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Tag - Jeremy Corbyn

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mardi 8 septembre 2015

Corbyn, l’assouplissement quantitatif et les intérêts financiers

« Jeremy Corbyn, le candidat à la présidence du parti travailliste, a fait preuve d’une certaine flexibilité sur son idée d’assouplissement quantitatif pour le peuple (People’s QE). C’est peut-être bon signe pour le futur (s’il gagne), lorsqu’il faudra répondre à la critique avertie. Comme je l’ai déjà écrit, sa proposition originelle se fondait sur deux bonnes idées (nous pouvons faire mieux que l’actuel assouplissement quantitatif et nous avons besoin d’une Banque d’Investissement Nationale), mais elle les combine bien mal. Par conséquent, j’avais peur que cette proposition (…) risque de discréditer chacune de ces deux bonnes idées. Mais nous pouvons faire preuve d’optimisme et espérer qu’elle soit à l’origine d’un débat sur chacune d’entre elles.

Dans ce billet, je veux parler à propos de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE). L’idée fondamentale derrière l’assouplissement quantitatif est qu’en achetant des titres de long terme quand leur prix est élevé (c’est-à-dire lorsque les taux d’intérêt sont bas) pour accroître davantage leurs prix (c’est-à-dire pour réduire davantage les taux d’intérêt) à court terme, puis en les vendant après lorsque les prix d’actifs sont plus faibles (et les taux d’intérêt plus élevés), vous pouvez stimuler davantage la demande globale. A première vue, cela ne semble pas trop différent des activités normales de la banque centrale, en l’occurrence faire varier les taux d’intérêt de court terme. Il y a cependant deux différences majeures. La première, qui en principe n’importe pas beaucoup, est que le montant de monnaie que la banque centrale crée pour s’assurer que les taux d’intérêt de court terme chutent est modeste. Par contre, le montant de monnaie qu’elle crée pour avoir un quelconque impact significatif sur les taux d’intérêt à long terme est bien plus important.

La seconde différence, plus importante, concerne la prédictibilité. La banque centrale peut avoir une influence importante et assez prévisible sur les taux d’intérêt de court terme sur le marché. L’impact de tout montant d’assouplissement quantitatif sur les taux de long terme est bien plus incertain, que ce soit en théorie ou en pratique. Pire, parce que son impact dépend d’une certaine segmentation du marché (…) et qu’il peut être non linéaire, il n’y a pas de raison de croire que tout savoir gagné cette fois-ci sera toujours pertinent la prochaine fois que la banque centrale utilisera cet instrument. En résumé, c’est un instrument assez mauvais.

Cela signifie que l’on devrait chercher une meilleure manière de faire les choses lorsque les taux d’intérêt à court terme butent sur leur borne inférieure. La relance budgétaire est un candidat évident, mais nous connaissons les problèmes politiques qui l’entourent. (…) Ils illustrent les difficultés qu’il y a à déléguer apparemment la politique de stabilisation à une banque centrale et de dire ensuite aux responsables politiques qu’ils ont à gérer la stabilisation précisément au moment où celle-ci est la plus nécessaire. Pour cette raison, la monnaie-hélicoptère n’est pas juste une relance budgétaire de seconde main (…), mais un moyen de donner à la banque centrale les outils pour qu’elle puisse remplir efficacement sa mission, qu’importe la taille et le signe du choc.

En l’absence d’une politique publique appropriée, je trouve la justification pour la monnaie-hélicoptère convaincante et les arguments contre son usage très peu robustes. Mais, comme avec la politique budgétaire, ce n’est pas parce que quelque chose fait sens sur le plan macroéconomique que ça surviendra. J’ai toujours été réticent à prêter beaucoup d’attention à l’impact distributionnel de la politique monétaire, parce (…) qu’une attention, même bienveillante, à la répartition peut empêcher la mise en œuvre de la bonne politique. Pourtant, peut-être que nous devons le faire, lorsqu’il s’agit de remplacer (…) l’assouplissement quantitatif.

