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Tag - BCE

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mercredi 3 juillet 2019

Les vingt premières années de la politique monétaire de la BCE

« Les banques centrales ont souvent été établies par le passé dans le but de ramener la stabilité suite à des épisodes historiques particuliers. La Banque d’Angleterre a été fondée durant la crise de la dette souveraine de 1690, quand le gouvernement était incapable d’obtenir un financement sur le marché. La Réserve fédérale a été créée après une série de paniques qui avait secoué le système bancaire américain à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle. L’euro a été introduit il y a vingt ans en réponse aux épisodes répétés d’instabilité du taux de change et du besoin de sécuriser le marché unique contre les dévaluations compétitives. La BCE a été fondée comme la clé de voûte de la nouvelle union économique et monétaire (UEM).

La première décennie de l’union monétaire a été caractérisée par la stabilité macroéconomique, avec une volatilité limitée et une croissance économique régulière. La seconde décennie a par contre été marquée par de profonds changements de l’environnement (notamment avec les crises financière et de la dette souveraine) et notre stratégie de politique monétaire a dû s’adapter à celui-ci. J’aimerais expliquer (…) pourquoi cette évolution a eu lieu et comment elle s’est opérée, mais aussi ce que ces vingt dernières années peuvent nous dire quant à la politique monétaire de la BCE à l’avenir.

La politique monétaire avant la crise


Selon le Traité de Maastricht, le mandat de la BCE est la stabilité des prix. En 1998, le Conseil des gouverneurs a défini la stabilité des prix comme une inflation dans la gamme des 0-2 % à moyen terme, ce qui constitue l’objectif de la BCE. Ensuite, en 2003, le Conseil des gouverneurs clarifia que, dans cette gamme, le point focal serait une inflation inférieure, mais proche, à 2 %, ce qui reste notre objectif aujourd’hui. Cette formulation différa du cadre standard de ciblage d’inflation de l’époque, qui était typiquement basé autour d’un point cible pour l’inflation. (…)

Comme les autres banques centrales autour du monde, la BCE faisait face à un environnement macroéconomique avant la crise qui était essentiellement caractérisé par une faible volatilité et des chocs modérés, avec la distribution des chocs touchant l’inflation presque exclusivement haussière. Dans la zone euro, les prix des produits énergétiques inclus dans l’IPCH grimpa de 80 % entre janvier 1999 et septembre 2008. Dans ces conditions, établir une forte fonction de réaction vis-à-vis de la forte inflation était perçu comme crucial pour ancrer les anticipations d’inflation. Souligner un objectif d’inflation "inférieure, mais proche, à 2 %" était perçu comme impliquant un plus forte engagement qu’un régime de ciblage d’inflation standard.

Mais la politique monétaire dans la zone euro faisait aussi face à un défi spécifique. La BCE était une nouvelle banque centrale opérant dans une union monétaire hétérogène, ce qui exigeait qu’elle établisse rapidement sa crédibilité dans sa lutte contre l’inflation. L’engagement vis-à-vis du contrôle de l’inflation était perçu comme crucial pour ancrer les anticipations d’inflation de la zone euro à de plus faibles niveaux, en particulier lorsque l’inflation modéré était un phénomène relativement nouveau dans plusieurs pays-membres.

Au cours des deux décennies qui précédèrent 1999, l’inflation était en moyenne supérieure à 3 % dans 10 des 12 pays-membres originels. Le déclin de l’inflation dans plusieurs pays à la veille de l’UEM était en grande partie dû aux anticipations de l’adoption de la monnaie unique, aussi bien qu’à plusieurs actions extraordinaires prises par les autorités nationales pour respecter les critères de convergence. De 1989 à 1999, les anticipations d’inflation de long terme ont chuté en passant d’une gamme de 2,5-4,5 % dans les quatre plus grandes économies de la zone euro à moins de 2 %. C’était désormais la tâche de la nouvelle banque centrale d’entretenir cette inflation modérée et elle réussit à le faire. Au cours de la décennie suivante, les anticipations d’inflation prirent en compte l’engagement de la BCE à maintenir l’inflation à un faible niveau et elle resta inférieure à 2 %.

Mais ce processus de construction de la crédibilité dans la lutte contre l’inflation eut des implications pour fonction de réserve de la BCE. En termes comptables, la stabilisation d’une inflation globale largement provoquée par des composantes volatiles signifie que l’inflation sous-jacente doit s’ajuster à la baisse. Les régressions roulantes (…) entre l’inflation des prix énergétiques et l’inflation sous-jacente montrent qu’un épisode de forte inflation des prix énergétiques entre 1999 et 2007 était accompagné par une période où l’inflation sous-jacente s’est rapidement assouplie. En conséquence, entre janvier 1999 et septembre 2008, l’inflation globale dans la zone euro attint en moyenne 2,35 %, alors que l’inflation sous-jacente attint en moyenne 1,7 % et dépassé les 2 % moins de 15 % du temps.

Les banques centrales dans les autres pays développés ont fait face à des défis similaires et adoptèrent des stratégies similaires. Mais les différences dans les mandats (et la durée des expériences dans le combat de l’inflation)se traduisirent par des différences dans l’ampleur de la transmission de l’inflation des prix énergétiques dans l’inflation globale. Par exemple, les prix des produits énergétiques dans l’IPC grimpèrent de 160 % au cours de la même période et l’inflation globale attint en moyenne 2,9 %. La Réserve fédérale a moins réagi à l’inflation globale et l’inflation sous-jacente de l’IPC attint en moyenne 2,2 %.

En conséquence, la zone euro est entrée dans la crise en ayant réussi à établir une réputation anti-inflationniste, mais avec une dynamique d’inflation sous-jacente qui était peut-être relativement plus faible. Ce n’était pas immédiatement apparent, comme l’inflation resta à des niveaux assez élevés pendant plus de quatre ans après l’effondrement de Lehman. La politique monétaire a répondu de façon décisive à la crise financière mondiale et les menaces déflationnistes semblaient avoir été rapidement écartées.

Mais avec le recul, il semble raisonnable de conclure que le processus d’inflation était vulnérable à une modification de l’environnement, ce qui s’est révélé être le cas autour du milieu de l’année 2012.

