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Tag - John Taylor

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lundi 30 octobre 2017

Portrait des cinq candidats à la présidence de la Fed

« L’administration Trump a dit qu’elle annoncera avant le 3 novembre sa décision sur la nomination de la personne qui présidera la Réserve fédérale. S’il est confirmé par le Sénat, le candidat choisi succèdera à Janet Yellen, dont le mandat s’arrête le 3 février. La Maison Blanche a indiqué qu’elle privilégiait cinq candidats. Deux d’entre eux sont d’éminents économistes qui ont réalisé d’importants travaux dans la recherche universitaire, principalement dans des universités de la côte ouest des Etats-Unis, mais qui sont aussi des praticiens de la politique macroéconomique : il s’agit de Yellen même, qui est un candidat très sérieux à sa propre succession, et John Taylor, de Stanford. Les trois autres candidats ne sont pas professionnellement formés comme économistes, mais viennent plutôt du milieu financier : Gary Cohn, Jerome Powell et Kevin Warsh. Ils travaillèrent, respectivement, à Goldman Sachs, à Dillon Read et à Morgan Stanley ; tous les trois ont une expérience gouvernementale.

Considérons tout d’abord les deux candidats qui siègent au conseil des gouverneurs à la Fed.

Yellen


Bien que Janet Yellen soit une Démocrate initialement nommée par le Président Obama, il y a plusieurs précédents historiques pour que Trump renouvelle son mandat. Ses trois prédécesseurs, Ben Bernanke, Alan Greenspan et Paul Volcker, ont tous vu leur mandat être renouvelé par un Président du parti opposé à celui qui les avait initialement nommés. Il y a des avantages à opter pour la continuité et la prédictibilité.

Yellen a fait un excellent boulot au cours de ces quatre années à la présidence de la Fed. (…) Bien qu’elle n’ait pas eu à faire face aux débuts de la crise, elle a présidé efficacement, si bien que la reprise de l’économie suite à la Grande Récession de 2007-2009 s’est poursuivie de façon régulière. Bien sûr, la politique monétaire n’est pas le seul déterminant de la performance économique nationale, en particulier sous les conditions qui ont prévalu après 2008. (Sous ces conditions, la politique budgétaire aurait été un outil bien plus puissant que la politique monétaire, malheureusement les politiciens ne se sont pas accordé leurs violons pour modifier les impôts et dépenses de façon contracyclique et non pas procyclique.) Mais il y a des choses importantes que la Fed peut faire même lorsque les taux d’intérêt sont à leur borne inférieure zéro ou proches de celle-ci et la Fed les entreprit sous la présidence de Bernanke, puis celle de Yellen. Yellen a réussi à combiner une clarté dans la communication, auprès de divers publics, avec une flexibilité dans la mise en œuvre de la politique monétaire, en modifiant adéquatement cette dernière lorsque les données en temps réel montraient de subtils changements dans les conditions économiques. Il n’est pas facile de combiner ces deux compétences, comme la transparence peut conduire à adopter la pratique du forward guidance ou à s’engager vis-à-vis de règles que les événements futurs amènent à abandonner. En conséquence, Yellen et ses collègues à la Fed méritent une grande partie du crédit pour la longueur de l’actuelle expansion économique.

Le taux de chômage était de 9,9 % quand Yellen fut introduite au conseil de la Fed en 2010, de 6,7 % lorsqu’elle prit la présidence de ce conseil en 2014 et de 4,2 % désormais. Et pourtant l’inflation ne s’est pas sensiblement accélérée. Cette combinaison de faible chômage et de faible inflation est généralement considérée comme étant le Nirvana macroéconomique.

A entendre plusieurs commentateurs récemment, le fait que l’inflation ne soit pas revenue à 2 %, voire plus, constituerait un problème majeur. Mais je ne considère pas que ce soit le cas. La Fed a su maintenir l’économie américaine au plein emploi. (Et les populistes ont tort s’ils pensent que la faiblesse des taux d’intérêt est mauvaise pour la distribution des revenus.) La différence entre une inflation de 1,5 % et une inflation de 2 %, que certains considèrent comme énorme, me semble suffisamment faible pour être une aberration temporaire ou même une erreur de mesure.

