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Tag - Brad Setser

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mardi 10 septembre 2019

Si la Chine suit les conseils du FMI, elle va renouer avec les amples excédents courants

« Il y a depuis longtemps une tension fondamentale dans l’analyse que fait le FMI de l’économie chinoise. D’une part, le Fonds pense que les comptes externes de la Chine sont maintenant assez bien équilibrés. D’autre part, le Fonds ne pense pas que les politiques qui ont conduit à la baisse de l’excédent du compte courant de la Chine soient soutenables ; il désire un ralentissement de la croissance du crédit (…) et beaucoup de consolidation budgétaire (…).

Le Fonds s’est opposé à la relance de la Chine en 2015-2016 ; elle voulait alors que la Chine accepte à la place un ralentissement de sa croissance économique. Pourtant, sans cette relance, la reprise du commerce international en 2017 aurait été bien plus faible et le compte courant de la Chine ne se serait pas rapproché de l’équilibre.

Et la dernière évaluation du FMI de l’économie chinoise s’interprète essentiellement comme un avertissement contre un assouplissement excessif en riposte aux droits de douane de Trump (…). Mais il faut tenir compte que plusieurs vagues de nouveaux droits de douane se sont succédées depuis qu’elle a été réalisée.

La Chine semble avoir suivi le conseil du Fonds ; elle n’a pas desserrée la pression sur le système bancaire parallèle et l’assouplissement budgétaire a été modéré. Le Fonds pense que le déficit budgétaire de la Chine en 2019 (en prenant en compte les véhicules d’investissement des gouvernements locaux), rapporté au PIB, va augmenter de 1,5 point de pourcentage. Mais puisque la relance budgétaire de la Chine a été mal ciblée, on s’attend à ce qu’elle ne rapporte qu’un point supplémentaire à la croissance chinoise. (Je suis d’accord à l’idée que la relance a été mal conçue, avec trop de place donnée aux baisses d’impôts.)

Le problème ? Avec un recul du crédit des banques parallèles et un assouplissement plus modeste qu’en 2016 et 2017, l’excédent du compte courant de la Chine revient (contrairement aux prédictions de The Economist, du Wall Street Journal et de la plupart des analystes de banques d’investissement).

Les importations manufacturières nominales chutent de 8 % d’une année sur l’autre au cours de la première moitié de 2019 et les importations réelles se contractent aussi (selon l’équipe chinoise d’UBS). Si l’économie chinoise était jugée en fonction des seules données commerciales (même en laissant de côté le commerce avec les Etats-Unis), vous penseriez qu’elle connaît quelque chose ressemblant à une récession et qu’elle a besoin d’un surcroît de relance pour stabiliser l’activité. La Chine a aussi une inflation sous contrôle et de faibles taux d’intérêt réels ; selon les indicateurs standards, elle ne semble à l’évidence pas en surchauffe.

Pourtant, le FMI conseille une consolidation budgétaire de 7,5 points de pourcentage du PIB étalée au cours du temps, conjuguée à un ralentissement de la croissance de l’endettement privé. C’est une prescription de politique économique qui, selon moi, nous ramène à d’amples excédents externes chinois. Le modèle de base du compte courant qu’utilise le Fonds indique qu’une consolidation budgétaire d’un point de pourcentage augmente normalement le solde du compte courant d’environ un tiers de point de PIB. Par conséquent, une consolidation budgétaire de 7,5 points de pourcentage devrait générer une hausse du solde externe de 2,5 points de pourcentage de PIB.

Après l’expansion de l’excédent de compte courant lors de la première moitié de 2019, l’excédent de la Chine est maintenant compris entre 1,5 et 2 points de pourcentage du PIB (…). La recommandation budgétaire du Fonds (si elle était pleinement mise en œuvre) génèrerait un excédent de compte courant de plus de 4 % du PIB. C’est assez large en termes de dollars, 800 milliards de dollars, voire plus, selon la taille prévue de l’économie chinoise à l’avenir (le Fonds veut que l’ajustement budgétaire soit graduel et il prévoit un PIB chinois d’environ 20.000 milliards de dollars en 2024).

La Chine est bien sûr un cas spécial. Seule Singapour présente des niveaux aussi élevés d’épargne nationale. Et une cité-Etat avec une économie de 300 milliards de dollars peut s’en tirer avec un excédent courant équivalent à 15-20 % de son PIB, mais pas une économie de 13.000-14.000 milliards de dollars. Le taux d’épargne nationale de la Chine, supérieur à 40 % de son PIB, est trop important, aussi bien pour la Chine que pour le monde.

