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Tag - austérité

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vendredi 4 janvier 2013

Les erreurs de prévision de croissance et les multiplicateurs budgétaires

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« Comme plusieurs économies ont multiplié les efforts pour assainir leurs finances publiques, il y a eu un intense débat sur la taille des multiplicateurs budgétaires. Parallèlement, l'activité s’est révélée décevante dans plusieurs pays ayant pris des mesures d’austérité. Il est alors naturel de se demander si les prévisionnistes n’auraient pas sous-estimé les multiplicateurs budgétaires, c'est-à-dire les effets que la réduction des dépenses publiques ou les hausses d'impôts peuvent avoir à court terme sur l'activité économique.

Dans un encadré publié dans le World Economic Outlook (WEO; FMI, 2012), nous nous sommes focalisés sur cette question en régressant l'erreur de prévision de croissance du PIB réel sur les prévisions de la consolidation budgétaire. En présence d’anticipations rationnelles et en supposant que les prévisionnistes aient utilisé le bon modèle de prévision, le coefficient de la prévision de consolidation budgétaire devrait être nul. Si, d'autre part, les prévisionnistes sous-estimèrent les multiplicateurs budgétaires, il devrait y avoir une relation négative entre les prévisions de consolidation budgétaire et les erreurs ultérieures de prévision de croissance. En d'autres termes, dans ce dernier cas, les révisions de croissance devraient être plus importantes dans les économies qui ont opéré les plus amples compressions budgétaires. C'est ce que nous avons trouvé.

Dans l’encadré publié en octobre, nous nous sommes concentrés principalement sur les prévisions relatives aux économies européennes pour le début de l’année 2010. La raison est simple : plusieurs gouvernements, en particulier en Europe, avaient alors annoncé d’importantes mesures d’austérité étalées sur plusieurs années et les conditions étaient réunies pour que les multiplicateurs soient plus larges qu’en temps normal.

  • Premièrement, en raison de la contrainte de la borne inférieure zéro sur les taux d'intérêt nominaux, les banques centrales ne peuvent pas baisser davantage leurs taux pour compenser les répercussions négatives qu’une consolidation budgétaire peut avoir à court terme sur l'activité économique. Christiano, Eichenbaum et Rebelo (2011) ont montré, à l'aide d'un modèle dynamique stochastique d’équilibre général (DSGE), que dans de telles conditions, les multiplicateurs budgétaires peuvent dépasser 3. Puisque les épisodes caractérisés par une limite inférieure zéro (aussi appelés épisodes de « trappe à liquidité ») ont été rares au cours de l’histoire, seules quelques études empiriques ont étudié les multiplicateurs budgétaires dans de telles conditions. A partir de données relatives à 27 pays au cours des années trente (une période au cours de laquelle les taux d'intérêt étaient à leur limite inférieure zéro ou proches de celle-ci), Almunia et ses coauteurs (2010) ont conclu que les multiplicateurs budgétaires étaient d'environ 1,6.

  • Deuxièmement, quand la production et le revenu diminuent alors même que le système financier s’avère dysfonctionnel, la consommation peut dépendre davantage des revenus courants que futurs et l'investissement peut dépendre davantage des profits courants que futurs, or ces deux effets entraînent de plus larges multiplicateurs (Eggertsson et Krugman, 2012).

  • Troisièmement, et en accord avec certains des mécanismes décrits ci-dessus, de nombreuses études empiriques ont montré que les multiplicateurs budgétaires sont susceptibles d'être plus larges lorsque l’activité économique est très déprimée. A partir de données américaines, Auerbach et Gorodnichenko (2012) ont constaté que les multiplicateurs budgétaires liés aux dépenses gouvernementales sont compris entre zéro en temps normal et environ 2,5 en période de récession. Si les multiplicateurs budgétaires sont plus larges qu’en temps normal et que les projections de croissance supposent implicitement que les multiplicateurs sont les mêmes qu’en temps normal, alors des erreurs de prévision de croissance doivent être systématiquement corrélées avec les prévisions de consolidation budgétaire.


