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Tag - Pierre-Olivier Gourinchas

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mercredi 22 avril 2020

Trois questions importantes à propos des politiques de stabilisation dans la récession du coronavirus

« (…) Je vais commencer par résumer la façon par laquelle je considère la pandémie de coronavirus du côté de la santé publique et les implications économiques qui en résultent. Comme c’est désormais bien connu, l’aplatissement de la courbe de taux d’infection de Covid-19, la maladie résultant de la nouvelle pandémie de coronavirus, nécessite des mesures de santé publique, notamment des mesures de suppression et d’atténuation qui permettent aux sociétés de faire face à l’afflux de patients contaminés. La conséquence immédiate est que de nombreuses personnes sont forcées de ne plus travailler, ce qui se traduit par un énorme coût pour toutes les économies.

Néanmoins, il y a des choses que les autorités peuvent essayer de faire pour atténuer cet impact économique adverse et aussi préparer pour l’instant où la pandémie refluera et où les économies commenceront à rebondir. Le point que j’aimerais souligner ici est que la pandémie est mondiale et que la récession est également mondiale. Il y a de légères différences entre les pays en termes de calendrier, mais celles-ci sont des différences de quelques semaines ou de quelques mois et elles importent peu d’un point de vue macroéconomique. En d’autres termes, cette récession du coronavirus est hautement synchronisée à travers le monde même si les pays n’adoptent pas les mêmes mesures de santé publique et économiques.

Si l’on regarde en particulier les pays européens et les pays émergents, ceux-ci connaissent de fortes turbulences. Commençons avec les gouvernements de la zone euro qui, dans l’ensemble, ont mis en place ou annoncé l’adoption d’amples programmes budgétaires pour aider les entreprises sous la forme de garanties de crédit ou d’aide directe à l’emploi pour les travailleurs, notamment le travail à temps partiel et une extension de l’indemnisation du chômage. Pour les ménages, il y a certaines suspensions des remboursements de dette, des factures et des paiements d’impôts. Ces mesures sont assez complètes et sont très massives en termes de taille.

Bien sûr, certains pays au sein de la zone euro sont dans une situation budgétaire relativement fragile, l’Italie attirant l’essentiel de l’attention pour l’instant. L’écart de taux entre les obligations publiques à 10 ans de l’Italie relativement et celles de l’Allemagne a commencé à se creuser assez rapidement au début de la crise sanitaire en Italie en raison de la bévue commise par la Présidente de la Banque Centrale Européenne, Christiane Lagarde, qui, plus tôt, avait indiqué que la BCE n’était "pas là pour refermer les spreads".

Heureusement, les actions de la BCE ont rapidement dissipé l’idée qu’elle ne ferait rien. La première réponse fut adoptée à la fin du mois de mars, quand la BCE mit en œuvre son très agressif nouveau Programme d’achats d’urgence pandémique (Pandemic Emergency Purchase Programme), qui est ciblé vers le financement de nouvelles dépenses budgétaires que les pays pourraient subir en conséquence de la pandémie. Le programme est assez important, d’un montant de 750 milliards d’euros, ce qui représente environ 6,5 % du PIB de la zone euro. Cette annonce a certainement eu un puissant effet sur les spreads, puisque les tensions sur les marchés obligataires se sont atténuées au sein de la zone euro.

Mais cette première mesure ne résout pas tous les problèmes et n’apaise pas toutes les inquiétudes concernant l’avenir, étant donné la structure de la dette publique italienne. Certaines inquiétudes relatives à la soutenabilité peuvent émerger si la BCE ou d’autres pays-membres ne se montrent pas capables de joindre leurs efforts pour assurer la soutenabilité budgétaire dans l’ensemble de la zone euro. Premièrement, les contraintes en vigueur sur le montant que la BCE peut investir dans un pays ou sur les types de titres qu’elle peut acheter ont été temporairement allégées. Cela laisse à la banque centrale une certaine marge pour acheter la dette italienne dans des montants massifs si nécessaire.

Mais les inquiétudes relatives à la soutenabilité ne sont pas complètement écartées. La BCE ne peut acheter la dette d’un pays quand elle est insoutenable. Ces questions de plus long terme restent en arrière-plan. Pour les traiter, diverses propositions ont été avancées. Elles visent toutes à fournir une sorte de financement conjoint pour les pays européens en difficulté. Aujourd’hui, c’est l’Italie, étant donné la sévérité de la crise sanitaire qu’elle traverse et la fragilité de ses finances publiques. Ces propositions visent à fournir autant de soutien budgétaire que possible à l’Italie.

