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Tag - banques

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mardi 30 septembre 2014

A propos de la taille optimale du secteur financier

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« La récente crise financière mondiale nous amène à reconsidérer la contribution du secteur financier à l’économie réelle. (…) Avant qu’éclate la crise financière, la littérature empirique qui explorait le lien entre finance et croissance suggérait qu’un élargissement du secteur financier était essentiel dans le processus de développement économique. Ce constat semblait aussi bien s’appliquer aux pays en développement que pour les pays avancés. Encouragés par de telles conclusions, les responsables politiques n’ont pas douté de la capacité du secteur financier à innover et à canaliser les fonds vers leur usage le plus productif. (…)

Malheureusement, les économies dont le secteur financier est large, dynamique et complexe ne sont pas épargnées par les sévères contractions macroéconomiques. En fait, la littérature portant sur les crises bancaires fournissait plusieurs preuves empiriques suggérant un lien causal entre la croissance rapide du crédit et les turbulences bancaires de dimension systémique bien avant qu’éclate la crise financière mondiale. De plus, les coûts en termes de production qui sont associés aux sévères crises bancaires semblent particulièrement élevés.

Est-ce que ces deux observations sont contradictoires? Pas nécessairement (…). D’un côté, un secteur financier mâture peut assurer une allocation efficace des ressources productives et ainsi soutenir la croissance à long terme. De l’autre, un endettement excessif peut faire basculer le système financier en crise et provoquer ainsi de puissants retournements de l’activité économique. Par contre, la crise nous a amené à prendre conscience que la taille du secteur financier peut exacerber l’arbitrage entre l’efficacité économique et la stabilité financière. Si la finance est en soi nécessaire à la croissance, un secteur financier hypertrophié peut se révéler nocif à l’activité économique réelle. Bien sûr, il est complexe de déterminer à partir de quel moment on peut qualifier un secteur financier comme "hypertrophié". (…)

En ce qui concerne le lien entre la finance et la croissance, plusieurs auteurs ont affirmé que la finance influençait la croissance de façon positive et monotone, comme si tout accroissement du secteur financier ne pouvait être qu’une bonne chose. Les récentes études empiriques suggèrent qu’il s’agissait d’une conclusion hâtive. (…) Lorsque la taille du secteur financier atteint un certain seuil, tout accroissement supplémentaire peut se révéler dommageable à la croissance économique à long terme.

Pourquoi est-ce que l’impact de la finance sur la croissance n’est-il pas linéaire ? Les récentes études académiques suggèrent au moins cinq explications. Premièrement, le secteur financier a graduellement étendu la gamme de ses activités au-delà de son activité traditionnelle d’intermédiation pour réaliser de plus en plus d’activités financières qui ne reposent pas sur l'intermédiation, notamment le trading. Or les analyses empiriques suggèrent que les stratégies des banques qui visent à générer des revenus autres que les intérêts sont plus risquées. Ce déplacement de focale accroît naturellement la probabilité qu'éclate une crise systémique. De plus, il est de plus en plus difficile d’établir des mesures empiriques des services financières qui soient cohérentes avec les activités de la finance contemporaine. C’est tout particulièrement le cas des économies à haut revenu dont les secteurs financiers sont fortement sophistiqués.

Deuxièmement, le système financier peut croître excessivement par rapport à l’économie réelle car il peut extraire trop de rentes informationnelles et verser des salaires excessivement élevés. Par exemple, alors que le secteur financier représentait moins de 2,5 % du revenu du travail total au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il en représentait 8,3 % en 2006. Par conséquent, trop de jeunes talents peuvent être employés dans le secteur financier. Pour le dire plus crûment, il y avait avant la crise trop de banquiers et trop peu d’ingénieurs. Ce type particulier de "fuite aux cerceaux" peut freiner la croissance de la productivité globale de l’économie réelle. Il peut se révéler particulièrement inefficace si les rendements sociaux des services financiers sont plus faibles que leurs rendements privés, ce qui est probablement le cas lorsque le secteur financier est initialement trop large.

