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Tag - Shinzo Abe

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mercredi 23 septembre 2020

Quelles leçons tirer des échecs de l’Abenomics ?

« La raison officielle donnée au départ de Shinzo Abe du poste de premier ministre du Japon qu’il occupe de longue date concerne sa santé personnelle. Et maintenant, le programme économique qui porte sa signature pourrait connaître le même destin.

L’"Abenomics" a été annoncé en grande pompe en 2013, donc il est tout à fait opportun de se demander ce que ce programme a accompli au cours de ces sept dernières années. La version officielle sur le site web du gouvernement japonais a toujours évoqué trois "flèches de politique économique" comprenant une politique monétaire agressive, une politique budgétaire flexible et une stratégie de croissance reposant sur des réformes structurelles.

Parmi ces trois flèches, c’est la politique monétaire qui a le plus grandement attiré l’attention. La Banque du Japon a lancé un programme massif d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pour acheter de la dette publique, si bien qu’elle possède désormais la moitié de celle-ci. L’objectif officiel était de ramener l’inflation annuelle à 2 %, mais cette cible n’a pas été atteinte. La faible efficacité de l’assouplissement quantitatif était prévisible dès le départ, étant donné que les taux d’intérêt à long terme étaient déjà faibles au début de l’année 2013, autour de 0,6 %. Depuis 2016, ils ont fluctué autour de zéro. On peut donc attribuer à la flèche "monétaire" de l’Abenomics une chute des taux de 0,6 points de pourcentage, mais cela ne suffit pas pour ramener l’inflation.

Certains ont considéré que la deuxième flèche de l’Abenomics, "la politique budgétaire flexible", désignait une relance budgétaire, alors que d’autres y voyaient une consolidation budgétaire. Après coup, il apparaît que les politiques poursuivies s’inscrivent dans la seconde catégorie. Juste avant qu’Abe retourne au pouvoir en décembre 2012, le déficit budgétaire était supérieur à 8 % du PIB ; en 2016-2019, il a été ramené à 3-4 %. Cela a significativement freiné la croissance de la dette publique du pays, relativement au PIB. A environ 150 %, la dette nette courante du Japon va rester inchangée aussi longtemps que le taux de croissance du PIB nominal restera supérieur à 2 % et le déficit budgétaire égal ou inférieur à 3 % du PIB. Une réussite clé de l’Abenomics est donc d’avoir stabilisé les finances publiques du Japon.

La troisième flèche comprenait des réformes structurelles visant à stimuler la croissance économique en relevant la productivité de la main-d’œuvre existante et en accroissant le nombre de travailleurs. En ce qui concerne les gains de productivité, l’Abenomics est un échec total. A la différence de la zone euro, où la productivité du travail a au moins un peu augmenté au cours des sept dernières années, la productivité du Japon a globalement stagné depuis 2010. A l’inverse, il y a eu quelques progrès du côté de la taille de la population active. Mais le Japon atteignait déjà un taux d’activité élevé avant le début de l’Abenomics et ses hausses ultérieures correspondent à ce que l’on prévoyait en l’absence de l’Abenomics. Avec seulement de faibles hausses du taux d’activité et quasiment aucune amélioration de la productivité, la croissance du revenu japonais sous l’Abenomics est restée aussi faible qu’avant, en atteignant moins de 1 % par an.

Pendant un instant, le fort rebond observé après que les hausses d’impôts aient provoqué une récession en 2014 a été interprété comme démontrant l’efficacité de l’Abenomics. Mais la reprise a été aidée par une forte amélioration des termes de l’échange du pays, liée à la chute des prix du gaz naturel liquide, que le Japon doit importer en plus grandes quantités depuis le désastre nucléaire de Fukushima en 2011. Cette stimulation temporaire n’a pas suffi pour amorcer une nouvelle ère de croissance plus robuste et soutenue.

L’expérience du Japon doit être étudiée soigneusement pour tirer des leçons afin d’avoir une idée de ce qui attend peut-être l’Europe et d’autres pays développés en proie au vieillissement démographique. Une leçon clé de l’expérience du Japon est qu’il est extrêmement difficile de générer de l’inflation dans une société vieillissante présentant un excès d’épargne et du capital abondant. En 2014, l’inflation sous-jacente a chuté brièvement en-dessous de 1 % dans la zone euro. La BCE a commencé son propre programme d’achats d’actifs. Mais après des années d’achats, l’inflation n’a que légèrement grimpé au-dessus de 1 %. Et désormais, la pandémie va davantage compliquer le retour de l’inflation au canonique taux de 2 %. En fait, la BCE poursuit peut-être une cible inatteignable dans un avenir prévisible.