Notre encadré du mois d’octobre 2012 a généré de nombreux commentaires, critiques et suggestions. Dans cet article, nous revoyons notre méthodologie, nos résultats, examinons leur robustesse et envisageons un certain nombre d'extensions. (...) Nos résultats suggèrent que les multiplicateurs budgétaires ont été effectivement plus importants que ce que supposèrent les prévisionnistes. Mais quelles étaient leurs hypothèses ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, car les prévisionnistes utilisent des modèles dans lesquels les multiplicateurs budgétaires sont implicites et dépendent de la composition de l'ajustement budgétaire et de d'autres conditions économiques.

(…) Il est cependant raisonnable de penser que les multiplicateurs utilisés au début de la crise étaient en moyenne à environ 0,5. Certaines études basées sur des données d'avant-crise pour les économies avancées font état de multiplicateurs d'environ 0,5 et il est plausible que les prévisionnistes, en moyenne, firent des hypothèses cohérentes avec ce chiffre. Le chapitre sur la politique budgétaire du WEO du mois d’octobre 2008 présente des estimations de multiplicateurs pour 21 économies avancées au cours de la période s’étalant de 1970 à 2007 qui s’élèvent en moyenne à 0,5 sur trois ans (FMI, 2008, p. 177). De même, le chapitre sur la consolidation budgétaire du WEO du mois d’octobre 2010 (FMI, 2010), présente des estimations des multiplicateurs pour 15 économies avancées pour la période s’étalant de 1979 à 2009 qui s’élèvent en moyenne à 0,5 sur deux ans. Cela (…) impliquerait que les multiplicateurs hypothétiques d’avant-crise étaient d'environ 0,5. La note du FMI du mois de mars 2009 (…) contient une évaluation de l'impact sur la croissance de l'expansion budgétaire opérée entre 2008 et 2010 qui supposait des multiplicateurs compris entre 0,3 et 0,5 pour les recettes publiques et entre 0,3 et 1,8 pour les dépenses publiques (FMI, 2009, p. 32).

(…) Cela suggère que les multiplicateurs étaient effectivement largement supérieurs à 1 au début de la crise. Le fait que nous trouvions un coefficient plus faible lors des prévisions réalisées en 2011 et 2012 pourrait refléter de plus petits multiplicateurs effectifs ou un apprentissage partiel de la part des prévisionnistes en ce qui concerne les répercussions de la politique budgétaire. Malgré la persistance de la borne inférieure zéro, une diminution de la taille effective des multiplicateurs pourrait refléter un assouplissement des contraintes de crédit auxquelles font face les entreprises et les ménages, ainsi que l’activité dans plusieurs économies soit plus forte qu’en 2009-2010.

Cependant, nos résultats doivent être interprétés avec prudence. (…) Il n'y a pas un seul multiplicateur en tout temps et pour tous les pays. Les multiplicateurs peuvent être plus ou moins élevés au cours du temps et d’une économie à l’autre. Dans certains cas, des effets de confiance peuvent partiellement compenser les effets directs. Puisque les économies connaissent une reprise et quittent la trappe à liquidité, les multiplicateurs sont susceptibles de revenir à leurs niveaux d'avant-crise. Néanmoins, il semble prudent pour le moment, lorsque l’on pense à la consolidation budgétaire, de supposer que les multiplicateurs sont plus élevés qu'avant-crise. (…)

Les résultats ne signifient pas que la consolidation budgétaire n'est pas souhaitable. Pratiquement toutes les économies avancées doivent relever le défi de l'ajustement budgétaire en réponse aux niveaux élevés d’endettement public et aux pressions que l'évolution démographique exercera à l’avenir sur les finances publiques. Les effets que la politique budgétaire exerce à court terme sur l'activité économique ne sont qu'un facteur parmi d’autres qui doivent être pris en compte pour déterminer le rythme approprié de consolidation budgétaire pour un pays donné. »

