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lundi 20 juin 2022

La mondialisation a permis à pratiquement tous les pays de s’enrichir

« Plusieurs détracteurs de la mondialisation affirment régulièrement que l’énorme croissance des échanges et investissements entre pays a forcé les pays à se concurrencer en allégeant leurs salaires et règlements du travail, ce que l’on a pu qualifier de "course vers le bas" pour les pays riches comme pour les pays pauvres.

Une description plus fidèle serait celle d’une course vers le sommet. Quasiment chaque pays est plus riche aujourd’hui, et certains substantiellement plus, qu’il y a trois ou quatre décennies plus tôt, quand l’ère de la mondialisation débutait.

Et la mondialisation ne peut pas non plus être décrite comme un jeu à somme nulle, dans lequel les gains de certains pays se feraient au détriment d’autres. Les vastes gains économiques réalisés par les pays pauvres au cours des dernières décennies ne se sont pas faits au détriment des pays développés.

Visualiser l’économie mondiale depuis 1980


Les graphiques (…) ci-dessous illustrent comment l’économie mondiale a évolué au cours des 40 dernières années (de 1980 à 2019). Les pays sont rangés en termes de PIB réel par tête sur l’axe vertical et leur part dans la population mondiale sur l’axe horizontal. (Les données se basent sur les Penn World Tables 10.0.)

En 1980, avant que la mondialisation ne débute vraiment, il y avait un cluster d’économies riches, menées par les Etats-Unis, suivis par l’Europe de l’Ouest et par le Japon. Ensuite, venaient les pays à revenu intermédiaire, dont beaucoup étaient situés en Asie et en Amérique latine, suivis par une longue séquence de pays très pauvres, dont certaines étaient très peuplés, notamment l’Inde et la Chine.

GRAPHIQUE 1 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 1980

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Les années 1990 marquent l’ère du Consensus du Washington, une période de libéralisation des règles du commerce et de l’investissement et une réorientation de la politique économique en faveur du marché. L’effondrement du communisme et le début des réformes dans le monde en développement, notamment en Chine et en Inde, qui ouvrirent leur économie jusqu’alors fermée, aidèrent à intégrer ces pays dans une économie véritablement mondiale. Le flux commerciaux, d’investissements et technologiques entre les pays s’accrurent considérablement et l’usage du terme "mondialisation" s’est répandu.

Avec l’accroissement des échanges économiques entre pays, que s’est-il passé du côté de la distribution du revenu mondial ? Certains s’attendaient à une course vers le bas qui aplatirait le revenu mondial, les pays pauvres s’enrichissant au détriment des pays riches. Certains, dans les pays pauvres, ont perçu l’essor du commerce mondial comme une nouvelle forme de colonialisme via lequel les pays à haut revenu s’enrichiraient à leur détriment, exacerbant les inégalités mondiales.

GRAPHIQUE 2 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 2000

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Aucun de ces deux scénarios ne s’est concrétisé. En fait, c’est l’ensemble de la répartition mondiale du revenu qui s’est déplacée vers le haut. Les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest étaient plus riches en 2000 qu’ils ne l’étaient en 1980, les pays à revenu intermédiaire ont connu pour la plupart de la croissance mais à un rythme plus faible (l’Amérique latine a connu une décennie perdue à cause de la crise de la dette), tandis que la Chine a réussi à décoller après que Deng Xiaoping, le dirigeant chinois de 1978 à 1992, ait commencé à ouvrir l’économie chinoise.

GRAPHIQUE 3 PIB par tête versus part dans la population mondiale en 2019

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Deux décennies plus tard, en 2019, les effets de la mondialisation sont devenus plus manifestes. La distribution entière du revenu mondial s’est déplacée vers le haut. Maintenant, les pays à revenu intermédiaire jouissent de revenus plus élevés que durant les années 1980 et 1990. Le bas de la répartition a fait bien mieux, comme la Chine, l’Inde et d’autres pays en Afrique et en Asie ont connu d’énormes progrès en termes de croissance des revenus et de réduction de la pauvreté.

Pourquoi la mondialisation a-t-elle déplacé vers le haut le revenu mondial ?