C’est pourquoi un déficit budgétaire que le Fonds considère insoutenable (…) n’est pas parvenu à générer un déficit de compte courant. Et c’est aussi pourquoi le Fonds est dans une position difficile.

L’ensemble des politiques qui ont permis de réduire l’excédent externe de la Chine ne passe pas les tests de soutenabilité budgétaire du Fonds. Et les politiques qui stabiliseraient la situation budgétaire de la Chine pourraient, selon la modélisation même du Fonds, déséquilibrer les comptes externes de la Chine.

(…) Le Fonds s’attend à ce que la Chine connaisse de plus larges déficits budgétaires que ce qu’il considère comme optimal. Et il semble désormais que ces déficits budgétaires ne suffiront pas pour maintenir le coupe courant de la Chine à l’équilibre ; je ne pense pas que la récente hausse du solde externe de la Chine ait reçut l’attention qu’elle méritait. L’excédent externe de la Chine en 2019 est susceptible de tourner autour des 200 milliards de dollars (il était de 185 milliards de dollars au cours des quatre derniers trimestres de données).

Mais il y a un point plus important : aussi longtemps que le taux d’épargne nationale de la Chine représente autour des 43-44 % de son PIB, il est possible que la Chine génère un excédent courant plus important (et plus problématique pour le monde). Une manière de le montrer est de considérer l’épargne annuelle de la Chine en dollars : elle approche désormais les 6.000 milliards de dollars, alors qu’elle n’était que d’environ 2.000 milliards de dollars avant la crise financière mondiale. La matière brute pour un très ample excédent est toujours là.

Pour réduire prudemment le déficit budgétaire de la Chine, il faudrait, selon moi, des réformes très agressives (davantage d’assurance sociale, davantage de progressivité dans le système fiscal) pour réduire le taux d’épargne. Et j’ai l’impression que ce point s’est un peu perdu dans l’analyse du Fonds cette année.

Ou, pour le dire autrement, le Fonds a comme négligé les conséquences mondiales de sa trajectoire budgétaire favorite pour la Chine… et au demeurant les conséquences mondiales de la somme de ses recommandations budgétaires nationales. Une consolidation budgétaire équivalente à 3 % du PIB mondial est une bonne recette pour maintenir les principaux taux d’intérêt mondiaux en territoire négatif pour longtemps. »

Brad Setser, « The IMF's (new) China problem », in Follow the Money (blog), août 2019. Traduit par Martin Anota

mercredi 4 septembre 2019

Si tous les pays suivaient les recommandations du FMI, le monde souffrirait d’un manque de demande

« Je doute que le FMI désire réellement que le monde adopte les mêmes politiques budgétaires que la zone euro. Après tout, les taux d’intérêt sont mondialement faibles à présent et négatifs dans plusieurs grandes économies avancées. Ils rendent les déficits soutenus moins coûteux (si on vous paye pour emprunter, votre dynamique de dette "intrinsèque" est bien plus favorable), l’emprunt pour financer les investissements publics plus attrayant (les taux d’intérêt réels sont négatifs) et la politique budgétaire presque partout essentielle pour faire face aux récessions (cf. Olivier Blanchard).

Mais le FMI croit officiellement que la zone euro a la politique budgétaire plus ou moins dans la bonne direction à moyen terme. La zone euro a généré un déficit budgétaire de 0,7 % de PIB en 2018. Le FMI pense que la bonne orientation budgétaire pour la zone euro est un déficit de 0,2 % du PIB (…). La zone euro est plus proche de sa politique budgétaire optimale que n’importe quelle autre grande économie.

La Chine doit générer un déficit budgétaire de 1,5 % du PIB, non un déficit de 4,8 % (…). Le Japon doit rechercher l’équilibre budgétaire, non un déficit d’environ 3 % du PIB. Les Etats-Unis doivent atteindre un déficit budgétaire de 1,5 % du PIB, non de 5,4 % (…). Dans chacun de ces pays, le FMI appelle à une consolidation budgétaire de plus de 3 points de pourcentage du PIB au cours du temps. Pour être exact, le FMI indique que ces chiffres ne sont pas l’orientation budgétaire qu’il recommande à moyen terme ; il s’agit plutôt de cibles pour le long terme. Mais ces chiffres montrent aussi quelque chose d’important. Alors que le FMI a appelé certains pays "excédentaires" d’Europe à réduire leurs excédents budgétaires, les rapports que le FMI a réalisés pour les pays pris individuellement (et représentant l’essentiel de l’économie mondiale) appellent en définitive à une politique budgétaire substantiellement plus restrictive. Même à l’intérieur de la zone euro, le FMI appelle officiellement à resserrer davantage la politique budgétaire dans un monde de taux nuls.

