« Dans plusieurs pays développés, les minorités ethno-raciales sont moins rémunérées, en moyenne, que la majorité blanche autochtone. Alors que les écarts de salaires entre les groupes ethniques s’expliquent en partie par l’immigration, ils persistent aussi pour les minorités raciales de deuxième génération, voire au-delà. L’élimination des inégalités de salaires entre les groupes ethniques et la promotion d’une égalité des opportunités entre les citoyens aux différentes origines ethniques constituent un objectif important de politique sociale. Les inégalités résultant des différences en matière d’opportunités entraîne un gâchis de talents pour ceux qui ne peuvent exploiter leur potentiel et à un gâchis de ressources si certaines personnes ne peuvent pleinement contribuer à la société. (…)

Il y a de robustes analyses empiriques suggérant que dans plusieurs pays développés les salaires des minorités raciales et ethniques sont, en moyenne, inférieurs à ceux de la majorité autochtone (blanche). Bien que ces écarts de salaires aient diminué au cours du temps, ils demeurent dans la plupart des pays. Même s’il est presque impossible d’identifier toutes les raisons expliquant la persistance des différentiels raciaux de salaires, on sait que l’une de ces raisons est que plusieurs personnes appartenant aux minorités ethniques sont des immigrés, or ces derniers peuvent rencontrer des difficultés pour communiquer dans la langue du pays d’accueil, ne pas être familiers avec son marché du travail, ne pas voir leurs qualifications être reconnues ou encore manquer des réseaux sociaux nécessaires pour obtenir un emploi adapté. Cependant, dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, une large proportion de minorités ethniques sont des immigrés de deuxième génération, ou même d’une génération ultérieure, et elles ne font pas face à des tels problèmes, or il y a aussi des inégalités salariales selon l’origine ethnique dans de tels pays.

La réduction des écarts de salaires entre groupes ethniques et la promotion d’une plus grande égalité des opportunités parmi les citoyens avec différentes origines raciales constituent d’importants objectifs de politique sociale. Les compétences et talents des minorités ethniques peuvent être sous-utilisés si elles ne peuvent exploiter la totalité de leur potentiel et contribuer pleinement à la société. En définitive, une réduction des inégalités de salaires entre groupes ethniques est susceptible de mener à une société plus cohésive, plus productive et plus égalitaire.

La discrimination


Diverses études se sont focalisées sur la discrimination comme source des écarts de salaires entre groupes ethniques. Les modèles théoriques suggèrent que les minorités peuvent être discriminées en raison d’attitudes sociales négatives à leur égard (c’est-à-dire d’une discrimination que l’on qualifie de "discrimination par goût", basée sur les préférences individuelles) ou parce que les employeurs jaugent la qualité d’un candidat à l’embauche issu d’une minorité en se basant sur la qualité moyenne perçue des gens appartenant à la même minorité (discrimination que l’on qualifie alors de "discrimination statistique"). Les stéréotypes, comme la croyance répandue que les gens d’une certaine origine raciale ou ethnique travaillent moins efficacement que les autres, peut être une raison pour les employeurs de ne pas recruter les candidats à l’embauche issus de cette minorité ou de leur offrir des salaires plus faibles, du moins initialement. Les stéréotypes raciaux peuvent même devenir une prophétie autoréalisatrice : une récente étude sur les travailleurs des supermarchés français suggère que ceux appartenant à une minorité ethnique travaillent moins efficacement s’ils ont des superviseurs présentant des biais raciaux (Glover et alii, 2017).

D’une perspective empirique, l’identification et la mesure de la discrimination sont très difficiles. Les récentes analyses empiriques suggèrent que les candidats à l’embauche avec des noms associés à une minorité sont moins susceptibles d’être recontactés pour un entretien d’embauche que des candidats à l’embauche similaires mais avec des noms associés à la majorité autochtone. Cependant, les analyses empiriques ont du mal à déterminer précisément le rôle que joue la discrimination dans les écarts salariaux entre groupes ethniques et dans quelle mesure elle relève de la discrimination par goût ou de la discrimination statistique (Lang et Lehmann, 2012). Le débat sur l’existence et l’importance de la discrimination et sur la façon par laquelle elle opère reste ouvert.

Les politiques visant à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques doivent clairement différer selon que la discrimination est le résultat d’une aversion vis-à-vis des minorités ou d’un manque d’information. Cependant, la compréhension et l’élimination de la discrimination ne sont pas la seule voie pour les politiques cherchant à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques. Il est important de garder à l’esprit qu’il peut y avoir des écarts de salaires entre groupes ethniques même en l’absence de discrimination (salariale).