Il y a trois principales propositions sur la table, citées ci-dessous selon un ordre croissant de complexité et de résistance politique. Premièrement, une ligne de crédit Covid-19, qui utiliserait le Mécanisme de Européen Stabilité (MES) pour fournir des fonds de longue durée et avec peu de conditionnalité. Deuxièmement, une émission d’obligations conjointe coordonnée à long terme, qui contournerait le Mécanisme Européen de Stabilité et donc éviterait la conditionnalité et qui serait soutenue par la BCE, peut-être avec des garanties conjointes. Troisièmement, un coronabond, qui utiliserait le Mécanisme Européen de Stabilité pour émettre de larges montants d’obligations à long terme déployées selon les besoins pour les dépenses liées au coronavirus.

Cette idée de coronabond fait face aux plus forts obstacles institutionnels et politiques, mais elle reste importante. Elle gagne aussi du terrain. Il y a, je pense, un soutien croissant pour quelque chose qui s’y apparente. Même du côté allemand, où il y a bien sûr toujours une féroce opposition, il y a des signes croissants de soutien en sa faveur. Il y a une prise de conscience que c’est un moment clé pour le projet européen et que, si les pays européens ne sont pas capables de se montrer solidaires à un moment comme celui-ci, où le problème n’a clairement rien à voir avec un aléa moral ou avec un problème d’incitations budgétaires, alors le projet européen recevra un coup sévère qui lui sera peut-être fatal.

Je crains que les responsables européens ne parviennent à s’accord que pour adopter quelque chose qui soit essentiellement symbolique et qui n’ait pas la puissance de feu nécessaire pour s’attaquer réellement aux problèmes budgétaires sous-jacents. Cela ferait de la Banque Centrale Européenne la seule institution en charge de la gestion de la crise au sein de la zone euro, essayant de soutenir les gouvernements individuels.

Enfin, penchons-nous sur les pays en développement, parce que je pense que c’est quelque chose que nous devons garder également en tête. Ces économies subissent d’énormes fuites des capitaux à destination des pays développés. En fait, ces fuites sont sans précédent en termes d’ampleur. Beaucoup de choses sont sans précédent ces jours-ci, et c’en est l’une d’entre elles. Les fuites cumulées de portefeuille sont sans commune mesure avec ce qui s’était produit par le passé, même durant la crise financière mondiale de 2008.

En outre, c’est synchronisé entre tous ces pays et c’est associé à une dépréciation très rapide du dollar américain. Dans plusieurs pays, les emprunteurs souverains ont réduit leur dette en dollar, mais parallèlement, leurs entreprises ont accru leur dette libellée en dollar, si bien qu’il n’est pas certain que globalement les bilans nationaux soient devenus moins dépendants au dollar.

Cela laisse ces pays émergents avec d’amples vulnérabilités de changes (…). Ajoutez à cela le fait que la plupart de ces pays n’ont pas autant de marge de manœuvre pour assouplir leur politique budgétaire que les pays développés, ce qui signifie qu’il y a définitivement besoin d’une assistance financière externe de grande ampleur.

Comme je l’ai dit au début de mes remarques, nous sommes dans une bataille mondiale commune, que ce soit en ce qui concerne la lutte contre la pandémie du coronavirus ou la lutte contre la récession mondiale qu’elle a provoquée. Il est important que nous n’oubliions pas cette partie du monde en développement. Sinon, nous nous retrouverons dans une situation où la crise pandémique fera rage hors de tout contrôle et où la crise économique sera devenue une calamité absolue, tout d’abord en-dehors du monde développé, mais pour ensuite le contaminer.

La Réserve fédérale a déjà fait un premier pas important en étendant les lignes de swap entre la Fed et plusieurs banques autour du monde. Mais il y a un sous-ensemble de pays émergents sans accès à ces lignes de swap. La bonne institution ici est probablement le Fonds Monétaire International. Il doit se lancer dans le vide. Mais le FMI n’a clairement pas la puissance pour le faire seul. Il a besoin que ses ressources financières soient accrues, de façon à ce qu’il puisse émettre des "prêts pandémiques" aux pays en développement en difficulté avec peu ou pas de conditionnalité, mais avec une transparence complète à propos de l’usage de ces nouveaux fonds d’urgence.

Le risque est que les gouvernements des pays développés ne se préoccupent pas assez des crises sanitaires et économiques dans le reste du monde en raison des crises sanitaires et économiques auxquelles ils font déjà face chez eux. Le problème est que, dans la mesure où la pandémie et la récession sont mondiales, la reprise doit l’être également. »

Pierre-Olivier Gourinchas, « Three important questions to answer about global financial stabilization policies amid the coronavirus recession », in Equitable Growth, 20 avril 2020. Traduit par Martin Anota

dimanche 15 mars 2020

Il faut aplatir les courbes de l’épidémie et de la récession

« Nous faisons face à une crise à la fois sanitaire et économique aux dimensions sans précédents au cours de l’histoire récente.