Le rapport de surveillance externe vise à mettre en lumière des problèmes d’agrégation au niveau mondial : tous les pays ne peuvent pas fonder leur croissance sur leurs exportations par exemple. Mais je pense que le rapport révèle maintenant un autre problème d’agrégation. Si le monde adoptait les conseils budgétaire du FMI (en l’occurrence une consolidation budgétaire équivalente à 2 points de pourcentage du PIB mondial), le monde manquerait de demande. Par exemple, il conseille au monde de consolider davantage ses finances publiques à une époque où les taux d’intérêt sont extrêmement faibles. (…)

La façon la plus facile de le voir est de se pencher sur les estimations du FMI pour un pays comme l’Allemagne. Le FMI veut que l’Allemagne assouplisse sa politique budgétaire pour l’équivalent de 1,5 point de pourcentage de son PIB. Cela réduirait l’excédent allemand. Et la dernière analyse de l’article IV de l’Allemagne que réalise le FMI propose d’autres bonnes pistes pour réduire l’excédent allemand (notamment des politiques qui soutiendraient les salaires et accroîtraient le revenu des ménages en proportion du PIB). Personnellement, je pense que l’Allemagne, en tant que fournisseur de l’un des véritables actifs de réserve mondiaux, devrait générer un déficit budgétaire plus ample que ne le conseille le FMI, mais il ne faut pas faire le difficile lorsque le FMI pousse l’Allemagne dans la bonne directement. Toutefois, on s’attend à ce que l’impact de l’expansion budgétaire recommandée sur l’excédent externe de l’Allemagne soit modeste, d’environ un demi-point de PIB.

L’essentiel du changement attendu du côté de l’excédent allemand avec l’adoption de l’orientation budgétaire recommandée par le FMI viendrait de la consolidation budgétaire dans les principales destinations à l’exportation de l’Allemagne comme le FMI désire mondialement une consolidation budgétaire d’environ 2 points de pourcentage. La consolidation budgétaire mondiale fournit 0,7 points de pourcentage du PIB des 1,2 points de pourcentage du PIB de la contribution budgétaire attendue de la politique budgétaire à la réduction de l’excédent allemand.

Et le FMI n’est pas en train de recommander l’expansion budgétaire pour certaines pays excédentaires et la consolidation budgétaire pour certains pays déficitaires (comme les Etats-Unis). Il conseille aussi la consolidation budgétaire pour des pays excédentaires avec de fortes positions en "stock" (beaucoup d’avoirs externes) comme la Chine et le Japon. Dans ces pays, le conseil budgétaire du FMI irait à l’encontre de l’objectif de réduction de leurs déséquilibres commerciaux.

Considérez la Chine. Le FMI désire une consolidation budgétaire de trois points de pourcentage, quelque chose qui devrait accroître l’excédent de compte courant de la Chine d’environ un point de pourcentage. Cela déséquilibrerait la position externe de la Chine. La seule raison pour laquelle cela n’apparaît pas clairement dans l’analyse budgétaire du FMI est que le FMI désire aussi une forte consolidation budgétaire dans les partenaires commerciaux de la Chine. Si tous les pays suivaient le conseil du FMI, le resserrement budgétaire aux Etats-Unis, au Japon et dans l’essentiel de la zone euro réduirait les exportations chinoises alors même que la consolidation budgétaire chinoise réduirait les importations chinoises, rapprochant la Chine de l’équilibre externe.

Cela peut ressembler à une critique du rapport du secteur externe du FMI. Mais ce n’est pas le cas. Sans le rapport de surveillance externe du FMI, il serait difficile de savoir précisément quel genre de politiques le FMI préconise pour le monde dans son ensemble. C’est une critique du conseil budgétaire qui émerge du travail du FMI sur les pays pris individuellement, conseil qui génèrerait un puissant biais déflationniste dans l’économie mondiale s’il était universellement adopté. L’expansion budgétaire que le FMI conseille pour l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et la Corée du Sud reste bien trop modeste pour compenser la consolidation budgétaire qu’il recommande pour les plus grandes économies au monde. (..) »

Brad Setser, « The IMF (still) cannot quit fiscal consolidation… », in Follow the Money (blog), 24 juillet 2019. Traduit par Martin Anota

mardi 26 mars 2019

Pourquoi les déséquilibres de la Chine font de sa politique industrielle un pari risqué

« La Chine a adopté une politique visant à "localiser" en son sein la production de l’essentiel des biens de haute technique dont son économie a besoin. C’est le cœur de son projet "made in China 2025" (qui, officiellement, a disparu, mais les politiques qui lui sont sous-jacentes semblent toujours en vigueur). Ce programme repose sur une combinaison de subventions (certaines déguisées, dans la mesure où elles passent par des fonds d’investissement soutenus par l’Etat et les secteurs financiers) et de clauses favorisant les achats de produits domestiques.