Une importante raison expliquant pourquoi les minorités ethniques reçoivent moins de salaires que les natifs blancs est qu’elles ne présentent pas les mêmes caractéristiques que ces derniers. Aux Etats-Unis, par exemple, les latinos ont de moindres niveaux d’éducation que les natifs blancs, à l’instar de la population noire caribéenne au Royaume-Uni. D’un autre côté, les Afro-Américains aux Etats-Unis et les Pakistanais et Bangladais de deuxième génération au Royaume-Uni tendent à avoir de hauts niveaux d’éducation, mais ils sont aussi davantage susceptibles d’aller dans les plus mauvaises écoles que les natifs blancs, ce qui est susceptible d’avoir un effet négatif sur leurs salaires. En outre, les minorités ethniques tendent à se concentrer dans les professions peu payées.

Les analyses empiriques montrent régulièrement que les écarts de salaires entre groupes ethniques décroissent quand de telles caractéristiques sont prises en compte. Cependant, parce que les analyses empiriques peuvent souvent être contraintes par la disponibilité des données, les différentes études peuvent ne pas prendre en compte le même ensemble de caractéristiques, si bien qu’elles n’aboutissent pas forcément aux mêmes résultats, sans pour autant être erronées. La question est alors de savoir ce que les diverses estimations d’écarts de salaires entre groupes ethniques signifient vraiment et comment elles peuvent être mieux utilisées pour éclairer la politique publique.

Mesurer les inégalités de salaires entre groupes ethniques


Une manière largement acceptée de mesurer les écarts de salaires entre groupes ethniques consiste à utiliser des modèles ne prenant en compte que la seule appartenance à une minorité ethnique pour expliquer les salaires horaires. Ces modèles mesurent des écarts salariaux "non ajustés". Les modèles mesurent les écarts "ajustés" lorsqu’ils incluent d’autres variables, comme le niveau de diplôme et l’expérience professionnelle. Alors que les écarts salariaux non ajustés mesurent la différence moyenne de salaires entre la majorité et la minorité considérée prise dans son ensemble, les écarts ajustés mesurent l’écart salarial moyen résiduel entre les groupes après prise en compte de certaines caractéristiques pertinentes.

Quand les autres caractéristiques, telles que le niveau d’éducation ou l’expérience professionnelle, sont incluses dans le modèle, alors la variable ethnique peut être interprétée comme l’écart salarial ethnique résiduel, qui n’est pas dû à des différences en matière d’éducation et d’expérience professionnelle. Certains chercheurs emploient une approche particulière (connue sous le nom de "décomposition d’Oaxaca") pour déterminer dans quelle mesure les inégalités salariales entre les groupes ethniques restent inexpliquées. Cette approche divise les écarts salariaux ethniques en deux composantes : une première qui est expliquée par des différences en termes de caractéristiques moyennes entre les groupes (telles que l’éducation et l’expérience professionnelle) et une seconde qui est due aux différences en termes de rendements moyens de ces caractéristiques. Cette seconde composante est qualifiée de part "inexpliquée" (...).

La plupart des études cherchent à déterminer dans quelle mesure le différentiel salarial entre groupes ethniques diminue lorsque certaines caractéristiques sont incluses dans le modèle et quelle proportion du différentiel demeure inexpliqué (Aeberhardt et alii, 2010). Il est cependant important de noter que l’inclusion de certaines caractéristiques peut amener à estimer de plus larges, et non de plus faibles, écarts.

Certains chercheurs interprètent la part inexpliquée des inégalités salariales entre les groupes ethniques comme manifestant une "discrimination". C’est toutefois incorrect. La part inexpliquée indique dans quelle mesure les caractéristiques choisies expliquent l’écart salarial entre les groupes ethniques. La part inexpliquée inclut l’impact d’une éventuelle discrimination, mais aussi l’impact de tous les autres facteurs qui ne sont pas inclus dans le modèle. Par exemple, une raison expliquant pourquoi une partie des écarts salariaux entre groupes ethniques reste inexpliquée peut tenir à des différences entre ces groupes en termes d’interruptions de carrière, de durées passées au chômage ou dans le travail indépendant ou à d’autres facteurs qui ne sont pas mesurées dans les données et qui peuvent difficilement être pris en compte. Les périodes de chômage peuvent avoir un impact négatif sur les salaires et peuvent eux-mêmes résulter de la discrimination ou d’un manque d’opportunités. Cependant, elles ne sont pas nécessairement une source de discrimination salariale. Puisqu’il n’est pas possible d’estimer l’importance des causes non mesurées, la part non expliquée ne doit donc pas être entièrement attribuée à la seule discrimination.