Troisièmement, une expansion du secteur financier peut signaler une mauvaise allocation du crédit aux activités économiques les moins productives. Les modèles théoriques d’intermédiation financière supposent habituellement que l’épargne est mobilisée pour accorder des prêts aux entrepreneurs. Cependant, l’essor de l’intermédiation financière que l’on a pu observer avant la crise s'explique avant tout par l'essor du crédit accordé aux ménages et en particulier du crédit hypothécaire. En fait, dans plusieurs pays (notamment le Canada, le Danemark et les Pays-Bas), les prêts accordés aux ménages représentaient plus de 80 % du prêt total des banques. Dans plusieurs cas, un euro en prêt hypothécaire contribue moins à la croissance économique globale qu’un euro prêté à une jeune entreprise innovante.

Quatrièmement, un secteur financier hypertrophié peut refléter une prise de risque excessive. Par exemple, certains affirment que la plus grande concurrence bancaire peut éroder la valeur des banques prises individuellement. Cela peut à son tour encourager les banques à adopter un comportement imprudent. Le comportement concurrentiel peut accroître la résilience du système, mais une structure de marché concurrentielle peut l’affaiblir. Une logique similaire s’applique à un environnement où la liquidité est abondante. Cela peut s’expliquer par une politique monétaire très accommodante (…), par un système financier fortement endetté (…) ou par une combinaison des deux. Un tel environnement exacerbe les problèmes d’aléa moral dans le secteur bancaire, accroît l’appétit des banques pour le risque. Cependant, une prise de risque accrue peut fragiliser les banques individuelles et par là le secteur bancaire dans son ensemble, accroître la probabilité d’un effondrement systémique et par conséquent pénaliser la croissance de long terme.

Enfin, il y a un lien entre la taille du secteur financier et sa complexité. Il est probable que la complexité et l’interconnexion des institutions financières s’accroît (peut-être même de façon exponentielle) avec la taille globale du secteur financier, rendant plus difficile pour les régulateurs de comprendre ce qui se passe en son sein. Les autorités publiques n'aurait peut-être pas laissé le système financier connaître une forte expansion si elles s'étaient dotées d’instruments pour comprendre sa complexité et surveiller la propagation des chocs. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être à nouveau pris au dépourvus, mais devons déterminer précisément où se situent les véritables problèmes. »

Benoît Cœuré, « On the optimal size of the financial sector », discours prononcé à Francfort, 2 septembre 2014. Traduit par Martin Anota



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vendredi 4 juillet 2014

Les grandes banques et le risque systémique

« Les grandes banques furent au cœur de la récente crise financière mondiale et leur détresse a provoqué des dommages à l’économie réelle. Cela a amorcé un vif débat sur leur taille optimale, leur complexité organisationnelle et leur gamme d’activités. Ce débat a lieu dans le contexte d’un paysage financier qui a profondément changé au cours des deux dernières décennies (…).

Depuis les années quatre-vingt, le système financier mondial a été transformé par une vague d’innovation et de dérégulation financières. Ces deux dynamiques trouvent notamment leur origine dans la révolution des technologies de l’information qui a accru la disponibilité de l’information, rendu de nombreux actifs plus échangeables et mené à une prolifération des marchés financiers. L’innovation et la déréglementation financières ont facilité l’accès à la finance, apportant de larges bénéfices en termes de bien-être.

GRAPHIQUE 1 Total d'actifs (en milliards de dollars 2011)

