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Tag - Etats-Unis

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vendredi 12 mai 2023

Le plafond de la dette publique aux Etats-Unis

« Dans ce qui est devenu un cycle prévisible, les autorités se retrouvent sous pression pour relever le "plafond de la dette", la limite légale du montant de dette que le gouvernement fédéral peut accumuler. Malgré la fréquence à laquelle cette situation se répète, les discussions autour du plafonnement de la dette sont souvent confuses. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils plafonné leur dette publique ? Qu’est-ce que cela signifie de relever le plafond ? Comment les négociations sur la limite de la dette ont-elles changé au cours du temps ? Que se passerait-il si la limite de la dette était atteinte ?

Le gouvernement américain est constamment en besoin de financement en raison d’une tendance à générer des déficits. Quand le gouvernement dépense davantage qu’il ne collecte de recettes (et donc génère un déficit budgétaire fédéral), il doit emprunter la différence. Le gouvernement emprunte en vendant des titres aux investisseurs financiers à travers le monde. Alors que le déficit mesure le montant d’emprunt que le gouvernement réalise sur une période donnée, typiquement une année, la dette est la somme des emprunts, moins les remboursements, que le gouvernement a accumulés jusqu’à un certain point du temps. Le gouvernement fédéral a connu un déficit budgétaire presque chaque année depuis les années 1970, à la seule exception des quatre années allant de 1998 à 2001. Le déficit annuel a dépassé les 1.000 milliards de dollars en 2009, au summum de la Grande Récession. Plus récemment, la pandémie de Covid-19 a brutalement accru le besoin de dépenses fédérales. Celle-ci s’est produite dans le sillage du Tax Cuts and Jobs Act de 2017, qui a réduit les recettes gouvernementales. En conséquence, le déficit du gouvernement américain a dépassé les 3.000 milliards de dollars en 2020, les 2.700 milliards de dollars en 2021 et les 1.300 milliards de dollars en 2022. La contrepartie de ces dépenses déficitaires a été un besoin continuel d’emprunter.

Pourquoi avons-nous un plafond de la dette publique ? La Constitution accorde au Congrès le pouvoir de taxer, d’emprunter et de dépenser. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, chaque émission de dette du gouvernement fédéral exigeait explicitement l’approbation du Président et du Congrès. Durant le conflit, cependant, le Président Wilson et le Congrès ont éliminé cette règle et créé une limite globale pour faciliter le financement de la mobilisation. C'est ainsi que le plafond de la dette publique est né. Depuis lors, les Présidents et Congrès ont relevé ou suspendu le plafond de la dette plus de 100 fois, notamment 78 fois depuis 1960 et environ une fois par an ce siècle. C’est quelque chose de récurrent. (La suspension du plafond de la dette ou la permission temporaire du Trésor à le dépasser furent relativement rares au cours de l’histoire du plafonnement de la dette. Cependant, le Congrès a suspendu sept fois la limite de la dette depuis 2013, essentiellement entre août 2019 et septembre 2021.) Cela s’est produit aussi bien sous les administrations et Congrès républicains que sous les administrations et Congrès démocrates. Jusqu’à présent, le plafond fut relevé ou suspendu quand cela fut l’action nécessaire.

Les électeurs supposent souvent (et les responsables politiques affirment souvent) qu’un vote pour relever le plafond de la dette est un vote pour de nouveaux programmes de dépenses. En fait, relever la limite de la dette concerne le paiement des choix passés et les débats autour de la limite de la dette se ramènent financement à savoir si le Congrès doit autoriser le gouvernement à emprunter pour payer les dépenses qui ont été autorisées par le passé. Le gouvernement ne peut pas dépenser de l’argent sans approbation du Congrès. La seule raison pour laquelle le plafond de la dette publique est devenu un problème est que, lorsque le Congrès autorise par exemple un accroissement de 100 dollars des dépenses et de 70 dollars des impôts, il n’autorise pas forcément le gouvernement à emprunter 30 dollars. Pour l’essentiel, le Congrès exige du gouvernement qu’il dépense un certain montant d’argent mais, à cet instant précis, il n’autorise pas nécessairement le gouvernement à lever les fonds nécessaires pour payer ce programme. Ainsi, les propos autour du relèvement du plafond de la dette qui se centrent sur la "responsabilité budgétaire" et la discipline de la dette devraient plutôt avoir lieu avant que ne soit votée une hausse des dépenses publiques ou une baisse des recettes publiques.

Dette brute versus dette nette : le plafond de la dette s’applique à un concept qui n’a pas de fondement économique. Pour des raisons historiques et légales, la limite de la dette s’applique à ce qui est appelé la "dette brute", c’est-à-dire la somme de la dette nette et de la dette intragouvernementale. La dette nette est ce que le gouvernement doit au public (notamment aux investisseurs financiers, aux fonds de pension ou aux banques centrales domestiques ou étrangères) et c’est la mesure que les économistes considèrent comme important. La dette intragouvernementale est simplement la dette que le gouvernement se doit à lui-même. Un exemple est l’argent dans les fonds détenus par le gouvernement, comme le Social Security Trust Fund. Ce serait comme si votre poche de droite devait de l’argent à votre poche de gauche. La dette intragouvernementale n’a pas de signification économique. Par extension, alors, la dette brute est un concept légal qui n’a pas de signification économique. Malheureusement, les discussions se focalisent souvent sur la dette brute. (…)

