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Tag - Roger Farmer

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vendredi 10 novembre 2017

La macroéconomie est-elle une science ou une religion ?

« Dans un article désormais très célèbre, "The Science of Monetary Policy", qu’ils publièrent en 1999, trois grands économistes, Richard Clarida, Jordi Galí et Mark Gertler, affirmèrent que la politique monétaire est une science. Bien qu’il y ait une part de vérité dans cette affirmation, Clarida et ses coauteurs auraient pu se demander dans leur article si la macroéconomie était une religion ou une science.

La science et la religion forment un drôle de ménage. La science date du siècle des Lumières. La religion remonte à l’aube de l’histoire. La science est soutenue par le rationalisme. La religion est soutenue par le dogme. La science est mise au défi par l’expérimentation. La religion est codifiée par des érudits et protégée par un clergé. La macroéconomie présente des aspects relevant aussi bien de l’une que de l’autre.

Les macroéconomistes construisent des théories codifiées par des systèmes d’équations. Nous utilisons ces équations pour expliquer les schémas que l’on décèle dans les données économiques. A la différence des sciences expérimentales, la chimie et la physique par exemple, les macroéconomistes ne peuvent facilement expérimenter. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas mettre à l’épreuve les théories existantes, mais qu’il est plus difficile de le faire. Comme les astronomes attendant qu’une nouvelle supernova explose, les macroéconomistes doivent attendre de grandes récessions ou de graves stagflations pour que nous puissions privilégier une théorie plutôt qu’une autre.

L’incapacité à expérimenter est plus sérieuse que ce que pensent la plupart des macroéconomistes. Lorsque Clarida, Galí et Gertler écrivaient leur article sur la politique monétaire, ils mettaient en avant une théorie néo-keynésienne. Cette théorie était codifiée par trois équations qu’ils utilisaient pour expliquer le PIB, le taux d’intérêt et l’inflation. Les équations néo-keynésiennes sont largement utilisées aujourd’hui par les décideurs politiques dans chaque grande banque centrale pour aider à guider la politique économique. Et si ces équations étaient incorrectes ?

Les économistes sélectionnent une théorie plutôt qu’une autre en utilisant une procédure statistique appelée maximum de vraisemblance. Nous disons que la théorie A est meilleure que la théorie B si les données que nous observons ont une plus forte probabilité d’être générées par A que par B. Dans une étude que j’ai réalisée avec Andreas Beyer, un économiste de la BCE, nous avons montré comment produire des théories qui ne peuvent pas être distinguées de cette façon. Si vous proposez avec la théorie A d’expliquer un ensemble de données X, notre procédure va produire une autre, la théorie B, qui a la probabilité identique d’avoir généré les données observées que la théorie A.

Les choses empirent. Nous donnons un exemple de ce problème où la théorie A et la théorie B fournissent des conclusions de politique contradictoires. La seule façon de les distinguer consisterait pour un décideur d’expérimenter en changeant la façon par laquelle il réagit aux données économiques. La Banque d’Angleterre peut, par exemple, relever son taux directeur, tandis qu’au même instant, le comité fédéral d’open market aux Etats-Unis réduit le taux des fonds fédéraux.

Les macroéconomistes peuvent expliquer relativement bien les données passées. Mais nous ne sommes pas trop bons lorsqu’il s’agit d’expliquer de nouveaux événements et nos théories sont toujours en évolution. En ce sens, l’économie est une science. La façon par laquelle on permet à nos modèles d’évoluer est contrôlée par un groupe de grands prêtres qui maintiennent la pureté doctrinale. En ce sens, l’économie est une religion. L’aspect religieux est important en temps normal, lorsque nous n’avons pas connu de grand événement dans le passé immédiat. A d’autres moments, peu après que nous ayons assisté à une supernova économique, l’emprise des grands prêtres devient contreproductive et c’est un temps fertile pour explorer des idées que les prêtres considèrent comme hérétiques. C’est un tel moment que nous connaissons aujourd’hui. »

Roger Farmer, « Macroeconomics: Religion or Science? », in Roger Farmer’s Economic Window (blog), 5 novembre 2017. Traduit par Martin Anota

dimanche 25 octobre 2015

La demande crée sa propre offre

« (…) L’économie keynésienne commence avec une définition de base. Pour être bref, je vais laisser de côté le rôle du gouvernement et réfléchir en économie fermée. Dans une économie sans gouvernement et sans échanges extérieurs, nous pouvons définir tous les biens produits dans l’économie comme étant des biens de consommation et des biens d’investissement. Puisque tous les revenus gagnés par les facteurs de production sont tirés de la production de biens d’investissement ou de consommation, alors il est identiquement vrai que :

1) Yn = Cn + In

Ici, Yn est la valeur en euros de tous les revenus gagnés par les travailleurs, les capitalistes et les propriétaires terriens lorsque sont produits des biens de consommation (valant Cn euros) et des biens d’investissement (valant In euros). La lettre "n" désigne le terme "nominal". Récemment, les économistes ont souvent utilisé la fiction d’un modèle avec consommateur représentatif dans lequel ils supposent que l’économie produit un seul bien à partir du capital et du travail. Ce n’est pas ce que je suppose ici. Yn n’est pas un unique bien. C’est la valeur en euros de tous les biens finaux produits au cours d’une année donnée. Pour passer des valeurs nominales aux valeurs réelles, nous devons déflater l’équation (1) par un indice nominal. Le Keynes de la Théorie générale fit une proposition qui fut ignorée au cours des huit dernières décennies et que j’ai ressuscité dans mon livre Expectations Employment and Prices. Il suggéra de diviser les deux côtés de l’identité (1) par une mesure du salaire monétaire. C’est une bonne manière de normaliser les mesures au cours du temps car le salaire monétaire augmente pour deux raisons. Il augmente lorsqu’il y a inflation. Et il augmente lorsqu’il y a un réel progrès économique. Diviser l’équation (1) par le salaire monétaire mène à l’identité suivante, où Y, C et I représentent respectivement le PIB, la consommation et l’investissement mesurées en unités de salaire.

