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lundi 25 septembre 2023

Etats-Unis : une inflation maîtrisée sans douleur ?

« Les prix à la consommation ont augmenté de 3,7 % entre août 2022 et août 2023. Même si l’inflation dépasse toujours ses niveaux prépandémiques et la cible de 2 % d’inflation de la Réserve fédérale, elle a fortement chuté depuis le pic de 8,9 % (en rythme annualisé) qu’elle a atteint en juin 2022, la plus forte chute qui ait été enregistrée en-dehors d’une récession. (…) Qu’est-ce qui explique la décélération abrupte de l’inflation ? Pourquoi le domptage de l’actuel épisode d’inflation n’a-t-il pas impliqué de récession jusqu’à présent ?

Une source d’inflation est le déséquilibre entre le montant que les entreprises, les ménages et le gouvernement désirent dépenser et ce que l’économie peut produire. Suite à la pandémie de Covid-19, les programmes de soutien du gouvernement fédéral ont contribué à une hausse brutale du revenu disponible personnel, ce qui a accrut la demande des ménages en biens et services. Les taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale ont aussi soutenu les dépenses en augmentant les prix d’actifs et en réduisant les coûts d’emprunt. Parallèlement, les perturbations des chaînes d’approvisionnement (…) et la chute de trois points de pourcentage du taux d’activité ont réduit la capacité de l’économie à produire les biens et services que les ménages et les entreprises désiraient acheter.

La dissipation des pressions inflationnistes temporaires a contribué à la chute de l’inflation. Suite à la période post-pandémique de croissance rapide alimentée par la relance, la croissance des dépenses de consommation est retournée à sa tendance prépandémique et les dépenses d’investissement du secteur privé ont atteint un plateau. La hausse de 5,25 points de pourcentage du taux des fonds fédéraux au cours des 18 derniers mois a probablement contribué au ralentissement dans ces catégories dépenses sensibles au taux d’intérêt. Le taux d’activité a rebondi et se rapproche de son niveau prépandémique. Les prix des produits de base ont chuté de 8 % depuis juin 2022, ce qui réduit le coût de production de certains biens et services. Et, signe d’un assouplissement des perturbations d’approvisionnement, les coûts de transport containerisé en cargo ont chuté de 85 % depuis leur pic post-pandémique en septembre 2021.

Les anticipations d’inflation importent aussi. Les hausses de prix temporaires peuvent mener à une inflation persistante si elles affectent les anticipations. Quand les prix ne s’ajustent qu’infréquemment, les entreprises vont fixer leurs prix en se basant sur les coûts futurs probables et leurs anticipations de la situation du marché les mois suivants. De même, parce que les salaires ne sont pas négociés fréquemment, les travailleurs vont négocier pour obtenir des hausses de salaires de façon à compenser les hausses du coût de la vie qu’ils anticipent. En conséquence, les hausses de prix peuvent devenir autoréalisatrices et ce qui aurait sinon été une hausse transitoire de l’inflation va persister pour une période plus longue.

Jusqu’à la fin des années 1990, les anticipations d’inflation réagissaient fortement aux variations de l’inflation. Par conséquent, la hausse de l’inflation dans les années 1970 entraîna une révision immédiate, presque de la même ampleur, des prévisions d’inflation à moyen terme (cf. graphique). Le graphique montre le taux d’inflation sur quatre trimestres (…) sur l’axe horizontal et la prévision médiane sur un an tiré du Survey of Professional Forecasters, un indicateur des anticipations d’inflation à moyen terme, sur l’axe vertical. Du premier trimestre 1976 au quatrième trimestre 1998, la pente de la droite de régression implique qu’une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation au cours des quatre trimestres précédents amenait les prévisionnistes à réviser leurs anticipations de l’année suivante de 0,8 points de pourcentage en moyenne. Le graphique représente aussi des baisses des anticipations d’inflation dans les années 1980 et 1990 provoquées par les chutes de l’inflation qui suivirent les récessions de 1981-1982 et de 1990-1991.

GRAPHIQUE Inflation observée et anticipée aux Etats-Unis

Kuttner__inflation_anticipations_previsions_Etats-Unis.png

Les anticipations d’inflation sont devenues plus stables après 1999. Sur le graphique, la droite de régression pour la période allant du premier trimestre 1999 au quatrième trimestre 2020 est bien moins pentue que celle de la période antérieure à 1999. La pente indique qu’une hausse d’un point de pourcentage du taux d’inflation entre 1999 et 2020 amenait les prévisionnistes à réviser leurs prévisions de seulement 0,2 points de pourcentage en moyenne. Il y a des éléments empiriques suggérant que les anticipations sont devenues mieux "ancrées" dans le sens où elles sont devenues moins sensibles à l’inflation.

Les anticipations sont restées stables au cours des trois dernières années, malgré la hausse postpandémique de l’inflation. Chose remarquable, les points du graphique qui correspondent à la période allant du premier trimestre 2021 au deuxième trimestre 2023 collent à la ligne de régression de la période allant de 1999 à 2020. Cela suggère que les anticipations d’inflation sont restées bien ancrées depuis la pandémie, malgré le fait que l’inflation ait connu sa plus rapide accélération depuis les années 1970.

L’engagement de la Réserve fédérale à la stabilité des prix peut expliquer pourquoi les anticipations d’inflation sont restées ancrées. Le mandat de la Fed, tel qu’il est stipulé dans le Federal Reserve Act, consiste à rechercher "l’emploi maximal et des prix stables". Jusqu’à assez récemment, cependant, ces objectifs n’avaient pas été explicitement explicités ; il n'y avait pas non plus de clarté quant à savoir lequel des deux aurait la priorité sur l’autre. Mais à partir de la fin des années 1980, Alan Greenspan, alors président de la Fed, a indiqué de plus en plus clairement que la Fed donnerait la priorité à la stabilité des prix, puis le comité fédéral d’open market (FOMC) a annoncé explicitement en 2012 une cible de taux d’inflation. On estime que ces changements ont permis de mieux ancrer les anticipations d’inflation et de réduire la persistance de l’inflation.

