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Tag - Kenneth Rogoff

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vendredi 24 septembre 2021

L’énorme secteur immobilier de la Chine peut-il amplifier un ralentissement de la croissance ?

« Dans notre récent article de recherche, mon coauteur Yuanchen Yang et moi-même concluons que le poids du secteur immobilier chinois est devenu si important qu’un ralentissement significatif de l’immobilier affecterait significativement la croissance globale, même si l’on met de côté les effets d’amplification habituels associés aux fragilités du secteur financier (Reinhart et Rogoff, 2009). Avec une production immobilière et des services de propriété représentant 29 % du PIB (un niveau qui rivalise avec ceux de l’Irlande et de l’Espagne à leur pic d’avant-crise financière), il est difficile de voir comment un significatif ralentissement de l’économie chinoise pourrait être évité, même si les problèmes bancaires étaient contenus.

Bien sûr, les autorités chinoises exercent une énorme pression sur le marché de l’immobilier et elles ont par le passé utilisé tout un éventail d’outils pour alternativement resserrer et stimuler ce marché. Mais le problème n’est pas simplement de maintenir la stabilité, mais aussi de maintenir l’échelle de la production et de l’emploi. Le fait que la surface par tête en Chine rivalise déjà avec celle de beaucoup de pays plus riches comme l’Allemagne et la Chine donne à réfléchir (cf. graphique 1). Même si l’on prend en compte le fait que la qualité de construction moyenne en Chine est moindre et donc qu’il y a de la marge pour l’améliorer, cela suggère que la taille actuelle du secteur immobilier, relativement au PIB, ne peut être facilement maintenu.

GRAPHIQUE 1 Espace résidentiel moyen par personne par pays en 2017 (en pieds carrés)

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source: Rogoff et Yang (2021)

Jusqu’à présent, la Chine semble avoir évité les problèmes en termes de croissance et d’immobilier. Avec son approche zéro Covid, l’économie chinoise a été capable de rebondir rapidement suite à la pandémie, croissant de plus de 8 % en 2020 et de plus de 12 % le premier semestre 2021. Comme ailleurs, la croissance des prix de l’immobilier a été forte. Néanmoins, comme la Chine s’ajuste pour faire faire face au virulent variant Delta, la croissance ralentit brutalement. A moyen terme, la Chine fait face à une multitude de défis, allant d’une démographie extrêmement adverse au ralentissement de la productivité, en passant notamment par la dégradation environnementale, les pénuries d’eau et les inégalités. Jusqu’à présent, le boom immobilier avait été soutenu par un boom général de l’économie, mais ce dernier fait désormais face à de puissants vents contraires.

Pour arriver à notre estimation de 29 % pour la part du secteur immobilier réel de la Chine, incluant à la fois la construction physiques et les services relatifs à l’immobilier, nous avons utilisé la matrice input-output la plus récente (2017) de la Chine (publiée au milieu de l’année 2019), n’incluant pas seulement des effets de premier ordre, mais aussi des interactions d’ordre supérieur, comme le choc immobilier se réverbère à l’ensemble de l’économie. (La prise en compte du secteur externe réduit légèrement la part, mais ne change pas fondamentalement le message.)

Le graphique 2 utilise une mesure similaire pour construire la part de l’immobilier dans les pays développés et la comparer avec celle de la Chine. Comme le graphique l’illustre, la Chine est même encore plus dépendante de la construction immobilière que l’Irlande et l’Espagne l’étaient avant la crise financière mondiale et bien plus dépendante que ne l’étaient les Etats-Unis au pic de 2005.

GRAPHIQUE 2 Part des activités liées à l’immobilier dans le PIB (en %)

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source: Rogoff et Yang (2021)

Même s’il faut garder à l’esprit que les données relatives aux prix de l’immobilier sont difficiles à collecter et standardiser, les comparaisons de la Chine avec d’autres pays sont assez significatives. En l’occurrence, selon les normes internationales, l’ampleur du boom des prix de l’immobilier de la Chine est sans précédent pour une économie majeure. (…) Les ratios prix des logements sur revenu à Pékin, Shanghai, Shenzhen et Guangzhou sont comparables à ceux des villes les plus chères du monde. Le ratio prix de l’immobilier sur revenu à Pékin, Shanghai et Shenzhen dépasse les 40, alors qu’il s’élève à 22 à Londres et à 12 à New-York. Bien sûr, de tels ratios prix des logements sur revenu peuvent être justifiés si l’on s’attend à ce que la croissance spectaculaire que la Chine a connue ces trois dernières décennies se poursuive indéfiniment. Mais comme nous l’avons déjà affirmé, les risques à long terme posés par le vieillissement de la population, le resserrement de l’écart technologique avec l’Occident et un ralentissement mondial général de la productivité, rendront plus probable que la croissance continue à ralentir, même après que l’économie ait rebondi suite à la dernière vague de la pandémie.

