« Imaginez que le Parti National Ecossais (SNP) ait gagné le référendum d’indépendance. Le SNP commence à négocier avec le gouvernement du Royaume-Uni restant sur des questions comme la répartition de la dette nationale. Sur cette question justement, les négociations commencent à devenir tumultueuses. Des rumeurs commencent à circuler et à suggérer que le Royaume-Uni restant ne va pas former d’union monétaire avec l’Ecosse, si bien que l’Ecosse puisse avoir à créer sa propre devise. Les Ecossais commencent à retirer leur monnaie des banques écossaises.

Maintenant, c’est presque par définition qu’une banque privée manquera de liquidité fera faillite si chacun de ses clients vient vider ses comptes, la banque va manquer de liquidité et s’effondrer. C’est pourquoi les paniques bancaires sont si dangereuses. C’est aussi pourquoi l’un des rôles clés d’une banque centrale est d’offrir aux banques privées solvables toute la liquidité dont elles ont besoin (…). (Bref, la banque centrale doit jouer son rôle de prêteur en dernier ressort.) Si elle ne fait pas ça, la rumeur selon laquelle la banque commerciale est insolvable va se propager et les gens vont retirer leur argent, si bien que la banque finit par manquer de liquidité et par s’effondrer, et ce même si la rumeur était initialement infondée.

Donc dans mon scénario hypothétique d’indépendance de l’Ecosse, comme les gens commencent à retirer leur argent des banques écossaises, la Banque d’Angleterre doit offrir à ces banques toute la liquidité dont elles ont besoin. Supposons qu’elle ne le fasse pas. Supposons qu’elle limite le montant de liquidité qu’elle offrira. Les banques écossaises protesteraient : "Vous nous considériez comme solvables avant l’indépendance, donc pourquoi rationnez-vous à présent notre liquidité ?". La Banque d’Angleterre leur réplique que bien qu’elles puissent avoir été solvables avant l’indépendance, il n’est pas certain que ce soit encore le cas s’il n’y a pas d’accord. La Banque d’Angleterre dit que le plafond sur la liquidité va rester jusqu’à ce que l’Ecosse et le gouvernement du reste Royaume-Uni parviennent à un accord.

Cette annonce incite bien sûr les Ecossais à retirer l’argent de leurs comptes, si bien que les banques écossaises doivent fermer. L’économie écossaise commence à vaciller. Les médias anglais indiquent que l’Ecosse manque de liquidité parce que la Banque d’Angleterre ne va plus "prêter" aux banques écossaises. Le gouvernement écossais est forcé d’accepter les propositions du Royaume-Uni restant. Les médias anglais commencent à dire : "Regardez ! C’est ce qui arrive lorsque vous élisez un gouvernement radical !". En Ecosse, ils appellent cela du chantage. Quel nom lui donneriez-vous ?

Si vous avez l’impression que la Banque d’Angleterre prend parti et qu’elle exerce d’insoutenables pressions politiques sur l’Ecosse, alors vous commencez à comprendre comment se sentent les Grecs. Quand, le 28 juin, la BCE stoppa de fournir des fonds d’urgence aux banques grecques, elle prit parti. Dans la logique de la BCE, les banques grecques peuvent être insolvables s’il n’y a pas d’accord entre la Troïka et la Grèce (même si c’est la Banque Centrale de Grèce et par conséquent le peuple grec qui souffriront des défauts des banques commerciales).

Pourquoi l’échec à obtenir un accord influence la solvabilité des banques grecques ? Est-ce parce que sans un accord il y aurait une sortie de la Grèce ? Mais la Grèce ne veut pas abandonner l’euro et les autres pays de la zone euro n’ont pas de mécanismes formels pour exclure la Grèce. La Grèce va seulement quitter la zone euro si la BCE arrête d’offrir des euros. Nous atteignons exactement la même logique autoréalisatrice qu’une panique bancaire. Est-ce parce que l’absence d’accord condamnerait le gouvernement grec à faire défaut sur une partie de ses dettes et saperait alors la solvabilité des banques grecques ? Mais le fait que le gouvernement grec n’obtienne pas d’argent auprès de la Troïka pour rembourser la Troïka ne semble pas avoir d’implications pour la solvabilité sous-jacente, que ce soit celle de l’Etat grec ou bien les banques grecques. (Paul de Grauwe discute de cela de façon plus détaillée.) Si la Troïka peut rendre la Grèce insolvable en lui retirant de l’argent, nous avons une autre justification autoréalisatrice.

La véritable explication des actions de la BCE est bien plus simple. Limiter les fonds le 28 juin fut la punition du gouvernement grec pour avoir refusé les propositions de la Troïka et pour avoir appelé un référendum. La BCE n’était pas (et n’a jamais été) un acteur neutre se contentant de suivre les règles d’une bonne banque centrale. Elle a toujours fait partie de la Troïka et elle exécute désormais la volonté de la Troïka.

Comme Charles Wyplosz le rappelle, ce n’est pas la première fois que la BCE choisit d’exercer des pressions politiques. (…) Reprenons mon exemple hypothétique de l’indépendance écossaise. Je peux me tromper, mais je pense que dans ce cas la Banque d’Angleterre aurait offert de la liquidité illimitée aux banques écossaises. Je peux être naïf, mais je crois que ça aurait réalisé que ne rien faire d’autre aurait constitué un acte politique ouvertement partisan et s’interdirait par conséquent de le faire. De la même manière que je ne pense pas qu’il ait été inéluctable que la zone euro s’engage dans l’austérité. Je pense aussi qu’il aurait été possible que la BCE soit une banque centrale plus indépendante. La question réellement intéressante est pourquoi la BCE ne s’est pas révélée être une telle banque centrale. »

Simon Wren-Lewis, « The non-independent ECB », in Mainly Macro (blog), 10 juillet 2015. Traduit par Martin Anota