Une combinaison de chance et de bonnes politiques économiques expliquent le reflux rapide des pressions inflationnistes. La chance a joué dans la mesure où la pandémie de Covid-19 n’a pas laissé de cicatrices permanentes du côté de l’offre de l’économie : les coûts en intrants ont chuté, le taux d’activité a rebondi et les chaînes de valeur se sont réparées. La bonne politique a été la réaffirmation catégorique de la Fed quant à son engagement envers la stabilité des prix. Son engagement semble avoir été suffisamment crédible pour maintenir les anticipations d’inflation ancrées, malgré un délai inhabituellement long entre les premiers signes d’accélération de l’inflation au printemps 2021 et le début du resserrement monétaire en mars 2022. En conséquence, la théorie selon laquelle il ne peut y avoir de désinflation sans souffrance pourrait être moins pertinente que par le passé. Autrement dit, une récession ne s’avère peut-être pas nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 % d’inflation de la Fed. »

Kenneth Kuttner, « Taming inflation: No pain no gain? », 20 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Pourquoi l’inflation est plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ? »

« Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

vendredi 15 septembre 2023

Qu’est-ce qu’un atterrissage en douceur ?

« Quand la Réserve fédérale s’inquiète à propos de l’inflation, elle relève ses taux d’intérêt pour ralentir le rythme de la croissance économique. Si la Fed relève beaucoup ses taux d’intérêt, cela peut provoquer une récession, si bien que l’on parle alors d’"atterrissage brutal" (hard landing). Par contre, si la Fed peut relever ses taux d’intérêt juste assez pour ralentir l’économie et réduire l’inflation sans provoquer de récession, on parlera d’"atterrissage en douceur" (soft landing). Mais il n’y a pas de définition officielle pour ce dernier. Le National Bureau of Economic Research (NBER), souvent considéré par les économistes comme l’arbitre quasi officiel de la datation des récessions, ne définit pas les atterrissages brutaux et en douceur. Plusieurs économistes considèrent une légère récession avec une faible hausse du chômage comme "douce", ce que président de la Fed Jay Powell a pu qualifier d’atterrissage "softish".

Les atterrissages en douceur sont l’équivalent du "bol de Boucle d’or" pour les banquiers centraux : suite à un resserrement monétaire, l’économie est juste bien, ni trop chaude (inflationniste), ni trop froide (avec une récession).

Un exemple d’atterrissage brutal


L’inflation était élevée au sortir des années 1960. De nouveaux assouplissements monétaires durant la campagne présidentielle de 1972 et les chocs pétroliers provoqués par le cartel de l’OPEP en 1973 ont poussé l’inflation vers les deux chiffres en 1974. Pour le reste des années 1970, les responsables politiques ont échoué à atténuer l’inflation.

En 1979, le Président Jimmy Carter choisit Paul Volcker pour remplacer William Miller à la tête de la Fed. Volcker était déterminé à baisser l’inflation (alors à 11 % en rythme annuel) et à restaurer la stabilité des prix. De juillet 1980 à janvier 1981, la Fed de Volcker a relevé le taux des fonds fédéraux, le principal taux d’intérêt à court terme de la Fed, à plus de 19 %. Cela a entraîné une récession longue de 16 mois, de juillet 1981 à novembre 1982, au cours de laquelle le taux de chômage a atteint le pic de 10,8 %, soit un atterrissage brutal. Au milieu de l’année 1983, Volcker avait réussi à ramener l’inflation sous les 3 %, préparant le terrain pour plusieurs décennies de bonne croissance avec seulement des interruptions mineures. Les leçons de cet épisode étaient claires selon Volcker : il est crucial de s’attaquer à l’inflation avant qu’elle n’atteigne des niveaux extrêmes et que la population ne révise à la hausse ses anticipations d’inflation.

Un exemple d’atterrissage en douceur


L’exemple classique d’un atterrissage en douceur est le resserrement monétaire opéré sous Alan Greenspan au milieu des années 1990. Au début de l’année 1994, l’économie allait fêter sa troisième année de sa reprise consécutive à la récession de 1990-1991. En février 1994, le taux de chômage chutait rapidement ; il est passé de 7,8 % à 6,6 %. L’indice des prix à la consommation augmentait au rythme annualisé de 2,8 % et le taux des fonds fédéraux était autour des 3 %. Avec l’économie en croissance et le chômage chutant rapidement la Fed craignait une potentielle hausse de l’inflation et elle décida de relever ses taux directeurs de façon préventive. Durant l’année 1994, la Fed releva sept fois ses taux d’intérêt, le ramenant de 3 % à 6 %. Ensuite, elle baissa son taux principal, le taux des fonds fédéraux, trois fois en 1995, quand elle vit que l’économie ralentissait davantage que ce qui s’avérait nécessaire pour empêcher l’inflation d’augmenter.

Les conséquences ont été spectaculaires. Alan Blinder, un ancien membre du comité de la Fed, nota que cela fut "l’atterrissage en douceur parfait qui contribua à faire d’Alan Greenspan une légende parmi les banquiers centraux". La performance économique reste robuste le reste de la décennie : l’inflation était faible et peu volatile, le chômage continua de baisser et la croissance du PIB réel attint en moyenne les 3 % par an. Greenspan nota dans ses Mémoires : "l’atterrissage en douceur de 1995 fut l’un des plus succès de mon mandat dont je suis le plus fier".

Les atterrissages en douceur sont-ils communs ?


La réponse dépend entièrement de la façon par laquelle on définit l’"atterrissage en douceur", un terme pour lequel il n’y a pas de définition qui fasse consensus. L’économiste de Princeton Alan Blinder, un ancien vice-président de la Fed, dit que si le PIB décline de moins de 1 % ou si le NBER ne signale pas de récession dans l’année qui suit un cycle de hausses des taux de la Fed, il considère qu’il y a un atterrissage en douceur. En examinant 11 périodes de hausses des taux de la Fed entre 1965 et 2019, il compte cinq atterrissages en douceur (soft) ou plus ou moins en douceur (softish) (…).

