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Tag - Menzie Chinn

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samedi 18 juin 2022

La fin de la suprématie du dollar ?

« Chaque décennie, le débat à propos du rôle du dollar américaine en tant que première devise au monde revient : la monnaie américaine sera-t-elle détrônée par celle d’un autre pays ? Dans les années 1970, les prétendants étaient le yen japonais et le Deutsche Mark. Puis, avec l’Union économique et monétaire, l’euro a été vu comme un rival. Au cours de la dernière décennie, le renminbi a pris le rôle de possible aspirant. Où en sommes-nous en aujourd’hui?

Avant de répondre à cette question, il est important de rappeler qu’une chose importante à souligner concernant les quarante dernières années est le maintien de la suprématie du dollar, comme le montre le graphique, et ce malgré la crise financière mondiale et la pandémie de Covid-19. Le dollar reste la principale devise dans les portefeuilles des banques centrales à travers le monde. Alors qu’il y a une certaine incertitude entourant les parts exactes détenues dans chaque devise (puisque certaines banques centrales ne déclarent pas la composition de leur portefeuille), le dollar représente environ 60 % du total, bien davantage que l’euro (autour de 20 %). Malgré l’essor du renminbi, la part de la devise chinoise ne s’élevait qu’à 2,6 % à la fin de l’année 2021.

GRAPHIQUE Composition des réserves de change des banques centrales (en %)

Menzie_Chinn__composition_des_reserves_de_change_des_banques_centrales.png

Si nous regardons d’autres dimensions du rôle d’une devise, comme unité de compte, comme intermédiaire des échanges et comme réserve de valeur, il n’est pas manifeste que la domination du dollar soit menacée. Environ 40 % du commerce international est réglé en dollar, soit un peu plus que la part réglée en euro. Sur le marché des changes, le dollar reste de très loin la principale devise échangée : en l'occurrence, il représente 88 % des 200 % d'opérations de change. En termes de messagerie internationale pour les transactions financières (par exemple, via SWIFT), le dollar reste un meneur, représentant plus de 40 % de l’activité. L’euro suit à environ 35 %. (…)

Le contrecoup des sanctions


Les doutes à propos de la domination du dollar sont revenus lorsque les sanctions imposées à la Russie ont semblé avoir bien nui à son économie. Certains pensent que cette démonstration de vulnérabilité va amener d’autres pays à chercher à réduire leur dépendance au dollar.

Une partie du drame vient de la sanction d’une banque centrale majeure, puisque l’on pensait que le fonctionnement des autorités monétaires était protégé. Les Etats-Unis, avec leurs alliés occidentaux, ont menacé des institutions financières engagées dans des activités avec les banques russes, notamment la banque centrale de Russie. Non seulement les transactions financières furent coupées, mais en outre la banque centrale russe ne peut avoir accès à 100 milliards de dollars de ses réserves.

Cet apparent succès contraste avec la croyance conventionnelle en ce qui concerne l’efficacité des sanctions financières. Au cours des précédentes décennies, les Etats-Unis ont imposé des sanctions économiques pour infléchir le comportement d’autres pays, de Cuba à la Lybie, en passant par l’Iran. Les Etats-Unis ont tenté de pousser l’Iran à accepter un accord pour limiter la prolifération nucléaire avec notamment des sanctions, certaines d’entre elles qualifiées d’"intelligentes", ciblant des individus et secteurs en particulier plutôt que les économies dans leur ensemble. (…)

Les terribles dommages infligés à l’économie russe ont apporté un nouvel éclairage sur l’efficacité des sanctions. L’économie russe devrait se contracter de 30 % d’ici la fin de l’année 2022. Chose plus importante, l’impact à long terme de la privation des technologies et importations en provenance de l’Occident est susceptible de ramener l’économie russe plusieurs décennies en arrière. Le rouble a retrouvé ses niveaux d’avant-guerre, mais cette résilience n’est qu’apparente : la reprise a été obtenue en imposant un contrôle des capitaux strict, restreignant les achats de réserves étrangères et forçant les entreprises à se défaire des recettes d’exportations gagnées en devises étrangères.