Powell


Jay Powell, qui a été au conseil pendant cinq ans, se présente naturellement comme un candidat de compromis. D’un côté, il a soutenu la stratégie de Yellen, généralement perçue comme étant "dovish". D’un autre côté, il vient des marchés financiers et il est depuis toujours un Républicain. Ces traits devraient écarter toute opposition de la part des Républicains au Congrès, notamment de ceux qui votèrent contre le renouvellement du mandat de Ben Bernanke en janvier 2010, ce qui était d’ailleurs scandaleux au regard de ses qualifications professionnelles et intriguant au regard de son histoire (Bernanke est un natif de la Caroline du Sud qui présidé le Conseil Economique de George W. Bush).

Les thésards en économie tendent à connaître et aimer leurs semblables et à douter des qualifications des autres pour les postes en haut de la hiérarchie. En effet, les docteurs en économie dominent le personnel et la présidence à la Fed. Les docteurs parmi les présidents de district étaient peut-être relativement rares il y a 70 ans, mais ils sont désormais majoritaires, et ils sont de plus en plus apparus ces dernières décennies comme nécessaires pour la présidence. La tendance est également générale dans d’autres pays. Un banquier central sans doctorat d’économie aurait des difficultés à gérer un personnel technique qualifié qui maîtrise des modèles compliqués et le jargon de l’économie universitaire. Il va de soi que certains brillants universitaires ne possèdent pas les autres traits personnels nécessaires pour être gérer et diriger une équipe. Mais même si un doctorat n’est pas une condition suffisante pour la présidence de la Fed, est-ce une condition nécessaire ?

Je suis peut-être l’un des rares économistes universitaires qui a eu la chance de connaître Jay Powell depuis 1990. Permettez-moi ainsi d’offrir mon témoignage le concernant. Contrairement à beaucoup de personne au gouvernement, dans le secteur privé et même à l’université, Powell n’est pas du genre à "ne pas savoir ce qu’il ne sait pas". Il n’a pas de complexe à admettre qu’il puisse avoir des questions sur un sujet ou un autre. Par conséquent, Powell maîtrisait le côté analytique de ce qu’il devait savoir en tant que gouverneur à la Fed. De plus, il n’aurait pas de difficulté à travailler avec les thésards du personnel. S’il est choisi, ce sera l’une des meilleures nominations qu’aura faite Trump.

Powell est généralement considéré comme une autre colombe (dove), parce qu’en tant que gouverneur à la Fed, il a voté en faveur des politiques de faible taux d’intérêt de Yellen (bien qu’il ait aussi soutenu les récents mouvements vers une normalisation des taux d’intérêt).

Warsh


Plusieurs Républicains se sont montrés très critiques vis-à-vis des tentatives de la Fed visant à stimuler l’économie américaine lors de la récession de 2007-2009, en jugeant qu’une expansion sans précédent de la base monétaire (l’aspect le plus visible de l’assouplissement quantitatif) entraînerait une forte inflation. Souvenez-vous lorsque le gouverneur du Texas Rick Perry a menacé Ben Bernanke ("on lui fera la fête au Texas") pour sa relance monétaire en 2011, c’est-à-dire lorsque le chômage était toujours de 9 %. Ces avertissements se faisaient déjà entendre au cœur de la récession, lorsque l’excès de capacités dans l’économie amenait la plupart des économistes à conclure que l’inflation était alors la dernière chose dont il fallait alors s’inquiéter. Warsh a tenu de tels propos "hawkish" en 2010, quant le chômage était de 9,5 %. On peut se demander s’il comprend comment l’économie fonctionne.

Taylor


On ne peut pas dire que John Taylor ne comprenne pas le fonctionnement de l’économie. Parmi les économistes monétaristes, c’est le cinquième le plus cité. (C’est en comptant le nombre de citations que les universitaires aiment mesurer leur réputation. Ben Bernanke est, selon cet indicateur, au premier rang des économistes monétaires.) Il est très connu pour sa règle de Taylor, un guide pour fixer les taux d’intérêt en réponse à l’inflation et à la croissance observées. Mais même avant qu’il établisse cette règle, il a apporté d’importantes contributions à la macroéconomie, notamment la théorie des contrats imbriqués qui aident à réconcilier la théorie des anticipations rationnelles et la réalité des prix visqueux.