Connaissons-nous un atterrissage en douceur cette fois-ci ?


Peut-être. La Réserve fédérale fait face au pire épisode d’inflation depuis le début des années 1980, des circonstances très différences que celles auxquelles elle faisait face en 1994. Avec l’assouplissement des confinements durant la pandémie de Covid-19 en 2020, les perturbations des chaînes de valeur internationales et les amples relances budgétaire et monétaire, l’inflation a grimpé à un rythme annuel de 10 % au premier trimestre 2021. La Fed a répondu, tardivement, en relevant brutalement ses taux d’intérêt de plus de 5 points de pourcentage à partir de mars 2022. L’inflation a depuis baissé (l’indice des prix à la consommation, qui inclut les prix des produits alimentaires et de l’énergie, volatiles, a atteint le taux de 3,9 % en rythme annuel entre juin et août 2023), pourtant le chômage reste faible selon les standards historiques, atteignant 3,8 % en août 2023, et le PIB a continué d’augmenter à un rythme solide.

En 2022, beaucoup prédisaient qu’une récession se produirait en 2023, mais plus récemment on a moins entendu ces prédictions. Larry Summers, l’ancien secrétaire au Trésor, prévoyant un atterrissage brutal, disait en avril 2022 : "si vous regardez l’histoire, il n’y a jamais eu de moment où l’inflation a été supérieure à 4 % et le chômage inférieur à 5 % sans que nous ne connaissions une récession dans les deux années suivantes". Mais après le rapport sur l’emploi de septembre 2023, qui montre un ralentissement dans l’embauche et des chiffres encourageants pour l’inflation ces derniers mois, il a dit : "je pense toujours que la route vers un atterrissage en douceur est très difficile, mais c’est un pas sur cette route". De leur côté, la secrétaire au Trésor Janet Yellen et Paul Krugman ont affirmé en septembre 2023 que, bien qu’incertaines, il y a plusieurs raisons d’être optimiste, parce que l’inflation a diminué en 2023 sans hausse substantielle du chômage. (…) »

Sam Boocker & David Wessel, « What is a soft landing? », Brookings, 14 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« Quels sont les canaux de transmission de la politique monétaire conventionnelle ? »

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Inflation américaine : que nous enseignent les années 1960 ? »

vendredi 11 septembre 2020

La nouvelle stratégie de la Fed : davantage de discrétion, moins de prévention

« L’emploi peut se retrouver à son niveau maximal tel qu’on l’estime en temps réel ou au-delà sans susciter d’inquiétude, à moins que cela ne s’accompagne de signes d’accélérations indésirables de l’inflation ou de l’émergence d’autres risques qui peuvent nous empêcher d’atteindre nos objectifs. »

Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, lors de la conférence de Jackson Hole du 27 août 2020.



Dans ce billet, nous identifions trois facteurs clés motivant la revue stratégique de la Fed et soulignons trois grands changements dans la stratégie du comité de politique monétaire. En outre, nous identifions d’importantes questions auxquelles le comité devra apporter une réponse lorsqu’il cherchera à mettre en place son nouveau cadre de politique monétaire. En particulier, l’adoption du ciblage flexible de l’inflation moyenne implique un changement dans la fonction de réaction du comité. Comment cette redéfinition de l’objectif influencera-t-elle la réponse systématique du comité aux variations de la croissance économique, du chômage, de l’inflation et des conditions financières ? Sous un ciblage flexible de l’inflation moyenne, la cible d’inflation effective au cours des prochaines années dépend aussi de l’expérience passée avec l’inflation. Quelle est cette relation ?

Peut-être que la Fed a été avant tout poussée à changer de stratégie en prenant conscience que le niveau soutenable des taux d’intérêt nominaux a décliné. Ce changement se manifeste à travers les révisions à la baisse des prévisions des taux des fonds fédéraux à long terme. Par conséquent, la banque centrale s’inquiète à l’idée de voir le taux directeur buter fréquemment à sa borne inférieure effective, dans la mesure où la marge de manœuvre de la Fed en matière de politique monétaire conventionnelle s’en trouverait réduite. L’idée du ciblage flexible de l’inflation moyenne est de relever la cible d’inflation lorsque l’inflation est faible. En réduisant le taux d’intérêt réel anticipé en de telles circonstances, le ciblage flexible de l’inflation moyenne réduit la nécessité d’utiliser le forward guidance et les outils de bilan à la borne inférieure zéro (voir notre précédent billet).

Deuxièmement, comme le président Powell le souligne dans la citation en ouverture, le lien entre le marché du travail et l’inflation est plus lâche que par le passé, ce qui rend plus difficile d’estimer le niveau de chômage compatible avec la stabilité des prix.

Troisièmement, pour l’essentiel, l’inflation s’est retrouvée sous les 2 % depuis 2012, quand le comité de politique a pour la première fois présenté sa cible quantitative. (Selon l’indice des prix, l’inflation s’est retrouvée en moyenne entre 1,3 % et 1,8 % par an au cours des huit dernières années.) Avec une inflation durablement inférieure à la cible, l’inquiétude est que les anticipations d’inflation finissent par chuter, ce qui accroîtrait les taux d’intérêt réels anticipés et resserrerait en conséquence les conditions financières, en particulier quand le taux directeur est proche de zéro. Comme le président Powell l’a souligné, "nous avons vu cette dynamique perverse affecter d’autres économies majeures à travers le monde et nous avons constaté qu’une fois tombé dans une telle situation il peut être très difficile d’en sortir".

En combinant ces trois facteurs, le comité de politique monétaire a considéré qu’il était nécessaire de répondre à l’asymétrie fondamentale de la politique monétaire conventionnelle : quand l’inflation s’élève au-dessus de sa cible, la banque centrale peut relever les taux d’intérêt, ce qui réduit la demande globale et atténue l’inflation. Cependant, si l’inflation est trop faible, quand le taux d’intérêt est à sa borne zéro, la politique conventionnelle n’est plus disponible pour davantage stimuler la demande globale, alimenter l’inflation et s’assurer que les anticipations d’inflation restent bien ancrées. L’expérience des dernières années aux Etats-Unis et à l’étranger a suscité des inquiétudes à la Fed quant à une telle éventualité.