Montant et plafond de la dette publique fédérale aux Etats-Unis (en % du PIB)

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Que se passerait-il si le plafond de la dette n’était pas relevé ? Si la dette publique atteignait sa limite légale, le Département du Trésor pourrait utiliser divers artifices comptables connus sous le nom de "mesures extraordinaires" pour retarder le jour fatidique. Mais cela ne pourrait durer que quelques mois et ensuite le gouvernement devrait faire défaut sur ses paiements d’intérêts ou d’autres obligations, comme la rémunération des militaires, les remboursements de taxes ou les paiements d’aides publiques. Les conséquences économiques d’un défaut intentionnel à grande échelle sont inconnues, mais les prédictions vont du "légèrement mauvais" au "vraiment catastrophique". Le fait même de flirter avec le défaut peut créer de l’incertitude, nuire à l’économie et conduire à une hausse des taux d’intérêts et des coûts de financement du gouvernement. En 1979, une erreur informatique a déclenché un défaut intentionnel sur un petit ensemble de titres du Trésor et suffisamment effrayé les investisseurs financiers pour que les taux d’intérêt exigés au Trésor augmentent. Ce défaut accidentel a coût environ 50 milliards de dollars (en dollars d’aujourd’hui) au gouvernement en termes de paiements d’intérêts.

Les négociations autour de la limite de la dette sont devenues assez litigeuses, en particulier les dernières. L’épreuve de force autour de la limite de la dette en 2011, exacerbé par la conduite des membres du Tea Party, en est un exemple parmi d’autres (…). A l’époque, des conservateurs menacèrent de bloquer toute hausse du plafond de la dette et de laisser le gouvernement faire défaut. Alors qu’ils pouvaient avoir cherché à améliorer leur position de négociation, ils ont joué avec le feu. Comme l’a noté Adam Posen, le président du Peterson Institute of International Economics (PIIE), ce fut la première fois qu’une démocratie solvable flirtait avec le défaut simplement en raison d’entêtements politiques. De son côté, l’administration Obama pensait que la menace du plafond de la dette permettait de faire passer plus facilement des mesures impopulaires pour améliorer la situation budgétaire de long terme (par exemple, en réduisant les dépenses publiques dans les programmes sociaux avec le relèvement de l’âge de départ à la retraite ou l’ajustement de la mesure de l’inflation pour la sécurité sociale) et qu’elle pouvait faire cela en obtenant en échange d’une hausse de l’imposition des riches. Alors que les responsables politiques finirent par relever la limite de la dette en 2011, une autre confrontation eut lieu en 2013. Les Républicains refusèrent de relever le plafond de la dette à moins que ne soient adoptées des lois pour répondre aux déficits de long terme, alors même qu’ils n’avaient pas proposé de telles lois. Face à une énorme pression du public, les Républicains firent marche arrière et "suspendirent" le plafond de la dette pendant quatre mois. Ces négociations ont eu un coût. L’épreuve de force autour du plafond de la dette en 2011 est estimée avoir eu un coût de 1.300 milliards de dollars pour les contribuables au cours de l’année fiscale et de 18,9 milliards de dollars sur dix ans. De même, à mesure que la date butoir approchait en 2013, les taux d’intérêt sur la dette publique explosèrent, comme les investisseurs financiers commencèrent à croire que le pays faisait face à une vraie menace de défaut de paiement.

Il y a d’autres facteurs qui font que c'est une mauvaise option politique de prendre le risque d’un défaut sur la dette publique. Premièrement, le défaut de paiement est inconstitutionnel, comme le Quatorzième Amendement affirme que "la validité de la dette publique (…) ne doit pas être questionnée". Deuxièmement, cela ne résoudrait pas les problèmes budgétaires de long terme ; cela ne ferait rien pour nous aider à payer la Sécurité sociale, Medicare et Medicaid à l’avenir. Troisièmement, cela aggraverait le problème budgétaire à long terme en accroissant le coût des futurs emprunts.

Les politiciens jouent avec le feu quand ils refusent de relever le plafond de la dette, en particulier au vu du rôle que la dette publique américaine joue dans le système financier mondial et du bénéfice dont le gouvernement fédéral jouit d’être capable de payer de faibles taux d’intérêt sur sa dette relativement aux autres actifs. Relever la limite de la dette n’a rien à voir avec le contrôle des dépenses futures ou des hausses d’impôts nécessaires pour rembourser les dépenses futures ; il est simplement question de payer les factures que le Congrès a déjà approuvées. Le débat autour des nouvelles dépenses ou de l’émission d’une nouvelle dette a implicitement eu lieu (ou aurait dû avoir explicitement eu lieu) quand les responsables politiques ont voté pour accroître les dépenses ou réduire les impôts en premier lieu. Alors qu’il est difficile de prédire la magnitude précise et la composition des effets économiques d’un défaut de paiement, il est clair qu’elles ne seront pas bonnes. A un niveau plus général, créer une telle crise pour des questions politiciennes n’est guère une chose intelligente ou patriotique. Pour toutes ces raisons, l’idée de législateurs de faire délibérément défaut sur la dette publique en ne relevant pas la limite de la dette est alarmante. C’est quelque chose à éviter. »

William G. Gale et Emily Merola, « Staring down the debt limit, again », Econofact, 11 mai 2023. Traduit par Martin Anota

mardi 9 août 2022

Inflation et chômage. Quelle trajectoire l’économie américaine suivra-t-elle ces six prochains mois ?