Comme Warsh, Taylor trouve que la politique monétaire est trop souple, ce qui explique peut-être pourquoi le Wall Street Journal les a tous deux encensés. Cette critique de la Fed est davantage justifiée dans le cas du laxisme d’Alan Greenspan lors du gonflement de la bulle immobilier, dans les années qui précédèrent la crise du crédit immobilier de 2007. Mais jusqu’à 2005, Taylor était secrétaire adjoint du Trésor pour les Affaires internationales. On peut alors se demander pourquoi il n’a alors pas indiqué aux gouverneurs (en privé) qu’il jugeait la politique monétaire excessivement expansionniste en 2003 et 2004.

Cohn


Gary Cohn, actuellement directeur du Conseil Economique National de Trump ne s’y connait pas en économie monétaire, que ce soit en termes de formation technique ou d’expérience en tant que praticien. On ne connait pas ses idées sur la politique monétaire. Sur la réglementation financière, il s’est montré Trumpien en déclarant que le gouvernement a été trop dur avec les banques suite à la crise financière.

Les faucons (hawks) et les colombes (doves)


Depuis qu’Obama a accédé à la présidence en 2009, la plupart des leaders républicains se sont plaints d’une politique monétaire qu’ils jugent trop accommodante (notamment Trump, lorsqu’il faisait compagne pour la présidence, avant qu’il n’accède à la présidence en janvier et se décrive soudain finalement comme un "homme de faibles taux", alors même que l’économie atteignait le plein emploi). Les Républicains du Congrès voulaient l’adoption des règles de Taylor par la Fed. Plusieurs d’entre eux pensent toujours la même chose et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils appellent Trump à nommer John Taylor.

L’Histoire montre que les Républicains appellent à un assouplissement de la politique monétaire lorsqu’ils ont la présidence, même des "vrais conservateurs" comme Nixon et Reagan. On peut s’attendre à ce qu’à un moment ou un autre dans le futur, peut-être à la veille des prochaines élections présidentielles, la situation des marchés financiers et de l’économie se détériora et que le Président en rendra responsable la Fed. Il dira alors, non pas que la politique monétaire est trop souple, mais qu’elle est au contraire trop restrictive.

Mais les bons banquiers centraux prennent leurs décisions de façon à choisir ce qui semble le mieux pour l’économie en se basant sur des données changeantes, pas sur ce qui convient le mieux aux besoins politiques changeants du parti au pouvoir. Les gouvernements en place ont démontré leur capacité à le faire. (…) »

Jeffrey Frankel, « The choice of candidates for next Fed chair », in Econbrowser (blog), 29 octobre 2017. Traduit par Martin Anota

jeudi 26 octobre 2017

Fed : John Taylor est-il vraiment un faucon ?

« Deux articles publiés dans la revue Bloomberg il y a une semaine se penchent sur John Taylor, l’un des grands favoris pour diriger la Réserve fédérale. Mais si le premier le qualifie de faucon (hawk), le second le qualifie de colombe (dove).

Le premier article, écrit par Garfield Clinton Reynolds, note que : "le dollar s’est apprécié et le taux sur les obligations du Trésor a chuté lundi après que Bloomberg News ait indiqué que le Président Donald Trump s’est dit impressionné par Taylor lors d’un récent entretien à la Maison blanche". Beaucoup semblent penser que cet économiste de 70 ans relèverait davantage les taux d’intérêt que ne le ferait l’actuelle présidente de la Fed, Janet Yellen, si elle restait en place. C’est notamment parce qu’il est l’architecte de la règle de Taylor, une règle largement utilisée par les responsables de la politique économique comme guide pour fixer les taux depuis qu’il l’a développée au début des années quatre-vingt-dix.

Mais le second article, rédigé par Rich Miller, affirme que "le fait que Taylor croit en l’économie de l’offre fait de lui davantage une colombe que Yellen". Miller s’explique : "alors que Taylor croit l’administration Trump peut substantiellement stimuler la croissance économique sans générer d’inflation via la déréglementation et des mesures fiscales, Yellen est plus prudente sur leurs effets. Cela suggère que le Républicain Taylor serait moins susceptible d’accroître les taux d’inflation en réponse à une accélération de l’activité qui résulterait de la mise en œuvre de ces mesures de politique économique".