Les nouveaux défis pour la politique monétaire


A cet instant, l’inflation globale dans la zone euro s’engagea dans ce qui apparaît après coup comme une dérive baissière prolongée et le taux d’inflation sous-jacente chuta d’environ un point de pourcentage entre le milieu de l’année 2012 et début 2014. Il y a deux facteurs qui contribuent à expliquer le passage à une tendance désinflationniste.

Tout d’abord, la distribution des chocs à l’inflation se déplacèrent fortement vers le bas et l’amplitude des chocs s’accrut. Les chocs d’offre se dissipèrent rapidement au cours des années suivant la faillite de Lehman Brothers et la crise de la dette souveraine. Les chocs de demande négatifs, touchant selon l’instant la demande domestique et la demande externe, devinrent la source dominante des fluctuations macroéconomiques dans la zone euro. L’analyse de la BCE montre que les chocs de demande négatifs ont pesé sur l’inflation de la zone euro de plus de 1 point de pourcentage en moyenne depuis le début de la crise. Au cours de la précédente décennie, leur effet était neutre globalement (…).

Le second facteur a été un changement dans le policy-mix macroéconomique. Alors que durant la première phase de la crise, les politiques budgétaire et monétaire étaient assouplies en tandem (l’assouplissement de la politique budgétaire représentant au total l’équivalent de 3 % du PIB potentiel entre 2008 et 2010), il y eu par la suite un découplage dans l’orientation respective des politiques monétaire et budgétaire. La politique budgétaire au niveau de la zone euro devint restrictive en réponse à la crise de la dette souveraine (ce resserrement représentant l’équivalent de 4 points de pourcentage du PIB potentiel jusqu’en 2013), les années où l’essentiel de la zone euro était en récession.

Cela contraste avec les Etats-Unis, où la politique budgétaire s’est davantage assouplie lors de la phase initiale de la crise (pour un montant équivalent à 6,5 % du PIB potentiel de 2008 à 2009) et elle s’est ensuite resserrée (pour un montant équivalent à 5,5 % du PIB potentiel de 2011 à 2013) quand la reprise économique était lancée. La zone euro s’est retrouvée sur une autre trajectoire comme certains pays devaient retrouver une crédibilité budgétaire. Mais au niveau agrégé, la zone euro n’avait pas moins de marge de manœuvre budgétaire que les Etats-Unis : les niveaux de dette publique étaient similaires des deux côtés de l’Atlantique. La différence clé fut que la stabilisation budgétaire aux Etats-Unis eut lieu au niveau fédéral, alors que la zone euro manquait d’un instrument budgétaire central pour agir de façon contracyclique.

Le policy mix est aussi pertinent en ce qui concerne les politiques du secteur financier. Après la crise, il était inévitable que les secteurs bancaires des pays développés se désendettent, à la fois pour couvrir les pertes et se refocaliser sur leur modèle d’affaires. Les Etats-Unis firent en sorte que ce processus s’opère rapidement et tôt. (…)La réponse dans la zone euro fut plus lente. Alors qu’elles étaient plus endettées que les banques américaines avant la crise, les banques de la zone euro se sont moins désendettées (…) et elles l’ont fait davantage en se délestant d’actifs et moins en augmentant leur capital. Cela reflète en partie le fait que, en raison des règles budgétaires, le soutien public pour les banques s’est concentré dans les pays disposant d’une main-d’œuvre budgétaire. De plus, sans cadre de résolution commun, seulement 50 banques ont été résolues dans la zone euro au cours de cette période. Donc un secteur bancaire fragile a continué de pénaliser l’économie de la zone euro, ce qui fut particulièrement pernicieux au vu de l’importance du canal du prêt bancaire pour le financement.

En somme, la BCE faisait face à un environnement qui exigeait de plus en plus à ce que la demande soit stimulée, alors même que le fardeau de cette tâche reposait de plus en plus sur la politique monétaire. Notre stratégie eut par conséquent à s’adapter aux nouvelles circonstances de façon à poursuivre notre objectif.

La politique monétaire a tout d’abord répondu durant l’été 2012 en agissant pour désamorcer la crise de la dette souveraine, qui est passée du risque extrême pour l’inflation à une menace sérieuse pour la stabilité des prix. L’annonce du programme Outright Monetary Transactions (OMT) a attesté de notre détermination à contrer les risques injustifiés de redénomination sur les marchés de la dette souveraine et agi comme un puissant coupe-circuit.

Alors que l’OMT n’a jamais été activité, l’effet de cette annonce a été équivalent à celle d’un programme d’achats d’actifs à grande échelle : les rendements dans les pays vulnérables ont chuté en moyenne de plus de 400 points de base au cours des deux années suivantes. L’impact macroéconomique de l’OMT a été analogue à celui d’autres programmes d’achats : les études de la BCE estiment que les effets de l’OMT sur le PIB et les prix ont été globalement en phase avec ceux estimés pour l’assouplissement quantitatif qui prit place aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Mais les effets persistants de la crise de la dette souveraine ont réduit la capacité de cette relance à contrer la nouvelle tendance désinflationniste. Le processus retardé de désendettement bancaire dans la zone euro commença à s’accélérer, avec les banques contractant davantage leurs bilans et remboursant leurs prêts à la banque centrale. Les bilans bancaires déclinèrent d’environ 20 points de PIB sur la seule année 2013 et, à la fin de l’année 2013, le crédit au secteur privé s’est contracté au rythme de 2,4 %. Du côté de la demande, l’appétit pour le risqué dans le secteur privé s’est effondré, avec l’investissement retirant 1,6 point de pourcentage à la croissance du PIB en 2012.

La BCE a alors réagi en 2013 en réduisant par deux fois son principal taux de refinancement, en le faisant passer de 0,75 % à 0,25 % et en saisissant l’opportunité de lancer la supervision bancaire européenne. Nous avons mené une évaluation complète des bilans bancaires (…). Les banques renforcèrent leurs bilans par plus de 200 millions d’euros en amont. Cela renforça le secteur bancaire et facilita la transmission de notre politique.