Olivier Blanchard et Daniel Leigh, « Growth forecast errors and fiscal multipliers », FMI, working paper, n° 2013/1, janvier 2013.

aller plus loin… lire « Retour sur l’efficacité des multiplicateurs budgétaires », « L’austérité est-elle vouée à l’échec ? » et « Krugman, Fisher et Minsky »

dimanche 2 décembre 2012

L'austérité en zone euro : les méandres d'une stratégie autodestructrice

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« Quatre ans après le début de la Grande Récession, la zone euro reste en crise. Le PIB et le PIB par tête sont inférieurs à leur niveau d'avant-crise. Le taux de chômage a atteint le niveau historique de 11,6 % en septembre 2012 (…). La soutenabilité de la dette publique est une préoccupation majeure pour les gouvernements nationaux, la Commission européenne et les marchés financiers, mais les larges et successifs programmes de consolidation budgétaire se sont révélés inefficaces pour l’assurer. Jusqu'à présent, l’affirmation selon laquelle l'austérité est la seule stratégie possible pour sortir de cette impasse a été la pierre angulaire du message des dirigeants politiques aux citoyens européens.

Mais cette affirmation est fondée sur un diagnostic erroné : la crise proviendrait des excès budgétaires des Etats-membres. Pour la zone euro dans son ensemble, la politique budgétaire n'est pourtant pas à l'origine du problème. Le gonflement des déficits et des dettes fut une réaction nécessaire des gouvernements face à la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. La réponse budgétaire a réussi à deux égards : elle a stoppé la spirale récessive et atténué la crise financière. Par conséquent, elle a conduit à une forte hausse de la dette publique dans tous les pays de la zone euro.

En temps normal, la soutenabilité de la dette publique est un problème de long terme, alors que le chômage et la croissance sont des problèmes de court terme. Pourtant, craignant une flambée imminente des taux d'intérêt et étant contraints par le pacte de stabilité et de croissance (PSC), les États-membres et la Commission européenne ont inversé les priorités, alors même que l’activité économique ne s’était pas encore pleinement stabilisée. Ce choix reflète en partie les écueils bien connus du cadre institutionnel de l'Union économique et monétaire (UEM). Mais il reflète aussi une vision dogmatique des choses selon laquelle la politique budgétaire est incapable de gérer la demande et le poids des administrations publiques doit être bridé et limité. Cette idéologie a conduit les Etats-membres à mettre en œuvre des plans d’austérité massifs aux plus mauvais moments.

Comme il est clair maintenant, cette stratégie est profondément erronée. Les pays de la zone et en particulier les pays du sud ont cherché à consolider leurs finances publiques dans la précipitation. Les mesures d'austérité ont atteint une dimension qui n'avait jamais été observée dans l'histoire de la politique budgétaire. La variation cumulée de la politique budgétaire de la Grèce de 2010 à 2012 s'élève à 18 points de PIB. Pour le Portugal, l'Espagne et l'Italie, elle a atteint respectivement 7,5, 6,5 et 4,8 points de leur PIB. La consolidation s’est rapidement synchronisée, conduisant à des répercussions négatives pour la zone euro dans son ensemble, en amplifiant les effets de premier tour. La réduction de la croissance économique, à son tour, rend de moins en moins probable la soutenabilité de la dette publique. Ainsi, l'austérité a été clairement vouée à l'échec (…).