« Huit réflexions à propos de ce qui pourrait survenir pour l’économie américaine au cours des six prochains mois.

1. L’inflation va baisser, probablement plus que ce que beaucoup ne s’y attendent. Cela tient au brutal retournement du prix de certains produits de base, à la faiblesse de l’économie chinoise, aux améliorations des chaînes de valeur et au dollar fort. Il y aura des revendications de victoire (non par la Fed), mais elles s’avèreront fausses.

2. L’inflation ne va pas baisser au point d’atteindre le niveau de 2 %, celui que cible la Fed. C’est parce que l’interaction inertielle prix-salaires est à présent clairement à l’œuvre et qu’elle ne va pas disparaître de sitôt. Donc, la Fed va avoir à resserrer davantage sa politique monétaire.

3. L’objectif du resserrement monétaire est de réduire l’activité économique et, par ce biais, de pousser à la baisse les hausses de salaires et de prix. Donc, la Fed va essayer d’atteindre un ralentissement. C’est clairement à l’œuvre, même si les chiffres du PIB sous-estiment sûrement l’activité au cours des deux premiers trimestres de l’année 2022.

4. Alors que la focale a été placée sur la politique monétaire, il y a une substantielle consolidation budgétaire à l’œuvre, avec une baisse majeure du déficit public. L’effet de cette consolidation est atténué par le fait que les ménages ont accumulé de l’épargne auparavant et qu’ils peuvent à présent la dépenser. Mais la baisse du déficit fédéral va jouer un rôle. Plus ses effets adverses seront forts, moins la Fed aura à relever ses taux d’intérêt.

5. La triste vérité est qu’il n’y a pas de ralentissement sans hausse du chômage. L’espoir de réduire le nombre de postes d’emplois vacants sans augmenter le taux de chômage (chose que certains responsables de la Fed ont suggéré) est vain. Le nombre de postes vacants va diminuer et le chômage va augmenter.

6. C’est une autre question de savoir si ce ralentissement va se traduire ou non par une récession, c’est-à-dire par une croissance (vraiment) négative. Le ralentissement de l’inflation peut donner une marge de manœuvre à la Fed pour aller moins vite et essayer d’atteindre une croissance certes plus faible, mais toujours positive. Comme le président de la Fed Jerome Powell l’a déclaré, il est difficile de faire juste bien.

7. Le paysage économique à l’instant des élections de mi-mandat en novembre 2022 pourrait ne pas être trop mauvais. Une moindre inflation, une croissance faible mais positive, toujours un faible chômage. Si c’est le cas, cela va aider les démocrates. Mais la dure tâche de réduire l’inflation ou du moins de la rapprocher de la cible demeurera.

8. A un moment ou à un autre l’année prochaine, l’inflation reviendra à 3 %, il y aura une intense discussion quant à savoir s’il est utile de freiner davantage l’activité pour atteindre les 2 %. La Fed peut décider de déclarer sa mission accomplie et de rester à 3 %, peut-être pour toujours, du moins pour un moment. »

Olivier Blanchard, « Inflation and unemployment. Where is the US economy heading over the next six months? », PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 8 août 2022. Traduit par Martin Anota



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« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

samedi 22 janvier 2022

Pourquoi très peu ont vu venir l’inflation

« En 2008, alors que la crise financière mondiale ravageait les économies à travers le monde, la Reine Elizabeth II, en visite à la London School of Economics, avait demandé "pourquoi personne n’a vu cela venir ?". La forte inflation de l’année 2021 - en particulier aux Etats-Unis où la hausse sur une année des prix à la consommation a atteint les 7 % en décembre, un niveau qui n’avait pas été observé depuis quatre décennies – doit susciter la même question.

L’inflation n’est généralement pas aussi mauvaise qu’une crise financière, en particulier quand les hausses de prix coïncident avec une amélioration rapide de l’économie. Et tandis que les crises financières peuvent être de façon inhérente imprévisibles, la prévision de l’inflation est une pièce de la modélisation macroéconomique.

Mais alors pourquoi presque personne n’a vu juste concernant l’inflation américaine l’année dernière ? Une enquête menée auprès de 36 prévisionnistes du secteur privé en mai indiquait une prévision d’inflation médiane de 2,3 % pour l’année 2021, mesurée par les dépenses personnes de consommation excluant l’énergie et les produits alimentaires ou l’indice des prix à la consommation, l’indicateur ciblé de facto par la Réserve fédérale. Dans l’ensemble, le groupe estimait qu’il y avait 0,5 % de chances que l’inflation excède les 4 % l’année dernière. Selon l’indicateur de l’inflation sous-jacente, cette dernière s’est élevée à 4,5 %.