Si l’effet des sanctions surprend, c’est parce que les autorités russes ont cherché après l’invasion de l’Ukraine en 2014 à isoler son économie contre d’éventuelles sanctions économiques. En particulier, un large montant de réserves de change a été amassé. Tout cela a apparemment démontré l’énorme pouvoir dont jouissent les Etats-Unis avec la position privilégiée du dollar comme devise internationale.

Est-ce que cette démonstration spectaculaire a poussé certains pays à adopter des mesures pour se diversifier en dehors du dollar, autrement qu’ils ne l’ont fait par le passé ? Je pense que la réponse est non.

Un adieu au dollar ?


La première raison pour laquelle je pense que c’est improbable est la difficulté extraordinaire qu’il y a à abandonner l’usage du dollar, à plusieurs niveaux. Considérons les réserves de changes : les banques centrales tendent à accumuler des réserves de changes dans la devise dans laquelle elles sont gagnées, c’est-à-dire via les exportations ou via les entrées de capitaux. Or une large part des exportations dans le monde sont facturées en dollars. Et environ 40 % de la dette transfrontalière est émise en dollars. Pour changer la répartition des réserves selon les devises par rapport à celle dans laquelle elles sont gagnées, les banques centrales devront vendre des dollars et acheter d’autres devises telles que l’euro, la livre ou le yen. Ce serait une option coûteuse dans la mesure où les marchés des actifs libellés dans ces autres devises sont moins liquides et donc plus difficile à pénétrer et quitter. En d’autres mots, la diversification des réserves en-dehors du dollar serait coûteuse. Les pays auraient à subir des coûts sur de longues périodes (en détenant des actifs moins sûrs) juste pour être moins dépendants du dollar dans l’éventualité d’un conflit.

Si je pense qu’un dégagement en dehors du dollar n’est guère susceptible d’arriver, c’est aussi parce qu’il reviendrait à tirer la mauvaise leçon des événements de 2022. C’est la nature multilatérale des sanctions qui les ont rendues si efficaces, plutôt que le fait que le dollar américain soit impliqué. Les banques centrales occidentales ont gelé les réserves étrangères russes détenues avec elles (seulement une portion de réserves est détenue avec la banque centrale russe), si bien que seulement 60 milliards des 160 milliards de dollars étaient accessibles fin février.

D'ailleurs, les autorités chinoises ont apparemment conclu que, du moins à court terme, il y a peu de moyens de s’immuniser contre le genre de sanctions déployées à l'égard de la Russie (une question qui les taraude dans le contexte de tensions croissantes entre la Chine et Taïwan). Lors d’une réunion de haut niveau des régulateurs et banquiers en avril, les dirigeants ont conclu qu’un tel traitement dévasterait l’économie chinoise, étant donné les innombrables liens commerciaux et financiers entre l’Occident et la Chine. Les entreprises chinoises se sont abstenues de traiter avec les banques russes sanctionnées, pour éviter de se faire également sanctionnées. Mais ce n’est pas la domination du dollar, mais plutôt celle de la finance occidentale, ainsi que l’infrastructure financière, qui ont conduit à l’attentisme chinois.

Mais qu’en est-il du renminbi ?


Au cours des années 2010, l’essor de la Chine a été rendu manifeste par son dépassement de la taille de l’économie des Etats-Unis (du moins en termes de parités de pouvoir d’achat). Il semblait que ce n’était qu’une question de temps avant que sa monnaie ne devienne une devise internationale dominant ; l’inclusion du renminbi dans les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI semblait signaler que le temps du renminbi était arrivé. Entre 2015 et 2020, le yuan est passé d’une part nulle à 2 % dans les détentions de réserves de change. La part des opérations de change en yuan est grimpée de 0 % en 2001 à 9 % en 2019 (sur un total de 200 %).

Mais aucune monnaie ne peut devenir une devise internationale aussi longtemps que les restrictions existent sur les transactions transfrontalières. Pendant un certain temps, il semblait que la Chine avait opté pour un régime financier international plus ouvert. Cependant, depuis l’ascension de Xi Jinping, il semble que la plus grande ouverture financière (et la réduction de l’autonomie économique qui s’ensuivrait) n’est plus une priorité. (…) Le renminbi est déjà une importante devise régionale et ce rôle-là se renforcera encore, mais sa trajectoire pour être une devise mondiale est maintenant bloquée.

