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Tag - Jason Furman

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samedi 22 janvier 2022

Pourquoi très peu ont vu venir l’inflation

« En 2008, alors que la crise financière mondiale ravageait les économies à travers le monde, la Reine Elizabeth II, en visite à la London School of Economics, avait demandé "pourquoi personne n’a vu cela venir ?". La forte inflation de l’année 2021 - en particulier aux Etats-Unis où la hausse sur une année des prix à la consommation a atteint les 7 % en décembre, un niveau qui n’avait pas été observé depuis quatre décennies – doit susciter la même question.

L’inflation n’est généralement pas aussi mauvaise qu’une crise financière, en particulier quand les hausses de prix coïncident avec une amélioration rapide de l’économie. Et tandis que les crises financières peuvent être de façon inhérente imprévisibles, la prévision de l’inflation est une pièce de la modélisation macroéconomique.

Mais alors pourquoi presque personne n’a vu juste concernant l’inflation américaine l’année dernière ? Une enquête menée auprès de 36 prévisionnistes du secteur privé en mai indiquait une prévision d’inflation médiane de 2,3 % pour l’année 2021, mesurée par les dépenses personnes de consommation excluant l’énergie et les produits alimentaires ou l’indice des prix à la consommation, l’indicateur ciblé de facto par la Réserve fédérale. Dans l’ensemble, le groupe estimait qu’il y avait 0,5 % de chances que l’inflation excède les 4 % l’année dernière. Selon l’indicateur de l’inflation sous-jacente, cette dernière s’est élevée à 4,5 %.

Le comité fédéral d’open market de la Fed n’a pas fait mieux, aucun de ses 18 membres n’ayant anticipé une inflation supérieure à 2,5 % en 2021. Les marchés financiers semblent aussi avoir manqué celle-ci, les cours obligataires rapportant des prédictions similaires. De même du côté du FMI, du CBO, de l’administration Biden et même de beaucoup d’économistes conservateurs.

Une partie de cette erreur collective tient aux développements que les prévisionnistes n’ont pas anticipés ou pas pu anticiper. Le président de la Fed, Jerome Powell, parmi bien d’autres, a blâmé la variant Delta du coronavirus pour avoir ralenti la réouverture de l’économie et pour avoir poussé l’inflation à la hausse. Mais Powell et les autres avaient auparavant affirmé que l’accélération de l’inflation au printemps 2021 avait été alimentée par une réouverture plus rapide qu’attendu, dans la mesure où la vaccination avait réduit le nombre de contaminations. Il est improbable que ces deux excuses soient correctes. L’émergence du variant Delta, comme la pandémie en 2020, a probablement maintenu l’inflation à un niveau plus faible qu’elle n’aurait sinon atteint.

Les perturbations des chaînes de valeur ont été un autre développement inattendu qui a apparemment pris de court les prévisions d’inflation. Mais si la pandémie a entraîné des goulots d'étranglement, la plupart sont apparues l'année dernière, les productions manufacturières américaine et mondiale rebondissant d'un coup.

Cela nous amène à une source plus importante d’erreur de prévisions : ne pas avoir pris suffisamment au sérieux nos modèles économiques. Les prévisions basées sur l’extrapolation du passé récent sont presque toujours aussi bonnes, voire meilleures, que celles basées sur une modélisation plus sophistiquée. L’exception apparaît quand il y a des intrants économiques qui sont bien en-dehors du champ de l’expérience récente. Par exemple, le soutien budgétaire d’un montant extraordinaire de 2.500 milliards de dollars pour soutenir l’économie américaine en 2021, représentant l’équivalent de 11 % du PIB, est le plan de relance le plus large depuis la Seconde Guerre mondiale.

Un modèle simple de multiplicateur budgétaire aurait prédit que la production moyenne les trois derniers trimestres de 2021 serait 2 à 5 % supérieure aux estimations prépandémiques du potentiel. Pour penser qu’une relance budgétaire de cette magnitude ne provoquerait pas d’inflation, il fallait croire soit qu’un large ajustement était possible en quelques mois, soit que la politique budgétaire était inefficace et qu'elle n’accroîtrait pas la demande globale. Ces deux hypothèses ne tiennent guère la route.

Les modèles économiques nous donnent aussi une raison essentielle pour croire que divers facteurs réduiraient le potentiel de l’économie américaine en 2021. Ceux-ci incluent les morts prématurées, la réduction de l’immigration, le manque d’investissement en capital, les coûts d’adaptation de l’économie à la pandémie, les sorties de la vie active provoquée par celle-ci et toutes les difficultés que l’on rencontre en réassemblant rapidement une économie qui a été déchirée. De telles contraintes rendent très probable qu’un supplément de demande pousserait l’inflation encore plus haut.