Le comité fédéral d’open market de la Fed n’a pas fait mieux, aucun de ses 18 membres n’ayant anticipé une inflation supérieure à 2,5 % en 2021. Les marchés financiers semblent aussi avoir manqué celle-ci, les cours obligataires rapportant des prédictions similaires. De même du côté du FMI, du CBO, de l’administration Biden et même de beaucoup d’économistes conservateurs.

Une partie de cette erreur collective tient aux développements que les prévisionnistes n’ont pas anticipés ou pas pu anticiper. Le président de la Fed, Jerome Powell, parmi bien d’autres, a blâmé la variant Delta du coronavirus pour avoir ralenti la réouverture de l’économie et pour avoir poussé l’inflation à la hausse. Mais Powell et les autres avaient auparavant affirmé que l’accélération de l’inflation au printemps 2021 avait été alimentée par une réouverture plus rapide qu’attendu, dans la mesure où la vaccination avait réduit le nombre de contaminations. Il est improbable que ces deux excuses soient correctes. L’émergence du variant Delta, comme la pandémie en 2020, a probablement maintenu l’inflation à un niveau plus faible qu’elle n’aurait sinon atteint.

Les perturbations des chaînes de valeur ont été un autre développement inattendu qui a apparemment pris de court les prévisions d’inflation. Mais si la pandémie a entraîné des goulots d'étranglement, la plupart sont apparues l'année dernière, les productions manufacturières américaine et mondiale rebondissant d'un coup.

Cela nous amène à une source plus importante d’erreur de prévisions : ne pas avoir pris suffisamment au sérieux nos modèles économiques. Les prévisions basées sur l’extrapolation du passé récent sont presque toujours aussi bonnes, voire meilleures, que celles basées sur une modélisation plus sophistiquée. L’exception apparaît quand il y a des intrants économiques qui sont bien en-dehors du champ de l’expérience récente. Par exemple, le soutien budgétaire d’un montant extraordinaire de 2.500 milliards de dollars pour soutenir l’économie américaine en 2021, représentant l’équivalent de 11 % du PIB, est le plan de relance le plus large depuis la Seconde Guerre mondiale.

Un modèle simple de multiplicateur budgétaire aurait prédit que la production moyenne les trois derniers trimestres de 2021 serait 2 à 5 % supérieure aux estimations prépandémiques du potentiel. Pour penser qu’une relance budgétaire de cette magnitude ne provoquerait pas d’inflation, il fallait croire soit qu’un large ajustement était possible en quelques mois, soit que la politique budgétaire était inefficace et qu'elle n’accroîtrait pas la demande globale. Ces deux hypothèses ne tiennent guère la route.

Les modèles économiques nous donnent aussi une raison essentielle pour croire que divers facteurs réduiraient le potentiel de l’économie américaine en 2021. Ceux-ci incluent les morts prématurées, la réduction de l’immigration, le manque d’investissement en capital, les coûts d’adaptation de l’économie à la pandémie, les sorties de la vie active provoquée par celle-ci et toutes les difficultés que l’on rencontre en réassemblant rapidement une économie qui a été déchirée. De telles contraintes rendent très probable qu’un supplément de demande pousserait l’inflation encore plus haut.

Un dernier ensemble d’erreurs tient au fait que nos modèles manquent d’intrants ou d’interprétations clés. Lorsque les gens s’appuient sur les modèles économiques, ils utilisent souvent une courbe de Phillips pour prédire l’inflation ou les changements de l’inflation en se basant sur le taux de chômage. Mais ces cadres n’ont guère pris en compte le fait que le taux de chômage naturel a probablement augmenté, du moins temporairement, en conséquence de la récession pandémique.

Surtout, le chômage n’est pas la seule façon de mesurer le mou de l'activité économique. Les estimations concernant la période prépandémique montrent que le taux de départs volontaires et le ratio nombre de chômeurs sur nombre de postes vacants sont de meilleurs indicateurs de l’inflation des salaires et des prix. Ces indicateurs de mou suggéraient déjà des tensions au début des années 2021, en particulier au printemps.

Avec le recul, le modèle mental que je trouve le plus utile pour réfléchir aux évolutions de l’année 2021 consiste à appliquer des multiplicateurs budgétaires au PIB nominal, à les utiliser pour prédire quel montant de la relance budgétaire serait dépensé et à essayer ensuite de prédire le PIB réel en comprenant quelle est la capacité productive de l’économie. La différence entre les deux est l’inflation. Les multiplicateurs indiquaient que les dépenses totales en 2021 augmenteraient fortement, alors que les contraintes de production suggéraient que la production n’augmenterait pas autant. La différence correspond à une inflation plus élevée.

Qu’est-ce que cela nous suggère concernant l’inflation en 2022 ? Au lieu de faire des prévisions inertielles partant du principe que le futur ressemblera au passé, prendre au sérieux nos modèles signifie tenir compte des niveaux élevés de demande globale, des contraintes continues sur l’offre et même des marchés du travail avec des tensions plus fortes avec des salaires nominaux augmentant rapidement et des anticipations d’inflation révisées à la hausse. Certains types d’inflation, notamment des prix des biens, sont susceptibles de ralentir cette année, mais d’autres, notamment l’inflation des prix des services, vont probablement accélérer.