Alors, que va-t-il se passer ?


Le dollar va garder son statut parce que les externalités de réseau associées avec le fait d’être une devise clé sont très fortes. La domination du dollar est si forte qu’il est difficile de concevoir une érosion rapide de son rôle. Cela ne signifie pas que d’autres devises ne peuvent gagner en importance (par exemple, le dollar australien, le dollar canadien, etc.), d’autres systèmes pour compenser et régler les transactions pourraient suffisamment se développer pour rivaliser avec ceux en place. Mais au cours de la prochaine décennie, le régime de changes international va probablement beaucoup ressembler à ce qu’il est aujourd’hui. »

Menzie Chinn, « The demise of dollar dominance? », in Econbrower (blog), 10 juin 2022. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La géographie des régimes de change en ce début de vingt-et-unième siècle »

« Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle »

« La discrète érosion de la suprématie du dollar »

« Pourquoi l’euro ne fait-il pas le poids ? »

mercredi 13 janvier 2016

La prochaine récession mondiale viendra-t-elle de Chine ?

« Les nouvelles de Chine ne sont pas très bonnes. Il y a de nombreux articles aux titres inquiétants. Le Wall Street Journal s’est par exemple demandé en août si une récession mondiale se préparait en Chine. Wonkblog se demande comment la Chine peut enclencher une crise mondiale : "Lorsque la Chine éternue, le reste du monde peut s’enrhumer, mais les choses semblent mieux aller au bout de deux jours. La question qui se pose alors est si la Chine est bien plus malade qu’elle ne le paraît et à quel point cela sera contagieux pour l’économie mondiale."

Une thèse courante est que la crise en Chine amène les autorités locales à chercher à dévaluer le yuan, ce qui pourrait enclencher une guerre de devises. Je ne doute pas que les valeurs des devises des pays émergents reposent, dans plusieurs cas, sur la valeur de la devise chinoise ou des prix des matières premières. Il est difficile de distinguer entre les répercussions que le resserrement de la politique monétaire américaine est susceptible d’avoir sur les devises des pays émergents des répercussions du ralentissement de la croissance chinoise.

Croissance chinoise et croissance mondiale


Je vais adopter une approche quelque peu différente, qui consiste à estimer les variations du PIB mondial sous diverses hypothèses. Je vais comparer les variations prévues en utilisant les Prévisions de l’économie mondiale avec celles que j’obtiens en supposant que la croissance réelle soit divisée par deux entre 2016 et 2018. Ces deux ralentissements sont présentés sur les graphiques 1 et 2.

GRAPHIQUE 1 Contributions à la croissance mondiale (en milliers de milliards de dollars aux taux de change de marchés)

Menzie_Chinn__contributions_a_la_croissance_mondiale_Chine_Etats-Unis.png

Les calculs ci-dessus supposent qu’il n’y a pas d’effets de débordement, par exemple que le ralentissement de la croissance chinoise n’a pas d’impact sur la croissance du teste du monde. S’il y a des effets multiplicateurs, alors la croissance du reste du monde sera plus faible. Cela ne révèle pas une récession mondiale, mais nous sommes dans un territoire peu connu.

GRAPHIQUE 2 Contributions à la croissance mondiale sous l’hypothèse d’une croissance chinoise divisée par deux (en milliers de milliards de dollars aux taux de change de marchés)

Menzie_Chinn__contributions_a_la_croissance_mondiale_Chine_Etats-Unis__2.png

Les précédents historiques


Comme Kose et Terrones (2015) l’ont souligné, les quatre récessions mondiales après 1960 ont toutes impliqué les Etats-Unis (mais toutes les récessions américaines n’ont pas été des récessions mondiales). On peut alors se demander si le ralentissement de la croissance chinoise laisse présager une nouvelle ère où les récessions mondiales trouvent leurs origines dans les fluctuations de l’activité chinoise, de la même manière que l’essor des Etats-Unis au dix-neuvième siècle fut signalé par l’impact mondial de la panique de 1857 et la subséquente récession. Comme l’ont noté Bordo et Landon-Lane, "La crise de 1857 éclata aux Etats-Unis avec la faillite de la Ohio Life Insurance Company, qui entraîna un krach boursier et une panique bancaire. La crise préfigura l’importance des Etats-Unis dans les futures crises financières mondiales. Des paniques bancaires majeures se sont également produites à Londres et en Allemagne."