GRAPHIQUE 3 Ratios prix de l’immobilier sur revenu dans les grandes villes à travers le monde en 2018

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source: Rogoff et Yang (2021)

Nous rappelons que plusieurs auteurs ont déjà exploré les risques potentiels associés au marché immobilier de la Chine, notamment par exemple Fang et alii (2015), Chivakul et alii (2015), Glaeser et alii (2017) et Koss et Shi (2018). Bien qu’il y ait un éventail d’opinions, le consensus général a été que, même si l’appréciation des prix de l’immobilier en Chine a littéralement été d’un ordre de magnitude supérieure que celle connue par les Etats-Unis à la veille de sa crise financière de 2008, il n’y a pas nécessairement de bulle et qu’il faudrait un ralentissement brutal et soutenu de la croissance économique pour générer une récession immobilière durable.

Cependant, ces études sont basées sur des données qui sont maintenant quelque peu datées, surtout au vu des évolutions rapides touchant l’économie chinoise. Dans notre étude, Yang et moi utilisons des sources nouvellement disponibles et prenons particulièrement profit de la numérisation des statistiques chinoises qui permet d’obtenir des données plus larges et précises (…). Et, bien sûr, la pandémie de Covid-19, en particulier avec l’apparition de nouveaux variants, pourrait être le catalyseur pour un ralentissement soutenu de la croissance.

L’étude que Yang et moi avons réalisée se focalise sur l’importance de l’immobilier pour la croissance et l’emploi, mais bien sûr les vulnérabilités financières sont aussi un motif d’inquiétude, même si la Chine se révèle bien plus habile pour restructurer la dette que les gouvernements occidentaux après 2000, comme l’anticipent beaucoup d’observateurs. Néanmoins, une faillite du promoteur immobilier chinois Evergrande, avec plus de 300 milliards de dollars de dette serait de loin la plus large que le gouvernement ait eu à traiter et des entreprises de l’immobilier bien plus faibles font face au défi de rouler leurs dettes. En évoquant le cas des Etats-Unis au début des années 2000, Gao et alii (2020) montrent que la spéculation immobilière en amont d’une crise peut considérablement aggraver les effets réels de l’effondrement final. Même si les autorités chinoises font depuis longtemps régulièrement des efforts pour contenir la spéculation, cela s’est révélé être difficile face à l’énorme boom des prix de l’immobilier, comme l’a souligné Wei (2017).

La question du rééquilibrage de l’économie en-dehors de la construction immobilière et des services associés à l’immobilier est un problème auquel la chine devra faire face ces prochaines années, peut-être plus tôt que tard. »

Kenneth Rogoff, « Can China’s outsized real estate sector amplify a Delta-induced slowdown? », 21 septembre 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le boom immobilier chinois est-il soutenable ? »

« Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ?  »

vendredi 16 octobre 2015

La croissance économique n’est pas exogène !

« Dans les pages du Financial Times, Kenneth Rogoff affirme que l’économie mondiale souffre davantage d’un surplomb de dette (debt hangover) que d’une insuffisance de la demande globale. Ce n’est pas contradictoire avec les raisonnements théoriques et les analyses empiriques existantes : les crises financières tendent à être plus persistantes que les crises normales. Cependant c’est toujours une question ouverte de savoir si c’est la raison fondamentale expliquant pourquoi la croissance économique a été si anémique ou si d’autres facteurs (comme l’insuffisance de la demande globale, la stagnation séculaire…) importent autant, voire même plus.

Dans cet article, Rogoff considère que c’est une mauvaise idée d’utiliser des politiques de stimulation de la demande pour faire face à la dette, la cause ultime de la crise. Dans la mesure où les dépenses publiques continuent d’augmenter (il estime que les dépenses publiques en France représentent de 57 % de son PIB), il considère qu’il est peu crédible d’appeler à un surcroît de dépenses publiques.