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Au même instant, l’innovation et la déréglementation financières ont affecté la structure du système bancaire. Premièrement, la taille des banques, en particulier des plus grandes, s’est accrue. Le graphique 1 montre comment le bilan des plus grandes banques au monde a au moins doublé (et dans certains cas même quadruplé) au cours des dix années qui ont précédé la crise financière. (La crise fut suivie par un certain désendettement, notamment dans les grandes banques, donc leur taille a été relativement stable depuis la crise.) Le graphique 2 illustre la même tendance d’une perspective de structure de marché : la concentration du marché bancaire, mesurée avec la part des actifs bancaires détenue par les trois plus grandes banques domestiques, s’accrut de façon marquée dans la plupart des pays avancés. Ce processus de consolidation fut en partie alimenté par la déréglementation financière dans plusieurs pays, notamment le retrait des interdictions des activités bancaires (…) interétatiques en 1994 (le Riegle-Neal Act) et le retrait des interdictions des fusions entre banques commerciales, banques d’investissement, maisons de courtage et compagnies d’assurance en 1999 (le Gramm-Leach-Bliley Act) aux Etat-Unis ; le « Big Bang » en 1986 au Royaume-Uni ; et la création d’un unique marché financier dans l’Union européenne, commençant en 1999 avec le Financial Services Action Plan.

GRAPHIQUE 2 Concentration (en %)

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Deuxièmement, les banques ont étendu leur gamme d’activités. Elles ajoutèrent une large gamme d’opérations orientées vers le marché à leur activité traditionnelle de prêt. (…) Les graphiques 3 et 4 illustrent le déplacement des banques vers des activités orientées vers le marché en utilisant deux mesures alternatives : une réduction des prêts comme part des actifs et une hausse de la part des revenus hors intérêts dans le revenu total.

GRAPHIQUE 3 Ratio prêts sur actifs (en %)

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Tandis que les changements dans le système financier affectèrent toutes les banques, elles eurent un impact particulièrement important sur les plus grandes banques. Le modèle d’affaires des grandes banques se distingue clairement de celles des banques de petite ou moyenne taille. Premièrement, les grandes banques s’engagent aujourd’hui de façon disproportionnée dans des activités orientées vers le marché. Deuxièmement, les grandes banques détiennent moins de capital que les petites banques (…). Troisièmement, les grandes banques ont moins de financement stable que les petites banques (…). Finalement, les grandes banques se caractérisent par une plus grande complexité organisationnelle (…).

GRAPHIQUE 4 Part des revenus hors intérêts dans le revenu total (en %)

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En fait, parmi les grandes banques, les quatre dimensions (niveau de capital, stabilité du financement, part des activités orientées vers le marché et la complexité organisationnelle) sont corrélées les unes avec les autres. Cela suggère qu’il y a une raison structurelle expliquant pourquoi certaines banques deviennent larges, détiennent moins de capital, ont un financement fragile, ont des activités davantage orientées vers le marché et se caractérisent par une plus grande complexité organisationnelle.

Il y a plusieurs raisons pouvant expliquer pourquoi les grandes banques sont différentes :

  • Une première explication pourrait être que les larges banques bénéficient d’économies d’échelle et que cela affecte leur modèle d’affaires. (…) La taille permet une meilleure diversification, ce qui réduit les risques et permet aux banques d’opérer avec moins de capitaux et un financement moins stable. Cela peut aussi faciliter les activités orientées vers le marché. En outre, les grandes banques peuvent opérer dans un différent segment de marché que les petites banques. Les grandes banques peuvent avoir un avantage comparatif dans les activités orientées vers le marché, ces dernières exigeant de significatifs coûts fixes et se caractérisant par des économies d’échelle. Les activités orientées vers le marché peuvent inviter à utiliser plus de levier d’endettement et de financement instable, parce que les titres peuvent être utilisés comme collatéral dans les opérations de refinancement. Les petites banques peuvent posséder un avantage comparatif dans le prêt traditionnel, basé sur la relation.

  • Une autre explication est que les grandes banques répondent aux subventions car elles sont trop-grosses-pour-faire-faillite (leur éventuelle faillite étant susceptible de faire écrouler l’ensemble du système financier). Comme les agents croient que les créanciers des grandes banques vont être renfloués en cas de détresse bancaire, le coût de dette pour les grandes banques est plus faible. Cela rend les banques plus enclines à utiliser le levier d’endettement et le financement instable et à s’engager dans des activités risquées orientées vers le marché.