Donc, quels sont les principaux changements quant aux objectifs de plus long terme du comité de politique monétaire ? Nous en soulignons trois : (I) l’introduction d’un ciblage flexible de l’inflation moyenne ; (ii) un relâchement des efforts pour prévenir une accélération de l’inflation ; (iii) un engagement explicite pour entreprendre une revue publique du cadre de politique monétaire "à peu près tous les cinq ans".

Le premier de ces trois objectifs vise à s’attaquer au maintien durable de l’inflation en-deçà de sa cible de 2 %. Le deuxième revient à admettre que la capacité de la Fed à prévoir l’inflation est limitée. Il dénote une moindre inquiétude à propos des marchés du travail sous tension et, dans le double mandat de la Fed, donne plus de poids à l’objectif de plein emploi relativement à celui de la stabilité des prix. Le troisième fournit un horizon temporel pour réévaluer l’adéquation du cadre de politique monétaire du comité. En se focalisant sur les deux premiers, les changements génèrent un biais vers une inflation moyenne plus élevée de façon à contrer l’asymétrie fondamentale inhérente à la politique conventionnelle de taux d’intérêt.

Nous avons discuté du ciblage de l’inflation moyenne en détails dans notre précédent billet. La version "flexible" de la Fed lui laisse une formidable discrétion. En rejetant toute "formule", l’approche définit ni la fenêtre de temps passée pour mesurer les déviations de l’inflation, ni la fenêtre de temps future pour ramener l’inflation à sa moyenne cible. De tels détails clés étant absents, le comité de politique monétaire devra communiquer d’une réunion à l’autre son objectif d’inflation à court terme. La capacité du comité à influencer les anticipations d’inflation à la borne inférieure (un motif clé pour adopter le ciblage flexible de l’inflation moyenne) va dépendre de la clarté avec laquelle il communiquera son objectif et de la crédibilité de son engagement pour l’atteindre. Plus la déclaration sera claire (à propos de l’objectif d’inflation et de l’horizon temporel), plus elle sera efficace pour réduire les taux d’intérêt réels anticipés quand le taux directeur butera sur sa borne inférieure.

Au même instant, la nouvelle déclaration laisse ouvertes d’importantes questions à propos de ce qui déclenchera un changement dans l’objectif d’inflation à moyen terme. Par exemple, si l’inflation courante ou l’inflation anticipée s’élèvent à 3 %, cela suffira-t-il pour amorcer un changement ? Alors que le ciblage flexible de l’inflation moyenne vise à rendre le niveau des prix à long terme plus prévisible, quelle variation de l’inflation à court terme le comité tolérera-t-il ?

Pour prendre un exemple simple, au cours des cinq dernières années, l’écart cumulé de l’inflation par rapport à sa cible de 2 % s’élève à 2,5 points de pourcentage (lorsque l’on mesure l’inflation à partir de l’indice des prix à la consommation). Si le comité de politique monétaire désire compenser une partie de cet écart au cours des cinq prochaines années (en ciblant sur dix ans un taux moyen d’inflation de 2 %), alors il devra atteindre une inflation de 2,5 % en moyenne. Alternativement, s’il désire rattraper plus rapidement l’écart, disons sur trois ans, alors la cible sera plus proche de 3 %. Plus le comité sera clair par rapport à sa fonction de réaction (notamment à propos de l’horizon au cours duquel il tend à restaurer l’inflation à l’objectif de plus long terme de 2 %), plus il sera probable que ses actions se révéleront stabilisatrices.

En ce qui concerne la moindre importance donnée à la prévention de l’inflation, le changement clé concerne la façon par laquelle la Fed considère l’emploi maximal. Plutôt que de décider de la politique monétaire en réaction aux "déviations", à la hausse comme à la baisse, par rapport à l’emploi maximal (comme dans une règle de Taylor typique), la nouvelle déclaration se focalise sur les écarts à la baisse par rapport à l’emploi maximal. Comme l’évoquait la citation de Powell en ouverture, le lien entre un faible taux de chômage et l’accélération de l’inflation n’est plus aussi robuste que par le passé. Selon nous, ce changement explicite simplement ce que la Fed faisait déjà en pratique. Rappelons-nous qu’en 2019 la Fed a réduit les taux d’intérêt de 75 points de base, alors même que le taux de chômage était à 3,5 %, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis cinquante ans. (...)

Pour résumer, et ce en cohérence avec la réaction limitée des marchés financiers, nous ne voyons dans la nouvelle déclaration de la Fed qu’une modeste révision de ses pratiques. Etant donné que l’on s’attend à une longue période de taux d’intérêt nuls, la nouvelle stratégie de la Fed répond à l’accroissement du risque d’avoir une inflation trop faible relativement au risque d'avoir une inflation trop forte.

Cela dit, la réaction des marchés peut aussi refléter un profond scepticisme quant à la capacité de la Fed à relever l’inflation, en particulier dans une telle récession. Elle a régulièrement échoué à atteindre la cible de 2 % depuis qu’elle l’a annoncée. Pourquoi devrait-on croire qu’elle est capable de ramener l’inflation au-delà de 2 % ces prochains temps ? Peut-on vraiment croire que la Fed est vraiment différente des autres grandes banques centrales qui ont passé l’essentiel de leur temps la dernière décennie à essayer de stimuler l’inflation pour la ramener à sa cible sans y parvenir ? (…)

Par conséquent, la différence la plus manifeste à moyen terme tiendra dans la communication de la Fed, dans ce qu’elle dit à propos de sa politique monétaire. Comme Ben Bernanke, l’ancien président de la Fed avait l’habitude de le dire, "la politique monétaire, c’est 98 % de paroles et 2 % d’actions". C’est encore davantage de communication lorsque, comme à présent, le taux directeur se retrouve contraint vers zéro. Plus le comité de politique monétaire pourra nous en dire à propos de la façon par laquelle il utilisera systématiquement la plus grande discrétion qu’il se donne dans son nouveau cadre, plus son action sera efficace. »

Stephen Cecchetti et Kermit Schoenholtz, « The Fed's new strategy: More discretion, less preemption », in Money & Banking (blog), 29 août 2020. Traduit par Martin Anota

samedi 5 septembre 2020

Qu'est-ce que le ciblage de l'inflation moyenne ?