Mais son raisonnement néglige un point crucial. Le ratio dette publique sur PIB et le ratio dépenses publiques sur PIB dépendent tous les deux du PIB, or la croissance du PIB ne peut être considérée comme exogène. Il n’est pas raisonnable de supposer que la trajectoire du PIB soit indépendante de l’orientation conjoncturelle de l’économie. Malheureusement, c’est bien l’hypothèse que font beaucoup d’économistes lorsqu’ils parlent de la crise. Une crise est perçue comme étant une déviation temporaire de la production vis-à-vis de sa trajectoire tendancielle, mais cette dernière est supposée être déterminée par autre chose (l’innovation, les réformes structurelles, etc.). Mais un tel raisonnement va à l’encontre des preuves empiriques dont nous disposons par rapport à la manière par laquelle l’investissement et même les dépenses en recherche-développement se comportent durant une crise. Si la croissance est interrompue durant une crise, la production ne va jamais retourner à sa tendance. Le niveau du PIB dépend de son histoire ; il y a ce que les économistes appellent des effets d’hystérèse (hystérésis). Dans ce monde, réduire la sévérité d’une crise ou réduire la période de reprise se traduit par d’énormes bénéfices parce que cela accroît le PIB à long terme.

(Pour être juste avec les économistes, nous avons tous conscience qu’il y a des dynamiques persistantes du PIB, mais au niveau théorique, nous avons tendance à l’expliquer avec des modèles où la nature stochastique de la tendance est responsable de la crise elle-même au lieu de supposer que d’autres facteurs peuvent provoquer la crise et que la tendance réagisse à ces dernières.)

Dans une récente étude, Olivier Blanchard, Eugenio Cerutti and Larry Summers montrent que la persistance et les effets de long terme sur le PIB sont consubstantiels de toute crise, et ce qu’importe sa cause. Même les crises provoquées par un resserrement de la politique monétaire peuvent avoir des effets permanents sur la trajectoire tendancielle du PIB. Leur article conclut que dans ce scénario, les politiques monétaire et budgétaire doivent être plus agressives étant donné que les récessions ont des coûts permanents.

En poursuivant le même raisonnement, je suis en train de réaliser une étude avec Larry Summers où nous cherchons à déterminer dans quelle mesure les consolidations budgétaires ont pu générer une persistance et avoir des effets permanents sur le PIB au cours de la Grande Récession. Nos preuves empiriques soutiennent cette hypothèse : les pays qui ont mis en œuvre les plus fortes consolidations budgétaires ont connu une baisse permanente du PIB. (Et c’est également vrai si nous prenons en compte la possibilité d’une causalité inverse, c’est-à-dire la possibilité que ce soit les gouvernements qui s’attendaient aux plus fortes chutes de la tendance qui mirent en œuvre les politiques les plus restrictives.)

Alors que nous reconnaissons qu’il y a toujours de l’incertitude lorsque nous estimons ce type de dynamiques macroéconomiques en utilisant un épisode historique particulier, la taille des effets que nous constatons est tellement importante qu’ils ne peuvent être facilement ignorés comme hypothèse valide. En fait, en utilisant nos estimations, nous calibrons le modèle d’un récent article de Larry Summers et Brad DeLong pour montrer que les contractions budgétaires en Europe furent très probablement contre-productives. En d’autres termes, la chute (permanente) du PIB qui en résultat entraîna une hausse des ratios dette publique sur PIB, alors que l’objectif officiel de la consolidation budgétaire est bien de réduire ces ratios.

Les preuves empiriques tirées de ces études suggèrent que les décideurs de politique économique ne peuvent ignorer la possibilité que les crises et que les actions monétaires et budgétaires aient des effets permanents sur le PIB. Une fois que nous regardons le monde de cette manière, nous comprenons que ce qui peut apparaître comme un bon conseil de politique économique peut finir par produire le résultat opposé à celui recherché. »

Antonio Fatás, « GDP growth is not exogenous », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 15 octobre 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Comment expliquer la faiblesse de la reprise ? »

« La crise a-t-elle réduit la croissance potentielle ? »

« Quel est l'impact de la Grande Récession sur la production potentielle ? »

« Quel est l’impact des récessions sur la production potentielle ? »

mercredi 5 février 2014

Les misérables

GRAPHIQUE Indice de sévérité des crises bancaires

The_Economist__Reinhart__Rogoff__indice_severite_de_crise_financiere_bancaire__Martin_Anota_.png

source : The Economist (2014), d'après Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff


aller plus loin... lire « Quelle reprise après une crise bancaire ? » à propos de la dernière étude de Reinhart et Rogoff