Depuis le printemps 2011, le chômage dans l'UE-27 et en zone euro s’est rapidement accru et le chômage a augmenté de 2 millions de personnes rien que l’année dernière. Le chômage des jeunes a également augmenté de façon spectaculaire au cours de la crise. Au deuxième trimestre de 2012, 9,2 millions de jeunes âgés de 15-29 ans étaient au chômage, ce qui correspond à 17,7 % des 15-29 ans dans la population active et représente 36,7 % du total des chômeurs dans l'UE-27. Le chômage des jeunes a augmenté plus fortement que le taux de chômage global dans l'UE. Les mêmes tendances sont observées pour les travailleurs peu qualifiés. Que nous enseigne l’expérience passée ? Une fois que le chômage a atteint un niveau élevé, il a tendance à y rester les années suivantes. Il s’agit du phénomène de persistance (ou d’hystérésis). (…) Au deuxième trimestre de 2012, près de 11 millions de personnes dans l'UE étaient au chômage depuis un an ou plus. L’année dernière, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 1,4 million dans l'UE-27 et de 1,2 million au sein de la seule zone euro. Par conséquent, la taille effective de la population active s’est réduite, ce qui peut conduire en fin de compte à un niveau plus élevé de chômage structurel. Ainsi, il sera plus difficile de générer de la croissance et des finances publiques saines à moyen terme au sein de l'UE. Outre l'effet du chômage de longue durée sur la croissance potentielle et les finances publiques, le chômage de longue durée peut provoquer une augmentation de la pauvreté (…). Nous estimons que le chômage de longue durée peut atteindre 12 millions dans l'UE et 9 millions dans la zone euro à la fin de 2013.

Ce qui est frappant, c'est que les conséquences de la consolidation (…) ont été largement sous-estimées. (…) Les analyses théoriques et empiriques affirmant que la taille des multiplicateurs budgétaires est plus large dans une situation fragile ont été négligées. Concrètement, alors qu’en temps normal, c’est-à-dire lorsque l'écart de production (output-gap) est proche de zéro, une réduction d'un point de PIB du déficit structurel réduit l'activité de 0,5 à 1 % (ce qui correspond au multiplicateur budgétaire), cet effet dépasse 1,5 % dans les mauvais moments et peut même atteindre 2 % lorsque le climat économique est sévèrement déprimé. Toutes les caractéristiques (la récession, les taux directeurs de la banque centrale à leur borne zéro, l’absence de dévaluation compensatrice, l'austérité parmi les principaux partenaires commerciaux) connues pour générer des multiplicateurs plus élevés que la normale sont observables dans la zone euro.

La reprise qui avait été observée à partir de la fin de l'année 2009 s’est enrayée. La zone euro est entrée dans une nouvelle récession au troisième trimestre de 2011 et la situation ne devrait pas s'améliorer : le PIB devrait reculer de 0,4% en 2012 et à nouveau de 0,3% en 2013. L'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce semblent sombrer dans une dépression sans fin. Le taux de chômage a grimpé à un niveau record dans la zone euro et surtout en Espagne, en Grèce, au Portugal et en Irlande. La confiance des ménages, des sociétés non financières et des marchés financiers s'est effondrée à nouveau. Les taux d'intérêt n'ont pas reculé et les gouvernements des pays du Sud se heurtent encore à une prime de risque insoutenable sur leurs taux d'intérêt, en dépit de quelques initiatives politiques, tandis que l'Allemagne, l'Autriche ou la France bénéficient de taux d'intérêt historiquement bas.

Plutôt que de se concentrer sur les déficits publics, il faut s’attaquer à la cause sous-jacente à la crise. La zone euro a souffert principalement d'une crise de balance des paiements en raison de l'accumulation de déséquilibres des comptes courants entre ses membres. Lorsque les flux financiers nécessaires pour financer ces déséquilibres s’asséchèrent, la crise prit la forme d'une crise de liquidité. Des mesures auraient dû être prises pour ajuster les salaires et prix nominaux d'une manière équilibrée, en réduisant les répercussions négatives sur la demande, sur la production et sur l'emploi. Au lieu de cela, le salut a été recherché dans l'austérité généralisée ; celle-ci a provoqué une baisse de la demande, des salaires et des prix via la hausse du chômage.