« La première grande revue stratégique du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale est sur le point de s’achever. Depuis qu’elle l’a annoncée le 15 novembre 2018, la Fed s’est focalisée sur les stratégies, les outils et les pratiques en matière de communication (…).

Peut-être que le point le plus important dans le programme de révision de la Fed est celui de la stratégie de ciblage d’inflation (inflation-targeting) du comité de politique monétaire. Depuis 2012, ce dernier a explicitement ciblé un taux d’inflation de 2 % (mesuré par l’indice des prix à la consommation). Un objectif clé de la stratégie du comité de politique monétaire est d’ancrer les anticipations d’inflation de long terme, pour contribuer non seulement à la stabilité de prix, mais aussi à "l’amélioration de la capacité du comité à promouvoir l’emploi maximal face aux perturbations économiques majeures". Pourtant, depuis le début de l’année 2012, l’inflation des prix à la consommation a atteint en moyenne seulement 1,3 %, amenant beaucoup de responsables de la politique monétaire à s’inquiéter à l’idée qu’une inflation durablement basse pousse davantage l’inflation anticipée à la baisse (cf. Williams). Et, avec le taux directeur de la Fed de nouveau à proximité de zéro, la chute des anticipations d’inflation accroît le taux d’intérêt réel, resserrant les conditions monétaires et sapant les efforts des autorités monétaires pour stimuler la croissance et l’inflation.

Il est peu probable que la Fed ne garde pas l'idée d'un ciblage de 2 % d’inflation sous une forme ou sous une autre, mais cela laisse ouverte la possibilité d’autres changements. Dans cette note, nous discutons d’une alternative pour l’approche courante qui a fait l’objet d’une grande attention : à savoir le ciblage d’inflation moyenne. L’idée derrière le ciblage d’inflation moyenne est que, lorsque l’inflation se retrouve au-dessus de la cible, cela crée l’anticipation d’une plus forte inflation. Et, si l’inflation se retrouve en-dessous de sa cible, alors il faut réduire les anticipations d’inflation. Même quand le taux directeur atteint zéro, le résultat est un mouvement contracyclique dans les taux d’intérêt qui améliore l’efficacité de la politique conventionnelle.

Une banque centrale adoptant un cadre de ciblage d’inflation moyenne choisit une période de temps (qualifions-la de fenêtre de moyennisation) au cours de laquelle elle mesure l’inflation avec l’objectif d’atteindre une cible numérique (disons 2 %) en moyenne. En incluant un certain nombre d’années passées, ce système diffère fortement d’un ciblage d’inflation conventionnel. Dans le cadre de ce dernier, le passé est de l’histoire ancienne : la stratégie conventionnelle ignore ce qui a été raté par le passé, cherchant une cible numérique constante au cours d’une poignée d’années suivantes. A l’inverse, si la stratégie des autorités monétaires est celle du ciblage de l’inflation moyenne, alors elles vont essayer de rattraper une partie de leurs erreurs passées.

Pour voir la différence, considérons l’expérience américaine depuis 2012. Comme nous l’avons noté ci-dessus, au cours des huit dernières années, l’inflation a été en moyenne inférieure de 0,7 point de pourcentage par rapport à la cible de 2 % de la Fed. Malgré cet échec, l’objectif d’inflation à moyen terme dans le futur de la Fed est resté inchangé. Si la cible du comité de politique monétaire avait été l’inflation moyenne, leur cible future aurait été relevée pour compenser l’échec passé et finir par atteindre la moyenne.

Pour comprendre la mécanique du ciblage d’inflation moyenne, il est utile de considérer le cas du ciblage du niveau des prix. Cette stratégie est l’exact opposé du ciblage d’inflation pur, comme le passé n’est pas ignoré. En d’autres termes, le ciblage du niveau des prix est un ciblage d’inflation moyenne avec une fenêtre de temps infinie pour mesurer l’inflation. En l’occurrence, la banque centrale cherche à maintenir les prix à proximité de leur trajectoire de long terme qui augmente au taux cible, cherchant à compenser quelques erreurs passées, et ce qu’importe quand elles ont été commises. Plusieurs économistes ont conseillé le ciblage du niveau des prix précisément parce que (s'il est crédible) il peut réduire le taux d’intérêt réel anticipé lorsque les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure, ce qui permet d’assouplir davantage la politique monétaire sans que la banque centrale ait à recourir au forward guidance ou aux outils de bilan (cf. Woodford).

Pour illustrer la différence entre les deux approches, considérons deux banques centrales avec un objectif identique de 2 % de croissance annuelle du niveau des prix. La première suit une stratégie pure de ciblage d’inflation où le passé est oublié, tandis que la seconde suit une stratégie de ciblage du niveau des prix, cherchant à compenser les erreurs passées. En l’absence de tout choc qui éloigne l’inflation de la cible, les deux stratégies sont indistinctes : le niveau des prix s’élève au rythme constant de 2 % par an. (Nous empruntons cet exemple à George Kahn.)

Supposons, cependant, qu’il y ait un choc désinflationniste qui réduise l’inflation au cours de l’année t+1 d’un point de pourcentage de 2 % à 1 % (…). Supposons en outre que les deux banques centrales réussissent à retourner à leur cible à l’année t+3, c’est-à-dire au terme d’une période de deux années (que nous qualifierons de période de restauration). Le graphique ci-dessous montre les trajectoires du niveau des prix dans le cas de ces deux stratégies. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, la banque centrale cherche à relever l’inflation de 1 % à 2 % graduellement au cours de la période de restauration (il s’agit de la ligne bleue solide). Chose importante, alors que le niveau des prix retourne à une trajectoire qui est parallèle à la trajectoire de prix originelle, elle est à jamais inférieure à celle-ci : la ligne bleue est en-dessous de la ligne pointillée noire. C’est dans ce sens que le passé est oublié.

