« Dans notre précédent billet, nous avons examiné pourquoi les Catalans en Espagne avaient développé une identité catalane distincte, au point d’exiger un Etat indépendant, alors que ce n’est pas le cas des Catalans français. En regardant plus largement la scène espagnole, on voit l'échec dans la création d’une identité espagnole plus largement. Cela est vrai non seulement en Catalogne, mais aussi en Galice et encore plus évidemment au Pays basque.

Mais cette observation soulève d'autres questions intéressantes, car il y a évidemment une énorme différence entre le nationalisme de la Catalogne et celui du Pays basque : le premier n'est pas violent tandis que le second l’est. Comment peut-on expliquer ça ?

Exactement ce sujet a été abordé par le politologue David Laitin dans son article "National revivals and violence". Laitin a affirmé qu’au Pays basque, le mouvement nationaliste ETA a très bien réussi à puiser dans le capital social local et à recruter de jeunes hommes dans les petites villes, au sein des clubs d’escalade, appelés mendigoitzale, ou des gangs de jeunes, appelés cuadrillas. En revanche la Catalogne manquait de ce type de groupes sociaux et de capital social. (C’est lié à l'idée que le capital social peut être utilisé à des fins bonnes ou mauvais, de sorte que ses implications politiques sont beaucoup plus subtiles que ce que l'on pourrait penser à première vue, comme nous l’avons vu dans un billet il y a longtemps).

Laitin affirme que, au Pays basque, la vie dans les petites villes a été dominée par les liens clientélistes avec les partis politiques et que les groupes économiques, comme les syndicats, furent beaucoup plus importants. Cela a fourni une base sociale aux partis politiques et ces derniers furent beaucoup plus enclins à négocier qu’à se battre.

Laitin affirme aussi que ces différentes structures sociales ne font que faciliter le recrutement daau Pays basque et elles font aussi davantage pencher vers l’action violente puisque l'ETA, basée sur le capital social local, n'a pas disposé de canaux simples et efficaces pour communiquer avec Madrid, chose qui aurait pourtant facilité les négociations (contrairement à la situation en Catalogne).

Paradoxalement, ce qui a provoqué la violence était qu'il était "plus coûteux" pour les habitants du Pays basque de devenir nationalistes basques, notamment d'un point de vue linguistique. Le basque est une langue non indoeuropéenne et radicalement différente de l'espagnol, tandis que le catalan en est très proche. Ainsi, dans le cas basque, il était plus difficile d’"encourager" les populations locales à se tourner vers le nationalisme sans utiliser la violence. En Catalogne, il était beaucoup plus facile de parler le catalan, et les gens se sont probablement attendu à ce que les autres perlent catalan, quelque chose qui était beaucoup moins probable avec le basque.

Laitin utilise cet exemple de la langue un peu comme une métaphore pour montrer qu’il était plus difficile d’être Basque que d'être Catalan, ce qui se traduisit par le fait que ceux qui essaient de promouvoir le nationalisme basque étaient plus enclins à recourir à la violence.

Le dernier morceau dans l’argumentation de Laitin est plus idiosyncrasique. Il affirme que les premiers succès se sont révélés importants dans le maintien d’une stratégie violente pour l'ETA. Les commandos de l'ETA ont assassiné Luis Carrero Blanco, le Premier ministre espagnol et héritier présomptif de Franco, et les adhésions à l'ETA se sont alors immédiatement multipliées. L'exécution de deux prisonniers de l'ETA en 1975 a entraîné une grève générale qui a transformé les victimes en martyrs et a renforcé le soutien à l'ETA.

Au final, l'analyse de Laitin prend en compte des facteurs structurels, la nature différente du capital social, le coût différent d'être Basque, avec des chocs idiosyncrasiques qui ont permis à des stratégies violentes de se consolider et de réussir. »

Daron Acemoglu et James Robinsons, « Why is the Basque Country more Violent than Catalunya? », in Why Nations Fail (blog), Traduit par Martin Anota.