est-à-dire très proches des taux de croissance chinois courants. La Chine a atteint cette position après des décennies volatiles. Il y a peut-être eu sous-performance dans les années quatre-vingt et surperformance dans la décennie des années deux mille lorsque la croissance attint les deux chiffres.

Si nous ajoutons des décennies antérieures la comparaison devient plus bruyante dans la mesure où la Corée du Sud et la Chine avaient des taux de croissance plus volatils et globalement plus faibles.

GRAPHIQUE 2 PIB par heure de la Chine et de la Corée du Sud

Antonio_Fatas__PIB_par_heure_Chine_Coree_du_Sud_relativement_Etats-Unis.png

En résumé, on peut considérer le ralentissement de la croissance chinoise comme une évolution naturelle de l’économie à mesure qu’elle suit sa trajectoire de convergence, en particulier si nous utilisons les dernières décennies de la Corée du Sud comme repère. N’oublions pas que la Corée du Sud est l’un des pays qui a connu les meilleures performances parmi ceux dont le PIB par tête est inférieur à 50 % de celui des Etats-Unis. Donc utiliser la Corée du Sud comme repère peut donner une indicateur optimiste pour la croissance chinoise à l’avenir. »

Antonio Fatás, « How low is low for Chinese GDP growth? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 17 décembre 2018. Traduit par Martin Anota

jeudi 29 novembre 2018

Où en est le rééquilibrage mondial ?

« Avant la crise financière mondiale, l’économie mondiale connaissait une période d’accroissement des déséquilibres mondiaux où un groupe de pays voyaient son excédent s’accroître rapidement tandis que, en parallèle, un groupe de pays voyait son déficit se creuser. Ces dynamiques étaient en partie liées à l’hypothèse de l’"excès d’épargne" (saving glut) mise en avant par Ben Bernanke pour expliquer le déclin des taux d’intérêt réels mondiaux de long terme. C’était aussi le cas de certains des pays déficitaires (en particulier dans la périphérie de la zone euro) qui se retrouvèrent dans une profonde crise après 2008.

Ce billet fait le point en prenant en compte ces dix dernières années. Aujourd’hui, le monde présente de plus faibles déséquilibres qu’au pic de 2008, mais ce qui est plus intéressant est l’ampleur à laquelle le rééquilibrage s’est opéré entre différents groupes de pays.

Commençons par prendre un point de vue mondial. Le graphique ci-dessous montre les soldes des comptes courants en pourcentage du PIB mondial pour certaines régions ou groupes de pays. Les données remontent à 1980, bien que certaines données soient manquantes pour des pays avant 1995 (…).

Au cours de la période allant de 1998 à 2008, en l’occurrence durant la période des déséquilibres mondiaux, nous avons vu un accroissement des excédents des pays producteurs de pétrole, de la Chine, des pays développés d’Asie (notamment le Japon, la Corée du sud, Singapour et Taïwan) et du reste du monde (la plupart de ces pays-là étant des pays émergents). La zone euro est restée assez équilibrée (je reviendrai dessus après) et le seul pays déficitaire sur ce graphique est les Etats-Unis. Certains pays de la zone euro avaient un déficit, tout comme certains pays du reste du monde.

GRAPHIQUE 1 Soldes de comptes courants (en % du PIB mondial)

Antonio_Fatas__desequilibres_courants_mondiaux.png

Depuis 2008, nous avons observé plusieurs évolutions :

  • La Chine va rapidement vers un solde courant équilibré (les prévisions du FMI suggèrent que le compte courant de la Chine sera équilibré d’ici ces deux prochaines années).

  • Les producteurs de pétrole sont allés vers un compte courant équilibré avec de petits déficits en 2015-2016 en conséquence de la baisse du prix du pétrole.

  • La zone euro a généré un excédent de plus en plus massif, le plus large parmi les régions en excédent.

  • Les pays développés d’Asie ont maintenu ou accru leur excédent relativement aux années précédentes.

  • Les Etats-Unis continuent d’être le pays qui absorbe l’essentiel des excédents. Le déficit américain est plus petit qu’en 2008 mais il ne faut pas oublier qu’il est mesuré relativement au PIB mondial et non relativement au PIB américain (relativement à ce dernier, le déclin serait moins prononcé).

  • Alors qu’en 2008, plusieurs pays émergents étaient des épargnants nets, en 2018 tous les pays en excédent sont des pays développés (d’Europe ou d’Asie). (…)



GRAPHIQUE 2 Soldes courants des pays développés d’Asie (en % du PIB mondial)

Antonio_Fatas__desequilibres_courants_Japon_Coree_Taiwan_Singapour.png

Penchons-nous sur les sources les plus larges des excédents aujourd’hui. Que s’est passé parmi les pays développés en Asie ? Le graphique ci-dessus montre que le Japon dominait dans ce groupe au cours des premières années. Mais avec la hausse des excédents en Corée du Sud, Taïwan et Singapour au cours des dernières années, ces trois pays ont désormais ensemble un excédent plus large que le Japon. Mesurée relativement au PIB mondial, la taille globale est la même qu’avant. Si nous l’avions observée relativement à leur propre PIB, nous aurions constaté une hausse des excédents.

GRAPHIQUE 3 Soldes courants dans la zone euro (en % du PIB mondial)

Antonio_Fatas__desequilibres_courants_zone_euro.png

Et finalement la zone euro. Je divise la zone euro en trois groupes : l’Allemagne, les pays déficitaires de la zone euro et les pays excédentaires de la zone euro. Les pays sont considérés selon l’orientation de leur solde courant durant la période allant de 2000 à 2008. (…) Dans la décennie des années deux mille, nous observons une forte hausse des excédents en Allemagne, tandis que le groupe des pays déficitaires accrurent massivement leurs déficits. Après 2008, nous observons un rapide rééquilibrage des pays déficitaires vers un excédent, tandis que l’Allemagne maintient (relativement au pourcentage du PIB mondial) ou augmente (relativement à son propre PIB) son excédent courant. »

Antonio Fatás, « Global rebalancing », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 27 novembre 2018. Traduit par Martin Anota

- page 1 de 16