Il est probable que l’assouplissement quantitatif entraîne des pertes pour la banque centrale. Ou pour le dire autrement, la banque centrale va avoir moins de monnaie que si elle n’avait pas adopté cette mesure. Qu’elle soit ou non recapitalisée par le gouvernement n’est pas la question clé ici. Après tout, elle achète à un prix élevé pour revendre à un prix plus faible. C’est partie intégrante de la politique. Qui gagne ces pertes ? Où va aller la monnaie qui a été définitivement mise en circulation en raison des pertes ? Au secteur financier et aux propriétaires d’actifs financiers (qui vendent des actifs à la banque centrale à un prix élevé et les lui rachètent ensuite à un bas prix). Par conséquent, les pertes associées à l’assouplissement quantitatif vont impliquer un transfert d’argent du secteur public au secteur financier.

Si l’assouplissement quantitatif est le seul moyen de stabiliser l’économie dans une trappe à liquidité, parce que la politique budgétaire est inutilisable pour des motifs politiques, alors qu’il en soit ainsi. Les bénéfices sociaux sont alors sûrement supérieurs aux coûts distributifs (…). Mais si l’assouplissement quantitatif est un instrument peu efficace et que vous avez à disposition de meilleurs instruments, alors vous devez vous demander qui gagne à ce que nous conservions l’assouplissement quantitatif. »

Simon Wren-Lewis, « Corbyn, QE and financial interests », in Mainly Macro (blog), 2 septembre 2015. Traduit par Martin Anota

mercredi 19 août 2015

La monnaie-hélicoptère et l’assouplissement quantitatif de Corbyn

« Les politiciens aiment souvent reprendre des termes apparemment attrayants pour défendre leurs propres idées, même s’ils doivent pour cela en détourner le sens. Osborne a par exemple annoncé une forte hausse du salaire minimum, mais en l’appelant "salaire de subsistance". C’est vraiment sournois, dans la mesure où les calculs du salaire de subsistance actuel intègrent les crédits d’impôts qu’Osborne prévoit de réduire.

Est-ce que l’"assouplissement quantitatif des gens" (Peoples QE) du travailliste Jeremy Corbyn est un exemple du même genre ? Il est certainement vrai que certains macroéconomistes (y compris moi-même) utilisent ce terme de manière différente que Corbyn. Pour nous, l’assouplissement quantitatif pour les gens est juste un autre terme pour qualifier la monnaie-hélicoptère. Le terme de monnaie-hélicoptère a été utilisé pour la première fois par le radical Milton Friedman. Elle implique que la banque centrale crée de la monnaie et la distribue directement aux gens d’une manière ou d’une autre. C’est une façon efficace (1) pour la banque centrale de stimuler la demande globale : ce que les économistes appellent parfois une relance budgétaire financée par monnaie.

L’idée a été récemment reprise, principalement au Royaume-Uni par Adair Turner, en raison de l’échec de la politique monétaire conventionnelle (consistant à faire varier les taux d’intérêt réels) à mettre un terme rapidement à la Grande Récession. Cette dernière fut, elle-même, aggravée par l’adoption de plans d’austérité par les gouvernements (une contraction budgétaire financée par obligations) en lieu et place aux plans de relance. Les banques centrales au Japon, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et désormais de la zone euro, ont créé de la monnaie pour acheter des actifs financiers (principalement de la dette publique), à travers ce qui s’appelle l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Voici d’où vient le terme "assouplissement quantitatif pour le peuple" pour la monnaie-hélicoptère : au lieu que la banque centrale crée de la monnaie pour acheter des actifs, elle crée de la monnaie pour la donner aux ménages.

La genèse de l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble assez différente. Richard Murphy, le conseiller de Corby, avait précédemment suggéré ce qu’il appela une "Infrastructure Verte", qu’il décrivit comme un "nouveau programme consistant à acheter les obligations émises par la Banque d’Investissement Vert afin de financer l’énergie soutenable, par les autorités locales afin de payer de nouveaux logements, par les services de santé afin de construire de nouveaux hôpitaux et par les autorités chargées de l’éduction afin de construire des écoles". C’est lié à deux idées : premièrement, à idée presque universellement acceptée parmi les macroéconomistes selon laquelle l’Etat doit accroître ses investissements dans les infrastructures lorsque les taux d’intérêt sont faibles et le travail peu cher et, deuxièmement, à l’idée qu’une Banque d’Investissement Nationale puisse être utilisée pour encourager l’investissement du secteur privé. (…)

La principale différence entre la monnaie-hélicoptère et l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble par conséquent résider dans la destination à laquelle est promise la monnaie créée par la banque centrale : aux individus sous la forme d’un chèque envoyé par la banque centrale ou au financement de projets d’investissement. Je pense que c’est erroné. Pour voir pourquoi, nous devons poser une question évidente : qu’est-ce que cette innovation est censée réalisée ? Je pense que c’est ici où la confusion apparaît.