Je veux commencer par souligner que le confinement de l’épidémie est la première priorité. Le graphique 1 résume la façon par laquelle les autorités en charge de la santé publique peuvent s’attaquer au problème.

GRAPHIQUE 1 L’aplatissement de la courbe épidémique

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A court terme, la capacité du système de santé d’un quelconque pays est finie (la capacité des unités de soins intensifs, le nombre de lits d’hôpital, le nombre de professionnels de santé qualifiés, le nombre de respirateurs artificiels, etc.). Cela donne une limite supérieure au nombre de patients qui peuvent être efficacement traités, à n’importe quel moment du temps, une limite indiquée par une ligne horizontale sur le graphique. (...)

La politique de santé publique, du moins dans tous les pays à peu près décemment dirigés, cherche à "aplatir la courbe" en imposant de drastiques mesures de distanciation sociale et en promouvant des pratiques de santé pour réduire le taux de transmission. Cet "aplatissement de la courbe" permettrait d’étirer la diffusion de la pandémie au cours du temps, permettant ainsi aux gens d’être mieux traités par le système hospitalier, ce qui réduirait en définitive le taux de mortalité. C’est la courbe bleue sur le graphique 1. Ces politiques, là où elles sont mises en œuvre, ont eu de puissants résultats. Les pays qui ont adopté des mesures drastiques de confinement comme Taïwan, Singapour ou les régions chinoises en-dehors de Hubei, ont vu le nombre de cas croître à un rythme bien plus faible et ils connaissent maintenant un déclin. Clairement, c’est la bonne politique de santé publique à court terme.

Supposons que les autorités de santé publique prennent les bonnes décisions, donc que nous soyons sur la courbe d’infections aplatie (en bleu). Quelles sont les implications macroéconomiques ?

Je vais affirmer que, à court terme, l’aplatissement de la courbe d’infections accentue inévitablement la courbe de récession. Considérons la Chine et l’Italie : l’accroissement des distances sociales a nécessité de fermer les écoles, les universités, les entreprises qui ne sont pas essentielles et de demander à la majorité de la population en âge de travailler de rester à la maison. Alors que certains peuvent être capables de travailler à domicile, cela reste une petite fraction de l’ensemble de la main-d’œuvre. Même si le télétravail reste une option, la perturbation à court terme touchant le travail et la vie de famille est importante et elle va réduire la productivité. Bref, la politique de santé publique appropriée plonge l’économie dans un arrêt brusque. Tous les indicateurs venant de Chine, par exemple, mettent en évidence un plongeon dramatique de la production et des échanges.

Dans un monde parfait, les gens s’isoleraient d’eux-mêmes jusqu’à ce que les taux d’infections chutent suffisamment et que les autorités de santé publique donnent le feu vert. A cet instant-là, les moteurs de l’économie repartiraient : les travailleurs retourneraient travailler, les usines seraient relancées, les bateaux pourraient charger leur cargaison et les avions pourraient redécoller.

La première chose à noter est que, même dans ce monde "parfait", les dommages économiques seraient considérables. Pour le comprendre, supposons que, par rapport à une trajectoire de base, les mesures de confinement réduisent l’activité économique de 50 % au cours d’un mois et de 25 % au cours du mois suivant, puis qu’ensuite l’économie retourne à la trajectoire de base. Une telle chute brutale, mais temporaire, de l’activité ne semble pas irréaliste lorsque l’on voit qu’une majorité de la main-d’œuvre est actuellement confinée à domicile dans des endroits comme l’Italie ou la Chine. En fait, nous pouvons anticiper un processus bien plus fastidieux.

Pourtant, ce scénario délivrerait toujours un sacré coup aux chiffres du PIB, avec un déclin de la production annuelle de l’ordre de 6,5 % par rapport à l’année précédente. Si l’on étend le confinement un mois supplémentaire, le déclin de la production annuelle (relativement à l’année précédente) atteint presque 10 % !

Comme de nombreux économistes l’ont souligné, l’essentiel de ces pertes en PIB ne sera jamais rattrapé, donc il est raisonnable de supposer un retour à la trajectoire de base, plutôt qu’un essor ultérieur de l’activité au-delà de celle-ci, bien que l’on puisse s’attendre à un rebond post-récession des achats retardés de biens durables. A titre de comparaison, une chute de la croissance de la production aux Etats-Unis au cours de la Grande Récession de 2008-2009 était d’environ 4,5 %. Nous sommes sur le point de connaître une contraction de l’activité qui éclipse la Grande Récession.