Bien que le rôle que la discrimination est susceptible de jouer (directement ou indirectement) dans l’apparition d’inégalités salariales entre les groupes ethniques ne doit pas être complètement écarté, il est opportun pour la politique publique de se focaliser sur les caractéristiques qui se sont révélées être d’importants déterminants des écarts salariaux entre les groupes ethniques, comme l’éducation. Celles-ci peuvent être utilisées comme des cibles intermédiaires.

Les possibles déterminants des inégalités salariales entre groupes ethniques


Une comparaison des écarts salariés non ajustés et ajustés et une analyse des caractéristiques les plus pertinentes dans leur détermination peuvent être assez révélatrices et utiles pour la politique publique. Premièrement, certaines caractéristiques peuvent davantage contribuer que d’autres. Deuxièmement, toutes les caractéristiques ne réduisent pas les salaires, donc ne contribuent pas aux écarts salariaux entre groupes ethniques ; certaines caractéristiques peuvent accroître les salaires et contribuer à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques (Longhi et alii, 2012 ; Hellerstein et Neumark, 2008). Par exemple, les auteurs d’une étude constatent que le plus important déterminant des écarts de salaires entre groupes ethniques au Royaume-Uni est la concentration des minorités ethniques dans les professions peu rémunérées, tandis que le niveau d’éducation relativement plus élevé de ces minorités compense en partie l’effet négatif de la ségrégation professionnelle (Longhi et alii, 2012). Cela suggère que le problème peut tenir à l’accès aux emplois bien rémunérés ou dans le manque de possibilités de promotions de carrière, plutôt que dans le manque d’éducation.

La situation semble être légèrement différente aux Etats-Unis, où les analyses empiriques suggèrent que la ségrégation ethnique dans l’établissement est essentiellement due à la ségrégation en termes de compétences et notamment de compétence langagière, bien que cela semble être davantage le cas pour les hispaniques que pour les noirs (Hellerstein et Neumark, 2008). Notons cependant que la ségrégation en termes de professions ou sur le lieu de travail sont des concepts légèrement différents ; alors que les établissements (ou les employeurs) peuvent offrir des emplois dans différentes professions, les mêmes professions peuvent être disponibles dans d’autres établissements.

La littérature compare rarement l’importance relative des diverses caractéristiques comme déterminants des inégalités de salaires entre groupes ethniques. De nombreux pans de la littérature portent sur une poignée de déterminants. La comparaison des études utilisant différentes données et différentes méthodologies, qui ne sont pas conçues pour répondre aux mêmes questions (certaines ne se focalisant même pas sur les écarts de salaires), n’est pas claire, ce qui signifie que la généralisation n’est pas toujours possible. Néanmoins, en comparant les différentes études, il est possible de tirer des conclusions quant à savoir quels sont les facteurs susceptibles de jouer un rôle dans les écarts de salaires entre groupes ethniques, mais sans pour autant directement comparer leur importance.

Parmi les premières caractéristiques considérées dans la littérature, il y a l’éducation, les qualifications et les compétences. Les analyses empiriques concernant divers pays, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne (Algan et alii, 2010 ; Hellerstein et Neumark, 2008) suggèrent que les écarts de salaires entre groupes ethniques sont en partie dus à de plus faibles niveaux d’éducation pour plusieurs minorités, en particulier quand elles incluent une grande proportion d’immigrés. Cependant, il y a d’importantes différences entre les minorités. Alors que certaines minorités ethniques sont moins qualifiées que la majorité blanche, d’autres tendent à être plus qualifiées que celle-ci. Une explication de la persistance des différentiels de salaires entre groupes ethniques, même après prise en compte des qualifications, est que les minorités sont davantage susceptibles d’aller dans les écoles de moins bonne qualité que les autochtones blancs, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur niveau de compétences globale. Les compétences, néanmoins, tendent à augmenter avec l’expérience professionnelle.

Un autre facteur important dans la détermination des écarts de salaires entre groupes ethniques est que les minorités tendent à être ségréguées vers les professions à faible rémunération (Longhi et alii, 2012). Une étude souligne l’importance des compétences et notamment de la compétence langagière (du moins pour certaines minorités aux Etats-Unis) pour la ségrégation d’établissements, mais les causes de la ségrégation en termes de professions n’ont pas été systématiquement analysées (Hellerstein et Neumark, 2008). Les théories économiques et sociologiques suggèrent que les minorités peuvent préférer travailler dans des professions où une grande partie des travailleurs partagent leur origine ethnique et ils peuvent donc être prêts à accepter des salaires comparativement plus faibles pour travailler dans ces professions. Il a également été suggéré que, à mesure que la taille d’une population minoritaire dans un pays augmente, les personnes appartenant à la majorité s’inquiètent davantage de la concurrence pour les emplois. La majorité réagirait alors en empêchant les minorités d’obtenir des emplois de grande qualité (…). Il y a des analyses empiriques allant dans ce sens dans le cas des Etats-Unis (Tienda et Lii, 1987). Comme la taille de la minorité augmente et que la majorité s’adapte à la présence de minorités, qui s’intègrent davantage, la ségrégation en termes de professions devrait à terme diminuer.

