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« Le prix de la Banque royale de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel, que nous appelons plus communément le "prix Nobel d'économie", a été décerné en 2013 à Eugene Fama, Lars Peter Hansen et Robert Shiller. Chacun d'eux a fait un travail académique de haut niveau. Mais au moins, pour moi, il est difficile de décrire le prix de cette année d'une façon synthétique en dégageant un thème unifié.

Le comité du prix Nobel a dit que le prix leur a été décerné "pour leur analyse empirique des prix d’actifs", mais il précise également (…) que "nous ne comprenons pas encore complètement comment les prix des actifs sont déterminés". Fama est souvent perçu comme un partisan de l'école des "marchés efficients" en finance qui affirme que les prix d’actifs et les variations des prix d’actifs peuvent être expliqués par des facteurs économiques structurels. De son côté, Shiller a publié un livre en 2000 dans lequel il parle d’"exubérance irrationnelle" et il apparaît comme quelqu'un qui croit que les phénomènes sur les marchés financiers relèvent de facteurs irrationnels ou "comportementaux". Enfin, Hansen a développé un outil statistique très puissant appelé la "méthode des moments généralisée" qui est devenu un standard dans l'analyse des données relatives aux marchés d’actifs. Alors oui, les trois gagnants ont réalisé "une analyse empirique des prix d’actifs", mais ils semblent aller et venir dans des directions bien différentes. (...)

Plutôt que de tenter un récit cohérent des travaux derrière ce prix Nobel, je vais juste donner une idée des travaux que Fama, Hansen et Shiller ont réalisés dans l'analyse empirique des prix d’actifs : leurs principales conclusions, les innovations qu’ils ont introduites en termes de méthodologie, les nouvelles données qu’ils ont constituées et les implications pratiques de leurs travaux. Je m'appuie sur les matériaux bien utiles que le comité Nobel a publiés sur son site Internet (…).

SCHEMA 1

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Les trouvailles

L’un des thèmes est que les mouvements des prix sur les marchés d’actifs, comme les cours des actions, ne sont pas prévisibles à court terme, mais sont un peu prévisibles à long terme. Cela peut sembler contradictoire mais, en fait, les deux points sont étroitement liés. Par exemple, les fortes fluctuations à court terme (cf. la ligne continue sur le schéma 2) peuvent conduire les actifs à être par moments nettement surévalués ou sous-évalués par rapport aux références à long terme (cf. la ligne discontinue). À court terme, ce niveau élevé de volatilité n'est pas prévisible, mais lorsque les prix des actifs sont éloignés de cette référence, ils ont alors tendance à se corriger. Fama a réalisé un nombre considérable de travaux empiriques à partir des années soixante qui ont conclu que les prix d’actifs ne sont pas prévisibles à court terme. Dans les travaux qu’il a réalisés à partir des années quatre-vingt, Shiller a souligné que les mouvements à court terme des prix des actifs ont souvent été si grands que certains rebonds à un certain moment dans le long terme deviennent prévisibles. Bien sûr, le moment exact où ce rebond de long terme aura lieu n'est pas clair. On retrouve un adage des investisseurs souvent attribué à Keynes : "Souvenez-nous que le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable".

SCHEMA 2 Exemple de cours boursier et de sa tendance à long terme

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Les méthodes

Fama est un pionnier dans ce qu'on appelle la méthode d’"étude d’événements" : en gros, il s’agit de regarder le prix d'un actif avant et après que se produise un certain événement, comme pare exemple une prise de contrôle, le versement des dividendes ou la publication d'informations qui affecteront les profits (cf. schéma 3). Les études d'événements aident à montrer si un événement est prévu (est-ce que le prix varie avant l'événement ?), quelle est la valeur économique de l'événement (indiquée par le changement de prix) et si l’événement a eu un effet permanent ou temporaire (est-ce que le prix bondit lors de l'événement pour ensuite revenir au niveau précédent ?). Les études d'événements sont désormais parties intégrantes de la boîte à outils des économistes empiriques.

SCHEMA 3 Exemple de réaction d'un cours boursier à l'annonce des résultats de l'entreprise

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Hanson a fait l’usage d'une méthode statistique appelée la méthode des moments généralisée. Je ne vais pas chercher à l'expliquer ici, en partie parce que je suis sûr d’échouer à le faire, mais en voici un aperçu. Un "moment" fait référence aux moyens de caractériser un ensemble de données. Par exemple, si vous essayez de décrire un ensemble de données, une première étape pourrait consister à prendre la moyenne, soit d'additionner les données et d’en diviser la somme par la quantité de données. Une deuxième étape pourrait être de voir comment les données sont étalées, chose que les statisticiens mesurent avec la "variance". Une troisième étape pourrait être de voir si la distribution des données est symétrique autour de la moyenne ou tend plutôt à se concentrer d’un côté, c’est-à-dire s’il y a "asymétrie" (skewness). Une autre étape pourrait être d’examiner si la distribution des données a beaucoup de valeurs extrêmes éloignées de la moyenne, ce qui correspond à l’"aplatissement" (kurtosis) pour les statisticiens. Chacune de ces étapes et d'autres encore plus complexes est appelée "moment" statistique. Dans ce cadre, vous pouvez formuler une théorie de ce qui pousse les prix des marchés d’actifs à changer ou varier, puis en utilisant tous les moments statistiques, vous pouvez comparer la structure actuelle des prix du marché d’actifs avec ce que prédit la théorie. Ainsi, cette approche fournit un puissant outil statistique pour regarder les explications théoriques des prix d’actifs et les comparer aux données.

Les données

Fama a été l'un des premiers à utiliser les données CRSP, (…) qui ont commencé à être accumulée au début des années soixante par le Center for Research in Security Prices de l'Université de Chicago et qui renseignent sur un très large éventail de prix et de rendements des titres. Dans les années quatre-vingt, Shiller a construit avec Karl Case le premier indice de haute qualité des prix des logements. L'indice a été non seulement utile pour observer le marché du logement, mais il a été utilisé dans les contrats financiers (…) à des fins de couverture contre les chutes des prix de l'immobilier.

Les implications

Les mouvements des prix d’actifs affectent énormément les ménages, les entreprises, le secteur financier et la macroéconomie dans son ensemble. Les trouvailles empiriques qui ont été réalisées dans ce domaine se traduisent donc souvent par de nouvelles pratiques dans le monde réel. Par exemple, le constat selon lequel les cours boursiers ne sont pas vraiment prévisibles à court terme a contribué en partie à l'énorme croissance des fonds indiciels au cours des dernières décennies. Le constat selon lequel les gens ne sont pas tout à fait rationnels dans leur façon de penser les prix des actifs et qu’ils ne sont souvent pas bien diversifiés contre les risques tels que le chômage ou la baisse des prix immobiliers a conduit à l'invention d'un large éventail d'instruments financiers, ainsi qu’à des politiques publiques visant à encourager l'épargne. La crise financière américaine et la Grande Récession au cours des dernières années ont conduit à de nombreuses propositions politiques, qui sont toutes au moins implicitement basées sur une théorie de la fixation des prix d’actifs. »

Timothy Taylor, « The 2013 Nobel prize to Fama, Hanson, and Shiller », in Conversable Economist (blog), 15 octobre 2013. Traduit par M.A.


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