On s’attend à ce que le compte courant de la Chine soit équilibré dans les prochaines années. Les observateurs sont en désaccord quant à savoir si cet équilibrage s’explique par des facteurs structurels ou par la politique économique de la Chine. Nous passons en revue leurs évaluations quant à la situation de l’épargne et de l’investissement de la Chine et aux implications de celle-ci pour le futur.

On peut considérer le compte courant depuis différents points de vue. Du point de vue commercial, le solde du compte courant est positif si la somme des exportations nettes et du revenu net tiré du reste du monde est positive. Le solde du compte courant est aussi positif si un pays épargne plus que ce qu’il dépense en investissement domestique.

Selon les prévisions que le FMI a récemment publiées dans ses Perspectives de l’économie mondiale, le solde du compte courant de la Chine devrait être d’environ 0,5 % du PIB en 2019, entrer en territoire négatif en 2022 et atteindre – 0,2 % en 2024. Mais durant les quinze dernières années, le solde du compte courant de la Chine, le moteur manufacturier du monde, a été régulièrement positif et en 2007, avant la crise financière mondiale, il atteignait 10 % du PIB. En conséquence, il y a grand débat quant à savoir si et à quelle vitesse le solde courant chinois deviendra négatif.

Un rapport de la banque d’investissement Morgan Stanley affirme que de telles prévisions sont trop conservatrices et que le déficit courant chinois apparaîtra dès 2019 et croîtra au cours de la prochaine décennie pour atteindre 1,6 % du PIB en 2030. Le rapport note que ce déficit est relativement faible, en particulier lorsque l’on prend en compte l’importance de la position extérieure nette de la Chine. Néanmoins, ses auteurs concluent que la Chine doit prendre des mesures pour ouvrir ses marchés financiers aux investisseurs étrangers afin de faciliter l’entrée de capitaux étrangers, ces derniers étant nécessaires pour financer les futurs déficits du compte courant.

Deux articles de la revue The Economist se penchent sur les forces sous-jacentes et les implications d’un compte courant chinois déficitaire. Ces articles soulignent que la tendance du compte courant à devenir déficitaire est due non seulement à des forces conjoncturelles, mais aussi à des forces structurelles. Les aspects conjoncturels sont mieux mis en évidence avec la perspective commerciale : les prix actuellement élevés des importations chinoises, par exemple du pétrole et des semi-conducteurs, tendent à dégrader le solde commercial. Une fois que ces prix reviendront à leur moyenne de long terme, la facture des importations de la Chine va s'alléger et son solde courant s’améliorera. Les facteurs structurels sont mieux perçus du point de vue financier dans la mesure où ils affectent les taux d’épargne et d’investissement de la Chine. Alors que les investissements en Chine sont restés autour de 40 % du PIB pendant un moment, la part du revenu domestique que les ménages (et certaines firmes) chinois épargnent a chuté, en passant de 50 % à 40 % du PIB. De ce point de vue, le solde courant devrait être plus proche de zéro.

Il y a diverses raisons susceptibles d’expliquer le déclin que l’on observe dans le taux d’épargne (pourtant toujours élevé) de la Chine selon The Economist. La première est que la population chinoise vieillit : il y a moins de jeunes épargnant pour leurs vieux jours et plus de personnes âgées vivant de leur épargne. La seconde raison est que les résidents chinois sont de plus en plus riches, si bien qu’ils consomment une part croissante de leurs revenus. Du point de vue commercial, les dépenses de consommation des touristes chinois à l’étranger (qui comptent comme une importation de biens et services) ont explosé depuis 2013. The Economist affirme que le déficit courant est l’inévitable nouvelle norme pour la Chine pour ces deux raisons-là. La revue rejoint le rapport de Morgan Stanley en concluant que "la Chine aura besoin d’attirer des capitaux en contrepartie de son déficit courant", ce qui n’est possible que si elle ouvre ses marchés des capitaux aux investisseurs étrangers.

