« Le prix du Bitcoin vient juste de passer les 11.000 dollars. Il y a un an, il valait moins de 800 dollars. Les économistes et les commentateurs s’inquiètent donc de plus en plus à l’idée qu’il puisse s’agir d’une bulle qui n’attend plus qu’à éclater. Nous passons en revue divers commentaires sur le sujet.

Le prix du Bitcoin a atteint et dépassé les 11.000 dollars, alors qu’il s’élevait à seulement 800 dollars il y a un an (cf. graphique). Selon The Economist (…), les cours sur le marché boursier sont certes élevés depuis quelques temps, les actions ne connaissent pas la même effervescence qu’ils ont connue avec la bulle internet de 1999-2000. Cette effervescence s’est déplacée au monde des crypto-monnaies comme le Bitcoin ou l’Ethereum. L’attrait dont elles bénéficient s’explique par trois choses : le fait que l’offre soit limitée ; les craintes à propos de la valeur à long terme des monnaies fiduciaires dans une ère d’assouplissement quantitatif ; et l’anonymat qu’elles permettent. Ces trois facteurs expliquent pourquoi le Bitcoin fait l’objet d’une certaine demande, mais pas pourquoi son prix a récemment augmenté. Peut-être que la demande de Bitcoin a augmenté du fait que certains s’attendent à ce que le blockchain, la technologie qui sous-tend le Bitcoin, finisse par être utilisé dans l’ensemble de l’industrie financière. Mais vous pouvez créer des blockchains indépendamment du Bitcoin ; les succès respectifs des blockchains et du Bitcoin ne sont pas inextricablement liés. Il est plus probable que la demande de Bitcoin augmente précisément parce que son prix augmente.

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source : The Economist (2017)

Bloomberg a publié un article sur ce qui pourrait faire éclater la bulle du Bitcoin. Premièrement, avec les divisions parmi les développeurs autour de la façon d’améliorer le réseau du Bictoin (…),différentes versions de la devise ont émergé de l’originale. Une fragmentation excessive peut se révéler catastrophique pour le Bitcoin, exactement comme elle l’a été pour le système financier américain durant l’ère de la banque libre. Deuxièmement, le spectre d’une répression complète sur les crypto-monnaies reste un risque extrême très présent, dans la mesure où le Bitcoin a pu être par le passé un moyen pour acheter des matériaux illicites, un véhicule pour la fuite des capitaux et une victime de détournements. Troisièmement, l’actif peut tomber entre les mains de hackers, comme ce fut le cas en 2011. Mais le piratage de 31 millions de dollars de la devise alternative "tether" un peu plus tôt ce mois n’a ralenti que momentanément la progression du Bictoin. Quatrièmement, l’introduction de futures peut amener davantage d’investisseurs à des prises de positions qui poussent les prix à la baisse. Cinquièmement, l’échec des échanges des grandes crypto-monnaies à gérer le trafic le jour où le Bitcoin a atteint les 10.000 dollars a rendu manifestes les problèmes de flexibilité auxquels les crypto-monnaies font face comme véhicules spéculatifs. Enfin, la soudaine hausse parabolique du Bitcoin est une énigme. Par conséquent, qu’est-ce qui nous empêche de penser qu’il puisse connaître soudainement la même trajectoire à la baisse?

Les économistes sont intervenus dans le débat, quelques fois en proposant des solutions extrêmes. Dans un entretien accordé à Quartz, Robert Shiller affirme que le Bitcoin est actuellement le meilleur exemple d’exubérance irrationnelle ou de bulle spéculative, alimentée par l’idée que les gouvernements ne peuvent le stopper, ni le réguler, qui résonne avec l’angoisse de notre époque. Dans un récent entretien accordé à Bloomberg, Joseph Stiglitz a dit que le Bitcoin rencontre le "succès seulement en raison des possibilités de contournement qu’il offre, du peu de surveillance dont il fait l’objet" et qu’il "doit être prohibé" parce qu’"il n’assure aucune fonction socialement utile".

Jean Tirole écrit dans le Financial Times qu’il y a plusieurs raisons d’être prudent à l’égard du Bitcoin ; les investisseurs doivent être protégés et l’on doit empêcher les banques réglementées, les assureurs et les fonds de pensions de s’exposer à ces instruments. Tirole affirme que le Bitcoin est une pure bulle, un actif sans valeur intrinsèque, donc insoutenable si la confiance disparaît. La valeur sociale du Bictoin est également douteuse : à la différence de l’assurance traditionnelle, il ne génère pas de seigneuriage, mais des "mining pools" s’affrontent pour obtenir des Bitcoins en investissant dans la puissance de calcul et en dépensant en électricité. Le Bictoin est peut-être un rêve libertarien, mais c’est un vrai mal de crâne pour ceux qui voient la politique publique comme un complément nécessaire aux économies de marché. Il est toujours trop souvent utilisé pour l’évasion fiscale ou le blanchiment d’argent et il présente des problèmes en ce qui concerne la capacité des banques centrales à mettre en œuvre des politiques contracyliques. Les avancées technologiques peuvent améliorer l’efficacité des transactions financières, mais elles ne doivent pas nous amener à oublier les fondamentaux économiques.

