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Tag - Christine Lagarde

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lundi 15 juillet 2019

Lagarde est un bon choix pour la BCE

« La nomination de Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international et une ancienne Ministre des Finances française, pour succéder à Mario Draghi à la présidence de la Banque centrale européenne, est controversée. Elle ne le devrait pas.

Certes, le marchandage politique via lequel les postes clés de l’Union européenne sont attribués est discutable. Lagarde a été sélectionnée non selon un processus de nomination ouvert, basé sur le mérite, mais plutôt au terme de négociations en coulisses qui menèrent aussi à la nomination de Ursula von der Leyen, la Ministre de la Défense allemande, à la présidence de la Commission européenne.

Mais malgré l’opacité du processus de nomination et le fait qu’elle ait été choisie en partie parce qu’elle est une femme, française et du parti populaire européen du centre-droit, Lagarde a d’immenses qualités pour jouer ce rôle. Elle a eu la ténacité et les compétences politiques pour réussir tout d’abord comme juriste, puis comme politicienne et, plus récemment, comme technocrate internationale. Les huit années qu’elle a passées au FMI lui ont donnée une immense expérience et stature mondiales. Surtout, comme Draghi, si une nouvelle crise éclatait, elle serait désireuse de faire "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes) pour sauver l’euro.

Certains ont rapidement critiqué Lagarde pour des décisions qu’elle a prises durant la crise de la zone euro. En tant que Ministre des Finances française, elle a accepté le consensus en zone euro selon lequel la dette publique de la Grèce ne devait pas être restructurée en 2010 et l’austérité budgétaire était le remède pour la panique financière qui était sur le point de détruire l’euro. Mais quand je l’ai rencontrée pour la première fois avant les réunions annuelles du FMI en septembre 2011, elle indiqua en privé soutenir une intervention de la BCE illimitée et l’allègement de la dette grecque, et ce contrairement au président de la BCE d’alors, Jean-Claude Trichet. Elle a plus tard a approuvé l’autocritique du Fonds pour ses échecs en Grèce, à propos de l’austérité, et au summum de la crise de la zone euro, mais donc aussi ses propres actions en tant que Ministre des Finances. Les institutions de l’UE ont manifestement échoué à faire un tel aveu. Sa volonté d’admettre les erreurs et d’en tirer des leçons est rare et bienvenu.

Le passé politique de Lagarde fait craindre à certains une potentielle politisation de la BCE, en particulier dans la mesure où plusieurs autres membres de son conseil des gouverneurs sont aussi d’anciens politiciens. Mais comme son mandat largement réussi au FMI le montre, elle peut être diplomate en public tout en exprimant son avis en privé. Et, parce que d’immenses compétences politiques sont nécessaires pour gérer une union monétaire incomplète et déficiente de 19 pays-membres avec des idées et intérêts divergents, ses bonnes relations avec les dirigeants de l’UE est en fait un gros avantage. Draghi se sentit capable de réaliser sa promesse de faire "tout ce qu’il faut" en juillet 2012, pour mettre un terme à la panique, seulement après l’avoir remporté face à la Chancelière allemande Angela Merkel. De plus, la BCE est sûrement excessivement indépendante : étant donné sa brutalisation des gouvernements d’Irlande et d’Europe du sud durant la crise, ce ne serait pas forcément une mauvaise chose qu’elle fasse preuve d’une plus grande déférence à l’égard de la politique.

Le manque de formation de Lagarde en économie formelle ne doit pas non plus être un problème. La même accusation lui avait été lancée quand elle prit la succession au FMI en 2011 d’un Dominique Strauss-Kahn tombé en disgrâce, pourtant elle montra que les sceptiques avaient tort. Surtout, Lagarde est à la fois brillante et elle en sait assez à propos de l’économie pour évaluer des arguments en concurrence, saisir les bons conseils et prendre de bonnes décisions. Durant son mandat au Fonds, elle a sagement écouté un brillant panel d’économistes : Olivier Blanchard, Maurice Obstfeld et Gita Gopinath. A la BCE, elle va être bien conseillée par son économiste en chef, Philip Lane.