Je m’attends par conséquent à une autre année d’inflation significative pour les Etats-Unis, peut-être pas aussi élevée qu’en 2021, mais probablement dans l’éventail compris entre 3 et 4 %. Mais la leçon la plus importante pour les prévisions que l’on peut tirer de l’année dernière est qu’il faut faire preuve d’humilité. Nous devons tous ajouter de larges bandes d’erreurs autour de nos prévisions et être prêts à actualiser nos prévisions à mesure que la situation économique change. »

Jason Furman, « Why almost no one saw inflation coming », 21 janvier 2022. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s'attendre à un dérapage de l’inflation ? »

« L’économie mondiale aux prises avec les goulots d’étranglement »

samedi 4 décembre 2021

L’inflation est de retour, mais non les années 1970

« Est-ce que les Etats-Unis et d’autres pays développés font face à la stagflation ? La stagflation est la combinaison malheureuse d'une forte inflation avec une faible croissance de la production et de l’emploi qui fut observée au milieu des années 1970. Sommes-nous revenus cinquante ans plus tôt ?

Non, du moins pas en ce qui concerne les Etats-Unis. Ce que l’économie américaine connaît actuellement est simplement une inflation (modérée) sans stagnation. C’est davantage la situation des années 1960 que celle des années 1970.

Il est vrai que le taux d’inflation global de l’indice des prix à la consommation a atteint aux Etats-Unis 6,2 % en rythme annualisé en octobre, le niveau le plus élevé depuis 1991. Certains prévoient toujours un retour rapide à 2 %, la cible de la Fed à long terme. L’inflation a aussi atteint son niveau le plus élevé en dix ans au Royaume-Uni (4,2 %) et dans l’Union européenne (4,4 %), bien qu’elle reste faible au Japon. L’inflation sur douze mois dans la zone euro est de 4,1 %, la plus élevée depuis le pic de juillet 2008. (Toutes ces régions ont des taux d’inflation plus faibles, mais toujours élevés, si l’on utilise la mesure de l’inflation sous-jacente, qui exclut les prix des produits alimentaires et énergétiques. L’inflation sous-jacente est de 4,6 % aux Etats-Unis.)

Mais la reprise de l’économie américaine suite à la récession pandémique de 2020 a été robuste, à en juger par le PIB et les indicateurs relatifs au marché du travail. Ce n’est pas la stagflation des années 1970.

1. Pourquoi l’inflation a-t-elle augmenté en 2021 ?

L’inflation est la conséquence naturelle d’une hausse de la demande plus rapide que celle de l’offre.

La hausse de la demande de biens (qui a été retardée lorsque la pandémie a amené les gens à rester chez eux), couplée à une offre de biens contrainte, s’est traduite par une inflation des prix. Les contraintes du côté de l’offre incluent la congestion des ports, les pénuries de semi-conducteurs et d’autres perturbations des chaînes de valeur, en particulier pour les biens durables. En parallèle, une demande de travail en expansion fait face à une offre de travail contrainte par les effets persistants de la pandémie (en particulier pour les services), ce qui s’est traduit par une accélération de l’inflation salariale, en particulier en bas de la distribution des salaires.

Le PIB des Etats-Unis a déjà dépassé ses niveaux pré-pandémiques. A l’inverse, le PIB dans plusieurs autres pays, notamment un Royaume-Uni pénalisé par le Brexit, n’a pas rejoint son pic d’avant-crise.

Le PIB réel des Etats-Unis n’a toutefois toujours pas rejoint sa trajectoire tendancielle d’avant-crise. Les analyses empiriques suggèrent cependant que cette perte en production ne s’explique pas par une demande inadéquate, mais plutôt par les contraintes du côté de l’offre. Elles sont probablement temporaires.

Le chômage américain a fortement baissé. Il est passé de 14,8 % en avril 2020 à 4,6 % en octobre 2021, une situation que l’on peut considérer au regard de l’essentiel du dernier demi-siècle comme proche du plein emploi. A l’inverse, le chômage avait atteint les 9,0 % en mai 1975 (et atteindrait 10,8 % en novembre 1982). En outre, d’autres indicateurs actuels suggèrent un marché du travail plus tendu que ne le suggère le taux de chômage : le ratio nombre de postes vacants sur nombre de chômeurs a atteint un niveau record (…). La croissance des salaires est aussi à la hausse. (…). Seul le taux d’activité reste substantiellement déprimé. Une partie de son déclin est due aux départs à la retraite. L’essentiel est dû au Covid-19, toujours un facteur important.

Qu’est-ce qui suggère que le problème n’est pas la demande globale (pour laquelle les politiques monétaire et budgétaire peuvent faire quelque chose), mais plutôt l’offre globale (pour laquelle elles ne peuvent rien faire) ? D’un côté, le PIB nominal a atteint sa tendance pré-pandémique de long terme, ce qui suggère que l’offre est maintenant la contrainte sur la croissance réelle et que la demande est à peu près bonne. De l’autre, les mesures directes de la demande domestique, comme les dépenses personnelles réelles ou les ventes au détail, ont aussi atteint leurs tendances pré-pandémiques de long terme.

Quand la demande excède l’offre, les conséquences incluent un déficit commercial et de l’inflation. C’est de la macroéconomie de base. L’économie américaine connaît actuellement les deux.