Kenneth Rogoff pense qu’à long terme la technologie va se développer, mais que le prix du Bitcoin va s’effondrer. La suite des événements va dépendre de la réaction des gouvernements et du succès que rencontreront les divers concurrents au Bitcoin dans leurs tentatives de pénétrer le marché. En principe, il est facile de cloner ou d’améliorer la technologie du Bitcoin, mais pas de dupliquer sa réputation, sa crédibilité et le large écosystème d’applications qui se sont accumulées autour de lui. Pour l’instant, l’environnement réglementaire reste chaotique, mais si le Bitcoin perdait de son quasi-anonymat, il serait difficile de justifier son prix actuel. Peut-être que les spéculateurs du Btcoin parient qu’il va toujours y avoir un consortium d’Etat rebelles qui autorisera l’usage du Bictoin ou même des acteurs étatiques tels que la Corée du Nord qui l’exploiteront. Il est également difficile de voir ce qui empêcherait les banques centrales de créer leurs propres devises digitales et d’utiliser la réglementation pour faire pencher la balance en leur faveur jusqu’à ce qu’elles gagnent. La longue histoire des monnaies nous enseigne que les innovations du secteur privé finissent par être réglementées et appropriées par l’Etat.

Tyler Cowen avait l’habitude de considérer le Bitcoin comme une bulle, mais plus maintenant. Il affirme que nous devons considérer que le Bitcoin joue de plus en plus un rôle qu'a pu tenir l’or, voire l’art. L’or, aussi, dans ses fonctions de couverture s’apparente à une "bulle", mais n’en est pas une. Il est difficile à transporter, mais il a une certaine valeur supplémentaire parce qu’il est perçu comme un actif central et qu’il n’est pas positivement corrélé avec le portefeuille de marché d’une façon simple. La même chose est exacte pour le Bitcoin, mais ce genre d’effervescence peut persister pendant des siècles. L’or sert moins en tant qu’instrument de couverture, en partie parce que l’inflation a été faible et en partie parce que la Chine et l’Inde ont dominé le marché de l’or (…). Donc, de nouvelles et meilleures couvertures sont nécessaires. Et le Bitcoin est un bon candidat à cet égard.

John Cochrane pense que ce qui se passe avec le Bictoin s’apparente à un phénomène parfaitement "normal". Combinez un rendement d’opportunité et une demande spéculative avec une offre temporairement limitée, plus une offre de substituts temporairement limitée, et vous obtenez une hausse du prix du Bitcoin. Cela peut aider s’il y a une forte asymétrie d’information ou d’opinion pour stimuler les échanges et, étant donné l’origine douteuse de la demande de Bitcoin (il n’y a pas de rapports annuels sur le volume que la mafia russe veut placer à l’étranger la semaine prochaine) c’est également possible.

Izabella Kaminska a un long article (…) où elle explique pourquoi les futures en Bitcoin et une structure de marché bien imparfaite posent problème. Elle écrit aussi dans le Financial Times que le véritable investissement n’est pas la même chose que le jeu et que, dans un contexte où la crypto-monnaie fait l’objet d’un fort engouement, les régulateurs doivent souligner cette distinction. Pendant des décennies, les régulateurs à travers du monde ont cherché à atténuer les effets négatifs du jeu. Pendant longtemps, les zones de jeu autorisées confinées à des zones géographiques spécifiques ont semblé constituer la solution optimale. Ce n’est plus le cas avec l’avènement d’Internet. Les contraintes géographiques ont commencé à perdre de leur sens, tandis que l’innovation (notamment l’invention de crypto-monnaies) a remis en cause l’efficacité des interdictions. Même si les échanges de crypto-monnaies étaient interdis, il est probable que certaines juridictions continueraient de les autoriser, que des portes dérobées soient créées en ligne pour continuer de servir les clients dans les zones restreintes. Cela ne laisse aujourd’hui qu’une option aux régulateurs. Les activités associées au jeu doivent être stigmatisées et non promues. »

Silvia Merler, « The Bitcoin Bubble », in Bruegel (blog), 4 décembre 2017. Traduit par Martin Anota