2) Y = C + I

L’équation (2) est également une identité. Voilà qu’intervient l’économie. Keynes a introduit deux choses : une théorie de l’offre agrégée et une théorie de la demande agrégée. La théorie keynésienne de l’offre agrégée affirme que les entreprises vont accroître ou diminuer le nombre de travailleurs qu’elles emploient de façon à produire autant de biens que demandés. L’économiste français Jean-Baptiste Say avait un jour dit que l’offre créait sa propre demande. Keynes a renversé cette proposition. Dans l’économie keynésienne, c’est la demande qui crée sa propre offre. Keynes a affirmé que l’économie produit typiquement moins de biens et services qu’il ne faudrait pour qu’il y ait plein emploi. Aussi longtemps qu’il y a du chômage involontaire, tout ce qui est demandé va être offert. Cette proposition centrale peut être représentée par un graphique sur lequel les dépenses apparaissent sur l’axe vertical et le revenu apparaît sur l’axe horizontal. Une droite de 45° partant de l’origine, pour laquelle l’offre est égale aux dépenses, est égale à la courbe d’offre agrégée keynésienne. Keynes n’explique pas pourquoi les entreprises répondraient à une demande insuffisante en réduisant l’emploi plutôt qu’en réduisant les salaires. Il pensait que les travailleurs résisterait aux réductions de leurs salaires, mais il ne croyait pas que la viscosité des salaires étaient importante dans son raisonnement. Bien que Keynes n’ait jamais fourni une théorie articulée qui réconcilierait ses idées avec la microéconomie, j’ai fourni une telle théorie. Dans mes études, j’explique pourquoi la droite à 45° est une courbe d’offre agrée. Mes travaux reposent sur la théorie microéconomique. Mais je m’éloigne de mon propos (…).

Acceptons, pour l’instant, la théorie keynésienne de l’offre agrégée et tournons-nous vers la théorie keynésienne de la demande agrégée. Keynes s’est demandé ce qui déterminait les dépenses en biens de consommation et d’investissement. Il affirma que les dépenses agrégées en biens de consommation, par une communauté de personnes, vont s’accroître lorsque le revenu de cette communauté augmente. Mais elles vont s’accroître moins que proportionnellement. Il appelé la constante de proportionnalité la "propension marginale à consommer". Nous pouvons représenter cette idée par l’équation (3) :

3) C = a + bY

Ici, a est une constante que je vais appeler dépenses de consommation autonomes et b est la propension marginale à consommer.

Finalement, nous avons besoin d’une théorie de l’investissement. L’investissement, dans la version fondamentale de la théorie keynésienne, est une variable hautement instable qui est influencée par les esprits animaux des investisseurs. Chaque année, les investisseurs formulent des projets et ils mettent en œuvre ces projets en achetant de nouvelles machines et en bâtissant de nouvelles usines. Je vais représenter les dépenses prévues par les investissements avec le symbole Ip. Utilisons également le symbole X pour représenter les dépenses totales et Xp pour désigner les dépenses prévues. Ce qui mène aux équations suivantes :

4) X = C + I

5) Xp = C + Ip

Et, en utilisant la théorie de la consommation de l’équation (3) nous obtenons :

6) X = (a+I) + b.Y

7) Xp = (a+Ip) + b.Y

Les équations (6) et (7) distinguent les dépenses X des dépenses prévues Xp. Il est identiquement vrai que :

8) X = Y

Mais il est seulement vrai à l’équilibre que :

9) XP = Y

La différence entre I et Ip est que les biens qui sont produits, mais non vendus, sont définis comme des biens d’investissement. Si Toyota fabrique 100.000 voitures, mais n’en vend que 20.000, alors les 80.000 voitures qui n’ont pas été vendues sont définies comme des dépenses d’investissement. Mais elles ne font pas partie des dépenses d’investissement prévues. Une économie dans laquelle les stocks non prévus augmentent de la valeur réelle de 80.000 voitures n’est pas à l’équilibre. Pour restaurer l’équilibre, Keynes affirma que Toyota va licencier des travailleurs, ces travailleurs vont moins dépenser et le revenu va chute jusqu’à ce que l’épargne soit égale à l’investissement prévu.

Que dire à propos de l’égalité entre l’épargne et l’investissement ? Par définition, chaque euro qui n’est pas dépensé est épargné, donc :

10) S = Y – C

Ici, S représente l’épargne. Quelques calculs nous permettent d’établir que, lorsque Y = Xp, il est simultanément vrai que

11) S = IP

(...) Il est toujours vrai, à l’équilibre, que l’épargne est égale à l’investissement. Dans la théorie keynésienne, c’est le revenu et l’emploi qui s’ajustent pour que ce soit le cas. Dans l’économie keynésienne, la demande crée sa propre offre. »

Roger Farmer, « Demand creates its own supply », in Roger Farmer's Economic Window (blog), 24 octobre 2015. Traduit par Martin Anota