Même s’ils n’en ont pas l’air, il s’agit d’une certaine façon d’un moindre mal (en prenant la pandémie comme donnée). Il vaut clairement mieux avoir une demande et une offre qui rebondissent toutes les deux, même si la demande rebondit plus vite que l’offre, que de n’avoir aucun rebond, avec une activité économique et un emploi déprimés comme en 2020, quand la pandémie avait provoqué une récession brutale en contractant à la fois l’offre et la demande. Les Etats-Unis sont dans un meilleur état que nous ne l’attendions il y a un an et que celui dans lequel se trouvent d’autres pays.

La politique monétaire ne peut rien faire pour les contraintes de capacités. Néanmoins, il n’est pas aberrant de penser qu’elles vont disparaître au cours de l’année qui arrivent, à mesure que les ports se débloquent, que les chaînes de valeur de reforment, que les travailleurs exigeants se retrouvent aux emplois qu’ils désirent vraiment et que l’offre réponde aux prix plus élevés en particulier dans les secteurs où l’excès de demande est aigu. Par conséquent, l’activité économique pourrait rapidement rattraper sa tendance pré-pandémique.

2. Les responsables de la politique économique ne vont pas répéter les erreurs des années 1970

L’époque actuelle ressemble moins aux années 1970 qu’à la fin des années 1960, lorsque l’économie américaine connaissait à la fois une croissance rapide et des marchés du travail sous tensions. L’inflation des prix à la consommation avait atteint un modeste 5,5 % en 1969. Mais beaucoup craignent aujourd’hui que l’inflation modérée finisse par conduire à un relèvement des anticipations d’inflation, par déclencher une spirale prix-salaires et en définitive par aboutir à une forte inflation comme durant les années 1970. Mais il est peu probable que les responsables de la politique économique répètent les erreurs commises à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ces erreurs commencèrent avec les hausses des dépenses publiques liées à la guerre du Vietnam sans recettes fiscales pour les financer.

Les erreurs se sont multipliées au début des années 1970. En 1971, le président de la Fed, Arthur Burns, et le président Richard Nixon répondirent à l’accélération de l’inflation avec une combinaison de relance monétaire (pour sécuriser la réélection du président) et des contrôles des prix et salaires condamnés à l’échec (pour artificiellement supprimer l’inflation à court terme). Une économie en surchauffe libéra la pression de la bouilloire quelques années plus tard et l’inflation dépassa les 12 %. Incidemment, l’année 1971 fut la première d’une série d’épisodes au cours desquels les présidents républicains ont fait pression sur la Fed pour assouplir la politique monétaire. Au cours des cinquante dernières années, les présidents démocrates se sont abstenus de le faire.

Il est vrai que la Fed a été excessivement optimiste dans ses prévisions d’inflation cette année. La Fed (comme beaucoup d’autres) s’attendait à ce que la hausse de l’inflation soit plus faible et plus courte. (Il faut faire un effort pour se rappeler que, jusqu’à récemment, "être optimiste" à propos de l’inflation signifiait s’attendre à une inflation plus élevée et non pas plus faible.) Larry Summers et Olivier Blanchard ont eu raison en février dernier en prédisant correctement qu’une croissance plus rapide mènerait à l’inflation.

(…) Certes, la banque centrale ne s’attendait pas à commencer à resserrer sa politique monétaire dès novembre 2021. Mais elle a répondu de façon appropriée aux données (sur l’inflation, aussi bien que sur la vigueur de l’économie) en ajustant le calendrier de son action.

L’erreur de la Fed dans la prévision de ses propres mesures de politique monétaire ne semble pas avoir été nocive. On aurait pu craindre que les marchés obligataires connaissent un krach le 3 novembre lors des annonces de resserrement monétaire. Mais les marchés n’ont guère réagi, ce qui indique que la Fed a réussi à communiquer ses intentions, à l’inverse de 1994 et de 2013, quand les marchés échouèrent à anticiper le début des cycles de resserrement monétaire.

Si la Fed, avec un Jay Powell reconduit à sa présidence, commence à relever les taux d’intérêt de court terme au milieu de l’année 2022 ou même légèrement plus tôt, cela ne surprendra pas les marchés. (Notez que le boulot de la Fed est d’entretenir la satisfaction des boursicoteurs.) (...) »

Jeffrey Frankel, « Inflation is back, but the 1970s aren’t », in Econbrowser (blog), 28 novembre 2021. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s'attendre à un dérapage de l’inflation ? »

« L’économie mondiale aux prises avec les goulots d’étranglement »

« De la stagflation à la Grande Inflation, ou comment le regard des économistes sur les années 1970 a changé »

samedi 27 mars 2021

Biden ne commet pas l’erreur de ne pas assez stimuler l’économie américaine

« Cela fait un an que les Etats-Unis et l’économie mondiale ont basculé dans la récession. En raison de ses origines dans une pandémie soudaine, il a été possible de discerner de façon fiable l’avancée de la récession avant qu’elle ne se reflète dans un quelconque indicateur économique standard, ce qui est rare. (J’espère que cela ne choque personne d’apprendre que les économistes ne peuvent normalement pas prédire les récessions.)