Pourquoi les chiffres sont-ils plus élevés aujourd’hui ? Pour le dire rapidement, même au pic de la crise financière, quand l’économie américaine détruisait des emplois au rythme de 800.000 emplois par mois, la grande majorité des travailleurs était encore employée et travaillait. Le taux de chômage aux Etats-Unis a atteint un pic de "juste" 10 %. Par contraste, le coronavirus crée une situation où, pour un bref instant, 50 % des travailleurs, voire plus, peuvent ne pas être capables d’aller travailler. L’impact sur l’activité économique est donc bien plus important.

Pourtant, c’est le scénario "optimiste". Nous ne visons pas dans le "monde parfait" décrit ci-dessus. Une contraction de cette magnitude enverrait des vagues de chocs à travers l’économie qui pourraient occasionner de sérieux dommages. Si les chocs ne sont pas efficacement gérés, le coût économique pourrait être bien plus large et bien plus durable.

Une économie moderne est un réseau complexe de parties interconnectées : salariés, entreprises, fournisseurs, consommateurs, banques et autres intermédiaires financiers, etc. Chacun est le salarié de quelqu’un, un client, un prêteur, etc. Un arrêt brusque comme celui décrit ci-dessus peut facilement déclencher des événements en chaîne, alimentés par des décisions individuellement rationnelles, mais collectivement catastrophiques.

(…) Les acteurs économiques prennent des décisions individuelles qui amplifient et précipitent une plus sévère chute de l’activité économique. Les consommateurs isolés peuvent avoir de moindres opportunités pour dépenser. Face aux incertitudes à propos des perspectives économiques futures, une réaction commune consiste à réduire davantage les dépenses. Une telle réaction réduit davantage les recettes des firmes, même sur les stocks courants. Face à la baisse de la demande pour leurs produits (dans certains secteurs tels que le loisir, le voyage ou le divertissement, la demande risque même de presque totalement s’écrouler), les entreprises vont vouloir réduire leurs coûts, licencier du personnel pour éviter une faillite. Les banques, avec un portefeuille aux prêts non performants toujours plus nombreux, vont naturellement chercher à moins prêter, assombrissant davantage les perspectives pour le secteur non financier. Les fournisseurs vont exiger d’être payés, etc. La panique ou la perte de confiance ajoutent une nouvelle couche. La conséquence serait une faillite en chaîne des entreprises, avec une hausse subséquente des licenciements et l’accumulation de fragilités financières.

En d’autres termes, un vrai danger est que le virus mute et infecte notre système économique même si nous réussissons à le sortir de notre corps. Sa forme économique n’est certainement pas aussi mortelle, mais elle peut néanmoins provoquer de réels dommages. Les économistes vont reconnaître que le problème dans les deux cas (l’infection et la récession) tient à des externalités : des actions qui sont individuellement parfaitement sensées, mais qui s’avèrent nuisibles au niveau collectif.

L’implication est que l’économie fait face aussi à un problème "d’aplatissement de la courbe". Sans soutien macroéconomique efficace, l’impact de la contraction de l’activité peut être représenté par la courbe rouge sur le graphique 2. Celle-ci représente la production perdue durant une récession brutale et intense, amplifiée par les décisions économiques de millions d’agents économiques essayant de se protéger en réduisant leurs dépenses, en retardant leurs investissements, en réduisant leurs prêts et généralement en se terrant chez soi. Notez l’ironie de la chose : c’est l’isolement qui génère des externalités négatives !

GRAPHIQUE 2 L’aplatissement de la courbe de récession

Gourinchas__severite_d__une_recession_avec_sans_accompagnement_macro.png

Sur le graphique, la zone en bleu représente la contraction de l’activité économique, si nous pouvons prévenir toute "infection économique" additionnelle, c’est-à-dire limiter la perte d’activité économique à la production perdue durant la période de confinement. Comme je l’ai déjà dit, c’est probablement un grand chiffre négatif. La ligne rouge (et la zone additionnelle en rouge) représente la perte additionnelle d’activité économique une fois que l’économie elle-même a été "infectée" et que les divers cercles vicieux et mécanismes décrits ci-dessus se mettent en œuvre.