Bordo et Landon-Lane notent également que "les crises financières internationales depuis au moins 1857 surviennent lorsque les Etats-Unis (qui constituent la plus grosse économie au monde depuis la fin du dix-neuvième siècle) sont impliqués. Une possible raison expliquant l’implication des Etats-Unis dans les crises financières mondiales est que le système bancaire américain est depuis longtemps propice aux crises."

La première observation de Bordo et Landon-Lane m’amène à comparer les PIB relatifs (cf. graphiques 3 et 4)

GRAPHIQUE 3 Ratio PIB nominal des Etats-Unis sur PIB nominal du Royaume-Uni aux taux de change de marchés

Chenzie_Chinn__Ratio_PIB_nominal_des_Etats-Unis_sur_PIB_nominal_du_Royaume-Uni.png

GRAPHIQUE 4 Ratio PIB nominal de la Chine sur PIB nominal des Etats-Unis (en bleu) et ratio PIB nominal de la Chine sur PIB des Etats-Unis (en rouge) aux taux de change de marchés

Chenzie_Chinn__PIB_nominal_de_la_Chine_relativement_a_la_zone_euro_et_Etats-Unis.png

En d’autres mots, les Etats-Unis ont supplanté le Royaume-Uni en tant que plus grande économie au monde lorsque la panique de 1857 déclencha une crise mondiale. A l’inverse, la Chine est en train de supplanter la zone euro, mais elle a encore à supplanter les Etats-Unis, du moins aux taux de change courants (les PPA rapportent un résultat différent). Cela suggère (mais ne prouve pas) qu’une récession mondiale d’origine chinoise soit improbable.

La seconde observation de Bordo et Landon-Lane suggère que l’importance de forts liens financiers est un facteur clé dans la propagation de crise. Ici, la segmentation continue du secteur bancaire chinois du système financier mondiale se révèle importante. Non seulement les contrôles de capitaux segmentent le marché chinois, mais le système bancaire très réglementé isole le reste du monde des problèmes bancaires chinois (dans tous les cas, la Chine semble avoir d’amples ressources pour recapitaliser le système bancaire, si cela s’avère nécessaire).

Evidemment, la Chine est liée financièrement au reste du monde dans la mesure où elle est un créancier net et où elle détient des bons du Trésor américains. Donc il n’est pas dit qu’une crise sévère en Chine n’aura pas d’impacts négatifs sur le reste du monde. En fait, je pense plutôt que les modes de transmission seront plus traditionnels, c’est-à-dire passer par les flux d’échanges commerciaux, les prix des matières premières et peut-être les taux d’intérêt.

Une dernière mise en garde à propos des prévisions de croissance chinoise


Les estimations de la croissance chinoise varient fortement d’une étude à l’autre. Cela s’explique en partie parce que les estimations de la croissance dépendent des vues quant aux politiques publiques. Si l’on considère que le gouvernement s’est engagé à maintenir la croissance au-dessus d’un certain seuil, alors on ne peut qu’envisager la possibilité que les autorités sacrifient les réformes pour la relance continue, c’est-à-dire la possibilité que la croissance de court terme ne s’écroule pas, même si les perspectives de long terme s’en trouvent affaiblies. Par contre, si l’on croit que le gouvernement va mener un programme de libéralisation financière et chercher à rééquilibrer la croissance vers des sources domestiques, alors la croissance peut très bien tomber bien en-deçà de 6 % à court terme. Je suis sceptique quant à ce second scénario. »

Menzie Chinn (2016), « The next global recession: Made in China? », in Econbrowser (blog), 13 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Quelles seraient les répercussions internationales d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise ? »

« Les pays avancés sont-ils à l’abri du ralentissement de la croissance des pays émergents ? »