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Tag - Prakash Loungani

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mercredi 9 novembre 2016

Dans la lutte contre le chômage, les partisans de la relance ont clairement gagné

« En août 2010, un article de Slate notait qu’il y avait "deux gangs d’économistes qui se battent sur les causes du chômage de masse" aux Etats-Unis. Paul Krugman, le meneur des "cycs" disait que la cause était conjoncturelle : il s’agissait d’une insuffisance de la demande globale. Les "strucs" expliquaient la hausse du chômage par un ensemble de facteurs structurels et ils prédisaient que le chômage ne déclinerait pas, à moins que l’on s’attaque à ces facteurs structurels. Six ans après, quel camp a gagné la bataille ?

Les preuves empiriques montrent que les "cycs" avaient largement raison. Le chômage aux Etats-Unis a chuté assez bien en phase avec la reprise de la production. Les Etats américains où la croissance a été plus forte que la moyenne nationale ont connu les plus fortes chutes du chômage. Et l’observation des performances des autres pays montre que les pays qui ont connu une croissance plus rapide que la moyenne mondiale (un groupe qui inclut les Etats-Unis et le Royaume-Uni) ont connu les plus fortes baisses du chômage.

Paul Krugman écrivait en 2011 que le chômage était élevé "parce que la croissance économique est faible ; c’est tout, point final, fin de l’histoire". Les "strucs" avaient une longue liste de solutions : "des changements en matière d’éducation, d’immigration, de réglementation du travail, des investissements directs à l’étranger (IDE), d’assurance-chômage et de droit des brevets", selon un article de Diana Furchtgott-Roth du Manhattan Institute.

Les données empiriques indiquent que la croissance est le coupable parmi la liste de suspects. Le graphique 1 montre la relation entre les composantes cycliques du chômage et le PIB réel en utilisant les données annuelles relatives aux Etats-Unis. Il y a une relation très robuste avec un R2 de 0,8 et un coefficient de pente de -0,45. Les dernières années, indiquées en rouge sur le graphique, ne s’en démarquent pas.

Par respect aux idées de James Hamilton, ces composantes cycliques ont été constituées en utilisant, non pas le filtre Hodrick-Prescott, mais celui qu’il recommande. En pratique, utiliser le filtre Hodrick-Prescott donne des résultats similaires : un R2 de 0,78 et un coefficient de pente de -0,54. La relation entre la variation du taux de chômage et le taux de croissance du PIB réel, qui ne dépend pas d’un quelconque filtrage explicite, est également très robuste. Avec des données trimestrielles, la relation entre le chômage et la production apparaît plus brouillée, mais elle reste très robuste.

GRAPHIQUE 1 Les composantes conjoncturelles du chômage et de la production aux Etats-Unis

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Creusons un peu plus


La Grande Récession n’a pas affecté tous les Etats américains de la même façon et le rythme de la reprise subséquente a également varié d’un Etat à un autre. A diverses reprises, plusieurs politiciens (tels que l’ancien gouverneur du Texas Rick Perry) ont vanté les politiques du marché du travail spécifiques qu’ils ont mis en œuvre pour expliquer la meilleure performance de l’Etat. Cependant, un aperçu infranational aux Etats-Unis amène à douter de telles affirmations et suggère plutôt que les "cycs" ont raison.

GRAPHIQUE 2 Les taux de chômage effectif et prévu dans les Etats américains

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C’est ce qu’illustre le graphique 2. L’axe vertical montre le déclin du chômage entre 2010 et 2015 dans chacun des 51 Etats américains (…). L’axe horizontal montre le déclin du chômage que l’on pouvait prévoir en se basant sur la croissance du produit domestique de l’Etat et la relation historique entre le chômage et la production que l'on a pu observer dans cet Etat. Les données empiriques montrent clairement que le chômage a plus chuté dans les Etats où il y a eu une plus forte reprise de la production.

Les Etats-Unis versus le reste du monde


Le graphique 3 montre les résultats d’un exercice similaire utilisant les données de plusieurs économies avancées. Cette fois l’axe vertical montre la variation du chômage dans chaque économie entre 2010 et 2015. L’axe horizontal montre ce que l’on aurait pu prévoir sur la base de la croissance du PIB réel du pays au cours de cette période et la relation historique entre le chômage et la production dans chaque pays. Une fois encore, il y a une relation très robuste entre les deux. Dans les pays tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni (indiqués en rouge sur le graphique) où la croissance du PIB réel a été plus forte qu’ailleurs, le déclin du taux de chômage a été le plus fort.

GRAPHIQUE 3 Les taux de chômage effectifs et prévus dans les pays développés

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Une victoire, mais la guerre n’est pas finie


Les données empiriques infra-nationales, nationales et internationales suggèrent toutes une claire victoire pour ceux qui ont une explication conjoncturelle au chômage de masse aux Etats-Unis et dans les autres pays avancés. Par extension, les données empiriques justifient la mise en œuvre d’une relance de la demande globale via les politiques monétaire et budgétaire que recommandaient les "cycs". Il est peu probable que les écarts de croissance entre les Etats américains et entre les pays développés que l’on a pu observer au cours de cette période reflètent des effets différenciés de politiques structurelles. En fait, ils sont davantage susceptibles de refléter des différences dans le calendrier des actions des banques centrales (la Fed ayant assoupli plus rapidement et plus amplement sa politique monétaire que la BCE, par exemple) et des différences en matière d’orientation de la politique budgétaire.