Au cours de son histoire, la Chine a régulièrement laissé divers pans de l’Etat chinois concurrencer, absorber les pertes et ensuite se consolider autour des firmes en réussite. D’autres pays s’inquièteraient face à de telles pertes. Mais la Chine est bonne pour les dissimuler et elle a su absorber de larges pertes comme un coût inévitable de sa croissance rapide. L'argument habituel avancé contre l’idée d’une telle combinaison de politique industrielle et de protectionnisme est qu'elle ne fonctionnera tout simplement pas. Un pays qui subventionne ses industries finit avec des industries inefficaces. Les protections visant à privilégier les achats de produits domestiques protègent les entreprises locales inefficaces de la concurrence mondiale et cela laissera au final les utilisateurs d'équipements chinois avec des produits inférieurs.

Mais la Chine est, pour reprendre la phrase de Philip Pan, l’État qui n'a pas réussi à échouer.

Le cas de Huawei est significatif pour diverses raisons. Ses origines sont complexes, mais cette entreprise n'a clairement pas commencé comme un Goliath public. Elles'est révélée en Chine et dans le reste du monde avant d’émerger comme le champion national chinois dans l’industrie d'équipement en télécommunications.Mais elle a aussi clairement bénéficié des achats préférentiels de produits domestiques par les firmes de télécommunication publiques et d’énormes montants de financement de l’exportation (pour ses clients, pas directement pour elle-même). Et il se pourrait qu’elle possède désormais un avantage technologique en plus de son avantage en termes de coûts dans l’équipement d’infrastructure nécessaire pour la 5G.

Par conséquent, je ne pense pas que les Etats-Unis puissent partir de l’hypothèse que les subventions que la Chine accorde son industrie aéronautique et son secteur des semi-conducteurs échoueront. Les efforts de la Chine sont susceptibles d’être coûteux, mais ils risquent aussi de produire un champion national chinois qui produira des équipements fonctionnels avec un faible coût de production marginal (les échecs passés de la Chine dans le secteur semi-conducteurs ne l’ont pas empêché d’essayer de nouveau).

Il y a cependant un second argument pour adopter une approche mesurée à l’égard des politiques industrielles de la Chine : leur impact mondial sera modeste.La Chine peut réduire les exportations futures des Etats-Unis en construisant son propre concurrent au Boeing 737 et aussi réduire les exportations futures de l’Europe si Airbus décide de construire l’A330 en Chine et la Chine achète des moteurs Rolls-Royce « made in China » pour le C929 et l’A330.Mais au final une Chine qui n’importe pas ne devrait pas beaucoup exporter.

C’est dans un sens la contrainte naturelle sur les politiques de la substitution des importations. Une taxe sur les importations est aussi, selon l’économie internationale de base, une taxe sur vos exportations. C’est le raisonnement que suit Krugman pour expliquer l’échec du protectionnisme de Trump à réduit le déficit commercial des Etats-Unis : "Bien sûr, les droits de douane peuvent réduire les importations des biens qui sont sujets à ces droits de douane et ainsi réduire le déficit commercial dans des secteurs en particulier, mais c’est comme appuyer sur un ballon : vous écrasez l’endroit où vous appuyez, mais cela ne fera qu’augmenter d’un même montant un autre endroit. L’appréciation du dollar, qui nuit aux exportations, est l’un des principaux canaux par lesquels les déficits commerciaux sont susceptibles de se maintenir. Mais le résultat fondamental, le fait que les droits de douane ne réduisent pas le déficit commercial global, est clair". Remplacez "droits de douane" par "subventions et clauses favorisant les achats de produits domestiques" qui agissent comme des barrières aux importations et le même processus s’appliquera à la Chine.

La Chine peut réussir dans certains secteurs, mais lors du processus elle va effectivement y perdre dans d’autres. (…) En fait, derrière le projet de la Chine 2025, les Chinois veulent faire des semi-conducteurs plutôt que continuer à faire de l’industrie textile et un travail d’assemblage à faible valeur ajoutée. S’ils parvenaient à faire des puces et avions, ils en seraient heureux. Mais cela signifie plus d’exportations bangladaises de vêtements et plus d’assemblage d’électronique au Vietnam, et donc plus de demande d’avions de la part de ces pays, ce qui aiderait Boeing et Airbus à compenser les commandes perdues en Chine, et ainsi de suite.