Même si une certaine consolidation budgétaire était certainement un élément essentiel d'une stratégie de rééquilibrage dans certains pays pour freiner les excès du passé, il est essentiel que les pays ayant de larges excédents, en particulier l'Allemagne, prennent des mesures symétriques pour stimuler la demande et assurer une croissance plus rapide des salaires et prix nominaux. En revanche, le fardeau de l'ajustement s’est reposé sur les seuls pays déficitaires. Certains progrès ont été accomplis pour résoudre les déséquilibres de compétitivité, mais le coût a été énorme. L'incapacité à assurer une réponse équilibrée des pays excédentaires accroît aussi l'excédent commercial global de la zone euro. Ce n'est probablement pas une solution durable, car elle déplace l'ajustement sur les pays en dehors de la zone euro et provoquera des contreréactions. »

OFCE, ECLM & IMK, « Independent Annual Growth Survey - First report », novembre 2012.

dimanche 11 novembre 2012

Des mesures de l’inflation à l’échec de la gouvernance européenne

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« La zone euro est en récession et personne ne fait rien à ce sujet. La banque centrale européenne (BCE) maintient ses taux d'intérêt à 0,75 % et elle n'a pas prévu d'assouplissement quantitatif. (...) L’indice des prix à la consommation (IPC) devrait être assez proche de 2 % cette année et l’année prochaine dans la zone euro dans son ensemble. Donc, avec l'inflation atteignant la cible, qu’y a-t-il à faire?

Je pense qu'il y a de bonnes raisons, familières à quiconque qui a étudié l'économie, pour dire que la politique monétaire ne doit pas seulement s'occuper de l'inflation courante, mais qu’elle doit aussi combler l'écart de production (output-gap). L'OCDE a estimé en juin que l'écart de production de la zone euro sera compris entre -3,5 % et -4 % en 2012 et 2013. Cependant, les autorités monétaires au Royaume-Uni aussi bien que dans la zone euro (…) semblent seulement regarder l'inflation. (…)

Mais sur quelle mesure de l'inflation devraient-elles se focaliser ? La réponse standard serait de dire les prix à la consommation. Cependant, il n'y a rien dans la théorie économique qui suggère ce que devrait être la seule mesure de l'inflation qui importe. En effet, selon certains (...), un meilleur indicateur des coûts de l'inflation pourrait être une mesure de prix à la production, en l'occurrence le déflateur du PIB. (…) Or l'inflation des prix à la production devrait être bien inférieur à 2 % cette année et la suivante. (…) En outre, l'inflation salariale (…) devrait également être inférieure à 2 %.

Les prix des matières premières expliquent pourquoi l'inflation de l’IPC diverge autant des autres mesures de l'inflation. Bien sûr, l'inflation des prix des matières premières est en grande partie hors du contrôle de la BCE. Mais ce que la BCE est effectivement en train de faire, en mettant l'accent sur l'IPC, est de dire que l'inflation des prix des produits autres que les matières premières doit être inférieure à 2 % pour compenser la hausse des prix des matières premières. Encore une fois, aucun argument théorique ne permet d’affirmer qu’il s’agisse de la chose sensée à faire. Dans certains pays de la zone euro, l'inflation des prix à la consommation est notamment élevée en raison des hausses de TVA ; mais encore une fois, il n'y a guère de sens pour la politique monétaire à réagir à celles-ci.

Ainsi, la BCE n’ignore pas seulement l'écart de production, mais elle ignore aussi toutes les mesures de l'inflation, à l'exception de l'IPC. (...) Je me demande ce qui se passerait si l'inverse était le cas. Imaginons que l'IPC soit à 2%, mais que les autres mesures de l'inflation sont quant à elles bien au-dessus, tandis qu’il y a un écart de production largement positif. La BCE ne ferait rien dans ce cas ?