Une deuxième leçon est que les taux de croissance globaux importent politiquement, même si le revenu par tête est ce qui compte vraiment lorsqu’il s’agit du bien-être économique. C’est crucial pour l’Europe, parce que les tendances démographiques que l’on observe aujourd’hui dans la zone euro sont similaires à celles observées au Japon dans un récent passé. La population en âge de travail moyenne dans les 19 pays-membres de la zone euro décline d’environ un demi-point par an. Ce déclin est moins prononcé qu’au Japon, mais il est néanmoins promis à continuer pendant un long moment, ce qui suggère que la zone euro est destinée à connaître une nouvelle décennie de faible croissance économique, indépendamment de la crise du coronavirus. Et même si la croissance du revenu par tête reste possible, il faudra accroître la productivité pour l’obtenir.

Finalement, en l’absence d’une plus forte immigration, les limites imposées par la décroissance de la population en âge de travailler ne peuvent être surmontées qu’en repoussant l’âge légal de départ à la retraite et en accroissant le taux d’activité des plus âgés. De tels changements sont cohérents avec la hausse de l’espérance de vie et étaient déjà à l’œuvre dans plusieurs pays européens avant la crise du coronavirus. Mais l’accroissement du taux d’activité ne stimulera l’activité que temporairement. Il faudrait que la croissance de la productivité soit plus forte pour que la croissance économique soit plus robuste à long terme. C’est le principal défi économique de l’Europe. Pour y parvenir, les vastes ressources budgétaires qui sont utilisées pour faire face à la pandémie devraient être utilisées pour réorienter l’économie dans une direction plus verte, plus numérique, plutôt que pour renforcer les structures et accords économiques d’hier. »

Daniel Gros, « Retiring Abenomics », 7 septembre 2020. Traduit par Martin Anota



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« Quelle est l’efficacité de l’Abenomics ? »

« La politique budgétaire est-elle efficace au Japon ? »

« Quelles options budgétaires pour le Japon ? »

samedi 3 février 2018

Cinq ans d’Abenomics

« Cinq ans ont passé depuis que le Premier ministre Shinzō Abe a été élu en 2012 et a commencé à mettre en œuvre ce qu’on qualifie d’"Abenomics", c’est-à-dire un ensemble de mesures macroéconomiques basées sur "trois flèches" : l’assouplissement monétaire, la relance budgétaire et les réformes structurelles. Cinq ans après, peut-on dire que l’Abenomics a été efficaces ? Nous passons en revue plusieurs commentaires qui ont récemment été tenus à ce sujet.

The Economist note que la devise du Japon s’est dépréciée d’environ vis-à-vis du dollar depuis novembre 2012 et que l’indice boursier Nikkei 225 a augmenté de plus 150 % sur la même période. Cela a contribué à relancer l’économie et le PIB japonais a augmenté sans discontinuité ces sept derniers trimestres, soit pour la plus longue période de croissance ininterrompue depuis 16 ans. Les exportations ont beaucoup contribué à cette performance, mais l’investissement privé a aussi augmenté de plus de 18 % en termes nominaux au cours des cinq dernières années. 2,7 millions d’emplois nets ont été créés, malgré une démographie défavorable. Pourtant, l’inflation ne s’est pas vraiment accélérée : l’indice des prix (si l’on exclut les aliments frais) a augmenté de seulement 0,7 % dans l’année qui précéda septembre 2017. La faible performance en matière d’inflation peut notamment s’expliquer par le fait que les salaires n’ont pas augmenté aussi rapidement qu’on ne l’attendait, en partie parce que la majorité des travailleurs japonais ont des contrats permanents et que leur salaire suit principalement le coût de la vie. Une seconde raison pourrait être la hausse de la population active, dans la mesure où davantage de femmes, de personnes âgées et dans une certaine mesure aussi de travailleurs étrangers sont entrés sur le marché du travail. En outre, là où le coût de la vie a augmenté, certaines firmes ont trouvé des façons d’accroître la productivité plutôt que les prix, en investissant dans des technologies économes en travail.

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Scott Sumner (…) est d’accord à l’idée que l’impact le plus important de l’Abenomics a été sur le PIB nominal, ce dernier ayant suivi une tendance à la baisse jusqu’à l’élection d’Abe. Selon la théorie du monétarisme de marché, un PIB nominal élevé peut être utile pour répondre à deux problèmes : les excès d’endettement et un chômage cyclique élevé. L’Abenomics a été très efficace sur les deux fronts. Le chômage a chuté à 2,7 %, le niveau le plus faible en 23 ans ; et le ratio dette publique sur PIB a atteint un palier, après avoir explosé et atteint un taux dangereux ces dernières décennies. Les prix sont à la hausse ces cinq dernières années et la dynamique est certainement meilleure que la déflation qui que le Japon connaissait avant le déploiement de l’Abenomics, mais l’inflation est toujours inférieure à la cible de 2 %.