A la fin du deuxième trimestre 2020, le PIB des Etats-Unis avait chuté de 11 %. Ce plongeon record a fait passer la production américaine d’un niveau estimé à 1 % au-dessus de son potentiel à la fin de l’année 2019 à un niveau 10 % inférieur au potentiel au milieu de l’année 2020. La production potentielle est le niveau du PIB qui est produit quand le chômage est à son taux naturel, le stock de capital opère à pleine capacité, les bâtiments ont leurs taux d’occupation normaux, etc.

Une surchauffe ?


Récemment, la situation a radicalement changé. A présent, les conjecturistes prévoient que la croissance américaine sera si rapide en 2021 que le PIB atteindra son niveau d’avant-crise très bientôt et que d’ici 2020 il sera probablement au-dessus de son potentiel. (On s’attend aussi à ce que l’économie mondiale connaisse une reprise, mais pas aussi rapide.) Certains économistes signalent désormais un risque de surchauffe pour l’économie américaine. Cette situation est, là aussi, inhabituelle : il est assez rare pour l’économie d’être à 5 % au-dessus de son potentiel, comme elle le fut en 1966 ; il est quasiment sans précédent pour un tel renversement rapide d’être prévisible. Seule la situation américaine pendant la Seconde Guerre mondiale constitue une possible exception.

Ce n’est pas simplement la victoire tant espérée de la vaccination sur le virus qui tire ces prévisions économiques vers l’optimisme. (…) La demande américaine de biens et services est susceptible d’augmenter très rapidement pour diverses raisons. La première est la demande de rattrapage. Les ménages américains ont épargné une bonne partie (estimée à environ 1.500 milliards de dollars) des revenus de transfert que le Congrès a adoptés il y a un an et l’on s’attend à ce qu’ils en dépenseront une partie dès qu’ils le pourront. Deuxièmement, il y a le fort assouplissement monétaire que la Réserve fédérale a mis en place il y a un an, notamment en ramenant les taux d’intérêt de court terme à zéro. Son président, Jay Powell, a régulièrement plaidé pour les y laisser pendant plusieurs années. Le troisième facteur susceptible de fortement stimuler la demande est le plan de relance récemment adopté. Le plan de sauvetage de 1.900 milliards de dollars du Président Joe Biden a été adopté plus tôt au cours de ce mois de mars par un Congrès démocrate. Il se rajoute aux 900 milliards de dépenses adoptés en décembre, ultime mesure de l’administration Trump, bien que Trump ait à un moment menacé d’apporter son veto contre ce projet si les transferts directs n’atteignaient pas les 2.000 dollars par personne. Un quatrième facteur susceptible de stimuler la demande est le projet de dépenses d’investissement dans les infrastructures. Biden dit qu’il financera en partie ce programme en accroissant les impôts sur les sociétés et les riches. Mais accroître les impôts est bien plus difficile, politiquement, que d’accroître les dépenses.

Il n’est pas étonnant que les responsables de la Fed aient indiqué le 17 mars avoir fortement relevé leurs prévisions de croissance pour 2021, à 6,5 %. L’OCDE en fit de même ce mois-ci.

La multiplication des multiplicateurs


(…) Prenons l’expansion budgétaire américaine de 1.900 milliards de dollars en 2021.

La théorie du multiplicateur keynésien est de nouveau à la mode, suffisamment pour que l’on ose évoquer son nom. Le multiplicateur est supposé être de 1,5 dans les conditions actuelles, à savoir quand les taux d’intérêt sont proches de zéro et l’inflation faible. (L’indice des prix à la consommation a présenté une hausse modérée de 1,7 % sur la période allant de février 2020 à février 2021.)

Quand les dépenses publiques prennent la forme de revenus de transport plutôt que d’achats directs de biens et services, seule une partie de la hausse du revenu disponible dont bénéficient les ménages est consacrée à la consommation et stimule la demande. Ils ont l’habitude d’en épargner une partie, comme ils l’ont fait en 2020 quand une bonne partie des transferts profitèrent aux ménages aisés, qui tendent à épargner plus que les pauvres.

Donc, supposons plutôt que le multiplicateur soit de 1. Multiplions-le avec les 9 % du PIB de la relance budgétaire et nous obtenons une hausse de 9 % du PIB. A la fin de l’année 2020, l’économie américaine était estimée être à un niveau 3 % inférieur à son potentiel. Donc une stimulation de 9 % du PIB l’amènerait à 6 % au-dessus de son potentiel. Même si le multiplicateur était de seulement 0,5, cela amènera tout de même l’économie américaine au-dessus de son potentiel.

La sous-estimation de la production potentielle versus l'aplatissement de la courbe de Phillips


Certains économistes, notamment l’ancien secrétaire du Trésor Larry Summers, même s’ils soutiennent l’idée de base du programme d’aide de Biden, ont sur la base de tels calculs signalé que l’économie américaine est susceptible d’être en surchauffe l’année prochaine et que cela se traduira par une forte inflation. Les marchés financiers ont aussi réagi : le taux d’intérêt sur les obligations du Trésor a atteint 1,7 % alors qu’il était de 0,9 % en janvier.