Les nouvelles concernant la politique budgétaire sont tout aussi déprimantes (…). L’actuel débat politique ne consiste pas à déterminer s’il est approprié d’instaurer davantage d'austérité. Il se ramène plutôt à savoir si les pays ont suffisamment mis en œuvre de mesures de consolidation budgétaire pour éviter les sanctions imposées par les procédures de la zone euro en cas de déficits excessifs (…). Le problème n'est pas seulement les actes des responsables politiques, mais c’est aussi les opinions des personnes qui les conseillent. C'est comme si les responsables politiques avaient passé ces dix dernières années dans une bataille perdue d'avance pour limiter les déficits publics et qu’ils ne voulaient toujours pas l’abandonner (…).

Il s’agit ici d’un échec collectif de la classe dirigeante européenne. (…) Bien qu'il y ait eu (…) certains progrès dans la zone euro concernant l'intégration économique (en termes d’unifications bancaire et budgétaire), je m'inquiète de voir que davantage de pouvoirs sont donnés à une élite dirigeante qui a échoué et qui continue d’échouer d’une si spectaculaire façon. (…) Y a t-il un danger que les économistes, même avec les meilleures intentions qui soient, contribuent à creuser un trou plus profond pour la zone euro parce qu'ils ne parviennent pas à voir le véritable enjeu politique ? »

Simon Wren-Lewis, « From measures of inflation to the failure of European governance », in Mainly Macro (blog), 10 novembre 2012.

mercredi 31 octobre 2012

Petite arithmétique de l'austérité en zone euro

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« Est-ce que l’austérité (en particulier les programmes de consolidation budgétaire actuellement mis en œuvre dans la plupart des pays de l’Union européenne) est vouée à l’échec ? (…) Une nouvelle recherche du NIESR fait la première tentative (à ma connaissance) de modéliser l’impact quantitatif de la consolidation budgétaire menée de manière coordonnée au sein de l’UE (…)

La principale conclusion est que, tandis qu’en “temps normal” la consolidation budgétaire aurait peut-être peut-être permis de diminuer les ratios dette/PIB, la consolidation budgétaire est au contraire dans les circonstances actuelles vouée à échouer pour l'ensemble de l'UE. En raison des plans de consolidation budgétaire actuellement en place, les ratios de dette vont être plus élevés en 2013 dans l’UE dans son ensemble, et non plus faibles. Ceci va aussi être vrai dans la plupart des Etats-membres pris individuellement (notamment la Royaume-Uni, mais excepté l’Irlande).

L’austérité coordonnée dans une dépression est en effet vouée à l’échec. Ce qui implique que la stratégie actuelle qui est poursuivie individuellement par chaque Etat-membre, aussi bien que par l’UE dans son ensemble, est fondamentalement défectueuse. (…) Elle aggrave les choses.

Pourquoi est-ce que la consolidation budgétaire est-elle actuellement aussi dommageable ? Dans des circonstances normales, un resserrement de la politique budgétaire serait accompagné d'un relâchement de la politique monétaire. Cependant, avec des taux d’intérêt qui sont déjà à des niveaux exceptionnellement bas, c’est improbable ou infaisable. De plus, durant un ralentissement, lorsque le chômage est massif et la sécurité de l’emploi réduite, un plus grand pourcentage de ménages et d’entreprises est contraint en termes de liquidité. Finalement, avec tous les pays consolidant simultanément leurs finances publiques, la production de chaque pays est réduite, non simplement par la consolidation budgétaire mise en œuvre dans l’économie domestique, mais aussi par celle menée dans les autres pays, à travers le commerce extérieur. Dans l’UE, il est probable que de tels effets de débordement sont des plus larges. (…)

L’impact négatif des consolidations budgétaires sur la croissance (…) est bien plus large qu’en temps “normal” ; par conséquent, la consolidation budgétaire accroît (plutôt qu’elle ne réduit) le ratio dette publique sur PIB dans chaque pays, excepté l’Irlande. Au Royaume-Uni et dans la zone euro dans son ensemble, le résultat de la consolidation budgétaire coordonnée est une hausse du ratio dette sur PIB d’approximativement cinq points de pourcentage. Bien sûr, un argument fréquemment avancé pour soutenir les programmes de consolidation budgétaire est qu’ils réduisent la prime d’endettement du gouvernement dans les pays avec une dette et des déficits élevés. Mais ces simulations montrent que l’opposé peut en fait être vrai : (...) ceci élève en fait les taux d’intérêt, exacerbe les effets négatifs sur la production et accroît à son tour les ratios dette/PIB ; il s'agit vraiment d'une "spirale de la mort".