Tout cela ne survient pas tout seul, l’ajustement immaculé est un mythe. Les prix doivent s’ajuster pour créer les incitations économiques pour qu’il y ait ajustement. Mais en théorie si vous n’importez pas beaucoup, vos importateurs ne vont pas avoir besoin de beaucoup de devises étrangères. Donc lorsque vos exportateurs veulent vendre les devises étrangères qu’ils gagnent à l’étranger pour rémunérer la main-d’œuvre et rapatrier leurs profits, ils vont augmenter le prix de la devise locale. Et le taux de change plus élevé réduit à son tour les exportations au cours du temps.

En d’autres termes, si la Chine 2025 réussit, la Chine devra à la fois importer et exporter moins. Ces secteurs manufacturiers aux Etats-Unis et en Europe qui exportent aujourd’hui le plus vers la Chine vont en être affectés, mais l’impact mondial agrégé sera modeste.

Cependant quelque chose m’inquiète ici : la base macroéconomique de l’ajustement d’après-crise de la Chine est fragile. La chute d’après-crise de l’excédent chinois vient d’une combinaison de relance budgétaire (hors Budget, finançant l’investissement des gouvernements locaux dans les infrastructures) et d’une forte hausse du crédit domestique. L’investissement, en pourcentage du PIB chinois, notamment un investissement public, est supérieur à ses niveaux d’avant-crise. Il s’élève toujours à 45 % du PIB chinois. C’est dix points de pourcentage de PIB de plus que son niveau en 2000.

GRAPHIQUE L’investissement chinois (en % du PIB)

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Et le FMI, parmi d’autres, pense que l’équilibre macroéconomique courant est intrinsèquement instable, dans la mesure où il repose sur une relance insoutenable qui mène à une hausse insoutenable de la dette.

Fondamentalement, le maintien de l’excédent de compte courant de la Chine à un faible niveau quand le taux d’épargne de la Chine est proche de 45 % du PIB (et l’épargne du secteur des ménages représente 23 % du PIB, 15 points de pourcentage PIB au-dessus de la moyenne mondial) pose un problème.

GRAPHIQUE Taux d’épargne national (en % du PIB)

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Longmei Zhang, Ray Brooks, Ding Ding, Haiyan Ding, Hui He, Jing Lu et Rui Mano du FMI l’indiquent bien : "Le taux d’épargne national élevé de la Chine (l’un des plus élevés au monde) est au cœur de ses déséquilibres externes et internes. Cette forte épargne finance un investissement élevé quand elle est détenue par les résidents ou mène à d’amples déséquilibres externes quand elle afflue à l’étranger… Quand elle est détenue par les résidents, la forte épargne est souvent intermédiée via le système financier et peut alimenter des booms de l’investissement basé sur le crédit. Le déséquilibre externe de la Chine s’est fortement réduit (avec l’excédent du compte courant baissant à 2 % du PIB) depuis la crise financière mondiale, mais il a été remplacé par un accroissement du déséquilibre interne. L’épargne a été absorbée par un investissement élevé, qui est sujet à des rendements décroissants".

Donc, qu’est-ce qui m’inquiète ? L’intersection entre les politiques industrielles de la Chine et son ajustement externe incomplet.

Dans une économie normale, une réduction des importations amènerait la devise à s’apprécier et réduirait les exportations, créant un mécanisme naturel pour ramener le monde à l’équilibre. La Chine importerait moins d’avions et de processeurs, et exporterait moins de routeurs et de machines de commutation (Huawei) et de moteurs industriels et ainsi de suite (ou, dans la version chinoise, moins de vêtements et d’électronique bas de gamme).

Mais dans le cas de la Chine, il est possible que le stimulus économique résultant de la substitution de la production chinoise aux importations (une hausse des exportations nettes) soit compensée par une réduction de la relance de la Chine. Cela atténuerait la pression à la hausse sur le yuan. Donc, les politiques industrielles de la Chine peuvent finir par réduire les importations de la Chine dans les secteurs où elle importe aujourd’hui beaucoup sans réduire automatiquement les exportations chinoises.