Qu’est-ce qui fait d’une personne un faucon ? Le fait qu’elle favorise une politique basée sur des règles ne suffit pas. Un banquier central peut utiliser une variante de la règle de Taylor qui implique une très faible réaction à l’inflation ou qui permette une inflation très élevée en moyenne. Le fait qu’une personne croit ou non en l’efficacité des politiques d’offre ne fait pas d’elle un faucon ou une colombe. Rappelons la règle de Taylor qu’avançait Taylor dans son article de 1993 :

r = p + .5y + .5(p – 2) + 2,

où r est le taux des fonds fédéraux, y est l’écart en pourcentage du PIB réel par rapport à une cible et p est l’inflation au cours des 4 trimestres précédents. Taylor note (p. 202) que l’inflation retardée est utilisée comme indicateur pour l’inflation anticipée et y=100(Y-Y°)/Y° où Y est le PIB réel et Y° est le PIB tendanciel (un indicateur pour le PIB potentiel).

Les coefficients de 0,5 associés aux termes y et (p-2) reflètent la façon par laquelle Taylor a estimé que la Fed se comportait approximativement, mais en général une règle de Taylor peut avoir des coefficients différents en fonction des préférences de la banque centrale. Cette dernière peut aussi avoir une cible d’inflation qui ne soit pas égale à 2 % et remplacer le terme (p-2) par (p-p°). Le fait de s’engager réellement à suivre une règle de Taylor ne vous dit pas quel taux d’inflation à l’état régulier, ni quelle volatilité accepterait un banquier central. Par exemple, une banque centrale peut suivre une règle avec p°=5 et un coefficient relativement large sur y et un petit coefficient sur (p-5), ce qui permet une inflation à la fois forte et volatile.

Qu’est-ce que les croyances « du côté de l’offre » impliquent-elles ? Eh bien, Miller pense que Taylor croit que les mesures de Trump en matière de fiscalité et de déréglementation vont accroître le PIB potentiel ou Y°. Pour une valeur donnée de Y, une estimation révisée à la hausse de Y° implique une révision à la baisse de l’estimation de y, ce qui implique un r plus faible. Donc, oui, à très court terme, nous pouvons voir un plus faible r de la part d’un banquier central qui "croit" en l’économie de l’offre que ceux qui n’y croient pas, toute chose égale par ailleurs.

Mais que se passe-t-il si Y° ne s’accroît pas autant qu’un banquier central partisan de l’offre ne le pense ? Alors, le moindre r va se traduire par un p plus élevé (mais aussi un Y plus élevé), si bien que la banque centrale va réagir en accroissant r. Aussi longtemps que la banque suit le principe de Taylor (donc que la somme des coefficients de p et p-p° dans la règle soit supérieur à l’unité), alors l’inflation d’équilibre à long terme sera p°.

Les paramètres de la règle de Taylor reflètent les préférences de la banque centrale. Les variables du côté droit, comme Y°, sont l’objet d’une mesure ou d’une prévision. Cela reflète les compétences d’une banque centrale en matière de mesure et de prévision, des compétences qui dépendent de facteurs allant de la puissance des économistes de son personnel (…) à la volatilité et à l’imprévisibilité des autres conditions et politiques économiques.

Ni Taylor, ni Yellen ne semblent vouloir désirer changer la cible d’inflation pour autre chose que qu’une inflation de 2 % (et même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas prendre unilatéralement cette décision). Ils ne présentent par contre peut-être pas les mêmes préférences lorsqu’il s’agit de décider de stabiliser l’inflation relativement à la production et je pense que, à cet égard, Taylor est davantage faucon que Yellen.

Les tentatives de Yellen visant à chercher des mesures alternatives de conditions sur le marché du travail par le passé concernent aussi Y°. Dans certaines versions de la règle de Taylor, ce sont des mesures de chômage à la place des mesures de la production (l’idée est qu’ils varient en général de concert). La volonté de considérer de multiples mesures de l’emploi ou de la production se ramène finalement à une tentative visant à obtenir une meilleure mesure de la distance que l’économie accuse vis-à-vis de son "potentiel". Cela ne rend pas en soi une personne plus ou moins "hawkish".

Entre parenthèses, toute cette discussion présume que la politique monétaire elle-même (et, plus généralement, les déplacements de la demande globale) ne modifient pas Y°. Or la prise en compte des effets d’hystérèse amènent à rejeter cette hypothèse. »

Carola Binder, « Is Taylor a hawk or not? », in Quantitative Ease (blog), 24 octobre 2017. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « La règle de Taylor doit-elle être une référence pour la politique monétaire ? »