La flexibilité de Lagarde et son ouverture d’esprit à l’égard de façons différentes de penser contrastent nettement avec la rigidité et la fermeture d’esprit des responsables de politique dogmatiques comme Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, l’un de ses rivaux à la présidence de la BCE. Weidmann, un économiste monétaire, s’est erronément opposé à la politique "whatever it takes" de Draghi et son opérationnalisation à travers le programme OMT, aussi bien qu’au lancement de l’assouplissement quantitatif en 2015. Lagarde, au FMI, a soutenu les deux.

Certes, le manque d’expérience directe de Lagarde en matière de politique monétaire est une faiblesse. Jay Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, est certes un autre juriste, mais il a eu une expérience de cinq ans au conseil des gouverneurs de la Fed avant d’en avoir la présidence. Mais comme elle le montra au FMI, elle a rapidement maîtrisé ses dossiers et elle dispose maintenant d’une fine compréhension de la politique économique internationale. Et à une époque où la politique monétaire nécessite désespérément une refonte, cela peut aider de ne pas avoir de préconceptions.

Après tout, le prochain président de la BCE fera face à de gros défis. La BCE a échoué à atteindre sa cible d’inflation inférieure à, mais proche de, 2 %, même quand l’économie de la zone euro était en pleine expansion. Et maintenant que la zone euro s’essouffle et qu’elle est vulnérable au ralentissement de la Chine, aux guerres commerciales du Président américain Donald Trump et à un Brexit sans accord, il y a peu de marge pour davantage de relance. Les taux directeurs sont proches de zéro ou légèrement négatifs et, dans le cadre de ses règles actuelles, la BCE a peu de marge pour un supplément d’assouplissement quantitatif (…). Des politiques plus audacieuses, telles que le ciblage des rendements obligataires de long terme ou même l’utilisation de la monnaie-hélicoptère, restent légalement complexes et politiquement tabous. Dans cet environnement, avec comme principal défi pour la politique monétaire une inflation excessivement faible, une réflexion nouvelle est nécessaire pour considérer les cibles, les outils et les tabous de la BCE. Lagarde est plus ouverte d’esprit que beaucoup.

Plus largement, l’architecture interne de la zone euro reste incomplète et son rôle externe est inadéquat. Son union bancaire incomplète n’a pas rompu les liens entre banques et gouvernements qui ont été à deux doigts de détruire l’euro. De plus, la zone euro manque d’un actif sûr commun qui assurerait la stabilité du système financier, stimulerait l’efficacité de la politique monétaire et fournirait une alternative au dollar, dont le statut mondial privilégié est remis en cause par Trump.

La nomination de Lagarde est un véritable bol d’air frais pour une BCE vieillissante, dominée par les hommes. Draghi semble difficilement remplaçable, mais Lagarde a ce qu’il faut pour réussir. Elle doit être courageuse. »


Philippe Legrain, « Lagarde Is the right choice », 4 juillet 2019. Traduit par Martin Anota

mercredi 10 juillet 2019

Christine Lagarde prend la présidence de la BCE à un moment périlleux pour l’économie mondiale



« Il a été annoncé la semaine dernière que Christine Lagarde quitterait son poste de directrice générale du Fonds monétaire international pour devenir présidente de la Banque centrale européenne, ce qui constitue peut-être le changement le plus important en matière de leadership dans le système financier international depuis plusieurs décennies. Dans un contexte où les Etats-Unis ne veulent plus assumer leurs responsabilités systémiques et se focalisent sur leurs seuls intérêts commerciaux, le rôle que jouait Lagarde et celui qu’elle s’apprête à endosser sont d’une importance capitale.

Lagarde, à la différence de bien d’autres noms qui avaient été avancés pour la présidence de la BCE, s’accorde bien plus naturellement avec le groupe de dirigeants européens qui se rencontrent régulièrement à Bruxelles qu’avec le groupe de banquiers centraux qui se rencontrent à Bâle, en Suisse. C’est le reflet de son extraordinaire présence, de ses compétences politiques et de son expérience avec les affaires européennes. C’est aussi une conséquence du fait que, à la différence de la plupart des autres banquiers centraux, elle n’est ni une économiste, ni une technocrate de la finance.