Brad Setser voit la situation très différemment en soulignant non seulement l’importance de l’épargne, mais aussi des investissements. Premièrement, il doute que des facteurs structurels poussent le solde courant en territoire négatif. En s’appuyant sur une étude du FMI, Setser affirme que le vieillissement va réduire l’épargne de seulement 6 points de PIB d’ici 2030, si bien que les taux d’épargne resteront très élevés. De plus, il affirme que le niveau d’investissement de la Chine, qui est l’un des plus élevés parmi les grandes économies, est susceptible également de baisser, ce qui équilibrera à nouveau le compte courant. Qu’est-ce qui a alors entraîné la dégradation manifeste du compte courant ? Setser affirme que la Chine a "le même niveau d’épargne nationale que Singapour. Singapour génère un excédent de compte courant représentant 20 % de son PIB. Je pense que sans un déficit budgétaire augmenté de 10 % du PIB ou plus, la Chine génèrerait aussi un excédent courant substantiel". Donc, si le gouvernement chinois (…) adopte une consolidation budgétaire, le compte courant de la Chine deviendrait de nouveau excédentaire. En fait, il affirme que "le tournant de la relance en 2016 est la principale raison, avec la reprise partielle du prix du pétrole, expliquant pourquoi l’excédent a baissé ces deux dernières années, pas un quelconque changement structurel du côté de l’épargne chinoise".

Le second point où Setser exprime son désaccord concerne la nécessité de libéraliser le compte financier de la Chine. Setser affirme qu’il n’est pas certain qu’une libéralisation du secteur financier accroisse l’efficience, puisqu’il y a plusieurs garanties implicites et beaucoup d’institutions financières risquées, sous-capitalisées. "Ce qui semble le plus probable est qu’une ouverture du compte financier entraîne une réallocation plus rapide de l’épargne chinoise hors de Chine, par exemple davantage de fuite des capitaux". Par conséquent, un retrait des contrôles de capitaux entraînerait probablement des sorties des capitaux, ce qui pousserait alors le renminbi à la baisse. Au final, une dépréciation du renminbi conduirait à rendre le compte courant de nouveau excédentaire.

Zhang Jun a évalué les taux d’investissement et d’épargne de la Chine du point de vue de la croissance future. Des taux d’investissement élevés, financés par un taux d’épargne domestique élevés, ont permis à la Chine de connaître une croissance économique rapide au cours des dernières décennies. Cependant, Zhang, affirme que la Chine est arrivée au point de développement où les investissements deviennent sursaturés et où il lui apparaît par conséquent nécessaire de réduire ses taux d’épargne. Il rejoint Setser en affirmant que le solde du compte courant est proche de zéro en raison de politiques économiques plutôt que de facteurs structurels. En raison des pressions des partenaires à l’échange sur ses amples excédents extérieurs, la Chine a décidé d’"étendre substantiellement ses dépenses d’investissement dans les infrastructures et les logements domestiques et de laisser le renminbi s’apprécier". Le taux d’investissement plus élevé a réduit le solde du compte courant, mais aussi réduit les rendements marginaux sur le capital et la productivité globale des facteurs. Pour éviter des bulles sur les marchés d’actifs et une nouvelle détérioration de la productivité, Zhang affirme que les taux d’épargne de la Chine doivent chuter et donc que les secteurs protégés du secteur doivent s’ouvrir à la concurrence. Un tel scénario implique une transformation de l’économie chinoise où celle-ci abandonnerait une croissance tirée par les exportations pour une croissance tirée par la consommation, qui est bien plus focalisée sur le marché domestique. La fourniture de nouvelles opportunités de consommation pour les Chinois, en particulier dans les secteurs domestiques, va réduire l’épargne domestique. Zhang ne préconise pas une ouverture des comptes financiers de la Chine, mais plutôt une transformation purement domestique de son économie. »

Michael Baltensperger, « Why China’s current account balance approaches zero », in Bruegel (blog), 15 avril 2019. Traduit par Martin Anota