  • La troisième raison est que la taille excessive de certaines banques résulte de la volonté de construire un véritable « empire managérial » et que les grandes banques souffrent d’une mauvaise gouvernance d’entreprise. Les dirigeants peuvent chercher une taille pour recevoir de plus larges rémunérations (Murphy, 1985; Gabaix et Landier, 2008) ou parce qu’ils jouissent de bénéfices privés du prestige de diriger une grande entreprise (Jensen, 1986). Les dirigeants peuvent accroître la taille de banque en attirant un financement additionnel et en accroissant le levier d’endettement de la banque ou à travers des opérations de fusions-acquisitions avec d’autres banques.

Toutes les explications avancées ci-dessus ont quelque validité. Les grandes banques peuvent connaître des économies d’échelle, bien que leur valeur, aussi bien que le seuil de taille de banques à laquelle elles disparaissent, est sujet à beaucoup de débat. (…) Les grandes banques bénéficient de subventions (implicites) car leur faillite pourrait menacer la stabilité du système financier, bien que leur valeur soit également incertaine et varie d’un pays à l’autre et au cours du temps. Et il y a des preuves empiriques suggérant que les grandes banques font face à des problèmes spécifiques de gouvernance spécifiques, bien qu’il soit encore une fois difficile de quantifier leur importance. (…) L’explication selon laquelle les grandes banques sont aussi grandes et opèrent de la manière par laquelle elles le font en raison des économies d’échelle est bénigne. Elle suggère que la taille de banque est économiquement bénéfique. Les explications basées sur l’idée de subventions accordées aux établissements too-big-to-fail et la mauvaise gouvernance d’entreprise impliquent que les perturbations peuvent être présentes. Les banques peuvent être trop larges comparé à ce qui est socialement optimal et n’ont pas d’incitations à réduire leur taille en raison des intérêts privés des actionnaires ou des dirigeants. Pris ensemble, cela implique qu’il peut y avoir un arbitrage avec des grandes banques qui profitent d’économies d’échelle, mais qui contribuent par là même au risque systémique. Puisque la littérature sur les économies d’échelle n’est pas concluante, il est difficile de déterminer la taille de banque optimale. Par conséquent, notre étude adopte une approche plus étroite et se demande si les grandes banques sont plus risquées ou génèrent plus de risque systémique. (…)

Dans son sens large, le risque systémique désigne les externalités générées par la détresse bancaire et se répercutant sur le reste du système financier et l’économie réelle (Bernanke, 2009; De Nicoló, Favara et Ratnovski, 2012). Ici nous constatons que les grandes banques contribuent davantage au risque systémique lorsqu’elles ont moins de capital ; (…) lorsqu’elles ont moins de dépôts ; (…) lorsqu’elles se sont engagées dans des activités davantage orientées vers le marché (…).

Il y a aussi actuellement un débat quant à savoir si le système financier (ou bancaire) dans son ensemble puisse être trop large. Les études abordent généralement cette question du point de vue de l’efficacité de l’allocation des ressources en se demandant si un large système financier peut être le signe d’une mauvaise allocation des ressources dans l’économie, menant à un plus faible bien-être collectif et une moindre croissance économique (Phillipon, 2010; Arcand, Berkes et Paninza, 2012). Certes la littérature empirique tend à suggérer que cela pourrait être le cas, mais les résultats obtenus dépendent généralement bien trop des techniques d’estimations pour être concluantes et donc être utiles pour les autorités publiques.

Nos constats offrent un angle différent pour réfléchir aux larges systèmes financiers à partir de considérations sur le risque systémique. Il apparaît que les plus larges systèmes financiers ont de plus grandes banques. (…) Les larges systèmes financiers peuvent se caractériser par un risque systémique plus élevé en raison de la présence disproportionnée de grandes banques. (…) Pour contrôler le risque systémique dans les larges systèmes financiers, les régulateurs doivent donc porter une attention particulière aux grandes banques. »

Luc Laeven, Lev Ratnovski et Hui Tong, “Bank size and systemic risk”, FMI, staff discussion note, SDN/14/04, mai 2014. Traduit par Martin Anota

dimanche 15 septembre 2013

Le monde bancaire, cinq ans après Lehman Brothers

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source : The Economist (2013)