Mais à cet instant-là, l’économie de la zone euro a été frappée par un nouveau choc désinflationniste avec l’effondrement de 60 % des prix du pétrole au milieu de l’année 2014, qui poussa l’inflation en territoire négatif. Avec l’inflation sous-jacente déjà affaiblie, les anticipations d’inflation commencèrent à s’en trouver affectées. Comme la marge pour réduire davantage les taux d’intérêt était désormais limitée, il devait de plus en plus clair que notre fonction de réaction devait évoluer pour surmonter ces nouveaux défis.

Puisque notre cadre de politique n’a jamais été systématiquement testé par des risques désinflationnistes persistants, la BCE n’avait pas encore eu la chance de démontrer son intolérance à une inflation inférieure à sa cible pour une période prolongée. En même temps, il est apparu une certaine incertitude à propos des outils que nous pouvions déployer si la borne inférieure effective était atteinte. A la différence des autres économies majeures, la BCE n’avait pas eu recours à des achats d’actifs durant la crise financière mondiale et suite à celle-ci. Certains remirent en question la légalité des achats d’actifs en Europe et leur efficacité dans une économie où les banques jouent un rôle déterminant.

Si ces incertitudes n’étaient pas écartées, il y avait un risque significatif que la chute de l’inflation devienne autoréalisatrice : le public peut commencer à s’attendre à une plus faible réponse de la politique monétaire aux situations futures où l’inflation est inférieure à sa cible, si bien qu’il révise davantage à la baisse ses anticipations d’inflation.

En d’autres mots, la crédibilité ne dépend pas seulement de l’image qu’elle renvoie de son engagement de la BCE à son objectif, mais aussi de celle qu’elle renvoie de sa capacité à combattre la faible inflation. Nous avons répondu à la situation de trois façons.

La réponse de la BCE


La première a été de clarifier la symétrie de notre cible. Alors que la définition de la stabilité des prix a contribué à rendre la BCE crédible lors de la première décennie, cette formulation asymétrique pouvait entraîner de mauvaises perceptions dans un environnement à faible inflation. Donc nous avons clairement indiqué que notre cible était pleinement symétrique et qu’elle était symétrique autour du niveau que nous avions établi en 2003 : sous, mais proche de, 2%. C’est la poursuite de cet objectif à moyen terme qui oriente nos décisions.

En outre, nous avons clairement indiqué que la symétrie signifiait non seulement que nous n’accepterions pas une inflation durablement faible, mais aussi qu’il n’y avait pas de plafond sur l’inflation à 2 %. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, notre orientation à moyen terme implique que l’inflation peut dévier de notre cible dans les deux directions, aussi longtemps que la trajectoire de l’inflation converge vers le point focal à un horizon de moyen terme.

La deuxième partie de notre réponse a consisté à présenter les outils que nous utiliserions pour contrer les risques désinflationnistes, chose que j’entrepris avec un discours donné à Amsterdam en avril 2014 qui décrivit trois éventualités et les instruments que nous nous utiliserions dans le cas de chacune de ces éventualités. Cela indiqua que nous n’excluions pas la possibilité de recourir à des mesures non conventionnelles. Institutionnellement ou juridiquement, il n’y avait rien de spécifique dans la zone euro qui empêche la politique monétaire de poursuivre l’assouplissement une fois que la borne inférieure est approchée.

Troisièmement, comme ces diverses éventualités se concrétisèrent, nous avons opérationnalisé notre fonction de réaction en lançant une série de nouveaux instruments. Nous sommes passés à travers la borne zéro en poussant notre taux de dépôt en territoire négatif, nous avons lancé nos opérations de refinancement de plus long terme ciblées (LTRO) pour davantage inciter les banques à prêter et nous avons mis en œuvre un programme d’achats à grande échelle de titres privés et publics. Ces mesures furent délibérément conçues de façon à fonctionner comme un package et à assouplir davantage la politique monétaire via des canaux complémentaires, en passant via les banques et la matrice plus large des marchés des capitaux. (…)

Il y a de plus en plus de preuves empiriques suggérant que ces instruments ont été efficaces. Les taux négatifs se sont révélés être des outils très importants dans la zone euro et plus qu’ils ne l’auraient été dans une économie comme les Etats-Unis. En effet, la Réserve fédérale n’a pas utilisé les taux négatifs en partie en raison de ses inquiétudes à propos de leurs effets sur le secteur des fonds monétaires, qui sont des intermédiaires clés dans le système financier américain. Mais ce facteur est moins pertinent dans la zone euro, comme plusieurs fonds monétaires opèrent comme fonds à valeur liquidative variable et sont donc par conséquents plus flexibles pour passer plus de temps en quête de rendements additionnels.

De plus, la zone euro est une économie relativement ouverte pour sa taille, avec un commerce total représentant 51 % du PIB, contre 27 % pour les Etats-Unis. Cela signifie que l’impact des taux négatifs sur l’inflation et les conditions de financement via le taux de change est plus puissant.

Bref, avec une marge de manœuvre de politique conventionnelle limitée face à un nouvel environnement de risques baissiers, la BCE montra qu’elle n’était pas dénuée d’outils pour réagir. Les mesures non conventionnelles se révélèrent des substituts adaptés aux mesures conventionnelles : en utilisant les prix de marché pour construire un "taux d’intérêt fantôme de court terme" (shadow short rate), la relance fournie semble largement en phase avec la recommandation des règles de politique monétaire, comme l’ont suggéré les récentes études universitaires.

Notre capacité à réagir de cette façon a été rendue possible par la flexibilité dont fait preuve notre mandat, une flexibilité qui fut confirmée par la récente décision de la Cour européenne de Justice. Celle-ci n’a pas seulement confirmé que les achats d’actifs constituent un instrument légal de politique monétaire dans la zone euro, elle a aussi mis l’accent sur la grande discrétion de la BCE dans l’usage de tous nos instruments tant que c’est nécessaire et proportionnée pour atteindre notre objectif.