Donc, il demeure selon moi un risque non négligeable que la Chine passe à un certain moment d’un équilibre macroéconomique caractérisé par une large relance, un fort investissement, une forte épargne et un faible excédent externe à un équilibre caractérisé par un faible investissement, une forte épargne et un excédent externe élevé. La Chine est passée des exportations à l’investissement durant la crise. Elle peut revenir aux exportations si elle permettait au yuan de flotter et le yuan ira à la baisse…

Il est difficile, du moins pour moi, d’imaginer qu’une situation gagnante pour tout le monde émergera des négociations autour des politiques industrielles de substitution aux importations de la Chine. Je ne considèrerais pas la délocalisation en Chine dela production des composants d’avions des constructeurs de l’aviation civile américaine comme une "victoire" pour les travailleurs américains. Si elle devait revenir sur sa politique de substitution aux importations, je ne suis pas sûr que la Chine y voie une victoire.

Une solution gagnante pour tous pourrait venir d’une extension de l’assurance sociale de la Chine et d’une réduction de l’énorme stock d’épargne domestique qui, dans un sens, laisse la Chine investir en toute liberté dans tout un éventail de projets de rattrapage risqués sans avoir à beaucoup s’inquiéter des pertes qu’elle pourrait connaître sur le chemin. Bref, d’une réduction du taux d’épargne domestique de la Chine pour ramener l’équilibrage externe de la Chine sur une trajectoire plus soutenable. »

Brad Setser, « Why China's incomplete macroeconomic adjustment makes China 2025 a bigger risk », in Follow the Money (blog), 14 mars 2019. Traduit par Martin Anota

lundi 18 février 2019

Les arguments en faveur d’une relance allemande sont légion

« L’économie allemande ralentit davantage que ne l’implique le ralentissement manifeste de ses exportations (cf. Gavyn Davies, qui, pour être exact, croit que certains des freins à la croissance allemande durant la seconde moitié de l’année 2018 ont été des événements temporaires).

GRAPHIQUE 1 Variation des exportations allemandes (en rythme annuel, moyenne mobile sur trois mois, en %)

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L’Allemagne a fini l’année 2018 avec un excédent budgétaire équivalent à environ 1,75 % de son PIB.

GRAPHIQUE 2 Le solde budgétaire de l’Allemagne (en % du PIB)

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L’Allemagne a sous-investi dans ses infrastructures publiques pendant plusieurs années. Alexander Roth et Guntram Wolff de Bruegel notent que "depuis les années deux mille, l’Allemagne a présenté des ratios de formation nette de capital fixe public très faibles, voire négatifs, inférieurs à ceux de la plupart des autres pays européens". Et le Président Trump n’a pas entièrement tort lorsqu’il critique l’échec de l’Allemagne à honorer ses engagements en matière de dépenses de défense dans le cadre de l’OTAN.

L’accord de la coalition allemande implique une modeste relance cette année. Mais l’Allemagne a régulièrement, par le passé, fourni moins de relance qu’attendu. Le FMI prévoit depuis plusieurs années une baisse de l’excédent budgétaire, or ce dernier a continué d’augmenter. Cette fois les choses pourraient être différentes, mais j’attends de voir que l’Allemagne le montre… et franchement elle devrait adopter dès à présent un peu de relance supplémentaire juste pour nous en assurer.

Le ministre des Finances allemand s’inquiète à l’idée que la marge de manœuvre pour relancer l’économie soit limitée, parce qu’elle pourrait générer un déficit inférieur à 1 % du PIB en 2013, mais ces inquiétudes sont peu justifiées. Shahin Vallee a noté que le ministre des Finances allemand a systématiquement sous-estimé les recettes au cours de la période récente, par environ un demi-point chaque année.

En 2017 et en 2018, l’argument selon lequel l’Allemagne avait besoin de relancer son activité reposait sur le besoin de tendre vers une économie mondiale plus équilibrée et les gains qu’un supplément de relance allemande aurait procuré à ses partenaires. La croissance de la demande en Allemagne était solide et l’économie allemande bénéficiait d’une bonne croissance de la demande domestique et d’une solide demande étrangère. On espérait qu’un peu de relance (ou du moins une politique budgétaire moins restrictive si vous préférez, comme l’Allemagne pouvait stimuler la demande globale tout en continuant de générer un excédent budgétaire) bénéficie aux partenaires de l’Allemagne via la stimulation de ses importations. Et que cela contribue également à soutenir la croissance des salaires en Allemagne.

Aujourd’hui, l’Allemagne voit sa propre activité ralentir et elle peut stimuler son économie.