Les mesures qui aident à résoudre la crise sanitaire peuvent aggraver la crise économique, du moins à court terme, et réciproquement : une réponse sanitaire plus stricte se traduit par un arrêt économique plus long, une zone bleue plus large. Pourtant, cela a beau ressembler à un arbitrage, ce n’en est pourtant pas un : le chômage versus des vies perdues, il n’y a pas beaucoup de choses à débattre, du moins aux taux d’infection et de mortalité que nous observons. En outre, même si aucune mesure de confinement n’est mise en œuvre, il y aurait de toute façon une récession, alimentée par les comportements de précaution et de panique de la part des ménages et entreprises faisant face à l’incertitude quant à la gestion d’une pandémie avec une réponse inadéquate de la part des autorités en charge de la santé publique.

Heureusement, la politique économique peut agir décisivement pour empêcher des "infections économiques". L’objectif basique ici est aussi d’"aplatir la courbe" et de limiter les dommages économiques à ce qui est inévitable du fait qu’une grande partie de la population soit en quarantaine et ne peut donc participer à la production.

Un système économique moderne (à nouveau, lorsqu’il est bien géré) contient plusieurs sécurités qui sont conçues pour empêcher ou limiter les effondrements catastrophiques de ce type. Considérez-les comme les "unités de soins intensifs, les lits et les ventilateurs" du système économique. En l’occurrence, les banques centrales peuvent fournir de la liquidité en urgence au secteur financier. Les stabilisateurs automatiques (le déclin des recettes fiscales et la hausse des revenus de transfert) contribuent aussi à atténuer l’ampleur des retombées économiques sur les ménages et les entreprises. En outre, les gouvernements peuvent déployer des mesures budgétaires discrétionnaires ciblées ou de plus larges programmes pour soutenir l’activité économique. Ces mesures contribuent à "aplatir la courbe économique", c’est-à-dire limiter les pertes économiques, comme cela est illustré sur le graphique 2.

Il est important de garder à l’esprit ce que la politique économique peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire. L’objectif n’est pas et ne peut être d’éliminer la récession. Il y aura une récession, elle sera massive, mais espérons-le de courte durée. La priorité est de court-circuiter tous les cercles vicieux et canaux de contagion qui risquent d’amplifier de choc négatif.

Si elle n’est pas contenue, la récession menace de détruire le réseau complexe de liens économiques qui permet à l’économie d’opérer et cela prendrait du temps à le réparer. De ce point de vue, la priorité devrait être : (a) de s’assurer à ce que les travailleurs puissent restés employés (et percevoir leur salaire), même s’ils sont en quarantaine ou forcés de rester chez eux pour s’occuper de personnes dépendantes. L’assistance au licenciement temporaire est une composante clé. Sans elle, il n’est pas certain que les recommandations de santé publique puissent être suivies. Les ménages doivent être en mesure de faire des paiements basiques (loyers, factures d’énergie, remboursement de prêt, assurance) ; (b) de s’assurer que les firmes puissent essuyer la tempête sans faire faillite, avec des conditions d’emprunt plus accommodantes, et si possible une exonération temporaire des impôts ou des cotisations sociales, une suspension du remboursement des prêts ou la fourniture d’une assistance financière directe si nécessaire ; (c) de soutenir le système financier comme les prêts non performants vont augmenter, afin de s’assurer à ce que la crise économique n’entraîne pas de crise financière. Ces mesures vont atténuer, peut-être même éliminer, les mécanismes d’amplification et fortement réduire la sévérité de la récession. (...)

Combien de temps la production restera contenue avant que la taille de la récession ne devienne catastrophiquement large ? De simples calculs indiquent qu’un mois avec une production à 50 % et 2 mois à 25 % coûteraient déjà 10 % de la production annuelle. Deux autres mois supplémentaires à 75 % coûteraient 5 % supplémentaire de la production annuelle…

Cela indique que la bonne stratégie est dynamique. Si l’on reprend le graphique 1, le principal objectif de la politique budgétaire devrait être d’accroître la capacité du système de santé. Relever la ligne horizontale sur ce graphique permettrait de traiter davantage de patients, mais aussi de relâcher les mesures de confinement. Cela bénéficie directement à l’économie, sans dégrader la réponse de la politique de santé publique.

La conclusion est que nous avons besoin d’initiatives ambitieuses en termes de politique publique pour contenir la récession imminente. La bonne combinaison implique de mettre la politique de santé publique en siège conducteur pour limiter la "contagion humaine". Les politiques budgétaire et financière doivent ensuite être utilisées pour gérer le choc subséquent sur notre système économique et empêcher la "contagion économique". Ce n’est pas le moment d’être prudent. »

Pierre-Olivier Gourinchas, « Flattening the pandemic and recession curves », 13 mars 2020. Traduit par Martin Anota