GRAPHIQUE Trajectoires du niveau des prix selon que la banque centrale cible l'inflation ou le niveau des prix lorsque l’inflation chute d’un point de % au cours d’une année

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La ligne aux traits rouges montre la stratégie de ciblage du niveau des prix. Notons que cette ligne rejoint graduellement la ligne pointillée noire : l’inflation excède la cible d’inflation de 2 % à long terme au cours de la période de restauration. C’est ce qui signifie rattraper les erreurs passées pour une banque centrale : une période où l’inflation est supérieure à la cible suit une période où l’inflation est inférieure à la cible. En d’autres termes, dans le cadre du ciblage du niveau des prix, la politique monétaire est dépendante de l’histoire. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, elle ne l’est pas.

A partir de là, nous pouvons voir que le ciblage d’inflation moyenne est un hybride entre ciblage d’inflation pur et ciblage du niveau des prix (…). Plus la fenêtre de moyennisation est large, plus on se rapproche du ciblage du niveau des prix. De plus, les deux stratégies polaires ont différentes implications pour la variabilité du niveau des prix à long terme. En minimisant les écarts par rapport à la trajectoire ciblée, un ciblage du niveau des prix rend prévisible le niveau des prix à long terme, mais cela rend l’inflation plus volatile à court terme. Dans le cadre du ciblage d’inflation pur, les écarts par rapport à la trajectoire du niveau des prix originelle se creusent au cours du temps, réduisant la prévisibilité des prix à long terme.

Aux Etats-Unis, les différences pratiques entre ciblage d’inflation et ciblage du niveau des prix ont été limitées. Nous pouvons considérer que la Fed a de facto ciblé l’inflation depuis le milieu des années 1980. Néanmoins, au cours des trente dernières années, le niveau des prix (excluant l’alimentaire et l’énergie) s’est accru à peu près au rythme avec celui d’un pur régime de ciblage du niveau des prix, si bien que le taux d’inflation annuel moyen a été de 1,86 % (voir le graphique). Au même instant, sur des intervalles de temps plus courts, les écarts ont eu tendance à persister. Dans les premières années, l’inflation a typiquement dépassé la cible. Par conséquent, au deuxième trimestre 1995, le niveau des prix a dépassé la trajectoire à long terme de 4,6 %. Plus récemment, le schéma s’est inversé. Au deuxième trimestre 2020, le niveau des prix était inférieur de 3,5 % par rapport à sa trajectoire à long terme.

GRAPHIQUE Indice des prix des dépenses de consommation aux Etats-Unis (excluant l’alimentaire et l’énergie)

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Cela implique que l’adoption d’un régime de ciblage d’inflation moyenne aurait été une mesure modérée, plutôt que radicale (cf. Reifschneider et Wilcox). Pour le voir, nous pouvons faire une simple simulation. Commençons par supposer (comme dans la simulation ci-dessus) que la banque centrale cible l’inflation moyenne sur cinq ans, en observant les trois années précédentes et en cherchant à restaurer le niveau le niveau des prix sur sa trajectoire de 2 % au cours des deux années suivantes. Au vu des limites quant à l’efficacité de la politique monétaire, nous soupçonnons que la période de restauration actuelle aurait été plus longue, donc cette hypothèse se traduit par une réponse plus agressive aux chocs et ajoute de la volatilité dans la cible d’inflation annuelle de la Fed. (D’un autre côté, si la période de restauration s’allonge, il devient plus difficile pour le comité de politique monétaire de faire un engagement crédible pour atteindre la cible d’inflation.)

Dans le graphique ci-dessous, prenant dans la fenêtre de moyennisation les trois années précédentes, nous indiquons la cible d’inflation annuelle impliquée pour une période de restauration de deux ans. (Notez qu’il s’agit d’une hypothèse statique : nous ne prenons pas en compte le fait que le processus d’inflation aurait changé si la Fed avait effectivement adoptée ce ciblage de l’inflation moyenne.) Sous ces hypothèses, la cible impliquée depuis 2011 aurait été comprise entre 2,2 % et 3,04 %, avec une moyenne de 2,65 %. Avec une fenêtre de moyennisation historique sur trois ans et une période de restauration de deux ans, la cible d’inflation de la Fed aurait été 0,65 point de pourcentage plus élevée pour la décennie passée. Si ce comportement de la banque centrale était crédible et anticipée, cela aurait réduit le taux d’intérêt de court terme réel moyen de 65 points de base, ce qui serait une stimulation bienvenue (quoique modérée) lorsque les taux d’intérêt nominaux étaient à la borne inférieure zéro. (Nous notons qu’un passage du prix excluant l’alimentaire et l’énergie à une mesure globale accroît la volatilité de la cible d’inflation visée sur les deux années suivantes, en élargissant sa gamme sur l’échantillon de 30 ans d’environ un point de pourcentage.)

GRAPHIQUE Hypothétique cible d’inflation moyenne focalisée sur les trois années précédentes et les deux années suivantes

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Ce sont sûrement de bonnes nouvelles, mais il y a un risque avec un tel cadre. Celui-ci apparaît sur le graphique. Dans les quatre premières années des années 1990 (incluant la récession de 1990-1991), un régime de ciblage d’inflation moyen sur cinq ans qui inclut une période de restauration de deux ans se serait probablement traduite par une politique substantiellement plus restrictive que celle observée. En effet, la banque centrale aurait ciblé une déflation comprise entre -1,21 % et -0,17% !