En accroissant l’investissement et en facilitant la diffusion de la technologie, l’ouverture des économies augmente la productivité, ce qui permet d’accélérer la croissance du PIB par tête. La croissance de la productivité des travailleurs domestiques augmente la production par tête, ce qui améliore les niveaux de vie. En ce sens, les pays ne se concurrencent pas les uns les autres, mais simplement essaient d’améliorer leur sort par eux-mêmes.

La mondialisation mérite un certain crédit pour avoir permis à des pays pauvres de croître plus rapidement et de réduire leur pauvreté. La pauvreté mondiale a décliné significativement au cours des quarante dernières années. Selon la Banque mondiale, la part de la population mondiale vivant dans la pauvreté extrême est passée de 42 % en 1981 à 8,6 % en 2018. Cette énorme avancée ne s’est pas faite au détriment des pays plus riches en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. (Reste malheureusement à savoir dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a inversé ce progrès.)

Les quarante dernières années ont aussi été marquées par une baisse des inégalités mondiales. A la différence des précédentes périodes de divergence économique, les pays en développement ont commencé à converger avec les pays riches à partir du milieu des années 1990. Dev Patel, Justin Sandefur et Arvind Subramanian montrent qu’une "nouvelle ère de convergence inconditionnelle" s’est plus clairement manifestée au cours des deux premières décennies du vingt-et-unième siècle. Dans un autre récent article (…), Olle Hammar et Daniel Waldenström ont noté que le coefficient de Gini mondial (une mesure des inégalités a baissé de 15 points et que la part du revenu détenue par les 50 % les plus pauvres a doublé depuis les années 1990.

Bien sûr, les graphiques ci-dessus donnent le revenu moyen (le PIB par tête) et ne prennent pas en compte la répartition du revenu au sein de chaque pays. Les inégalités se sont accrues dans plusieurs pays et constituent un défi majeur pour les responsables de la politique économique. La mondialisation a pu avoir contribué dans une certaine mesure à ces inégalités, mais avoir une plus grande économie facilite le financement de politiques redistributives et d’investissements publics susceptibles de réduire une partie de ces inégalités. En outre, plusieurs forces autres que celles de la mondialisation sont à l’œuvre derrière les inégalités de revenu. Comme Caroline Freund l’a souligné, "il y a une large variabilité dans la croissance du revenu et les inégalités malgré des expériences similaires avec la mondialisation et la technologie, ce qui suggère que d’autres facteurs ont une grande responsabilité derrière ces changements".

Malgré les énormes difficultés qu’ont connues tant de pays ces dernières années, ces dernières décennies, celles de l’ère de la mondialisation, ont été marquées par d’énormes progrès économiques autour du monde. Le récent mouvement de fermeture des marchés risque de compromettre ces progrès. »

Douglas Irwin, « Globalization enabled nearly all countries to grow richer in recent decades », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 16 juin 2022. Traduit par Martin Anota



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vendredi 24 avril 2020

La pandémie renforce la tendance à la démondialisation

« La pandémie de Covid-19 amène l’économie mondiale à se retirer de l’intégration économique mondiale. Les responsables politiques et les dirigeants d’entreprises se demandent désormais si les chaînes d’approvisionnement mondiales n’auraient pas été poussées trop loin. Dans un environnement où les alliances sont incertaines et où il n'y a pas de coopération internationale, ils se demandent aussi s’ils ne devraient pas réduire leur interdépendance économique. Les inquiétudes relatives à la sécurité nationale et à la santé publique fournissent de nouvelles justifications pour le protectionnisme, en particulier en ce qui concerne le matériel médical et la nourriture, et pour la relocalisation.

Ce repli ne va pas marquer la fin de la mondialisation, un processus qui a atteint un niveau historiquement élevé. Mais la mondialisation peut être inversée, du moins en partie. La Grande Récession de 2008-2009 a marqué un point tournant historique dans le degré d’intégration économique mondiale. A présent, en réponse à l’actuelle crise sanitaire et économique, les responsables politiques semblent tentés de renforcer le mouvement vers la démondialisation. Leurs mesures menacent de ralentir ou d’inverser la croissance économique délivrée par la mondialisation. Pire, de nouveaux obstacles au commerce peuvent proliférer et infliger des dommages qui ne pourront être effacés qu’après plusieurs décennies.

La mondialisation moderne est passée par cinq étapes


La mondialisation comprend plusieurs éléments différents : les flux transfrontaliers des marchandises, des investissements financiers, des données, des idées et des technologies, sans mentionner des personnes, notamment les travailleurs, les touristes et les étudiants.