GRAPHIQUE 3 Croissance du PIB réel de la zone euro et de ses pays-membres (d’un trimestre à l’autre, en rythme annualisé)

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La forte décélération de la croissance provoquée en partie par l’affaiblissement de la demande externe offre à l’Allemagne l’opportunité de mieux équilibrer (sans rencontrer de réels problèmes) son économie en renforçant son moteur interne et donc en commençant naturellement à réduire le rôle excessif que la demande étrangère a joué pour maintenir à flots de l’économie allemande.

Et il n’y a fondamentalement pas de risques à le faire. La relance peut être financée sans emprunt ; l’Allemagne aurait juste à épargner moins. Et si l’Allemagne avait à emprunter un peu, elle le ferait à des taux d’intérêt réels négatifs. Les obligations à dix ans ont un rendement de 10 points de base aujourd’hui ; même si la BCE rate régulièrement sa cible d’inflation, cela impliquerait toujours un taux d’intérêt réel négatif. L’inflation est actuellement faible.

Une relance permettrait à ce que l’excès d’épargne massif de l’Allemagne soit utilisé au sein de son économie, ce qui réduirait les risques que les épargnants allemands prennent actuellement en plaçant leur épargne à l’étranger.

Maintenir le marché du travail sous tensions contribuerait à ce que les salaires allemands continuent de croître (la croissance des salaires réels n’a pas été aussi robuste que cela en 2017 et 2018, comme le suggère le graphique du Financial Times) et contribuerait ainsi à soutenir la demande dans l’ensemble de la zone euro ; et désormais les partenaires européens de l’Allemagne pourraient en profiter un peu. Un marché du travail allemand relativement tendu faciliterait l’intégration des réfugiés de la vague de 2015.

Et une plus forte croissance de la demande domestique donnerait un coup de pouce pour absorber les répercussions d’un Brexit désordonné.

Qu’y a-t-il de regrettable dans tout cela ?

(En passant, le même raisonnement s’applique à d’autres pays "doublement excédentaires" en Europe, notamment les Pays-Bas. La croissance hollandaise a aussi ralenti au troisième trimestre et les Hollandais n’ont vraiment pas besoin de continuer à générer d’amples excédents budgétaires au vu de la faiblesse de leur endettement public.)

Brad Setser, « The case for a significant German stimulus is now overwhelming », in Follow the Money (blog), 11 février 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le cœur de la zone euro aiderait-il la périphérie en adoptant un plan de relance ? »

« Et si l'Allemagne adoptait un plan massif d'investissement public ? »

« L’Allemagne contre la zone euro »

vendredi 15 février 2019

Le ralentissement chinois et l’économie mondiale

« Il semble à présent que la Chine est entrée dans un véritable ralentissement. Il y a plein d’indicateurs majeurs qui le suggèrent. J’aurais dû accorder plus de poids, par exemple, au ralentissement des exportations européennes vers la Chine au cours de l’année 2018.

GRAPHIQUE 1 Variation des importations chinoises en provenance de l’UE (en %)

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Les importations totales de la Chine sont restées assez robustes jusqu’à ces deux derniers mois. Mais désormais elles baissent. Fortement.

GRAPHIQUE 2 Variation d’une sélection d’importations de la Chine (en %)

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Au sens profond, le ralentissement de la Chine ne devrait pas nous surprendre. La Chine a resserré sa politique conjoncturelle l’année dernière. L’équipe asiatique de Goldman a publié un graphique très intéressant début janvier qui montrait une forte consolidation dans "le déficit budgétaire augmenté" et il semble que les efforts de la Chine pour freiner la croissance du shadow banking et introduire un peu de discipline de marché dans le prêt ont réduit le flux de crédit vers les entreprises privées (…).

Par le passé, la Chine a régulièrement resserré de trop et freiné une économie qui dépend toujours structurellement du crédit pour générer de la demande interne (le revers de la forte épargne) tout en essayant de sevrer l’économie du crédit bancaire et du shadow banking. Regardez la faiblesse des importations chinoises dans le graphique ci-dessus fin 2014 et pour l’essentiel de 2015. Voilà le dernier cycle de "resserrement".

Mais l’ampleur de l’actuel ralentissement est maintenant de plus en plus manifeste dans un large ensemble de données, que ce soit les données de la Chine ou les données de ses partenaires à l’échange.

GRAPHIQUE 3 Variation des importations chinoises en provenance d'Asie, des Etats-Unis, de l'UE et du reste du monde (en %)

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Et cela soulève la question quant à savoir comment un ralentissement chinois impacterait le monde.