Cependant, même si la politique monétaire s’est effectivement transmise aux conditions de financement et si les conditions de financement se sont bien transmises au PIB et à l’emploi, l’impact final du processus de transmission aux salaires et aux prix a été plus faible que nous ne l’attendions. La croissance des salaires se renforce maintenant, comme il y a moins de mou sur le marché du travail. Mais la transmission des salaires aux prix reste faible. Cela peut refléter des changements structuraux comme la mondialisation et la numérisation, qui ont essentiellement un impact à cet instant-là dans la chaîne des prix. La faiblesse conjoncturelle persistante peut aussi retarder la transmission salaires-prix comme les firmes peuvent réduire leurs marges plutôt que d’accroître leurs prix et de se risquer de perdre des parts de marché.

Les défis actuels pour la politique monétaire


Dans cet environnement, ce qui importe est que la politique monétaire reste engagée à son objectif et ne se résigne pas à une inflation trop faible. Et, comme je l’ai souligné lors de notre dernière réunion de politique monétaire, nous sommes engagés et nous ne sommes pas résignés à avoir un faible taux d’inflation à jamais ou même à présent.

(...) Mais la politique budgétaire doit jouer son rôle. Au cours des dix dernières années, le fardeau de l’ajustement macroéconomique a été porté de façon disproportionnée par la politique monétaire. Nous avons vu des exemples où la politique budgétaire était procyclique et contrait la relance monétaire.

Si le policy mix déséquilibré de la zone euro contribue à expliquer la glissade dans la désinflation, alors un meilleur policy mix peut aider à l’en sortir. La politique monétaire peut toujours atteindre son objectif seule, mais, en particulier en Europe où les secteurs publics sont larges, elle ne peut le faire vite et avec moins d’effets pervers que si les politiques budgétaires sont alignées sur elle.

Recréer de la marge de manœuvre budgétaire en accroissant la production potentielle via des réformes et l’investissement public et en respectant le cadre budgétaire européen va maintenir la confiance des investisseurs financiers envers les pays avec une forte dette publique, une faible croissance économique et une marge de manœuvre budgétaire limitée. Mais comme l’expansion budgétaire dans les autres pays peut avoir des effets de débordement limités, les politiques budgétaires nationales restent contraintes. Donc, il faut travailler avec une plus grande échelle et une plus grande détermination à un instrument de stabilisation budgétaire commun d’une taille adéquate (…). »

Mario Draghi, « Twenty years of the ECB’s monetary policy », discours prononcé lors de la conférence de la BCE tenue à Sintra le 18 juin 2019. Traduit par Martin Anota

lundi 10 juin 2019

Quelles devraient être les qualifications du successeur de Mario Draghi ?

« (…) Le 28 mai, deux jours après que les élections du Parlement européen aient été tenues dans tous les Etats-membres, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont rencontrés à Bruxelles pour commencer le processus d’attribution des postes clés à la tête de plusieurs institutions de l’UE. Beaucoup de ces postes (en l’occurrence ceux des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, tout comme le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) sont typiquement pourvus tous les cinq ans, quand le cycle politique européen s’achève pour laisser place à un nouveau. Cependant, comme le mandat de Mario Draghi s’achève le 31 octobre 2019, les dirigeants vont aussi discuter des candidats pour le remplacer à la présidence de la BCE au cours des huit prochaines années. (…)

La nomination à venir a donné lieu à un florilège de spéculations dans les médias sur la possible identité du nouveau président de la BCE. En laissant les noms de côté, ce billet essaye d’isoler les arguments à propos des qualifications que le nouveau président devrait avoir et les défis auxquels il risque d’être confronté.

Pour commencer, certains commentateurs se sont focalisés sur ce que la sélection ne doit pas être. Par exemple, Stefan Gerlach critique le fait que la course à la succession de Draghi ait pris "des allures (…) d’Eurovision". Il ajoute, "les gouvernements veulent qu’un candidat de leur pays gagne parce que cela leur donnerait une bonne image, non parce que leur candidat améliorerait l’élaboration de la politique monétaire de la BCE", il y aura des votes selon les lignes de blocs régionaux et, "de façon absurde, certains commentateurs affirment que c’est au tour de leur pays de gagner".

De même, le comité de rédaction du Financial Times appelle à minimiser l’effet des arbitrages à l’œuvre quand il s’agit de pourvoir les divers postes-clés de l’UE sur la sélection du prochain président de la BCE. Bien que les "dirigeants de l’UE chercheront à obtenir un équilibre entre nationalités, régions de l’Europe, affiliations partisanes et genre", les auteurs notent que "la présidence de la BCE est le seul boulot (…) qui ne doit pas être victime d’un marchandage".

Qu’y a-t-il de spécial à propos de la présidence de la BCE ? Les auteurs soulignent que techniquement le président de la BCE est certes "premier entre des égaux" au conseil des gouverneurs de la BCE, le rôle que joue en pratique le président a profondément changé et est devenu beaucoup plus important au fil du temps, la crise ayant agi comme un catalyseur. Alors que Wim Duisenberg, le premier président de la BCE de 1999 à 2003, se focalisait sur la recherche d’un consensus sur l’orientation de la politique monétaire au conseil des gouverneurs de la BCE, les présidents suivants eurent à assumer un rôle plus proéminent. Les auteurs affirment que le discours de juillet 2012 où Draghi dit que la BCE ferait "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes) "était un exemple de leadership et s’est révélé être un point tournant dans la crise » de l’euro. Ils poursuivent en décrivant la BCE comme "l’institution la plus efficace, irremplaçable" durant cette crise.

L’expérience de la crise sert comme une prémisse pour plusieurs arguments avancés en ce qui concerne les exigences que la BCE doit honorer. Stephen Gerlach, par exemple, maintient que, bien qu’un président de la BCE effectif doive refléter la diversité de la zone euro pour des raisons de légitimité, il doit aussi satisfaire deux critères supplémentaires. Premièrement, le nouveau président de la BCE doit agir comme un joueur d’équipe. "Le président de la BCE ne fixe pas la politique, mais plutôt préside les réunions du conseil des gouverneurs où les décisions de politique monétaire sont prises". Gerlach nous rappelle que les désaccords avec le reste du conseil des gouverneurs "compliquent l’obtention de larges accords dans le conseil des gouverneurs qui sont la marque d’une bonne élaboration de politique économique", en concluant que "se risquer d’avoir une BCE dysfonctionnelle ne semble pas constituer une sage décision en cet instant précis".