Suivant ce courant de la littérature, diverses études empiriques ont estimé l’impact de la taille relative des diverses minorités sur leur situation sur le marche du travail, même si la variable observée est souvent le niveau de salaires de la minorité plutôt que l’écart de salaire relativement à la majorité. En outre, ces études analysent l’impact de la taille des minorités en comparant les régions dans un seul pays ou des quartiers dans une ville et se focalisent sur l’impact de la ségrégation résidentielle. Ces études tendent à constater de pires situations sur le marché du travail, en termes de salaires, pour les minorités vivant dans les zones les plus ségréguées aux Etats-Unis (Tienda et Lii, 1987), même si certains affirment que la ségrégation a un impact positif sur les salaires une fois la sélection entre zones prise en compte.

L’un des mécanismes qui peut expliquer l’importance de la ségrégation résidentielle sur les écarts de salaires entre groupes ethniques est la qualité des réseaux et les types de personnes avec lesquelles les minorités et la population majoritaire sont susceptibles d’interagir, dans la mesure où ceux-ci jouent un rôle significatif sur le type d’emploi que les gens peuvent trouver. Une récente étude se focalisant sur les Etats-Unis et l’Estonie constate que les écarts de salaires entre groupes ethniques sont plus larges dans les zones où les gens sont plus susceptibles de lier amitié avec des personnes ayant la même origine ethnique (Toomet et alii, 2013). Cependant, (…) cela peut aussi être une question de classes sociales (Longhi et alii, 2012).

Finalement, certaines études focalisées sur les Etats-Unis affirment que la ségrégation en termes de professions peut en partie résulter de la ségrégation résidentielle, si bien qu’elles suggèrent que divers facteurs peuvent contribuer aux écarts de salaires entre groupes ethniques et interagir d’une façon complexe. En outre, il est possible que les différents facteurs puissent ne pas avoir la même importance pour chaque minorité ethnique. Par exemple, pour certaines minorités, le principal problème peut être le manque de qualifications appropriées, tandis que pour d’autres les qualifications peuvent ne pas être un problème et la localisation résidentielle jouer un rôle plus crucial. La politique publique doit donc prendre en compte que la littérature a trouvé d’importantes différences d’une minorité ethnique à l’autre et même au sein de chacune d’entre elles ; les écarts de salaires entre groupes ethniques ainsi que leurs déterminants sont susceptibles de ne pas être les mêmes d’un groupe à l’autre. Par conséquent, adopter une approche unifiée pour réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques peut se révéler inapproprié.

Les inégalités entre les minorités ethniques et en leur sein


De nos jours la plupart des pays hébergent des proportions croissantes de minorités ethniques, soit immigrées, soit descendantes d’immigrés, mais la taille de la population minoritaire, l’histoire et l’ampleur des flux d’immigration, ainsi que les politiques d’intégration varient d’un pays à l’autre (Algan et alii, 2010 ; Aeberhardt et alii, 2010). Il n’est par conséquent pas surprenant que les inégalités salariales entre groupes ethniques, même pour les immigrés de deuxième génération, varient d’un pays à l’autre. L’expérience des Afro-américains aux Etats-Unis n’est pas la même que celle des noirs d’origine africaine au Royaume-Uni. De même, en raison des différences dans les relations coloniales, les populations d’origine africaine qui se sont établies au Royaume-Uni sont susceptibles d’être très différentes de celles qui se sont établies en France ou au Portugal.

GRAPHIQUE 1 Ecarts de salaires des hommes immigrés de première et deuxième générations en France relativement aux hommes nés en France de parents français (en 2005-2007, en %)
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source : Longhi, d'après Algan et alii (2010)