(…) Sumner affirme aussi qu’une inflation de 1 % est trop faible et que la Banque du Japon doit assouplir sa politique monétaire, pour deux raisons. Premièrement, Japon a fixé une cible d’inflation officielle de 2 % et une fois qu’une cible d’inflation cible est fixée, elle doit être atteinte pour que la politique monétaire reste crédible (la crédibilité étant cruciale pour la gestion des futures crises). Deuxièmement, Sumner pense que la Banque du Japon s’est trompée en utilisant les taux d’intérêt comme instrument de politique monétaire, parce que même une inflation de 2 % au Japon ne suffit probablement pas pour éviter la borne zéro lors d’une récession. Donc le Japon est dans une étrange situation où il n’a pas besoin de relance monétaire, mais où la Banque du Japon doit néanmoins adopter une relance monétaire parce que, si elle ne le faisait pas, le Japon pourrait chuter dans une récession à l’instant où la Banque du Japon perdrait en crédibilité.

Erik Norland (…) pense que l’Abenomics n’a pas encore pleinement dévoilé ses effets. L’économie japonaise s’est améliorée depuis 2012, mais elle a ralenti depuis début 2015 et l’expérience de la Banque du Japon avec les taux d’intérêt négatifs de court terme ne semble pas avoir été une réussite (Norland affirme que les taux négatifs ont empêché le Japon de retrouver des taux d’inflation positifs). Environ la moitié de la hausse temporaire de l’inflation en 2013-2014 peut être attribuée au passage de la TVA de 5 % à 8 % et, bien que cela n’ait pas été un thème majeur de la campagne, il faudra faire attention au possible relèvement de la TVA de 8 % à 10 %, qui accroîtrait l’activité préachat mais pourrait temporairement ralentir l’activité après la hausse. Une autre question qui a été évitée durant la compagne est celle de l’énergie nucléaire. Le gouvernement d’Abe a permis un retour progressif et partiel au nucléaire, qui doit limiter le déficit budgétaire du Japon et réduire la croissance de la demande de pétrole brut et de gaz naturel. Globalement, le Japon bénéfice actuellement d’un contexte international favorable, en l’occurrence de la première croissance mondiale synchronisée depuis 2007 ; mais la Chine pose un risque majeur, comme 25 % des exportations du Japon dirigées vers la Chine ou Hong Kong et qu’ils ont tous deux accumulé d’amples dettes. Norland pense que les niveaux de dette élevés du Japon vont probablement le laisser à de faibles taux d’intérêt de court terme ces prochaines années, malgré une meilleure performance économique.

Lechevalier et Monfort affirment que, au cours des cinq dernières années, les politiques proactives poursuivies dans le cadre de l’Abenomics ont joué un rôle décisif dans l’inversion d’une des causes du ralentissement japonais, en l’occurrence l’incohérence des politiques économiques, et qu’elles rapportent maintenant leurs premiers résultats. Cependant ils soulignent que, dans cinq ans, les performances ont été en-deçà des objectifs, en particulier en ce qui concerne l’inflation et la croissance du PIB. Ils sont plus critiques au regard des questions de long terme et pensent que l’Abenomics peut en définitive échouer en raison de l’incapacité à clairement définir un modèle de croissance pour la nation au cours des deux prochaines décennies. Selon Lechevalier et Monfort, le problème n’est pas tant le manque de réformes structurelles que leur capacité limitée à relever le potentiel de croissance du pays.

Un point similaire a été souligné par Shaori Shibata, qui affirme que les remèdes de style keynésien qui font partie intégrante de l’Abenomics n’ont pas été capables de répondre au problème de faible demande que connaît le Japon à plus long terme, en particulier en termes de consommation privée. C’est en grande partie à cause des mesures de libéralisation qui forment également partie intégrante de l’Abenomics et qui ne sont pas compatibles avec les remèdes keynésiens qui ont été adoptés. Alors que l’Abenomics a le potentiel (du moins à court et moyen termes) pour améliorer la profitabilité des entreprises, en l’absence d’une mesure visant à redistribuer la richesse des entreprises au travail, l’Abenomics représente aussi à l’avenir un danger pour la croissance économique du Japon.

Heizo Takenaka écrit que les performances économiques ont beau s’être clairement améliorées, il demeure toujours plusieurs défis sérieux. Les efforts pour la consolidation budgétaire et la revitalisation des économies régionales sont lents ; le creusement des écarts de revenu n’a pas été traité ; malgré les progrès économiques, la compétitivité du Japon relativement au reste du monde s’est davantage détériorée ; et les universités japonaises continuent de perdre des places dans les classements internationaux. En fin de compte, il est vrai que l’Abenomics a significativement stimulé l’économie, mais qu’elle peine à faire face aux changements rapides qui ont lieu dans le reste du monde. (…) »

Silvia Merler, « Abenomics, five years in », in Bruegel (blog), 8 janvier 2018. Traduit par Martin Anota



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« Quelle est l’efficacité de l’Abenomics ? »

« La politique budgétaire est-elle efficace au Japon ? »

mercredi 25 novembre 2015

Le Japon tombe en récession pour la seconde fois depuis que Shinzo Abe est au pouvoir

GRAPHIQUE Variation trimestrielle du PIB japonais (en rythme annualisé, en %)

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source : The Economist (2015)



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