Deuxièmement, le prochain président de la BCE doit posséder un solide bagage en science économique, insiste Gerlach. En "temps normal", de simples références quantitatives comme la règle de Taylor peuvent suffire pour décider de l’orientation de la politique monétaire, affirme-t-il. Mais quand la crise économique et financière éclate, "les concepts économiques comme la relation inverse entre l’inflation et le chômage avancé par la courbe de Phillips sont rompues et les solutions des manuels ne s’appliquent plus". Dans de tels cas, quand "l’incertitude explose", le temps manque comme "les banques centrales doivent agir rapidement et de façon décisive pour empêcher que les problèmes soient aggravés par les anticipations". Le président de la BCE doit avoir "une vision claire de ce qui doit être fait et la confiance pour adopter l’action décisive".

Et "cela, à son tour, nécessite qu’il ait une compréhension de première main des problèmes qui peuvent survenir". Pour renforcer son argumentation, Gerlach cite l’exemple de Ben Bernanke, l’ancien président de la Réserve fédérale, en affirmant que son bagage en tant qu’économiste universitaire spécialisé de la question "des erreurs de politique monétaire commises durant la Grande Dépression" a permis à ce que la Fed réagisse en temps opportun et efficacement à l’effondrement de Lehman Brothers.

Lucas Guttenberg (…) affirme que les plus importantes exigences que devra respecter le prochain président de la BCE seront sa volonté et sa crédibilité à faire "tout ce qui est nécessaire" pour sauver l’euro. Cela reste le filet de sécurité le plus robuste que l’euro a, écrit-il, avant d’ajouter que les alternations sont soit indésirables, soit impopulaires. Echouer à maintenir cette promesse fait peser "une menace existentielle sur les pays potentiellement en difficulté, en particulier ceux qui sont trop gros pour bénéficier du Mécanisme Européen de Stabilité (MES)" et plus généralement reste "une question pour la stabilité de l’union monétaire dans son ensemble", alors qu’un "approfondissement considérable de l’union monétaire" reçoit peu de soutien en Allemagne. Par conséquent, Guttenberg croit que la plupart des Etats-membres vont insister sur ce critère plutôt que des questions moins importantes, telles que "la question de l’orientation colombe ou faucon qu’il faut avoir quand cela touche à la question de la politique monétaire normale" (…).

S’il faut s’engager à faire "tout ce qui est nécessaire" pour assurer que la zone euro n’éclate pas, il peut y avoir d’autres défis face auxquels le prochain président de la BCE devra toujours trouver une solution.

Pour sa part, Martin Sandbu ne croit pas que ce soit la question de ce que la boîte à outils comprend. Au contraire, il voit "un fort consensus sur la façon par laquelle la BCE fonctionne" comme un autre élément de l’héritage de Draghi : "le non-conventionnel est devenu convention" note-t-il, en se référant aux politiques monétaires non conventionnelles. Néanmoins, Sandbu se demande si la zone euro ne courrait pas un plus grand risque avec "une trajectoire économique non inspirée laissant de nombreux citoyens se laisser tenter par les politiciens anti-européens, convaincus que la zone euro ne fonctionne pas pour eux" qu’elle n’en court avec une "répétition de crise". Dans la réponse, il est positif, écrivant qu’"il ne faut pas se contenter de simplement éviter le pire dans une crise", "l’entreprise d’amélioration des capabilités de la BCE est loin d’être achevée" et "la tâche du prochain président sera d’améliorer l’influence de la politique monétaire sur l’économie réelle".

Enfin, Jacob, Kirkegaard (ici et ) considère un scénario différent pour le prochain président de la BCE quand viendra la prochaine récession. Kirkegaard explique que l’arsenal de la BCE "se limitera soit à acheter des actifs privés plus risqués, soit à repousser la limite auto-imposée de la banque centrale sur les détentions de titres publics". Adopter la première option "sur les marchés peu profonds de la zone euro sera critiquée au motif qu’elle se ramènerait à une sélection injuste de gagnants", alors que la seconde option "risque d’être jugée illégale par la Cour européenne de Justice". En concluant que "ces contraintes rendent cruciale la politique budgétaire pour combattre la prochaine récession", Kirkegaard affirme que "le prochain président de la BCE doit non seulement être enclin à utiliser la politique monétaire pour combattre les récessions, mais aussi pousser les Etats-membres à être plus agressifs dans l’usage de la politique budgétaire pour ce même objectif". »

Konstantinos Efstathiou, « The next ECB president », in Bruegel (blog), 27 mai 2019. Traduit par Martin Anota

lundi 14 mai 2018

Dans la zone euro, la politique budgétaire est restée à l’âge de pierre

« … ou peut-être au Moyen-âge, mais certainement à une date postérieure aux années vingt. Keynes a conseillé d’utiliser l’expansion budgétaire dans ce qu’il appelait une trappe à liquidité dans les années trente. Aujourd’hui, nous utilisons une terminologie différente et parlons de la nécessité de recourir à une expansion budgétaire quand les taux d’intérêt nominaux sont contraints par leur borine inférieure zéro (zero lower bound) ou borne inférieure effective (effective lower bound). (J’ai une légère préférence pour la deuxième expression, dans la mesure où c’est aux banques centrales de décider à quel point réduire davantage les taux d’intérêt nominaux serait risqué ou contre-productif.) La logique est la même aujourd’hui que dans les années trente. Quand la politique monétaire perd son instrument fiable et efficace pour gérer l’économie, vous devez utiliser parmi les instruments restants celui qui est le plus fiable et efficace, en l’occurrence la politique budgétaire.

La zone euro dans son ensemble est actuellement à la borne inférieure effective. Les taux sont à zéro et la BCE crée de la monnaie pour des achats d’actifs à grande échelle : un instrument de politique monétaire dont l’impact est bien plus incertain que les variations de taux d’intérêt ou les changements de politique budgétaire (mais certainement mieux que rien). Si la politique monétaire est dans un cadre de stimulation maximal, c’est parce que l’inflation sous-jacente de la zone euro semble collée à 1 %, voire plus bas. C’est un moment clairement approprié pour que la politique budgétaire lui prête main forte avec une certaine relance budgétaire.