Un contre-argument est que nous ne savons pas avec précision quel est le niveau de la production potentielle. Peut-être qu’il est plus élevé que ne le suggèrent les estimations. Certains ont remis en cause, avec le recul, l’idée que l’économie américaine ait vraiment opéré au-dessus de son potentiel en 2018-2019, même si le taux de chômage avait chuté sous les 3,5 %, ce qui est inférieur aux estimations conventionnelles du taux de chômage naturel. Pour preuve, l’inflation n’a que peu accéléré, atteignant seulement 2,3 % en 2019 en termes d’indices des prix à la consommation.

A mes yeux, la meilleure explication pour la faible magnitude de la hausse de l’inflation dans la période qui précède la pandémie tient moins à la sous-estimation du niveau de la production potentielle qu’à ce que les économistes appellent une courbe de Phillips plate. En l’occurrence, une variation de l’emploi et de la production n’a que de faibles effets sur l’inflation des salaries et des prix.

Les preuves de l'aplatissement d'une telle relation ? Avant qu’il y ait l’énigme de l’inflation manquante en 2018-2019, il y a eu l’énigme de la désinflation manquante des années 2010-2015, dans le sillage de la Grande Récession, quand le chômage était encore proche de son pic à 10 %. Une courbe de Phillips relativement plate expliquerait le comportement de l’inflation au cours des deux périodes.

Conséquences ? Oui, la production américaine est susceptible d’être au-dessus de son potentiel l’année prochaine, mais, non, l’inflation n’est pas susceptible de s’accroître excessivement. En ce qui nous concerne, une certaine hausse de l’inflation activement désirée par la Fed, comme part intégrante de la reprise. Les responsables de la Fed prévoient que le taux de chômage chute à 3,5 % d’ici la fin de l’année 2023. Le vice-président de la Fed Richard Clarida a dit le 25 mars que la hausse correspondante de l’inflation est cohérente avec l’adoption du nouveau cadre de politique monétaire, le ciblage de l’inflation moyenne, que la Fed a adopté en août 2020. Même Olivier Blanchard, qui estime que l’impulsion budgétaire poussera l’inflation à 1,5 % estime également que la hausse résultante de l’inflation sera juste de 0,5 point de pourcentage à court terme. (Il s’inquiète davantage pour le long terme si l’expansion se poursuit.)

D’autres risques ?


Certes, il y a d’autres risques possibles associés à une relance, outre l’inflation. (i) La dette publique des Etats-Unis est maintenant à son plus haut niveau, relativement à l’économie, depuis 1945 : le ratio dette publique sur PIB va atteindre bien plus que 100 % d’ici la fin de l’année 2021, selon le CBO. Elle semble soutenable, à condition que les taux d’intérêts restent très faibles. Mais les taux d’intérêt s’accroîtront tôt ou tard. En définitive, bien que la dynamique de la dette contraint les dépenses partout, les Etats-Unis ont un avantage relativement aux autres pays, le privilège exorbitant du dollar. (ii) Imaginons que la Fed parvienne à maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau. Plusieurs observateurs s’inquiètent à l’idée que l’expansion financée par création monétaire alimente les bulles d’actifs et les inégalités de richesses. (iii) Le déficit commercial est promis à s’accroître, comme certains produits sont importés. En vérité, cela ne sera pas si mauvais pour l’économie : le déficit commercial sera une valve de sécurité contenant la surchauffe. Mais, politiquement, il exacerbera le protectionnisme. (iv) Si "le ciel est la limite" sur les dépenses, une partie de la monnaie pourrait être gâchée. Malheureusement, Biden connaît les possibles écueils. Il a ciblé l’essentiel des dépenses sur des besoins prioritaires et la réduction de la pauvreté infantile et il a pris des mesures crédibles pour renforcer la responsabilité.

L’erreur de 2009


L’administration Biden cherche clairement à s’assurer que le pays ne "répète pas l’erreur de 2009", quand la relance de 800 milliards de dollars d’Obama (bien qu’énorme au regard des normes historiques) se révéla trop faible et trop courte pour être bien efficace. Certes la Grande Récession finit presqu’aussitôt que la loi fut adoptée, mais la reprise subséquente fut trop lente.

Il n’est pas certain que la taille limitée de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 ait réellement été une erreur de l’administration Obama (à moins que l’erreur d’Obama ait été sa recherche d’un consensus bipartisan). Ses responsables affirmeraient qu’ils ont fourni la plus forte relance via le Congrès qu’il était politiquement possible d’obtenir, étant donnée l’opposition du parti républicain.

Il peut être abusif de dire que la population a commis une erreur. Mais les électeurs ont fait porter la responsabilité de la faiblesse de la reprise de 2009-2010 au parti qui détenait la Maison Blanche. Lors des élections de mi-mandat de novembre 2010, ils redonnèrent au parti républicain la charge de la Maison des Représentants, où il fut en position de bloquer toute mesure supplémentaire pour stimuler l’économie.

Le pays a effectivement commis une erreur en 2009-2010 en réduisant l’ampleur et la durée de la relance budgétaire. Qu’importe l’identité du responsable, il est justifié que Biden veille à ce qu’elle ne se reproduise pas en 2021-2022. »

Jeffrey Frankel, « Biden avoids mistake of insufficient fiscal stimulus », in Econbrowser, 27 mars 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

« La courbe de Phillips est-elle bien morte ? (édition américaine) »

« Anatomie de la plus longue reprise de l’emploi américain »

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