Un dernier ensemble d’erreurs tient au fait que nos modèles manquent d’intrants ou d’interprétations clés. Lorsque les gens s’appuient sur les modèles économiques, ils utilisent souvent une courbe de Phillips pour prédire l’inflation ou les changements de l’inflation en se basant sur le taux de chômage. Mais ces cadres n’ont guère pris en compte le fait que le taux de chômage naturel a probablement augmenté, du moins temporairement, en conséquence de la récession pandémique.

Surtout, le chômage n’est pas la seule façon de mesurer le mou de l'activité économique. Les estimations concernant la période prépandémique montrent que le taux de départs volontaires et le ratio nombre de chômeurs sur nombre de postes vacants sont de meilleurs indicateurs de l’inflation des salaires et des prix. Ces indicateurs de mou suggéraient déjà des tensions au début des années 2021, en particulier au printemps.

Avec le recul, le modèle mental que je trouve le plus utile pour réfléchir aux évolutions de l’année 2021 consiste à appliquer des multiplicateurs budgétaires au PIB nominal, à les utiliser pour prédire quel montant de la relance budgétaire serait dépensé et à essayer ensuite de prédire le PIB réel en comprenant quelle est la capacité productive de l’économie. La différence entre les deux est l’inflation. Les multiplicateurs indiquaient que les dépenses totales en 2021 augmenteraient fortement, alors que les contraintes de production suggéraient que la production n’augmenterait pas autant. La différence correspond à une inflation plus élevée.

Qu’est-ce que cela nous suggère concernant l’inflation en 2022 ? Au lieu de faire des prévisions inertielles partant du principe que le futur ressemblera au passé, prendre au sérieux nos modèles signifie tenir compte des niveaux élevés de demande globale, des contraintes continues sur l’offre et même des marchés du travail avec des tensions plus fortes avec des salaires nominaux augmentant rapidement et des anticipations d’inflation révisées à la hausse. Certains types d’inflation, notamment des prix des biens, sont susceptibles de ralentir cette année, mais d’autres, notamment l’inflation des prix des services, vont probablement accélérer.

Je m’attends par conséquent à une autre année d’inflation significative pour les Etats-Unis, peut-être pas aussi élevée qu’en 2021, mais probablement dans l’éventail compris entre 3 et 4 %. Mais la leçon la plus importante pour les prévisions que l’on peut tirer de l’année dernière est qu’il faut faire preuve d’humilité. Nous devons tous ajouter de larges bandes d’erreurs autour de nos prévisions et être prêts à actualiser nos prévisions à mesure que la situation économique change. »

Jason Furman, « Why almost no one saw inflation coming », 21 janvier 2022. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s'attendre à un dérapage de l’inflation ? »

« L’économie mondiale aux prises avec les goulots d’étranglement »

vendredi 29 janvier 2021

Ce que les données sur le PIB américain nous disent à propos de 2020

« Sur une base annuelle, l’économie américaine s’est contractée de 3,5 % en 2020, si bien qu’il s’agit de la plus forte contraction observée sur une quelconque année depuis la démobilisation en 1946 suite à la Seconde Guerre mondiale. L’ample déclin du PIB annuel reflète le très faible niveau d’activité économique que l’on a observé au deuxième trimestre. Avec le rebond relativement rapide au cours de la seconde moitié de l’année, l’économie s’est retrouvée au quatrième trimestre 2020 2,5 % en-deçà de son niveau au quatrième trimestre 2019, si bien qu’il s’agit de l’une des pires contractions sur quatre trimestres que l’on ait pu connaître durant la période d’après-guerre, mais quelque peu moindre que celle observée lors de la pire période au cours de la crise financière mondiale.

Par contre, le revenu disponible personnel (qui soustrait les impôts payés et comprend les revenus de transfert reçus de la part du gouvernement) a connu sa plus forte croissance annuelle depuis 1984, stimulé par les extensions de l’assurance-chômage, les chèques de la relance et le soutien des petites entreprises. Avec les faibles taux d’intérêt qui résultèrent de l’extraordinaire assouplissement monétaire, cela a alimenté de fortes hausses de dépenses dans les nouveaux logements, les biens récréatifs et les véhicules, compensant en partie la forte réduction des dépenses dans les services et l’investissement fixe des entreprises dans les structures.

Globalement, la contraction de l’économie a été considérablement plus faible qu’on ne l’anticipait en début d’année et elle devrait être plus faible que celle observée dans la plupart des autres grandes économies développées. Cela s’explique en partie par la forte réponse de la politique économique et la résilience de l’économie, mais aussi par le fait que les Etats-Unis ont adopté moins de mesures pour contenir la propagation du nouveau coronavirus.