Pourtant le but du nouveau ministre des Finances allemand, appartenant aux sociaux-démocrates de gauche, est d’atteindre un excédent budgétaire de 1 %. Pour atteindre cet objectif, il a prévu de réduire l’investissement public en le faisant passer de 37,9 milliards d’euros l’année à venir à 33,5 milliards d’euros en 2020. Pourtant, les infrastructures allemandes, autrefois de renommée mondiale, sont en pleine déchéance. La connectivité à large bande pourrait être grandement améliorée.

Il y a de nombreux arguments en faveur d’un assouplissement de la politique budgétaire allemande. L’Allemagne a actuellement un excédent de compte courant avoisinant les 8 % du PIB. Il y a plusieurs raisons structurelles expliquant pourquoi l’on pourrait s’attendre à un certain excédent courant en Allemagne, mais le FMI estime que ces facteurs structurels expliquent moins de la moitié de l’excédent courant que nous observons. Il estime qu’un tiers de l’excès d’excédent résulte d’une politique budgétaire excessivement restrictive. Comme Guntram Wolff le souligne, la principale contrepartie de l’excédent est l’épargne du secteur des entreprises. Peut-être qu’un surcroît d’investissement public encouragerait l’investissement privé.

Mais ce n’est pas un autre article à propos de la façon par laquelle l’Allemagne a besoin d’embrasser la relance pour aider le reste de la zone euro. Le problème, comme le souligne Matthew Klein, est que l’ensemble de la zone euro fait de même. Dans la zone euro dans son ensemble, la position budgétaire est aussi restrictive que lors du boom d’avant-crise. Le chômage dans la zone euro est toujours trop élevé. Si la politique budgétaire est trop restrictive, c’est parce que les meneurs clés de la zone euro pensent que c’est la bonne chose à faire. "Le bon déficit, c’est zéro" a dit le ministre des Finances français. Il poursuit : "Vu que la France ne traverse pas une période de crise économique, nous devons avoir un budget à l'équilibre afin de pouvoir se permettre d'être en déficit quand les temps seront plus durs". Vous pouvez entendre la même chose en Allemagne : l’économie est en expansion, donc nous devons avoir des excédents budgétaires.

Une économie en expansion n’est pas une économie qui croît rapidement, mais une économie où le niveau de production et d’emploi est supérieur au niveau compatible avec le maintien d’une inflation à sa cible. Les mesures de l’écart de production (output gap) ne sont que des estimations de ce niveau : l’inflation sous-jacente est le guide ultime. L’inflation sous-jacente est bien inférieure à la cible aujourd’hui, ce qui explique pourquoi les taux d’intérêt sont à leur borne inférieure effective. C’est pourquoi les actions et les propos de la plupart des ministères des Finances européens (et britanniques) sont tout simplement faux.

Vous pourriez penser que provoquer une seconde récession après celle qui suivit la crise financière mondiale aurait rappelé aux ministres des Finances européens d’appendre un peu de macroéconomie. (Oui, je sais que le relèvement des taux de la BCE en 2011 n’a pas aidé, mais je pense que la plupart des modèles macroéconomiques vous diront que la contraction budgétaire collective est à l’origine de l’essentiel des dommages.) (…)

Ce n’est pas un désaccord entre la gauche et la droite comme c’est le cas au Royaume-Uni, mais un problème avec le consensus en Europe en matière de politique économique. Je pense que ce à quoi nous assistons est une combinaison explosive de deux forces : d’une part, l’obsession allemande pour l’équilibre du Budget qui trouve ses racines dans l’idéologie ordolibérale-néolibérale qui est aujourd’hui dominante et, d’autre pat, les fameux "hommes pratiques" de Keynes, des conseillers qui ont appris l’économie à une époque de Grande Modération où le principal problème économique que nous avions était un biais déficitaire relativement bénin. En retard d’une guerre et tout ça. »

Simon Wren-Lewis, « Fiscal policy remains in the stone age », in Mainly Macro (blog), 10 mai 2018. Traduit par Martin Anota



Politique monétaire et politique budgétaire dans la zone euro


« Simon Wren-Lewis vient de décrire avec tant de désespoir l’état de la politique budgétaire en zone euro ; les pays du cœur nordique comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas poursuivant des équilibres ou excédents budgétaires à un moment où les taux d’intérêt de la BCE sont à la borne inférieure effective et où l’inflation sous-jacente est obstinément bien inférieure à sa cible de 2 %. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’il écrit dans son billet ; j’aimerais rajouter quelques petites choses.

Une politique budgétaire restrictive ne serait pas un problème si la politique monétaire non conventionnelle (consistant à acheter des titres de l’Etat et du secteur privé dans le cas de la BCE) était un parfait substitut à la politique budgétaire contracyclique. Mais c’est une position minoritaire dans la communauté des économistes et des décideurs en matière de politique économique. Et les nordistes la trouvent détestable car ils y voient un premier pas vers la remise en cause de la séparation entre politiques monétaire et budgétaire.

La structure institutionnelle de la zone euro est l’héritage des leçons tirées de l’hyperinflation allemande des années vingt : il faut séparer un maximum la politique monétaire de la politique budgétaire, dans le cas où la politique budgétaire devient hors de contrôle et où le financement monétaire devient tentant ; et s’assurer que la politique budgétaire soit biaisée vers le côté conservateur pour empêcher qu’un tel risque soit possible. Ce que l’Allemagne (…) ont appris comme leçon de cet épisode s’est imposé au le reste de la zone euro comme une condition pour sa création. Ces institutions incarnent une leçon que mérite d’être apprise : nous nous portons beaucoup mieux si le risque d’hyperinflation est plus faible. Mais nous avons appris une autre leçon au cours des dix dernières années : nous avons appris que la probabilité de toucher la borne zéro est plus élevée que nous ne le pensions et cela signifie que le dispositif de délégation et d’assignation impliqué par la vieille institution est déficient.