Bien sûr, des problèmes demeurent sur le marché du travail, même dans des pays comme les Etats-Unis où les conditions se sont significativement améliorées au cours des dernières années. Comme le nota récemment Kocherlakota (qui appartenait initialement au camp des "strucs" avant de rejoindre celui des "cycs"), le taux d’activité aux Etats-Unis a décliné ; les raisons expliquant ce déclin et sa durée dans le temps restent sujettes à débat. Kocherlakota affirme que la conjoncture reste toujours morose et suffisamment incertaines pour que "l’accroissement des taux directeurs ou l’annonce d’une hausse en décembre constituent une erreur".

D’autres disent que l’économie américaine est désormais au plein emploi et que de nouvelles améliorations des conditions sur le marché du travail ne sont possibles qu’avec des politiques structurelles et non avec une relance monétaire ou budgétaire. Donc la guerre entre les "cycs" et les "strucs" va se poursuivre ; mais dans un champ où les résultats ne sont jamais très clairs, il est bon de pouvoir s’arrêter un instant et déclarer que les "cycs" ont gagné la bataille de 2010-2016. »

Zidong An et Prakash Loungani, « Battling unemployment: A clear win for the ‘cycs' », in Econbrowser (blog), 3 novembre 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 30 janvier 2016

Les perspectives mondiales de chômage pour l’année 2016

« On prévoit désormais que la croissance économique de 2016 sera un peu plus faible que ce que nous avons auparavant prévu, d’après l’actualisation des Perspectives de l’économie mondiale du FMI de janvier 2016. Ce présent rapport dresse le portrait du chômage mondial et explique comment ces révisions des perspectives de croissance peuvent affecter le chômage. Cet exercice exige de comprendre le lien entre croissance et chômage à court terme, or celui-ci varie fortement d’un pays à l’autre (…).

Le portrait du chômage en 2016


GRAPHIQUE 1 Taux de chômage mondial (en %)

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_mondial_previsions_2016.png

(…) Commençons avec le portrait que nous faisions du chômage mondial avant que ne soient publiées les Perspectives de l’économie mondiale de janvier 2016. Le graphique 1 fournit une mesure du taux de chômage mondial basé sur les données relatives à 116 pays, parmi lesquels 37 sont considérés comme des pays "avancés" (c’est-à-dire à haut revenu) et parmi lesquels les 79 pays restants sont considérés comme des pays "en développement et émergents". (…) Si l’on se focalise sur le récent cycle, on constate que le taux de chômage mondial a atteint un pic de 6,2 % en 2009 et, depuis cette date, qu’il retourne lentement à son niveau d’avant-crise. Au cours de l’année à venir, on s’attend à ce que le taux de chômage mondial s’accroisse légèrement.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage dans les pays avancés et les pays émergents et en développement (en %)

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_pays_developpes_en_developpement_previsions_2016_2017_2018.png

Pour comprendre d’où cette hausse peut venir, le graphique 2 montre le taux de chômage pour les deux groupes de pays pris séparément. Il révèle que la hausse tient essentiellement à la hausse du chômage dans le groupe des pays émergents et en développement. En outre, la hausse du chômage parmi ce groupe s’explique elle-même par la hausse attendue du chômage parmi les pays exportateurs de pétrole (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 3 Taux de chômage dans les pays émergents et en développement selon la source des gains d'exportations (en %)

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Comment les révisions des perspectives de croissance affectent-elles les prévisions de chômage ?


Maintenant considérons comment les révisions des prévisions de croissance que le FMI a annoncé en janvier 2016 peuvent changer le portrait du chômage. Au niveau mondial, la prévision de croissance du PIB en 2016 a été révisée à la baisse de 0,2 points de pourcentage, ce qui suggère que le taux de chômage mondial sera quelque peu supérieur à la trajectoire projetée sur le graphique 1. Cependant, pour certains pays, les révisions des prévisions de croissance sont plus amples, comme le suggère le graphique ci-dessous. Le plus gros changement concerne le Brésil, suivi par l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud et la Russie.

