« Le titre de mon billet devrait en énerver plus d’un. La crise financière n’a-t-elle pas démontré que la macroéconomie dominante était désespérément erronée, que la Grande Modération (une quinzaine d’années de production et d’inflation relativement stables) qui précéda la crise ne fut au mieux qu’illusion ou, au pire, une cause de la crise, et que les politiques basées sur des équations et anticipations rationnelles étaient totalement discréditées ?

L’un des architectes de la macroéconomie dominante est Lars Svensson. Il a écrit plusieurs des articles clés sur le ciblage d’inflation (inflation targeting) en utilisant les équations et les anticipations rationnelles. C’est probablement pour cette raison qu’il fut un membre du comité de politique monétaire suédois entre 2007 et 2013. Au milieu de l’année 2009, les taux d’intérêt de court terme étaient en Suède, comme ailleurs, proches de leur borne inférieure zéro (zero lower bound), en l’occurrence à 0,25 %. Mais au milieu de l’année 2010, ils commencèrent à s’élever, pour atteindre 2 % à la fin de l’année 2011. Si la banque centrale a resserré sa politique monétaire, c’est avant tout parce qu’elle craignait que les consommateurs suédois ne s’endettent de trop.

Svensson s’est férocement et publiquement opposé à ces hausses de taux et finit par quitter la banque centrale. Il affirma que la demande globale était encore très insuffisante et que, dans un tel cadre, une hausse des taux ne serait que source de déflation, poussant le taux d’inflation bien en-deçà de la cible poursuivie par la banque centrale, en l’occurrence 2 %. A la fin de l’année 2012, l’inflation est en effet tombée à zéro, et depuis lors, l’inflation mensuelle est plus souvent été négative que positive. En septembre 2014, le taux d’inflation était de -0,4 %. Fin octobre, la banque centrale suédoise ramena son taux directeur à zéro.

D’accord, un éminent macroéconomiste a fait une bonne prévision. Beaucoup se sont trompés dans leurs prévisions. Mais pourquoi est-ce si important d’en parler ? Supposons que vous preniez sérieusement mon premier paragraphe. La Grande Modération s’explique peut-être par le fait que les banques centrales ont adopté une cible explicite pour l’inflation et qu’elles ont fait varier leurs taux directeurs de manière à atteindre cette cible. Donc, si le produit de cette politique ne fut qu’un simulacre ou pire, qu’elle soit à l’origine la crise financière, les banques centrales ne devraient pas trop s’inquiéter à l’idée de l’abandonner. Elles ne devraient certainement ne pas s’inquiéter si le taux d’inflation s’écarte de sa cible en raison d’inquiétudes à propos de la santé financière de l’économie. C’est ce que fit exactement la banque centrale suédoise.

Maintenant, la Suède est en déflation et les taux d’intérêt sont revenus à zéro. Dévier de ce que les macroéconomistes mainstream conseillent en général (et ce qu’un macroéconomiste en particulier recommande) s’est révélé être une erreur bien coûteuse. (Svensson estime qu’elle a coûté 60.000 emplois.) Donc peut-être que l’histoire de la crise financière est un peu plus nuancée. (…) Le talon d’Achille fut que la politique monétaire perdit en efficacité lorsque les taux nominaux butèrent sur leur borne zéro, mais plusieurs macroéconomistes mainstream avaient déjà soulevé cette éventualité et souligné ses implications avant qu’elle ne survienne en 2009. Au Royaume-Uni (et très certainement ailleurs aussi), ce fut les politiciens et les gouverneurs des banques centrales qui ne prirent pas sérieusement au sérieux les conséquences de cette éventualité. La crise financière a avant tout montré que la régulation financière n’était pas suffisamment stricte (et les outils macro prudentiels de la politique monétaire insuffisamment développés) et non qu’il fallait réécrire comment fixer les taux d’intérêt.

Je ne suis certainement pas en train d’affirmer que la macroéconomie mainstream est sans faille, comme le savent déjà mes lecteurs réguliers. Cependant il est important de reconnaître les progrès de la macroéconomie aussi bien que ses fautes. Si nous échouons à le faire, alors les banques centrales peuvent commencer à faire des choses stupides, qui ont de lourds coûts en termes de bien-être pour les citoyens. Il peut sembler incongru de claironner pour sa propre profession, mais je ne suis pas sûr que d’autres l’auraient fait. »

Simon Wren-Lewis, « In praise of macroeconomists (or at least one of them) », in Mainly Macro (blog), 30 octobre 2014. Traduit par Martin Anota



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