Il faut noter que le ciblage d’inflation moyenne (comme le ciblage du niveau des prix) peut se traduire par des épisodes au cours desquels la banque centrale veut réduire le niveau des prix, pas simplement l’inflation. Cela peut expliquer pourquoi aucune banque centrale n’a explicitement adopté un tel cadre, du moins jusqu’à présent. Nous notons aussi qu’il est d’autant plus probable qu’une banque centrale cible la déflation que l’on élargit la fenêtre de moyennisation et réduit la période de restauration. Pour compenser cela, la banque centrale peut rendre flexibles ces deux périodes, mais cela diminuerait probablement la crédibilité de l’engagement de la banque centrale et son impact sur les anticipations d’inflation. Une alternative, proposée par Ben Bernanke, est de suivre une stratégie asymétrique : cibler l’inflation lors des expansions et ne cibler le niveau des prix que lors des récessions. Même si cela fait sens, nous pensons qu’il serait difficile de communiquer une telle approche de façon à stimuler les anticipations d’inflation au bon moment, lorsqu’une récession commence. (…) »

Stephen Cecchetti & Kermit Schoenholtz, « Average inflation targeting », in Money & Banking (blog), 24 août 2020. Traduit par Martin Anota

lundi 30 octobre 2017

Portrait des cinq candidats à la présidence de la Fed

« L’administration Trump a dit qu’elle annoncera avant le 3 novembre sa décision sur la nomination de la personne qui présidera la Réserve fédérale. S’il est confirmé par le Sénat, le candidat choisi succèdera à Janet Yellen, dont le mandat s’arrête le 3 février. La Maison Blanche a indiqué qu’elle privilégiait cinq candidats. Deux d’entre eux sont d’éminents économistes qui ont réalisé d’importants travaux dans la recherche universitaire, principalement dans des universités de la côte ouest des Etats-Unis, mais qui sont aussi des praticiens de la politique macroéconomique : il s’agit de Yellen même, qui est un candidat très sérieux à sa propre succession, et John Taylor, de Stanford. Les trois autres candidats ne sont pas professionnellement formés comme économistes, mais viennent plutôt du milieu financier : Gary Cohn, Jerome Powell et Kevin Warsh. Ils travaillèrent, respectivement, à Goldman Sachs, à Dillon Read et à Morgan Stanley ; tous les trois ont une expérience gouvernementale.

Considérons tout d’abord les deux candidats qui siègent au conseil des gouverneurs à la Fed.

Yellen


Bien que Janet Yellen soit une Démocrate initialement nommée par le Président Obama, il y a plusieurs précédents historiques pour que Trump renouvelle son mandat. Ses trois prédécesseurs, Ben Bernanke, Alan Greenspan et Paul Volcker, ont tous vu leur mandat être renouvelé par un Président du parti opposé à celui qui les avait initialement nommés. Il y a des avantages à opter pour la continuité et la prédictibilité.

Yellen a fait un excellent boulot au cours de ces quatre années à la présidence de la Fed. (…) Bien qu’elle n’ait pas eu à faire face aux débuts de la crise, elle a présidé efficacement, si bien que la reprise de l’économie suite à la Grande Récession de 2007-2009 s’est poursuivie de façon régulière. Bien sûr, la politique monétaire n’est pas le seul déterminant de la performance économique nationale, en particulier sous les conditions qui ont prévalu après 2008. (Sous ces conditions, la politique budgétaire aurait été un outil bien plus puissant que la politique monétaire, malheureusement les politiciens ne se sont pas accordé leurs violons pour modifier les impôts et dépenses de façon contracyclique et non pas procyclique.) Mais il y a des choses importantes que la Fed peut faire même lorsque les taux d’intérêt sont à leur borne inférieure zéro ou proches de celle-ci et la Fed les entreprit sous la présidence de Bernanke, puis celle de Yellen. Yellen a réussi à combiner une clarté dans la communication, auprès de divers publics, avec une flexibilité dans la mise en œuvre de la politique monétaire, en modifiant adéquatement cette dernière lorsque les données en temps réel montraient de subtils changements dans les conditions économiques. Il n’est pas facile de combiner ces deux compétences, comme la transparence peut conduire à adopter la pratique du forward guidance ou à s’engager vis-à-vis de règles que les événements futurs amènent à abandonner. En conséquence, Yellen et ses collègues à la Fed méritent une grande partie du crédit pour la longueur de l’actuelle expansion économique.

Le taux de chômage était de 9,9 % quand Yellen fut introduite au conseil de la Fed en 2010, de 6,7 % lorsqu’elle prit la présidence de ce conseil en 2014 et de 4,2 % désormais. Et pourtant l’inflation ne s’est pas sensiblement accélérée. Cette combinaison de faible chômage et de faible inflation est généralement considérée comme étant le Nirvana macroéconomique.

A entendre plusieurs commentateurs récemment, le fait que l’inflation ne soit pas revenue à 2 %, voire plus, constituerait un problème majeur. Mais je ne considère pas que ce soit le cas. La Fed a su maintenir l’économie américaine au plein emploi. (Et les populistes ont tort s’ils pensent que la faiblesse des taux d’intérêt est mauvaise pour la distribution des revenus.) La différence entre une inflation de 1,5 % et une inflation de 2 %, que certains considèrent comme énorme, me semble suffisamment faible pour être une aberration temporaire ou même une erreur de mesure.

Powell


Jay Powell, qui a été au conseil pendant cinq ans, se présente naturellement comme un candidat de compromis. D’un côté, il a soutenu la stratégie de Yellen, généralement perçue comme étant "dovish". D’un autre côté, il vient des marchés financiers et il est depuis toujours un Républicain. Ces traits devraient écarter toute opposition de la part des Républicains au Congrès, notamment de ceux qui votèrent contre le renouvellement du mandat de Ben Bernanke en janvier 2010, ce qui était d’ailleurs scandaleux au regard de ses qualifications professionnelles et intriguant au regard de son histoire (Bernanke est un natif de la Caroline du Sud qui présidé le Conseil Economique de George W. Bush).