Il y a quelques bonnes nouvelles à ce propos. La Chine n’est (toujours) pas aussi importante qu’on le croit pour les biens manufacturés du reste du monde. Les importations globales (de biens) de la Chine sont significatives, autour de 2.000 milliards de dollars. Mais environ un tiers de ces importations concernent les produits de base, environ un tiers de ces importations concernent des composants destinés à être réexportés (dites-vous 800 milliards de dollars d’importations de composants relativement à des exportations d’environ 2.400 milliards de dollars) et un peu moins d’un tiers de ces importations sont des importations de biens manufacturés que la Chine utilise vraiment chez elle.

Et cela signifie que la Chine importe moins pour la demande mondiale de biens manufacturés que, par exemple, les Etats-Unis. Les importations chinoises de biens manufacturés pour usage propre (…) représentent pratiquement un tiers des importations américaines de biens manufacturés. Environ un peu moins d’un tiers.

GRAPHIQUE 4 Importations de biens manufacturés des Etats-Unis et de la Chine (en milliards de dollars)

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Les Etats-Unis n’utilisent pas leurs importations pour la réexportation, mais les exportations américaines de biens manufacturés sont si faibles (environ 5 % du PIB étasunien) que les importations pour la réexportation peuvent être largement ignorées. Le contenu importé des exportations américaines est toujours (…) relativement faible.

Conclusion : en ce qui concerne la fourniture du reste du monde en biens manufacturés, les Etats-Unis sont toujours sans équivalents. La Chine reste en deuxième division.

Cela ne signifie pas que la demande d’importations chinoises n’importe pas du tout : 600 milliards d’importations, ce n'est pas rien. Quand les importations chinoises augmentaient assez fortement fin 2017 et début 2018, cela fournissait un coup de pousse aux diverses régions autour du monde qui avaient une faible croissance de la demande et une faible devise. Bien sûr, je pense à l’Europe en général et à l’Allemagne en particulier. La part de l’Europe dans la hausse de 150 milliards de dollars des importations chinoises de biens manufacturés (nettes d’importations de composants) que l’on a pu observer de la fin de l’année 2016 au milieu de l’année 2018 représentait un montant proche de 30 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable.

Mais du côté manufacturier, le plus large impact de la Chine sur le reste du monde continue de découler de sa machine de l’export. Les exportations chinoises de biens manufacturés (nettes de composants) sont pratiquement 2,5 fois plus importantes que ses importations de biens manufacturés (nettes d’importations de composants). Dites-vous environ 1.500 milliards de dollars versus 600 milliards de dollars (pour 2018).

GRAPHIQUE 5 Les exportations et importations chinoises de biens manufacturés (en milliards de dollars)

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C’est pourquoi la récente stabilité de la devise chinoise importe. Pour l’instant (mais bien sûr les choses peuvent changer), la Chine ne cherche pas à compenser la faiblesse domestique via une dépréciation et une plus faible devise. Une chute de 10 % des importations chinoises est un choc plus faible pour la demande mondiale qu’une dépréciation qui réalloue la demande mondiale vers la Chine et accroît les exportations chinoises de 10 %.

Alors qu’une dépréciation chinoise constituerait un choc négatif pour l’économie mondiale, la volonté apparente de la Chine d’utiliser les outils budgétaires pour relancer son économie devrait aider le monde, du moins directionnellement. (…)

Il est bien sûr trop restrictif de ne voir que le commerce manufacturier : la Chine est maintenant une source très importante de demande pour les matières premières. Elle a de plus en plus le genre d’impact sur le marché du pétrole qu’elle a pu avoir sur le marché des métaux industriels. La Chine représentait un quart de la croissance de la demande mondiale de pétrole l’année dernière. Et les Etats-Unis sont de plus en plus importants comme source d’offre marginale de pétrole, l’inverse de son rôle traditionnel. (…)

Les prix de l’énergie actuels reflètent la confluence des anticipations d’une forte croissance de l’offre américaine (face aux réductions significatives des exportations vénézuéliennes et iraniennes) (…) et une plus faible croissance de la demande hors de Chine. Une chute dans la demande automobile de la Chine a un gros impact sur la production domestique chinoise (la plupart des voitures chinoises sont fabriquées en Chine, avec pour l’essentiel des composants chinoises, grâce au mur tarifaire chinois), un impact mesurable sur les profits de certaines entreprises étrangères ayant des partenariats fructueux avec la Chine, un impact modeste sur les exportations allemandes et, à la marge, un impact mesurable sur la croissance mondiale de la demande de pétrole.

Il ne fait pas de doute que la Chine importe pour le monde entier. Mais son impact sur le monde n’est pas totalement symétrique. (…) »

Brad Setser, « China's slowdown and the world economy », in Follow the Money (blog), 5 février 2019. Traduit par Martin Anota

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