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Tag - Corée du Sud

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lundi 17 décembre 2018

A quel point la croissance chinoise est-elle faible ?

« Le ralentissement de l’économie chinoise au cours de la dernière décennie a alimenté les inquiétudes à propos de la soutenabilité du « miracle » économique chinois. Mais ce ralentissement apparaît-il inhabituel lorsqu’on compare la Chine avec d’autres pays ? Que peut-on attendre pour les prochaines années ?

Les économistes aiment regarder les pays émergents à travers le prisme du modèle de convergence (basé sur le travail de Robert Solow). Les pays émergents sont supposés croître plus vite que les pays développés et ainsi rattraper ces derniers. Mais à mesure que le rattrapage s’accomplit, la croissance d’un pays émergent ralentit et se rapproche peu à peu de celle des pays développés. Que nous enseigne la comparaison de la Chine avec d’autres pays émergents qui ont réussi ? Il n’est pas facile de trouver un exemple historique parfait pour la Chine, mais la Corée du Sud s’en rapproche le plus. C’est une économie asiatique qui a réussi à accomplir sa convergence et c’est une économie assez grande (à la différence de Singapour ou de Hong Kong, deux autres économies asiatiques qui ont réussi leur convergence).

Nous commençons en nous focalisant sur la période allant de 1980 à 2018 et en utilisant le PIB par heure comme indicateur de productivité. Pour chaque année, nous comparons le niveau initial du PIB par heure avec la croissance du PIB par heure au cours des cinq années suivantes. Le niveau initial du PIB par tête est mesuré relativement à celui des Etats-Unis (comme exemple de pays proche de la frontière technologique).

GRAPHIQUE 1 PIB par heure de la Chine et de la Corée du Sud

Antonio_Fatas__PIB_par_heure_Chine_Coree_du_Sud_relativement_Etats-Unis_convergence.png

Au cours de cette période, le ralentissement de la Chine amène son taux de croissance à décliner et rejoindre celui que la Corée du Sud a eus à des niveaux similaires de développement. La dernière observation correspond à la période 2013-2018. Aujourd’hui (2018), la Chine est environ à 20 % du niveau américain et si elle suivait la trajectoire sud-coréenne elle devrait croître à des rythmes autour de 6 %, c’est-à-dire très proches des taux de croissance chinois courants. La Chine a atteint cette position après des décennies volatiles. Il y a peut-être eu sous-performance dans les années quatre-vingt et surperformance dans la décennie des années deux mille lorsque la croissance attint les deux chiffres.

Si nous ajoutons des décennies antérieures la comparaison devient plus bruyante dans la mesure où la Corée du Sud et la Chine avaient des taux de croissance plus volatils et globalement plus faibles.

GRAPHIQUE 2 PIB par heure de la Chine et de la Corée du Sud

Antonio_Fatas__PIB_par_heure_Chine_Coree_du_Sud_relativement_Etats-Unis.png

En résumé, on peut considérer le ralentissement de la croissance chinoise comme une évolution naturelle de l’économie à mesure qu’elle suit sa trajectoire de convergence, en particulier si nous utilisons les dernières décennies de la Corée du Sud comme repère. N’oublions pas que la Corée du Sud est l’un des pays qui a connu les meilleures performances parmi ceux dont le PIB par tête est inférieur à 50 % de celui des Etats-Unis. Donc utiliser la Corée du Sud comme repère peut donner une indicateur optimiste pour la croissance chinoise à l’avenir. »

Antonio Fatás, « How low is low for Chinese GDP growth? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 17 décembre 2018. Traduit par Martin Anota

vendredi 10 juin 2016

Spéculons un peu sur la croissance chinoise

« Le ralentissement de la croissance chinoise a été interprété comme résultant d’une transition naturelle vers un rythme de croissance plus soutenable et comme le signal que le modèle chinois de croissance est sur le point de s’épuiser. Comment ce ralentissement de la croissance chinoise se distingue-t-elle des épisodes similaires que les autres pays ont pu connaître par le passé ? Est-ce qu’une croissance comprise ente 6 et 7 % est soutenable pour la Chine ?

Posons ces questions au prisme du modèle que les économistes utilisent traditionnellement pour apprécier les taux de croissance des économies émergentes et des pays à faible revenu : le modèle de convergence (basé sur le travail de Robert Solow). Selon sa principale prédiction, les pays qui sont en retard devraient avoir plus d’opportunités pour l’investissement et ils sont susceptibles de croître plus rapidement que les pays qui sont déjà à la frontière technologique. Puisque les premiers ont des taux de croissance plus élevés que les seconds, nous nous attendons à voir une convergence des PIB par tête. A mesure que la convergence se poursuit, la croissance va naturellement ralentir pour rejoindre le rythme de croissance des pays à la frontière. (La théorie suggère toutefois que l’ensemble des pays ne converge pas vers le même niveau de PIB par tête, mais ignorons cela pendant une seconde et focalisons-nous sur les prédictions des taux de croissance relatifs.)