Les thésards en économie tendent à connaître et aimer leurs semblables et à douter des qualifications des autres pour les postes en haut de la hiérarchie. En effet, les docteurs en économie dominent le personnel et la présidence à la Fed. Les docteurs parmi les présidents de district étaient peut-être relativement rares il y a 70 ans, mais ils sont désormais majoritaires, et ils sont de plus en plus apparus ces dernières décennies comme nécessaires pour la présidence. La tendance est également générale dans d’autres pays. Un banquier central sans doctorat d’économie aurait des difficultés à gérer un personnel technique qualifié qui maîtrise des modèles compliqués et le jargon de l’économie universitaire. Il va de soi que certains brillants universitaires ne possèdent pas les autres traits personnels nécessaires pour être gérer et diriger une équipe. Mais même si un doctorat n’est pas une condition suffisante pour la présidence de la Fed, est-ce une condition nécessaire ?

Je suis peut-être l’un des rares économistes universitaires qui a eu la chance de connaître Jay Powell depuis 1990. Permettez-moi ainsi d’offrir mon témoignage le concernant. Contrairement à beaucoup de personne au gouvernement, dans le secteur privé et même à l’université, Powell n’est pas du genre à "ne pas savoir ce qu’il ne sait pas". Il n’a pas de complexe à admettre qu’il puisse avoir des questions sur un sujet ou un autre. Par conséquent, Powell maîtrisait le côté analytique de ce qu’il devait savoir en tant que gouverneur à la Fed. De plus, il n’aurait pas de difficulté à travailler avec les thésards du personnel. S’il est choisi, ce sera l’une des meilleures nominations qu’aura faite Trump.

Powell est généralement considéré comme une autre colombe (dove), parce qu’en tant que gouverneur à la Fed, il a voté en faveur des politiques de faible taux d’intérêt de Yellen (bien qu’il ait aussi soutenu les récents mouvements vers une normalisation des taux d’intérêt).

Warsh


Plusieurs Républicains se sont montrés très critiques vis-à-vis des tentatives de la Fed visant à stimuler l’économie américaine lors de la récession de 2007-2009, en jugeant qu’une expansion sans précédent de la base monétaire (l’aspect le plus visible de l’assouplissement quantitatif) entraînerait une forte inflation. Souvenez-vous lorsque le gouverneur du Texas Rick Perry a menacé Ben Bernanke ("on lui fera la fête au Texas") pour sa relance monétaire en 2011, c’est-à-dire lorsque le chômage était toujours de 9 %. Ces avertissements se faisaient déjà entendre au cœur de la récession, lorsque l’excès de capacités dans l’économie amenait la plupart des économistes à conclure que l’inflation était alors la dernière chose dont il fallait alors s’inquiéter. Warsh a tenu de tels propos "hawkish" en 2010, quant le chômage était de 9,5 %. On peut se demander s’il comprend comment l’économie fonctionne.

Taylor


On ne peut pas dire que John Taylor ne comprenne pas le fonctionnement de l’économie. Parmi les économistes monétaristes, c’est le cinquième le plus cité. (C’est en comptant le nombre de citations que les universitaires aiment mesurer leur réputation. Ben Bernanke est, selon cet indicateur, au premier rang des économistes monétaires.) Il est très connu pour sa règle de Taylor, un guide pour fixer les taux d’intérêt en réponse à l’inflation et à la croissance observées. Mais même avant qu’il établisse cette règle, il a apporté d’importantes contributions à la macroéconomie, notamment la théorie des contrats imbriqués qui aident à réconcilier la théorie des anticipations rationnelles et la réalité des prix visqueux.

Comme Warsh, Taylor trouve que la politique monétaire est trop souple, ce qui explique peut-être pourquoi le Wall Street Journal les a tous deux encensés. Cette critique de la Fed est davantage justifiée dans le cas du laxisme d’Alan Greenspan lors du gonflement de la bulle immobilier, dans les années qui précédèrent la crise du crédit immobilier de 2007. Mais jusqu’à 2005, Taylor était secrétaire adjoint du Trésor pour les Affaires internationales. On peut alors se demander pourquoi il n’a alors pas indiqué aux gouverneurs (en privé) qu’il jugeait la politique monétaire excessivement expansionniste en 2003 et 2004.

Cohn


Gary Cohn, actuellement directeur du Conseil Economique National de Trump ne s’y connait pas en économie monétaire, que ce soit en termes de formation technique ou d’expérience en tant que praticien. On ne connait pas ses idées sur la politique monétaire. Sur la réglementation financière, il s’est montré Trumpien en déclarant que le gouvernement a été trop dur avec les banques suite à la crise financière.

Les faucons (hawks) et les colombes (doves)


Depuis qu’Obama a accédé à la présidence en 2009, la plupart des leaders républicains se sont plaints d’une politique monétaire qu’ils jugent trop accommodante (notamment Trump, lorsqu’il faisait compagne pour la présidence, avant qu’il n’accède à la présidence en janvier et se décrive soudain finalement comme un "homme de faibles taux", alors même que l’économie atteignait le plein emploi). Les Républicains du Congrès voulaient l’adoption des règles de Taylor par la Fed. Plusieurs d’entre eux pensent toujours la même chose et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils appellent Trump à nommer John Taylor.

L’Histoire montre que les Républicains appellent à un assouplissement de la politique monétaire lorsqu’ils ont la présidence, même des "vrais conservateurs" comme Nixon et Reagan. On peut s’attendre à ce qu’à un moment ou un autre dans le futur, peut-être à la veille des prochaines élections présidentielles, la situation des marchés financiers et de l’économie se détériora et que le Président en rendra responsable la Fed. Il dira alors, non pas que la politique monétaire est trop souple, mais qu’elle est au contraire trop restrictive.

Mais les bons banquiers centraux prennent leurs décisions de façon à choisir ce qui semble le mieux pour l’économie en se basant sur des données changeantes, pas sur ce qui convient le mieux aux besoins politiques changeants du parti au pouvoir. Les gouvernements en place ont démontré leur capacité à le faire. (…) »

Jeffrey Frankel, « The choice of candidates for next Fed chair », in Econbrowser (blog), 29 octobre 2017. Traduit par Martin Anota

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