L’économie américaine a fini l’année 2020 avec une production environ 5 % en-deçà de sa trajectoire tendancielle. Les ménages américains ont fini l’année 2020 avec une épargne excessive d’environ 1.600 milliards d’épargne due à la hausse du revenu disponible personnel et à la réduction de la consommation globale (équivalente à environ 7 % du PIB). Si les vaccins peuvent nous permettre de mettre le virus sous contrôle, ces ressources plus les ressources du programme de 900 milliards de dollars du mois de décembre et du plan de relance qui est sur le point d’arriver devraient fournir une demande substantielle pour soutenir une forte reprise économique. Le montant de demande déprendra toutefois de la vitesse avec laquelle la population reviendra à ses niveaux précédents de consommation de services et d’une éventuelle demande apportant un surcroît de consommation. Une plus grosse incertitude relative à l’économie concerne la capacité de l’offre à augmenter de façon à satisfaire une hausse de la demande, en l’occurrence la vitesse avec laquelle les personnes qui ont perdu leur emploi pourront en retrouver un autre.

Voici ci-après (…) des graphiques illustrant certains des points les plus importants de cette publication relative au PIB.

La plus forte contraction annuelle du PIB depuis la démobilisation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le PIB sur l’ensemble de l’année 2020 a été 3,5 % inférieur à sa valeur sur l’ensemble de l’année 2019. C’est la plus forte contraction du PIB depuis 1946, comme le montre le graphique 1.

GRAPHIQUE 1 Les plus fortes baisses annuelles du PIB réel américain depuis 1946

Jason_Furman__plus_fortes_contractions_du_PIB_Etats-Unis_depuis_1946.png

Parmi les quatre plus fortes contractions du PIB sur quatre trimestres depuis la démobilisation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mesurer la croissance économique entre le quatrième trimestre d’une année et celui de l’année suivante est la meilleure façon de comprendre ce qui s’est passé au cours de l’année. En 2020, il y a eu une contraction massive du PIB au deuxième trimestre, suivie par un rebond substantiel, mais incomplet, aux troisième et quatrième trimestres.

GRAPHIQUE 2 Variation du PIB réel américain sur quatre trimestres (en %)

Jason_Furman__croissance_variation_PIB_Etats-Unis_sur_4_trimestres.png

La contraction du PIB en 2020 n’a pas été aussi mauvaise que ne l’attendaient la plupart des prédictions au début de l’année. Certes la contraction de l’activité économique en 2020 a été l’une des plus fortes enregistrées, mais les conjoncturistes prévoyaient une chute deux fois plus importantes. A mesure que l’année s’est écoulée et que la vitesse de la reprise initiale et des effets de la politique économique devinrent apparents, les prévisionnistes se montrèrent moins pessimistes.

La contraction du PIB devrait être aux Etats-Unis moins forte que dans d’autres pays développés. Parmi les autres grandes économies développées, seul le Japon, où la pandémie a été moins mortelle et qui a largement évité les plus gros freins sur l’activité économique, devrait connaître une moindre contraction de l’activité que les Etats-Unis.

GRAPHIQUE 3 Prévisions de variation annuelle du PIB dans les principaux pays développés en 2020 (en %)

Jason_Furman__recession_croissance_PIB_2020_pays_developpes.png

La plus forte hausse du revenu personnel disponible annuel depuis 1984. Globalement, le revenu personnel disponible annuel réel a augmenté de 6,0 % en 2020. C’est entièrement dû aux hausses des revenus de transfert versés par le gouvernement, sans lesquels le revenu aurait chuté de 0,9 %. Bien que ce soit un simple indicateur pour l’économie dans son ensemble, plusieurs éléments empiriques suggèrent que les ménages modestes ont connu, en moyenne, des hausses plus fortes du revenu personnel disponible que le ménage moyen. Cependant, les gains agrégés, mêmes ceux concentrés parmi les ménages en bas de la répartition du revenu, dissimulent le fait que des millions de ménages n’ont pas été soutenus par les programmes du gouvernement et ont fait face à d’importantes difficultés tout au long de l’année. (…)

GRAPHIQUE 4 Variation annuelle du revenu disponible aux Etats-Unis (en %)

Jason_Furman__croissance_revenu_disponible_Etats-Unis.png

L’économie américaine a débuté l’année 2021 avec un excès d’épargne de 1.600 milliards de dollars dû aux revenus plus élevés de 2020 et à la chute de la consommation. Pour l’ensemble de l’année 2020, le revenu personnel disponible était supérieur de 600 milliards de dollars à sa tendance et la consommation inférieure de 1.000 milliards de dollars à sa tendance. Par conséquent, le taux d’épargne était de 16 %, bien au-dessus de la moyenne de 7 % de ces dernières années. Cela laisse les ménages avec un supplément d’épargne de 1.600 milliards de dollars. (Notons que ces totaux incluent seulement les flux d’épargne, non les milliers de milliards de dollars de gains en capital, qui se sont pour l’essentiel entre les mains des ménages à haut revenu.) »

Jason Furman, « What the US GDP data tell us about 2020 », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 28 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



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