Les atouts de Lagarde sont ceux qu’il nous faut aujourd’hui. Le plus grand risque qu’encourent la zone euro et la contribution de l’Europe à l’économie mondiale est la persistance de la croyance que la BCE, agissant indépendamment, peut stabiliser l’économie européenne. Au FMI, Lagarde a montré sa volonté d’affirmer que les doctrines de l’austérité, qui étaient peut-être appropriées à une époque inflationniste à forts taux d’intérêt, ne le sont pas à une époque où les marchés croient que les banques centrales ne réussiront pas à suffisamment stimuler l’inflation pour la maintenir à 2 %, même après une décennie. Pour que l’économie européenne réalise de bonnes performances économiques ces prochaines années, il faut accepter l’idée que la politique monétaire ne suffit pas pour stimuler la demande globale.

Outre de bons choix en matière de politique macroéconomique, le succès de la BCE nécessitera de mettre en place de nouvelles réformes institutionnelles pour consolider la réglementation bancaire et les interventions d’urgence en Europe et permettre l’émission d’une dette adossée sur toute l’Europe. Il y a de profonds désaccords sur ces questions en Europe, si bien qu’il faut la stature et l’agilité politiques d’une personne comme Lagarde, et non simplement des explications techniques, pour pouvoir aller de l’avant.

L’actuel président de la BCE, Mario Draghi, a sauvé l’euro avec sa fameuse promesse de faire "tout ce qu’il faut" (whatever it takes). A l’avenir, cependant, une telle promesse ne suffira peut-être pas, à moins que la BCE puisse aussi persuader les gouvernements de faire tout ce qui est nécessaire. En outre, il faut prendre conscience que le recours exclusif à la politique monétaire pour soutenir l’économie européenne se traduira probablement par un faible euro, ce qui exacerbera les tensions commerciales internationales. Donc, il serait opportun que la BCE ait un leadership robuste, politiquement crédible.

Que dire du FMI que quitte Lagarde ? La bonne nouvelle, c’est que, sous son habile direction, le FMI apparaît moins aux yeux des gens à travers le monde comme un sévère prêcheur d’austérité agissant dans l’intérêt des seuls argentiers et qu’il a su gagner la confiance sur un vaste éventail de problèmes touchant les gens normaux. Outre son soutien envers de plus larges déficits publics et la relance budgétaire quand c’est approprié, le FMI de Lagarde a réussi à promouvoir les allègements de dette publique nécessaires, la coopération dans la collection d’impôts auprès des multinationales, des mesures pour réduire les inégalités et une restriction des subventions qui favorisaient les émissions de gaz à effet de serre.

Le successeur de Lagarde devra bâtir sur toutes ces avancées pour minimiser les risques d’une récession catastrophique. Entre autres, cela exige de renforcer la surveillance financière comme le prêt risqué s’accroît à mesure que l’expansion économique se poursuit, de se focaliser sur les politiques nationales pour maintenir adéquatement la demande globale, de s’assurer que le FMI a les ressources adéquates pour gérer les crises des pays émergents qui éclateront tôt ou tard et de porter la torche pour la collaboration dans le maintien du commerce mondial et la coopération économique internationale à une époque où plus personne d’autre n’a la capacité et la volonté d’avoir une vision mondiale.

Le leadership en matière de politique financière a quelque chose en commun avec l’administration de l’euthanasie. Il n’est pas remarqué lorsqu’il est bien mené. Mais quand il est mal fait, les conséquences peuvent être catastrophiques. Entre les pressions populistes croissantes, les faibles taux d’intérêt et le risque de trappe à liquidité, les Etats-Unis qui refusent le leadership et une expansion économique qui vieillit, c’est un moment périlleux qui nécessitera un leadership financier confiant et compétent. Nous devons espérer que Christine Lagarde à la BCE et son remplaçant au FMI, quel qu’il soit, le fourniront. »

Lawrence Summers, « Christine Lagarde enters the European Central Bank at a perilous moment ». Traduit par Martin Anota



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