Le commerce mondial, mesuré par le ratio des exportations mondiales au PIB mondial, est un indicateur pertinent de l’intégration économique. Le graphique ci-dessous permet de mettre en évidence cinq périodes de la mondialisation moderne.

GRAPHIQUE Indice de l’ouverture commerciale : somme des exportations et importations mondiales divisée par le PIB mondial (en %)

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Durant la première période, de 1870 à 1914, l’intégration économique fut approfondie, grâce aux machines à vapeur et à d’autres avancées qui permirent de déplacer davantage de biens à des coûts toujours plus faibles entre les pays.

La mondialisation s’inversa au cours de la deuxième période, de l’éclatement de la Première Guerre mondial en 1914 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La Première Guerre mondiale a provoqué une perturbation économique durable, mais il y a également eu le retrait de la Russie du commerce mondial après la révolution communiste en 1917, l’épidémie de grippe espagnole en 1918, l’instabilité monétaire au début des années 1920, de nouvelles restrictions à l’immigration, la Grande Dépression à partir de 1929, puis une poussée sévère de protectionnisme dans les années 1930. Ces bouleversements ont remis en cause l’intégration et l’économie mondiale en a profondément souffert.

L’intégration économique a rebondi dans la troisième période, au cours des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Le leadership américain contribua à créer de nouvelles institutions de coopération économique, comme le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), permettant aux pays d’ouvrir à nouveau leur économie au commerce et aux investissements étrangers. Ces mesures contribuèrent à inaugurer un âge d’or de la croissance économique. Pourtant, la portée géographique de cette troisième phase (confinée aux Etats-Unis, à l’Europe occidentale, au Japon et à une poignée d’autres pays) limita l’ampleur que pouvait prendre l’intégration économique mondiale. Le bloc soviétique des pays communistes et la Chine étaient des économies administrées qui n’y participaient pas pour des raisons politiques et économiques. Le monde en développement en Amérique latine, en Asie du Sud et en Afrique opta pour la substitution aux importations et resta relativement isolé.

Durant la quatrième période, des années quatre-vingt à la crise financière de 2008, l’intégration économique a atteint une ampleur mondiale sans précédent. Menés par la Chine et l’Inde, les pays en développement commencèrent à démanteler leurs barrières à l’échange. Le bloc soviétique en Europe de l’Est se tourna vers la démocratie et la libéralisation économique avec la chute du Mur de Berlin en 1989, suivie par l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Les changements technologiques (les porte-conteneurs et les avancées en matière de technologies d’information et de communication) favorisèrent aussi l’intégration en entraînant l’essor de chaînes d’approvisionnement mondiales. La croissance mondiale était forte et la pauvreté mondiale chuta significativement.

Nous sommes dorénavant dans une ère de "slowbalization"


Telle qu’elle est mesurée par les flux commerciaux, cette quatrième phase de la mondialisation semble avoir atteint un pic en 2008. Comme le montre le graphique ci-dessus, le ratio commerce mondial sur PIB a chuté depuis la Grande Récession. Le commerce mondial a rebondi en 2010, suite à l’effondrement des échanges en 2009, mais il a eu tendance à stagner depuis. Nous sommes dorénavant dans une cinquième période, que certains qualifient de "slowbalization".

Alors que le commerce eu tendance les décennies précédentes à croître plus vite que la production mondiale, ce n’est plus le cas. En fait, la croissance du commerce a été anormalement faible ces dernières années. Le volume du commerce mondial a chuté en 2019, alors même que l’économie mondiale croissait à un rythme assez robuste.

Plusieurs facteurs ont été à l’œuvre. La croissance des chaînes d’approvisionnement mondiale (la diffusion de réseaux d’approvisionnement entre les pays) a ralenti. Le programme de réformes s’est interrompu à travers le monde. Sous la présidence de Xi Jinping, la Chine a commencé à se replier sur elle-même avec des politiques qui promeuvent le développement indigène de secteurs meneurs (…). La Chine reste un moteur des exportations, mais ses exportations relativement à son PIB ont chuté de 31 % à 17 % entre 2008 et 2019, comme l’a noté Nicholas Lardy.

Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis ont embrassé la politique de l’"America First", en s’écartant de la libéralisation commerciale (en se retirant du Partenariat Trans-Pacifique) et en se tournant vers le protectionnisme. L’administration Trump a imposé des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en avançant des motifs de sécurité nationale, ce qui a entraîné des représailles de la part des pays étrangers et la diffusion de barrières commerciales ailleurs.

Les Etats-Unis ont aussi déclaré une guerre commerciale à la Chine en l’accusant de pratiques commerciales déloyales, ce qui a significativement réduit le commerce bilatéral entre les deux pays. Les conseillers économiques du Président Trump ont assimilé sécurité économique et sécurité nationale et ils ont exprimé leur désir de briser les chaînes d’approvisionnement qui rendaient les Etats-Unis dépendants de la Chine. Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine ont dégradé leur relation et certains ont parlé de "découplage" entre les deux plus grandes économies du monde. Le découplage ne signifie pas que l’intégration s’annule, seulement qu’elle se réduit, peut-être substantiellement.

Donc, avant même que la pandémie n’éclate, divers facteurs réduisaient la mondialisation.

La pandémie a renforcé la tendance à la démondialisation


La pandémie de Covid-19 renforce simplement la tendance à la démondialisation. Selon les prévisions de l’OMC, le commerce mondial va décliner de 13 à 32 % en 2020, bien plus que le PIB mondial.

Le plus important est la façon par laquelle les pays considèrent désormais l’intégration économique. Le Président Emmanuel Macron a dit que le coronavirus "va changer la nature même de la mondialisation, avec laquelle nous avons vécu au cours des quarante dernières années", en ajoutant qu’"il était clair que ce genre de mondialisation atteignait la fin de son cycle".

La pandémie a renforcé les craintes autour du monde que les chaînes d’approvisionnement soient allées trop loin. Les exportations ont été restreintes avec les inquiétudes suscitées à propos du manque de production domestique d’équipements médicaux, d’équipements de protection individuelle et de produits pharmaceutiques. De telles politiques vont exacerber les pénuries, c’est-à-dire aboutir à l’opposé de leur objectif. (Lors de la crise alimentaire de 2012, les restrictions des exportations avaient poussé les prix mondiaux à la hausse et aggravé les pénuries à court terme.) Le protectionnisme se révèle ne pas être un substitut pour le stockage et la préparation, qui ont été inadéquats ces dernières années.

L’expérience passée suggère que lorsque certains pays commencent à restreindre les échanges de biens critiques, d’autres sont susceptibles de faire de même. Il n’y a rien de nouveau. Comme Adam Smith le soulignait dans sa Richesse des Nations il y a longtemps : "L’adoption d’une mauvaise politique dans un pays peut rendre dans une certaine mesure dangereux et imprudent d’établir dans un autre pays ce qui aurait sinon constitué une bonne politique".

L’expérience suggère aussi que les craintes amènent les pays à se replier sur eux-mêmes. Plusieurs pays reconsidèrent à présent leur dépendance au commerce. Phil Hogan, le Commissaire européen au commerce, a déclaré : "nous avons besoin de réfléchir sur la façon d’assurer l’autonomie stratégique de l’UE". Scott Morrison, le Premier Ministre australien, a dit au Parlement : "Le commerce ouvert a été au cœur même de notre prospérité pendant plusieurs siècles. Mais nous devons étudier soigneusement notre souveraineté économique domestique". Le Japon a aussi commencé à chercher comment rompre la dépendance de ses chaînes d’approvisionnement vis-à-vis de la Chine et produire davantage au niveau domestique.

Le risque de surréaction et d’un glissement vers le protectionnisme est aggravé par l’absence de leadership de la part des Etats-Unis, laissant un vide dans le système d’échanges mondial. L’absence d’une réponse coordonnée et coopérative peut accélérer l'adoption de politiques destructrices du chacun pour soi qui n’avaient plus été vues depuis les années 1930.

L’économie mondiale est à un point d’inflexion critique dans l’Histoire dans lequel les craintes relatives à la dépendance vis-à-vis des autres sont croissantes. Un repli sur soi ne signe pas la fin de la mondialisation, seulement un renversement partiel. Mais il s’avèrera probablement difficile de défaire les dommages qui en résulteront. »

Douglas A. Irwin, « The pandemic adds momentum to the deglobalization trend », PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 23 avril 2020. Traduit par Martin Anota



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