Commençons avec un exemple qui valide assez la théorie : la Corée du Sud. Représentons le niveau du PIB par tête de la Corée du Sud relativement à celui des Etats-Unis au commencement de chacune des trois dernières décennies et comparons cela avec le taux de croissance du PIB par tête durant les années qui ont suivi. (Je considère que l’ensemble de la période entre 2000 et 2014 comme la "décennie des années deux mille".)

Fatas__croissance_1.PNG

Le graphique ci-dessus (…) montre que la Corée du Sud commence en 1980 avec un niveau de PIB par tête inférieur à 20 % de celui des Etats-Unis, ce qui s’est traduit par une croissance annelle durant la période 1980-1990 d’environ 7 %). Cela permet au pays d’atteindre un niveau de vie s’élevant à 30 % de celui des Etats-Unis en 1990. A ce moment-là, la croissance ralentit et durant les 10 années suivantes elle a été inférieure à 5,5 %. La transition s’est ensuite poursuivie avec une croissance qui a ralenti la décennie suivante (en atteignant environ 4 %). Aujourd’hui, la Corée du Sud a un PIB par tête s’élevant à environ 65 % de celui des Etats-Unis et il est possible qu’au cours des années suivantes nous voyons un nouveau ralentissement de sa croissance dans la mesure où elle poursuit sa convergence vers les Etats-Unis.

Donc, pour l’instant, c’est bon pour notre théorie. Que dire à propos de la Chine ?

Fatas__croissance_2.PNG

En 1980, la Chine commence à un moindre niveau de PIB par tête et, de façon cohérente avec notre logique, un taux de croissance très rapide d’environ 7 %. Mais comme le pays converge vers les Etats-Unis, la croissance s’accélère au-dessus de 8 % durant les années quatre-vingt-dix. Une possible explication pour cette accélération est que la Chine se déplaçait vers un taux de croissance plus naturel étant donné à quel point son PIB par tête était faible relativement à, disons, la Corée du Sud. Mais au cours de la décennie suivante (2000-2014), le taux de croissance sera encore plus élevé, tendant vers 9 %. A ce moment-là, le taux de croissance semble spectaculaire par rapport au cas de la Corée du Sud. Pour mettre cela en perspective, la Chine a atteint en 2015 un PIB par tête de 25 % de celui des Etats-Unis (la ligne rouge verticale) et lorsque la Corée du Sud a atteint ce niveau elle était déjà en train de croître à un rythme inférieur à 6 % par an. La comparaison avec la Corée du Sud montre que des taux de croissance de 8-9 % en Chine, au vu de son développement courant, aurait réellement été un vrai miracle.

Et si la Corée du Sud est utilisée pour prévoir les taux de croissance futurs de la Chine ? Etant donné le PIB par tête courant de la Chine, nous prévoyons un taux de croissance légèrement inférieur à 6 % au cours de la décennie suivante. Et une croissance qui va davantage ralentir à mesure que le temps passe. Ce nombre est légèrement inférieur à la cible courante du gouvernement chinois, mais pas très éloignée dans la mesure où nous réfléchissons sur l’échelle d’une décennie et parlons d’une trajectoire susceptible d’être décroissante. (Notons que les taux de croissance ci-dessus sont des taux de croissance par tête. La population en âge de travailler n’est actuellement pas en train d’augmenter de beaucoup en Chine, donc les chiffres du PIB ne doivent pas être trop différents.)

Question finale : la Corée du Sud est-elle un bon étalon pour juger des performances chinoises ? Regardons d’autres économies potentiellement à forte croissance durant les mêmes années.

Fatas__croissance_3.PNG

La Corée du Sud est clairement le pays réalisant les meilleurs performances parmi les pays qui ont un niveau de vie inférieur à 50 % de celui des Etats-Unis (et, oui, il y a plein d’échecs !). Donc utiliser la Corée du Sud comme étalon nous amène à être optimistes quant à la croissance chinoise. Il y a peu d’autres pays qui apparaissent comme des anomalies (…) dans cette relation, mais il n’est pas évident qu’ils soient des exemples pertinents pour la Chine. Hong Kong et Singapour sont des petites cités-Etats. L’Irlande, dans les années quatre-vingt-dix, a connu quelque chose d’exceptionnel pour un pays européen ; les pays producteurs de pétrole (tels que la Norvège) ont des dynamiques qui ne peuvent être répliquées sans ce niveau de ressources naturelles.

En résumé, le ralentissement de la croissance économique chinoise semble comme une évolution naturelle de l’économie dans la mesure où elle suit son sentier de convergence. Les taux de croissance d’environ 6 % font toujours de la Chine le pays réalisant les meilleures performances parmi tous les pays du monde, conditionnellement à son niveau de PIB par tête. Il y a plein d’autres pays dans le monde qui montrent à quel point le taux de croissance du PIB peut être faible. Et ils peuvent constituer un bon exemple de ce qui pourrait se passer pour un pays s’il ne peut garder des politiques et des institutions de bonne qualité, relativement à son niveau courant de développement. »

Antonio Fatás, « 9, 8, 7, 6.7,... Speculating on China growth », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 8 juin 2016. Traduit par Martin Anota