Tout cela implique que les politiques poursuivies par les pays de l’UE au cours des dernières années ont des effets pervers et dommageables à l'activité. Nos simulations suggèrent que la consolidation budgétaire coordonnée n’a pas eu seulement un impact substantiellement plus large qu’attendu sur la croissance, mais aussi qu’elle a eu l’effet d’élever plutôt que de diminuer les ratios dette/PIB (…). Non seulement la croissance aurait été plus élevée si de telles politiques n’avaient pas été menées, mais les ratios dette/PIB auraient aussi été plus faibles.

C’est particulièrement ironique que, alors même que l’UE a été créée en partie pour précisément éviter de tels problèmes de type “dilemme du prisonnier” dans la coordination des politiques économiques, c’est en fait exactement le contraire qui se passe actuellement. »

Jonathan Portes, “Self-defeating austerity?”, in Not The Treasury View (blog), mercredi 31 octobre 2012.

mardi 23 octobre 2012

Mesurer le multiplicateur budgétaire

« Le FMI a fait la une et bouleversé les décideurs politiques au début du mois lorsqu’il publia une analyse qui conclut que, à partir de 2009, le multiplicateur de la politique budgétaire a en fait été considérablement plus large qu’on ne le supposait précédemment. Les nouvelles estimations du Fond, qui vont de 0,9 à 1,7, suggèrent que les politiques européennes d’austérité sont en fait directement responsables du fait que les récessions sur le continent aient été bien plus sévères qu’on ne s'y attendait initialement.

Nous avons observé l’expérience de 27 pays dans les années trente, une période où les taux d’intérêt furent proches de leur niveau inférieur zéro et où les conditions monétaires s’apparentaient à celles actuelles (…). Nos résultats s’écartent de la littérature historique antérieure. (…) Il est fréquemment dit (…) que la politique budgétaire ne fonctionna pas dans les années trente car elle ne fut pas tentée. En fait, elle le fût, au Japon, en Italie et en Allemagne, pour des motifs de réarmement et militaires, et même aux Etats-Unis (…).

Nous analysons la taille des multiplicateurs budgétaires de diverses manières. Premièrement, nous estimons des régressions vectorielles de panel, (…). Nous trouvons que les multiplicateurs associés aux dépenses de défense au cours des années trente s’élèvent à 2,5 lors de l’impact et à 1,2 lors des années suivantes. Deuxièmement, nous estimons la réponse du PIB aux dépenses publiques en utilisant un panel de données annuelles et les dépenses de défense comme un instrument de la politique budgétaire. (…) En utilisant cette approche, notre estimation du multiplicateur est de 1,6 (…).

Ces estimations, basées sur les données des années trente, sont à l’extrémité supérieure de celles trouvées par la littérature antérieure, ce qui cohérent avec l’idée que le multiplicateur va être plus élevé quand les taux d’intérêt ne répondent pas à l’impulsion budgétaire, soit parce qu’ils sont à leur limite inférieure zéro, soit pour toute autre raison. (…) Nous suspectons que les décideurs publics européens, qui se montrent choqués et outrés par la découverte du FMI, ont été (…) conscientes de ce qui se passe “ici”, bien avant que le FMI n’attitra l’attention du monde. La question maintenant est s’(…) ils sont désormais prêts à traduire cette prise de conscience en action. »

Barry Eichengreen & Kevin H O’Rourke, « Gauging the multiplier: Lessons from history », in VoxEU.org, 23 octobre 2012.

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