Les politiciens du cœur nordique de la zone euro se comportent comme si les objectifs de politique monétaire délégués à la BCE étaient seulement le problème de la BCE, c’est-à-dire des objectifs qui ne sont poursuivis qu’avec la politique monétaire. Mais ce n’est pas le cas quand la politique conventionnelle est piégée à la borne inférieure effective et qu’elle a besoin d’assistance. Au vu de ce que nous savons maintenant, il est malavisé de déléguer inconditionnellement la stabilisation macroéconomique à la banque centrale et de rechercher inconditionnellement à générer un excédent budgétaire.

La crise financière a révélé une déficience dans le modèle de l’union monétaire que nous ne pensions pas importante auparavant.

Dans un pays où le gouvernement a la responsabilité ultime pour ses propres politiques monétaire et budgétaire, c’est en principe facile pour ce gouvernement de s’organiser de façon à ce que la politique budgétaire soit utilisée quand la politique monétaire manque de munition (…) Mais quand il y a plusieurs agents budgétaires, il n’y a pas de mécanisme pour coordonner la nouvelle politique budgétaire, en particulier pour encourager chaque Etat à s’inquiéter de la déficience de la politique monétaire ou de la persistance de l’inflation sous sa cible dans l’ensemble de la zone euro.

Le Pacte de Stabilité et de Croissance fut une tentative bancale (…) visant à coordonner contre une politique excessivement laxiste ; la crainte était que les gouvernements puissent mal se comporter en empruntant excessivement et qu’ils comptent d’une certaine façon sur la banque centrale commune et sur d’autres aspects implicites de l’union pour être renfloués si nécessaire. Mais il n’y a pas de tentative visant à obtenir une coordination pour le problème inverse, en l’occurrence le risque d’une politique excessivement restrictive. Ce n’est pas surprenant, dans la mesure où, avant la crise, on ne considérait pas que le risque de sous-stimulation soit très probable, au vu de l’histoire de la politique macroéconomique de la plupart des pays de la zone euro.

Le problème est aggravé dans la zone euro en gravant dans la pierre (en l’occurrence dans l’article 127 du Traité de Lisbonne) le mandat de la banque centrale. La BCE poursuit une "stabilité des prix" (en lien avec la Constitution allemande) et interprète elle-même ce que signifie cet objectif. Elle a décidé qu’il s’agissait d’une inflation "proche, mais inférieure, à 2 %". Si l’on répondait aux leçons que nous enseigne la crise financière comprendrait, cela impliquerait 1) de rendre (…) la politique budgétaire contracyclique plus agressive à la borne effective zéro ou 2) de relever la cible d’inflation (…). Au Royaume-Uni, le gouvernement a conservé le droit de définir et de redéfinir la cible pour la banque centrale. Dans la zone euro, seule la BCE a ce droit et son mandat proscrit effectivement tout relèvement de la cible d’inflation. Cet aspect de la zone euro n’était qu’un aspect, pas un problème ; mais désormais c’en est un.

L’union monétaire n’aurait pas été créée si les autorités allemandes pensaient qu’il était possible que les autres gouvernements puissent se liguer et relever la cible d’inflation. Graver la cible dans les traités de la zone euro (qui ont conféré bien d’autres bénéfices et avaient donc peu de chances d’être rejetés dans leur ensemble) apportait une garantie contre ce risque. Dans un vieux monde où la borne inférieure effective ne semblait être qu’une curiosité (même si le Japon y était confronté lorsque l’UEM se construisait), il ne semblait pas qu’il y ait de réels coûts à compliquer à ce point toute révision de la cible d’inflation. Maintenant, nous savons qu’il y en a. »

Tony Yates, « Eurozone monetary and fiscal policy », in longandvariable (blog), 11 mai 2018. Traduit par Martin Anota

samedi 2 avril 2016

Les banques centrales ont besoin de réel (et non de nominal)

« Alors que la BCE et la Banque du Japon explorent les taux d’intérêt négatifs, la Réserve fédérale des Etats-Unis nous prépare à une hausse lente et prudente des taux d’intérêt de court terme. Les taux de long terme restent à de très faibles niveaux et les anticipations d’inflation sont sous pression et sont aussi sous le niveau qu’elles atteignaient il y a quelques mois ou quelques années. Et face à ces évolutions, les marchés essayent de déterminer s’ils aiment les taux d’intérêt lorsqu’ils sont faibles ou élevés. Et même s’ils se convainquent d’aimer les faibles taux d’intérêt, ils se demandent si les taux d’intérêt négatifs ne seraient tout de même pas trop faibles.

Ces débats semblent marqués par ce que les économistes appellent l’illusion monétaire ou par une mauvaise compréhension de la différence entre les taux d’intérêt réels et les taux d’intérêt nominaux. Cette confusion s’explique, selon moi, en partie par la stratégie de communication des banques centrales qui semblent obsédées par la nature asymétrique de leurs cibles d’inflation (l’inflation que la BCE et la Fed ciblent, c’est une inflation proche mais inférieure à 2 %) et qui ne sont pas suffisamment claires sur leur objectif final et leur calendrier.

Comment voulons-nous que les taux d’intérêt réagissent à un assouplissement monétaire agressif ? La réponse habituelle est que nous voulons que les taux d’intérêt diminuent. C’est correct si nous pensons en termes réels : étant donné les anticipations d’inflation (ou l’inflation effective), nous voulons que les taux d’intérêt diminuent relativement à ces niveaux d’inflation. Mais dans certains cas, en particulier lorsque les anticipations d’inflation sont plus faibles que ce que les banques centrales aimeraient qu’elles soient, une banque centrale plus agressive cible de plus fortes anticipations d’inflation, ce qui est susceptible d’entraîner une hausse des taux d’intérêt nominaux (de long terme).

C’est ce qui s’est passé lors des trois programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) lancés par la Réserve fédérale. Les taux d’intérêt à dix ans allèrent à la hausse, ce qui signalait un accroissement des anticipations d’inflation (et même le signe d’un relèvement des anticipations de futurs taux d’intérêt réels). Cela s’apparente à un succès.