Chose plus importante du point de vue de la politique publique, les écarts salariaux varient d’un groupe à l’autre, et ce même au sein d’un même pays. Alors que certaines minorités, comme les latinos ou Mexicains aux Etats-Unis, connaissent d’importantes pénalités salariales, d’autres, comme les asiatiques, reçoivent souvent des salaires plus élevés que les autochtones blancs. Par exemple, les graphiques 1 et 2 montrent que le différentiel de salaire n’est pas le même d’une minorité ethnique à l’autre pour les hommes en France et en Allemagne. En France (cf. graphique 1), ce sont les Turcs et les Africains qui subissent la plus mauvaise situation, tandis que les immigrés provenant du nord de l’Europe semblent être davantage payés que les autochtones français (Algan et alii, 2010). En Allemagne (cf. graphique 2), ce sont les immigrés venant d’Italie et de Grèce qui connaissent la plus mauvaise situation, tandis que ceux issus d’autres pays de l’UE semblent connaître une bien meilleure situation (Algan et alii, 2010). (…) Au Royaume-Uni, les immigrés blancs de deuxième génération ont globalement la meilleure situation, tandis que les immigrés provenant du Bangladesh et de Pakistan connaissent la pire situation (Algan et alii, 2010). Parmi les diplômés d’universités israéliennes, ce sont ceux provenant d’Ethiopie qui connaissent les plus fortes pénalités salariales, tandis que ceux provenant de l’ancienne Union soviétique connaissent les plus faibles différentiels de salaires (Epstein et alii, 2015).

GRAPHIQUE 2 Ecarts de salaires des hommes immigrés de première et deuxième générations en Allemagne relativement aux hommes nés en Allemagne de parents allemands (en 2005-2006, en %)
Algan__inegalites_salaires_selon_origine_ethnique_Allemagne_immigres.png
source : Longhi, d'après Algan et alii (2010)

Outre les inégalités entre groupes ethniques, il y a aussi d’amples inégalités au sein de chacun d’entre eux. Le genre en offre un bon exemple. La littérature qui se focalise sur les hommes décèle d’amples écarts de salaires selon l’origine ethnique. A l’inverse, la littérature analysant les écarts salariaux entre groupes ethniques parmi les femmes constate qu’en général les femmes appartenant à une minorité ethnique tendent à recevoir la même rémunération (voire même une rémunération supérieure) que les femmes natives blanches. Ce constat se retrouve dans de nombreux pays, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis et Israël (Algan et alii, 2010 ; Lang et Lehmann, 2012 ; Epstein et alii, 2015 ; Brynin et alii, 2019), mais quelques pays comme la France et l’Allemagne font exception (Algan et alii, 2010). Le fait que les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique soient plus faibles parmi les femmes peut s’expliquer par une possible auto-sélection : les femmes, en particulier celles qui appartiennent aux minorités ethniques, sont moins susceptibles d’être actives que les hommes et celles qui sont actives sont davantage susceptibles d’avoir des caractéristiques (comme un plus haut niveau d’éducation ou une plus forte motivation) qui accroissent les chances qu’elles reçoivent à un haut salaire. Malheureusement, il y a bien peu d’analyses empiriques susceptibles d’éclairer les raisons pour lesquelles les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique sont plus faibles parmi les femmes que parmi les hommes.

La plupart des études estiment les différentiels de salaires raciaux spécifiques aux sexes, où les salaires des hommes issus des minorités sont comparés aux salaires des hommes natifs blancs et les salaires des femmes issus des minorités sont comparés aux salaires des femmes natives blanches. Néanmoins, il est aussi intéressant de voir comment les salaires des hommes et des femmes issus des minorités ethniques se comparent aux salaires des hommes natifs. Cela nous permet de mesurer les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique et de voir comment ils interagissent avec les différentiels de salaires entre les sexes (Brynin et alii, 2019). (…)

Outre les différences entre hommes et femmes, il y a aussi d’importantes différences entre ceux qui sont nés à l’étranger et ceux qui sont nés dans le pays. Bien qu’en général les écarts salariaux entre les groupes ethniques tendent à être plus faibles pour les personnes nées dans le pays, ce n’est pas toujours le cas (pensons par exemple aux hommes d’origine turque en France, cf. graphique 1). De récentes analyses suggèrent aussi que les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique pourraient être plus amples parmi les travailleurs peu qualifiés et quasiment nuls parmi les travailleurs très qualifiés (Lang et Lehmann, 2012 ; Zwysen et Longhi, 2018) et qu’ils tendraient à varier le long de la distribution salariale et selon le type de salariés. Par exemple, aux Etats-Unis, dans les emplois où la rémunération dépend de la performance, l’écart de salaires entre blancs et noirs est plus élevé aux plus hauts niveaux de salaires, tandis que dans les emplois où la rémunération n’est pas liée à la performance le différentiel est plus faible pour les plus hauts niveaux de salaires (Heywood et Parent, 2012). (…) »

Simonetta Longhi, « Racial wage differentials in developed countries », in IZA, World of Labor, n° 365, octobre 2020. Traduit par Martin Anota