« Les règles budgétaires de la zone euro ont été suspendues pendant la crise de la Covid-19. Heureusement. Mais j’ai maintes fois affirmé sur ce blog depuis que je l’ai commencé en 2012 (par exemple ici) que les règles budgétaires de la zone euro, ou tout version modifiée de celles-ci, ne sont pas appropriées. C’est à présent le moment de reconsidérer la base même sur laquelle ces règles furent introduites.

Olivier Blanchard, Álvaro Leandro et Jeromin Zettelmeyer pensent aussi que les règles existantes doivent être abandonnées, mais leur alternative considère toujours les inquiétudes relatives à la dette publique comme centrales. C’est l’obsession avec la dette publique qui a provoqué tant de problèmes. Nous avons besoin d’une reconsidération bien plus radicale, en retournant à la macroéconomie de base.

Avant que l’euro ne soit lancé, j’avais affirmé dans des articles académiques avec d’autres (par exemple ici) que l’euro ne pouvait fonctionner que si la politique budgétaire pouvait réaliser un rôle de stabilisation de l’activité macroéconomique (et non de la dette publique). Ce travail s’est poursuivi malgré le fait qu’il ait été ignoré lorsque la zone euro fut créée (par exemple ici). L’idée reflète la macroéconomie de base. Durant les périodes au cours desquelles l’économie croît rapidement relativement à la moyenne de la zone euro, le pays-membre doit resserrer sa politique budgétaire, tandis qu’il doit recourir à la relance budgétaire lorsque sa croissance est inférieure à la croissance moyenne de la zone euro.

Quand la zone euro fut lancée, tout cela fut ignoré et les règles budgétaires de la zone euro se focalisèrent sur la stabilisation de la dette publique plutôt que sur la stabilisation macroéconomique. La conséquence fut un désastre. Du début de la zone euro jusqu’à la crise financière mondiale, les plus petits pays européens connurent un boom parce que leurs taux d’intérêt étaient désormais liés à la moyenne de la zone euro et les excédents budgétaires qui en résultèrent furent utilités comme excuse pour leur excès budgétaire. A l’inverse, une récession en Allemagne n’a pas été traitée par une expansion budgétaire, ce qui provoqua une inflation inférieure à la cible qui lui permet de gagner en compétitivité relativement au reste de la zone euro.

Le château de cartes s’est effondré lors de la crise de la zone euro. L’Allemagne considérait, sans tenir compte du fait que la plupart des pays n’amorçaient qu’à peine leur reprise de la crise financière mondiale, que la crise de la zone euro résultait d’un excès budgétaire généralisé. Une vague de contractions budgétaires (aggravée par une hausse des taux d’intérêt de la BCE) provoqua une seconde récession. Parce que l’Allemagne avait gagné en compétitivité relativement au reste de la zone euro lors de la précédente décennie, il n’y a qu’elle qui ne souffrit guère durant cette récession et les pays périphériques furent l’objet d’une austérité excessive. (…)

Je suis convaincu que si la zone euro avait suivi le genre de règles budgétaires nous avions suggérées avant la création de la zone euro, rien de tout cela (mis à part la crise financière mondiale bien sûr) ne serait survenu dans des dimensions aussi dramatiques. (Pour une analyse qui conforte cette idée, je vous renvoie à l’étude dont je discute ici.) Pour comprendre pourquoi, nous devons retourner à la macroéconomie de base.

Imaginez qu’un pays maintienne ses taux d’intérêt fixes, mais utilise efficacement sa politique budgétaire pour maintenir l’inflation à sa cible. C’est proche de ce que certains pays ont tenté de gérer leur économie à l’époque des taux de change fixes de Bretton Woods. Qu’est-ce qui assure la stabilité de la dette publique dans ces pays si la politique de stabilisation macroéconomique est efficace ? La réponse est les expansions et les récessions. Avec les expansions et les récessions se succédant les unes aux autres au fil de ce que nous appelons le cycle d’affaires, chaque période de relance budgétaire (durant une récession) est suivie par une période de resserrement budgétaire (durant une expansion). A première approximation, cela se compense au cours du temps, donc la dette publique est stable et soutenable.

La zone euro reproduit cette situation avec une différence importante. Quand les taux d’intérêt de la BCE ne butent pas sur leur borne inférieure, la BCE contrôle le taux d’inflation moyen. Ce que les autorités budgétaires nationales ont à faire, c’est de voir l’écart entre l’inflation domestique et l’inflation moyenne de la zone euro. Si l’inflation d’un pays-membre est supérieure à la moyenne, un resserrement budgétaire s’avère nécessaire, et vice versa.

Comment cela aurait fonctionné en zone euro avant la crise financière mondiale ? Si les pays de la zone euro avaient suivi cette règle budgétaire tirée de la macroéconomie de base, nous aurions vu une contraction budgétaire dans les pays périphériques et une expansion budgétaire en Allemagne. En conséquence, la position budgétaire des pays de la périphérie aurait été bien plus saine et l’Allemagne n’aurait pas tant gagné en compétitivité vis-à-vis de tout le monde. La règle budgétaire actuelle qui s’est focalisée sur les déficits excessifs a échoué, parce que la situation budgétaire des pays périphériques semblait saine en raison d’une croissance rapide de leur production. (...)

Baser les règles budgétaires européennes autour de la dette publique s’est révélé être un échec complet. Je me souviens des réactions incrédules que j’avais suscitées lorsque j’avais discuté avec des Espagnols avant la crise financière mondiale et que je leur avais dit que l’Espagne avait besoin d’un resserrement budgétaire. Ils m’avaient répliqué en disant que cette suggestion ne faisait pas sens dans la mesure où l’Espagne connaissait alors d’amples excédents budgétaires. Malheureusement, après la crise financière mondiale, cela fit parfaitement sens. C’est une erreur que la zone euro ait des règles budgétaires basées sur les déficits et la dette publics et cela ne peut qu’échouer.

Bien sûr, il est difficile de croire que les choses changeront. L’esprit des responsables politiques en Europe est dominé par des idées erronées qui vont à contre-courant de la macroéconomie de base et qui se cristallisèrent avec la formation de l’euro. Mais il est important qu’au moins certains montrent ce à quoi ressembleraient des règles budgétaires dérivées de la macroéconomie de base et expliquent pourquoi elles seraient supérieures à celles que nous avons aujourd’hui. »

Simon Wren-Lewis, « Eurozone fiscal rules should be based on national macroeconomic stabilisation, not national debt stabilisation », in Mainly Macro (blog), 27 avril 2021. Traduit par Martin Anota



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