Mais le comportement des taux d’intérêt à long terme ou des anticipations d’inflation en réaction aux récentes déclarations des banques centrales est allé dans le sens opposé. Les taux de long terme ont diminué (en particulier dans la zone euro). Mais ne voulons-nous pas de plus faibles taux d’intérêt ? N’est-ce pas l’objectif des achats massifs d’actifs à long terme des banques centrales ? Oui, si nous parlons des taux d’intérêt réels, mais ce n’est pas évident si nous parlons des taux d’intérêt nominaux. Ce que nous voulons vraiment, c’est que les anticipations d’inflation (et l’inflation) s’accroissent et cela est susceptible d’empêcher les taux d’intérêt de long terme de tomber beaucoup.

Et c’est là où je me dis que les banques centrales ne sont pas très efficaces. Il y a deux erreurs qu’elles commettent : dans leur communication à propos des taux d’intérêt, elles ne distinguent pas clairement entre les taux réels et les taux nominaux. Ce que je veux faire, c'est envoyer comme message que les taux d’intérêt réels vont rester faibles pendant une longue période de temps pour être certain que l’inflation sera plus forte après et que les taux d’intérêt nominaux dans le futur augmentent, donc que nous pouvons échapper à la borne inférieure zéro. En ne parlant que des taux d’intérêt nominaux, les banques centrales envoient comme signal que nous allons être piégés à la borne inférieure zéro pendant longtemps, un message qui semble être un aveu de défaite. Elles ne peuvent parvenir à sortir de cette trappe.

Et cela m’amène à la seconde erreur des banques centrales : leur conception asymétrique de leur cible d’inflation. Aux Etats-Unis, l’inflation et l’inflation sous-jacente se rapprochent lentement vers la cible de 2 %. Certains y voient la preuve que la menace de la borne inférieure zéro ou de la trappe déflationniste a été écartée. Mais c’est une mauvaise interprétation. Le fait que le taux des fonds fédéraux reste si proche de 0 % signifie que nous sommes toujours à la borne inférieure zéro ou proche d’elle, si bien que nous devons rester pragmatiques. La Réserve fédérale ne pourra seulement parler de succès que lorsque le taux des fonds fédéraux sera de nouveau à 3 %, c’est-à-dire avec une marge de sécurité suffisante par rapport à 0 %. Mais pour y parvenir nous devons atteindre une plus forte inflation, du moins temporairement. Tout cela est encore plus vrai dans le cas de la BCE.

En résumé, le succès lorsque l’on cherche à échapper de la borne inférieure zéro se jauge, non pas en fonction du temps que les taux d’intérêt des banques centrales restent à 0 %, mais en fonction de leur rapidité à s’écarter de 0. Les banques centrales ne communiquent pas clairement dessus parce qu'elles craignent que cela soit interprété comme signalant un resserrement prochain de leur politique monétaire. Mais ce faisant elles réduisent leur capacité à échapper de la trappe à faible inflation. »

Antonio Fatás, « Central Banks need to get real (not nominal) », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 29 mars 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 12 mars 2016

BCE : « je ne peux pas faire tout ce qu’il faudrait »

« La BCE vient d’annoncer une nouvelle réduction des taux d’intérêt, une extension de son programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) via l’accroissement du rythme auquel elle va acheter des actifs, mais aussi renforcé le programme LTRO et étendu son horizon. Tout cela s’apparente à de bonnes nouvelles. En fait, beaucoup de ces actions étaient déjà attendues à la veille de la dernière réunion de l’année 2015, mais elles n’y avaient pas été annoncées. Les marchés ont donc réagi très positivement à l’annonce, mais plus tard, après la conférence de presse, ils descendirent à des niveaux qui furent significativement inférieurs au niveau qu’ils atteignaient avant l’annonce.

Il est toujours difficile de commenter les raisons pour lesquelles les marchés réagissent d’une manière ou d’une autre à des annonces de politique monétaire. Toutefois, en voyant la conférence de presse j’en ai beaucoup appris de l’état de désespoir et peut-être aussi de confusion qui règne à la BCE, qui n’a pas été très rassurante. Ce n’est peut-être pas de leur faute. Après tout, c’est la vie lorsque les taux d’intérêt des banques centrales atteignent leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et il y a très peu de choses qu’elles peuvent alors faire. Et les outils disponibles ne sont pas faciles à présenter et expliquer aux marchés et plus largement à la population. 20 milliards d’euros en supplément pour l’assouplissement quantitatif, notamment pour des achats d’obligations d’entreprises, des prêts aux banques à des taux négatifs, ce sont des politiques bien plus difficiles à comprendre et à calibrer (même pour les économistes) qu’une réduction des taux d’intérêt.

Donc qu’avons-nous appris jeudi ? Que la BCE veut faire plus, mais qu’il n’y a pas d’outil magique qui sortirait la zone euro du piège où elle se trouve actuellement. Que la BCE désire en faire plus, malgré le fait qu’il y ait de la résistance interne, est une bonne nouvelle. Mais le message (explicite ou implicite) selon lequel ils ont clairement atteint leur limite est une mauvaise nouvelle. La conférence de presse met en évidence le fait que les taux d’intérêt ne peuvent diminuer davantage. Et, en ce qui concerne l’assouplissement quantitatif, il y a toujours une marge pour élargir l’ensemble d’actifs qui sont inclus dans le programme, mais c’est précisément ce que la Banque du Japon a fait pendant longtemps sans obtenir un grand succès.

En résumé, la trappe de la borne inférieure zéro est réelle. En l’absence de politique budgétaire agressive ou d’une amélioration profonde et soudaine dans l’économie mondiale, la BCE va avoir beaucoup de mal ces prochains temps à atteindre sa cible d’inflation ou à aider l’économie de la zone euro à retourner à des taux de croissance normaux.

« Qu’importe ce qu’il faut (whatever it takes) pour réparer ceci » ne semble pas faire partie des outils que la BCE a à sa disposition. Et je n’ose pas imaginer à quoi les prochaines conférences de presse de la BCE vont ressembler. »

Antonio Fatás, « ECB: I cannot do whatever it takes », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 10 mars 2016. Traduit par Martin Anota

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