GRAPHIQUE 4 Révisions des prévisions de croissance du FMI pour 2016 (en points de pourcentage

Prakash_Loungani__revision_des_previsions_de_croissance_du_FMI_pour_2016.png

Quel sera l’impact probable de ces révisions de croissance sur le chômage dans ces pays ? Pour répondre à cette question, le graphique 5 montre à quel degré le chômage est à court terme (au cours d’une année) a été sensible aux variations de la croissance pour chacun de ces pays. Les réponses sont très différentes d’un pays à l’autre. A un extrême, le chômage en Espagne a fortement réagi à la croissance ; à un autre extrême, le taux de chômage officiel du Nigéria ne présente essentiellement aucune corrélation avec la croissance. (…)

GRAPHIQUE 5 Sensibilité à court terme du chômage vis-à-vis de la croissance

Prakash_Loungani__sensibilite_a_court_terme_du_chomage_vis-a-vis_de_la_croissance.png

Considérons le cas du Brésil, qui a la plus forte révision dans les prévisions de croissance. En utilisant l’estimation historique de -0,2, on prévoit que le taux de chômage pour 2016 sera d’environ 0,5 points (2,5 x 0,2) plus élevé que ce suggérait la précédente prévision. Nous présentons dans le tableau 1 des calculs similaires pour d’autres pays.

Il est très important de souligner que ces changements ne représentent pas les prévisions du FMI du chômage dans ces pays. Ce que nous avons fait est de prendre les révisions officielles des prévisions de croissance du FMI et d’utiliser les estimations du lien historique entre croissance et emploi pour avoir une certaine idée de la manière par laquelle les prévisions de chômage peuvent être affectées. Les choses ne se passent pas forcément comme par le passé, mais on ne peut ignorer ce dernier. Donc l’analyse que nous développons ici est susceptible d’être utile aux analystes pour réviser leurs prévisions de chômage au cours de l’année.

TABLEAU 1 les révisions de prévisions de croissance du PIB et les révisions résultantes des prévisions de chômage

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Le lien entre la croissance et l’emploi


Nous concluons cette actualisation avec les preuves empiriques entourant le lien entre la croissance et l’emploi pour un large groupe de pays. (…) Le graphique 6 présente l’ampleur à laquelle le chômage chute dans différents groupes de pays lorsque la croissance s’accélère.

En bref, il y a de larges variations d’un pays à l’autre dans le lien entre la croissance et l’emploi (que les économistes appellent le "coefficient d’Okun") et dans l’ampleur à laquelle la croissance explique les dynamiques observées sur les marchés du travail (le R² dans le jargon). Le tableau 2 résume ces preuves empiriques en combinant l’information sur le coefficient d’Okun et le R² pour répartir les pays dans quatre quadrants.

  • Pour les 39 pays listés dans le quadrant en bas à droite (par exemple l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suisse et la Tunisie), le lien entre le chômage et la croissance est fort : le chômage répond fortement à la croissance et les fluctuations de la croissance expliquent l’essentiel des fluctuations du chômage. Dans ces cas, donner plus d’attention aux prévisions de croissance est susceptible d’être assez important pour faire des prévisions de chômage.

  • Pour les 36 pays listés dans le quadrant en haut à gauche (notamment l’Autriche, la Chine, l’Italie, le Maroc et la Turquie), on peut dire que le lien à court terme entre croissance et chômage est faible : le chômage ne répond pas à la croissance et les fluctuations de la croissance n’expliquent pas l’essentiel des fluctuations du chômage. (…)

  • Dans les 11 pays du quadrant en haut à droite (notamment en Afrique du Sud, en Belgique et au Vietnam), le taux de chômage à court terme est sensible à la croissance. Donc lorsqu’il y a des révisions des prévisions de croissance, il est nécessaire de réviser les prévisions de chômage. Toutefois, comme les variations de la croissance ne semblent pas constituer les principaux moteurs derrière les fluctuations du chômage, on devrait accorder plus d’attention aux forces autres que la croissance.

  • Dans les 15 pays situés dans le quadrant en bas à gauche (notamment la Corée du Sud, le Japon, le Luxembourg, le Mexique et la Russie), le taux de change varie peu en réponse à la croissance. Toutefois, les facteurs autres que la croissance semblent peu contribuer au chômage.

TABLEAU 2 Robustesse du coefficient d'Okun

Prakash_Loungani__robustesse_coefficients_d__Okun_lien_chomage_croissance.png

Pour résumer, pour la majorité des pays autour du monde, prendre en compte la croissance est essentiel pour comprendre les fluctuations à court terme du chômage. Dans le cas des autres pays (particulièrement ceux dans le quadrant en haut à gauche), il y a diverses explications susceptibles de justifier la faiblesse du lien entre croissance et emploi, notamment :

  • Dans certains cas, les taux de chômage officiels peuvent ne pas refléter le véritable taux de chômage.

  • Certains pays connaissent de rapides changements structurels et le chômage peut s’expliquer par cette tendance de long terme plutôt que par les fluctuations à court terme de l’activité. C’est susceptible d’être le cas du Maroc, où le taux de chômage a chuté brutalement au cours des 20 dernières années avec la hausse du PIB tendanciel, mais la sensibilité du chômage à la croissance du PIB à court terme est essentiellement nulle.

  • Dans les pays avec de larges secteurs ruraux et un large secteur informel, le taux de chômage mesuré (qui est plus susceptible de refléter la situation des secteurs urbains formels) peut ne pas être très sensible à la croissance. (…) »


Prakash Loungani, Zidong An et Karim El Aynaoui, « International jobs report », n° 16/01, janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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