Comme je l’ai noté ci-dessus, l’idée derrière la monnaie-hélicoptère est de fournir un outil que la banque centrale pourrait utiliser quand les variations du taux d’intérêt ne sont plus possibles ou ne sont plus efficaces. Avec une banque centrale indépendante, cela signifie que c’est elle, et non le gouvernement, qui décide quand la monnaie-hélicoptère doit être émise. A l’inverse, si votre but est d’accroitre l’investissement public ou privé (ou les deux) pour une période prolongée, alors son calendrier et son montant devraient être décidés par le gouvernement. Alors que l’assouplissement quantitatif est susceptible d’être rarement utilisé, l’objectif d’une banque d’investissement est censé porter sur le plus long terme, c’est-à-dire au-delà de l’horizon des seules sévères récessions.

Pour cette raison, l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble être l’une de ces idées qui sont attrayantes parce qu’elles semblent faire d’une pierre deux coups, mais après réflexion elle se révèle être une mauvaise idée. Si nous voulons garder une banque centrale indépendante, nous ne voulons pas que le gouvernement puisse exercer des pressions sur la banque pour qu’elle adopte l’assouplissement quantitatif au motif qu’il désire davantage d’investissements, et si cela ne survient pas nous ne voulons pas d’une banque centrale qui décide s’il doit y avoir un supplément d’investissement. En effet, certains des détracteurs de l’idée de monnaie-hélicoptère ont déjà profité de la proposition d’assouplissement quantitatif de Corbyn pour dire "Nous vous avons bien dit que la monnaie-hélicoptère est une pente glissante qui ne peut que conduire à la fin de l’indépendance de la banque centrale !"

Cependant je pense que c’est injuste et stérile d’en rester là. Supposons qu’une Banque d’Investissement Nationale soit créée, non pas en s’appuyant sur l’assouplissement quantitatif, mais en utilisant des formes de financement plus conventionnelles. (Si le gouvernement veut encourager cela, il n’a qu’à subventionner ce financement avec l’emprunt conventionnel. Ne retardez pas cela en nourrissant un fétichisme du déficit.) Supposons que nous adhérions aussi au concept de monnaie-hélicoptère, non pas pour le mettre en œuvre aujourd’hui, mais pour la prochaine fois que les taux d’intérêt buteront sur leur borne inférieure et que la banque centrale veut stimuler davantage l’activité. Dans ces circonstances, il peut faire sens d’utiliser la monnaie-hélicoptère, non seulement pour envoyer des chèques aux individus, mais aussi pour avancer l’investissement financé par la Banque d’Investissement Nationale ou l’investissement public directement financé par l’Etat. Si ces projets d’investissement peuvent être lancés rapidement et s’ils n’auraient pas pu être lancés pendant quelques temps autrement, alors ce que j’ai auparavant décrit comme de la "monnaie-hélicoptère démocratique" fait sens (2). C’est parce que l’investissement (qui stimule par ailleurs notamment l’offre) est susceptible de constituer une forme de relance bien plus efficace que l’envoi de chèques aux individus.

Donc, un jour, cette forme d’assouplissement quantitatif que Corbyn appelle de ses vœux pourrait être adoptée. Mais il faut tout d’abord accepter en tant que telles l’idée de monnaie-hélicoptère et la nécessité d’un investissement public et d’une Banque d’Investissement Nationale. Il serait peu judicieux de combiner les deux idées aujourd’hui et cela risquerait de discréditer deux idées potentiellement bonnes.

(1) A moins que vous croyez en une parfaite équivalence ricardienne.

(2) Quand j’ai soulevé l’idée d’une "monnaie-hélicoptère démocratique" à Tim Harford, ce dernier a répondu qu’il s’agissait probablement de l’idée la plus radicale et politiquement infaisable qu’il ait entendue. Si Corbyn gagne, je vais avoir le plaisir de le lui rappeler ! »

Simon Wren-Lewis, « Peoples QE and Corbyn’s QE », in Mainly Macro (blog), 16 août 2015. Traduit par Martin Anota